samedi 24 décembre 2005

Ernest Dawkins & John Betsch @ Les 7 Lézards, vendredi 23 décembre 2005

Duo saxophone-batterie comme je les aime hier soir aux 7 Lézards. Ernest Dawkins, actuel président de l'AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians), dialoguait avec le batteur américano-parisien John Betsch. Une occasion, alors que 2005 touche à sa fin, de célébrer comme il se doit les 40 ans de l'association chicagoane à l'origine du concept de Great Black Music.

Le concert a commencé par une mise en situation percussive, avec John Betsch au gong et Ernest Dawkins avec un tas de petites percussions en tous genres, de sifflets, de clochettes... Introduction spirituelle assez typique de la scène free chicagoane. Ensuite, Ernest Dawkins a empoigné son sax alto pour une montée en puissance progressive. Jeu très véloce, grande puissance du son, improvisation free véhémente, et citations de standards ça et là, Ernest Dawkins embrasse, et embrase, l'histoire du jazz. A ses côtés John Betsch est tout aussi vif, surprenant, maintenant un bruissement constant sur les toms et les cymbales. On est dans la lignée des grands duos sax-batterie qui ont fait l'histoire du free jazz. Le concert s'est déroulé dans un flot sonore ininterrompu, mais en trois mouvements disctincts marqués par les changements de saxophones d'Ernest Dawkins (alto - ténor - alto). Une heure et demi intense, qui berce peu à peu, qui fait s'envoler l'esprit ailleurs. On se surprend à ronronner de plaisir en suivant les mouvements de balancier hypnotique du corps d'Ernest Dawkins en transe. Délicieux. Le concert s'est achevé comme il avait commencé, par un échange improvisé autour des percussions et autres petits instruments présents sur la table à côté de Dawkins : harmonica, sifflets, clochettes, gong... Tout cela donnait un aspect très rituel à la musique proposée.

jeudi 22 décembre 2005

Limousine @ Studio de l'Ermitage, mercredi 21 décembre 2005

Un peu plus d'un mois avant la sortie de leur premier disque sur le label Chief Inspector (début février), les trois compères de Limousine donnaient hier soir un concert au Studio de l'Ermitage. Habitués des ambiances free-etc., Laurent Bardainne au sax ténor et au clavier farsifa, Maxime Delpierre à la guitare et David Aknin à la batterie proposent pourtant avec ce groupe un jazz paisible et évanescent, inspiré par les musiques des films de Wim Wenders, Jim Jarmusch ou Sergio Leone, et donc les musiques de Ry Cooder, des Lounge Lizards ou d'Ennio Morricone notamment. Dans des morceaux au format assez court, les trois musiciens installent des climats qui semblent tout droit sortis d'un western ou d'un road-movie à travers les grands espaces de l'Ouest américain. Mélodies lancinantes du saxophone, rythmes entêtants de la guitare, bruissements des balais sur les toms de la batterie, tout est ici propice à un voyage dans un film imaginaire. Même si on retrouve parfois la puissance caractéristique de Laurent Bardainne au saxophone, elle est ici canalisée et évoque plus la tension dramatique d'un duel à venir au fin fond du Far West que les débordements free de la mégalopole new-yorkaise. Quand il s'empare des claviers, Laurent Bardainne donne une coloration plus rock, un peu dans la veine des boucles de Sonic Youth, à la musique du trio, bien secondé par un David Aknin puissant et binaire, et par la réverbération très poussée de Maxime Delpierre à la guitare. Au final, la musique du trio est suffisamment variée pour donner une certaine consistance au projet, tout en maintenant constamment le cap sur l'envoûtement du spectateur et l'évocation d'images de l'Ouest lointain.

mercredi 14 décembre 2005

Sonia Wieder-Atherton / Chantal Akerman - D'Est en musique @ Cité de la Musique, mardi 13 décembre 2005

Dans le cadre de son cycle Musique & Cinéma, la Cité de la Musique proposait hier soir un spectacle conçu par Sonia Wieder-Atherton autour d'images tirés du documentaire D'Est de Chantal Akerman. La violoncelliste, accompagnée par le pianiste Laurent Cabasso, interprétait quelques oeuvres de Rachmaninov, Janacek, Schnittke et Prokofiev pendant que des images du "film-voyage" de Chantal Akerman étaient projetées sur un écran.

Au départ, D'Est est un documentaire tourné par la réalisatrice belge peu après la chute du communisme, entre l'été 1992 et l'hiver 1993. Elle suit un périple qui la mène de l'Est de l'Allemagne jusqu'à Moscou, semblable en bien des points au plus récent voyage de Wolfgang Büscher dont je me faisais l'écho il y a quelques mois. Originaire d'une famille juive polonaise, Chantal Akerman, bien qu'adepte d'un certain "cinéma-vérité" dans ses documentaires, porte un regard empreint de tendresse sur les personnes qu'elle filme dans le dénuement encore très présent du début de la transition. Pour le concert d'hier soir, Sonia Wieder-Atherton avait sélectionné uniquement certains passages du film, pas forcément diffusés dans l'ordre du récit d'ailleurs. Il s'agissait donc plus d'un spectacle à part entière que d'une simple juxtaposition d'un film et de musiques.

Ce n'est pas la première fois que Sonia Wieder-Atherton collabore avec Chantal Akerman. Pour le film Histoires d'Amérique qui évoque l'immigration juive aux Etats-Unis, la réalisatrice avait ainsi fait appel à la violoncelliste pour arranger et interpréter des chants juifs traditionnels en guise de bande son. Par ailleurs, Chantal Akerman est également la réalisatrice d'un beau documentaire consacré à Sonia Wieder-Atherton qu'Arte avait diffusé il y a quelques temps. Il y a donc une véritable communauté d'esprit, au delà de leurs champs d'expression privilégiés, entre les deux femmes.

Pour le concert d'hier soir, les deux musiciens étaient situés derrière la toile tendue qui servait d'écran de projection. On ne les voyait par conséquent pas pendant la majeure partie de la projection. Les changements de toile pour l'écran permettaient cependant de les apercevoir par moment, quand l'écran blanc cédait sa place à une toile noire.

Le concert a commencé par la Vocalise pour violoncelle et piano de Sergueï Rachmaninov, pendant que des images de femmes travaillant dans des champs étaient projetées. Ensuite, la Sonate pour violoncelle et piano du même Rachmaninov déployait son charme post-romantique sur un ballet de voitures roulant de nuit sous la neige. Ont suivi une adaptation pour violoncelle seul d'un Chant sur un poème morave de Leos Janacek, sur des images d'une foule attendant - sans doute un bus - à la tombée de la nuit, puis la Sonate pour violoncelle et piano n°1 d'Alfred Schnittke, alors que des enfants jouaient dans la neige. Certaines images faisaient écho à celles projetées pendant la sonate de Rachmaninov. C'était assez intéressant de voir les mêmes foules allant et venant - dans ce qui semblait être un hall de gare - aux sons très différents du romantisme tardif du compositeur russe et de l'approche plus contemporaine de son successeur germano-russe. Enfin, le concert s'est achevé sur l'Adagio pour violoncelle et piano de Sergueï Prokofiev et la projection d'images d'un thé-dansant pour personnes d'un âge que nous qualifierons de mûr. C'était d'ailleurs assez amusant de voir le décalage qui existait entre la musique de Prokofiev et les gestes de danse des couples (tous différents d'ailleurs, certains dansant la valse, d'autres le rock, et des troisièmes des danses assez peu orthodoxes), tout en constatant que malgré tout, ça marchait, comme si les mouvements de la pièce de Prokofiev mettaient en évidence le sens caché de ces gestes désordonnés.

Avec des compositeurs que j'aime assez (même si j'aurais bien aimé un peu plus d'oeuvres de Janacek), ainsi qu'une cinéaste et une violoncelliste pour qui j'ai une grande estime, c'était difficile d'être déçu et je partais un peu convaincu d'avance. Pas vraiment de surprise par conséquent, mais un grand plaisir pendant la petite heure et demi qu'a duré le spectacle.

vendredi 9 décembre 2005

Quinte & Sens @ China Club, jeudi 8 décembre 2005

Quinte & Sens fêtait ses dix ans hier soir au China Club. Le quintet, que j'aime beaucoup, était précédé par un concert de bidule solo. Benoît Lorimy, de la Compagnie des Bidulistes, était en effet seul sur scène avec son... bidule. En l'occurence un grand truc cubique et métallique qui servait de caisse de résonance, et tout un tas de petits machins allant de ceintres à une cafetière en passant par une règle en fer. Percutée ou frottée, la musique était pour le moins originale, et non sans une pointe d'humour bienvenue.

Après cette première partie quelque peu hors normes, Quinte & Sens a rejoint la scène. Toujours composé de Claude Whipple à la guitare, Olivier Py aux saxes soprano et ténor, Xavier Bornens à la trompette et au bugle, François Fuchs à la contrebasse et Aidje Tafial à la batterie, le groupe a proposé un florilège panaché de morceaux récents (à retrouver sur un deuxième disque ?) et de "classiques" du quintet. Au delà des influences diverses (jazz, funk, Afrique, Orient, Balkans...) et des qualités individuelles des musiciens, ce que j'aime surtout chez Quinte & Sens, c'est qu'ils ont développé une sonorité de groupe qui leur est propre. Mélodies entêtantes, improvisations flamboyantes et grande cohésion du propos. On est loin d'un collage d'éléments divers. Il y a une écriture caractéristique (souvent du fait de Claude Whipple, principal compositeur du quintet) qui s'est forgée au cours de ces dix années. Ca ne fait que deux ans que je les connais, mais c'est vite devenu l'un des mes groupes préférés sur la scène jazz hexagonale. Le final d'hier, avec la participation de Medhi Haddab au 'oud électrique et d'un percussionniste oriental, était vraiment excitant, entre un jazz juste ce qu'il faut de libertaire et des mélopées orientales envoûtantes. Le deuxième morceau du concert (Sur un radeau, je crois bien) était lui aussi un superbe moment, avec une mélodie qui colle immédiatement à la mémoire. Et puis retrouver sur scène la puissance d'un Ai-je ta fiole ? est toujours un grand plaisir. Bref, une nouvelle réussite de Quinte & Sens.

jeudi 8 décembre 2005

Ari Hoenig Quartet @ Sunside, mercredi 7 décembre 2005

Yeah ! That's what I call jazz ! Concert absolument jouissif du quartet d'Ari Hoenig hier soir au Sunside. Il faut dire que pour l'occasion le batteur américain était entouré d'un groupe superlatif : Rémi Vignolo à la contrebasse, Julien Lourau aux saxes ténor et soprano et Bojan Zulfikarpasic au piano. En sept morceaux, deux rappels et deux heures de concert, ils nous ont proposé une déambulation à travers les diverses facettes du jazz, avec un enthousiasme et une joie de jouer communicatifs.

Le concert a commencé avec The Panther, une composition d'Ari Hoenig dans un style jazz moderne qui n'était pas sans évoquer Wayne Shorter. Lourau au sax soprano a rendu un bel hommage au maître, alors que le leader, le visage déformé par quelques grimaces à faire peur, alternait puissance et musicalité sur les toms. Le deuxième morceau était aussi signé Hoenig. C'était une toute nouvelle composition d'après ce qu'il a annoncé. Dans un esprit plus proche de Sonny Rollins cette fois-ci. Puissance et balancement mêlés, avec un Lourau au ténor désormais. Après une ballade, toujours de la main de Hoenig, duo Vignolo/Hoenig pour introduire le quatrième morceau à la dimension funk prenante, tendance blaxpoitation des 70s. Pour un peu on se serait cru dans Shaft, avec une contrebasse tenant le rôle de la guitare wah wah. Lourau s'est alors replongé quelques années en arrière, du temps où il dirigeait son Groove Gang. La température montait d'un cran dans la salle. Pour ne pas retomber ensuite, avec une impro blues, toujours autour d'une paire rythmique Vignolo/Hoenig idéalement pulsante. Bojan prenait des accords ancrés dans le delta, faisant pleurer son piano avec entrain. Après ces pièces signées du leader, hommage à Dizzy Gillespie avec une reprise de Con Alma délicieusement chaloupée. Les ambiances caraïbes font le bonheur de Julien Lourau, et il l'a démontré une nouvelle fois hier soir. Le concert s'est alors achevé sur une relecture du thème composé par Lourau pour L'évangile du cochon créole, un court métrage du réalisateur haïtien Michelange Quay. Pendant ce morceau, Ari Hoenig en a profité pour citer les musiciens qui l'accompagnaient, ce qui a permis à chacun de prendre des solos particulièrement imaginatifs : Lourau en percussionnant son sax (il en jouait sans souffler dedans), Bojan en s'autorisant quelques arpèges dont il a le secret, et Vignolo en étant accompagné par Ari Hoenig qui se servait du bois de la contrebasse comme percussion. Franc succès auprès du public, qui en a redemandé avec insistance. D'où deux rappels. Tout d'abord Four de Wayne Shorter, histoire d'apaiser les esprits, puis Hulio's Blues de Bojan Z histoire de les chauffer une dernière fois avant la séparation.

Au delà des thèmes, fort variés, joués, l'entente musicale et amicale entre les quarte musiciens faisait vraiment plaisir à voir et entendre. Bojan et Lourau n'en sont pas à leur première collaboration, loin de là. Depuis l'aventure Trash Corporation au début des 90s, ils se retrouvent régulièrement dans les groupes de l'un ou de l'autre, voire chez quelques prestigieux tiers (cf. le disque Mad Nomad(s) d'Henri Texier, Label Bleu, 1995). Leur complicité n'est plus à démontrer. Quant aux deux autres, si ça ne fait pas quinze ans qu'ils se connaissent, ils ont fait preuve eux aussi d'une belle concorde rythmique. L'ensemble était vraiment jouissif, agrémenté de clins d'œil et sourires de connivence, ce qui ne gâchait rien.

mardi 6 décembre 2005

La Campagnie des Musiques à Ouïr & Gabor Gado @ Studio de l'Ermitage, lundi 5 décembre 2005

La Campagnie des Musiques à Ouïr fêtait hier soir la sortie de son nouveau disque au Studio de l'Ermitage. Enregistré à Budapest pour le label BMC Records avec trois musiciens hongrois, il met en avant une nouvelle collaboration originale pour les trois campagnons après le groupe sud-africain Heavy Spirit, Yvette Horner ou encore Brigitte Fontaine (entre autres). Pour le concert d'hier soir, le guitariste Gabor Gado, qui participe à ce nouveau disque, était présent.

La Campagnie, ce sont trois musiciens décalés, entre mélodies populaires et jazz libertaire. Ils parlent de "jazz rural" pour définir leur musique. Denis Charolles tient la batterie, mais aussi le trombone, le clairon et même l'arrosoir. Christophe Monniot souffle à travers saxes alto et sopranino, mais chante et joue des claviers également. Fred Gastard, aux saxes basse et soprano ainsi qu'aux claviers, est désormais le troisième membre du groupe, en lieu et place de Rémi Sciuto. Valse musette et reggae font bon ménage, entre tango et free jazz, au sein du grand capharnaüm de la Campagnie. Difficilement définissable, il faut assister à un de leurs concerts pour comprendre leur musique. Entre joies simples et tourbillons frénétiques, ça pulse et danse joyeusement.

Après quelques morceaux à trois, ils ont donc été rejoints par Gabor Gado. A priori le style du Hongrois, très évanescent, onirique, qui étire les notes au possible, est radicalement opposé à celui de la Campagnie. Et pourtant, au bout de deux morceaux, ça fonctionne parfaitement. Gabor Gado instaure comme un élément liquide dans le jazz terrien du groupe normand.

Christophe Monniot est toujours aussi enthousiasmant au sax. Il a une manière bien à lui de mêler dans son jeu l'héritage free et un aspect constamment dansant à travers un jeu tourbillonnant, comme s'il était l'enfant caché de Nino Rota et Ornette Coleman. Son corps constamment en mouvement quand il souffle dans ses saxes accentue l'aspect entraînant de son jeu.

En environ deux heures, la Campagnie a proposé un excellent concert, peut-être plus strictement jazz qu'à l'accoutumée (malgré un reggae au milieu du concert et une valse pour conclure), avec moins de chants et plus de cuivres tournoyants, ce qui n'était pas pour me déplaire.

dimanche 27 novembre 2005

Octurn & Magic Malik @ La Maroquinerie, samedi 26 novembre 2005

Oui, encore Malik ! Cette fois-ci avec le groupe belge Octurn emmené par le saxophoniste baryton Bo van der Werf. En clôture du festival Jazz XL à la Maroquinerie (qui, comme son nom l'indique, propose du jazz joué par des ensembles grand format), Octurn présentait un nouveau projet avec le flûtiste parisien. Sur un répertoire constitué pour moitié de compositions de Bo van der Werf et pour moitié de compositions de Malik, dans une veine électro-jazz par l'adjonction de Gilbert Nouno (de l'IRCAM et qui a déjà collaboré avec Steve Coleman) et Dré Pallemaerts (qui avait lâché sa batterie pour l'ordinateur), le groupe a proposé un concert assez convaincant. Lentes progressions sinueuses, qui prennent le temps d'installer le climat sur chaque morceau, et qui dérivent progressivement vers un concentré d'énergie bouillonnante. Ce n'est plus de la fusion, mais de la fission nucléaire ! On reconnaît là la musique développée par les "enfants" européens de Steve Coleman, dans la lignée de la nébuleuse du Hask ou d'Aka Moon. Ce n'est d'ailleurs pas étonnant à la vue de la configuration actuelle du groupe, qui intégre des musiciens en provenance du Hask, comme Guillaume Orti au sax alto, Jean-Luc Lehr à la basse ou Chander Sardjoe à la batterie. Le groupe était complété par Laurent Blondiau à la trompette, Fabian Fiorini au piano, Jozef Dumoulin au Fender Rhodes et Skorpene à la vidéo. On retrouvait ainsi des musiciens qui participent au nouvel Orchestra de Magic Malik (van der Werf, Blondiau, Lehr). Echanges fructueux et répétés entre Paris et Bruxelles.

Magic Malik et Guillaume Orti étaient ceux qui s'illustraient le plus à travers des solos virevoltants hier soir. Dans un registre aérien pour le flûtiste, plus tellurique en ce qui concerne le saxophoniste. La partie électronique mélangeait les genres. Parfois elle s'apparentait à des sortes d'obstacles sonores, dans une démarche proche de l'illbient. A d'autres moments elle venait au contraire en appui de la section rythmique, amenant le groupe sur un terrain drum'n'bass. La complémentarité avec Chander Sardjoe, dans un registre très différent ce que je pouvais en connaître à travers Kartet, permettait cependant au groupe de ne pas rester enfermer dans les poncifs du genre. Malgré la densité sonore dégagée par l'ensemble, le musique conservait son aspect entraînant, grâce à quelques touches de légèreté et une variation des climats rythmiques bienvenues. Sans doute dû à la présence de deux compositeurs. On entendait ainsi assez nettement la différence entre les morceaux de Bo van der Werf et ceux de Malik, plus festifs et espiègles dans leurs développements. Pour autant, personne ne tirait la couverture à lui, et l'écriture était vraiment au service du jeu de groupe, ce qui était assez plaisant.

samedi 26 novembre 2005

Bruno Wilhem & Ramon Lopez / Steve Coleman & The Mystic Rhythm Society @ Le Cap, Aulnay-sous-Bois, vendredi 25 novembre 2005

Steve Coleman aime la banlieue. La dernière fois que je l'avais vu, c'était à Pontoise. Il est annoncé à Créteil en février 2006 dans le cadre de Sons d'hiver. Et il se produisait hier soir au Cap, une salle située à Aulnay-sous-Bois. Mais avant d'en venir à sa performance, un petit mot sur la première partie.

Le saxophoniste Bruno Wilhem (très impliqué dans l'aventure du Cap, puisqu'il y a monté un orchestre avec des jeunes musiciens du coin) et le batteur Ramon Lopez dialoguaient dans un langage free, dans la lignée de la glorieuse épopée des 60s, avec quelques éléments exotiques (tablas, cajon...) pour pimenter la rencontre. Le jeu de Bruno Wilhem (ténor et alto) n'est pas sans rappeler l'expressivité rauque du Shepp des années Impulse. Quant à Ramon Lopez, c'est un batteur vraiment remarquable, qui fait chanter ses tambours plus qu'il ne les frappe. Très variée dans ses effets rythmiques, la musique proposée par ce duo a tenu le public en haleine pendant près de 50 minutes d'une suite volontiers expressionniste.

Après cette première partie, Steve Coleman a rejoint la scène à la tête de sa Mystic Rhythm Society. Petit flashback, dix ans en arrière, au Hot Brass (désormais Trabendo), pour présenter ce groupe. Depuis une vingtaine d'années, Steve Coleman rénove le jazz à la tête de ses Five Elements. Mais, parallèlement à ce groupe, il anime également deux autres projets : Metrics, qui propose une rencontre explosive de jazz et de rap, et la Mystic Rhythm Society, orientée vers une rencontre de jazz et de "world music". Il y a tout juste dix ans, en mars 1995, le Hot Brass accueillait pour la première fois les trois groupes de Coleman au cours d'un même programme, en cinq soirées. Il en a résulté trois disques (un par groupe) qui sont parmi les meilleurs de la discographie du chicagoan. Depuis, Coleman réactive épisodiquement ses deux groupes un peu particuliers. J'avais ainsi pu assister à un concert brûlant des Metrics lors de l'édition 2002 de Jazz à la Villette. Et on se souvient du disque enregistré à Cuba en 1996 par la Mystic Rhythm Society, très réussi.

Pour son actuelle tournée européenne, Coleman a donc réactivé sa Société, en regardant cette fois-ci vers la Hongrie. Son groupe était par conséquent accompagné par quatre musiciens originaires de la grande plaine danubienne : Zoltan Lantos au violon, Miklos Lukacs au cymbalum, Mihaly Borbely au saxophone soprano et au tarogato (sorte de clarinette traditionnelle hongroise à anche double) et Gabor Winand au chant. Outre les Hongrois, on retrouvait aux côtés de l'altiste, Jonathan Finlayson à la trompette, Tim Albright au trombone, Thomas Morgan à la contrebasse, Tyshawn Sorey à la batterie et Jen Shyu au chant. Soit une nouvelle paire rythmique (avec un batteur phénoménal) et quelques fidèles.

Projet ambitieux et excitant a priori, mais qui n'a pas tenu ses promesses. Les musiciens hongrois semblaient complètement perdus dans la densité rythmique de la machine colemanienne. Pour tout dire, ils n'ont quasiment pas joué du concert, n'arrivant pas à se placer au sein d'une musique assez éloignée de la leur. Manque de préparation ? Le concert d'hier soir n'était que le troisième de leur tournée européenne, et ils ne donnaient pas le sentiment d'avoir préparé leur performance en amont. Etrange idée que cette collaboration pour le coup. En suscitant une attente frustrée, ce concert a donc commencé par me décevoir. Mais, petit à petit, en faisant abstraction des musiciens hongrois, plus spectateurs qu'autre chose, on entre dans la furia groovante de Steve Coleman et de ses acolytes américains. Machine rythmique infernale - avec un Tyshawn Sorey puissamment métronomique à la batterie - et élégance incisive des cuivres font qu'on ne peut que difficilement résister aux bonnes vibrations que dégage la musique.

Sur la fin du concert, les musiciens hongrois se sont quand même un peu manifestés, avec par exemple un duo vraiment sympa entre contrebasse et cymbalum pendant quelques mesures, ou des solos de violon et de cymbalum enfin réjouissants sur l'ultime morceau du concert, le traditionnel Fire Theme qui clôt toutes les performances colemaniennes. Vraiment dommage d'avoir dû attendre les dernières minutes pour entrapercevoir ce qu'aurait pu donner une véritable rencontre des deux univers. Encore plus dommage de n'avoir quasiment pas entendu Gabor Winand intervenir, lui qui est pourtant l'un des chanteurs de jazz les plus intéressants du moment en Europe. On retiendra donc de ce concert que la machine colemanienne est toujours aussi phénoménale, mais qu'elle intègre difficilement de nouveaux éléments. Déception et enthousiasme se mêlaient ainsi à la sortie de la salle. Etrange sensation.

mardi 22 novembre 2005

Robert Glasper Trio @ Sunside, lundi 21 novembre 2005

Depuis qu'il a avec lui la force de frappe marketing de Blue Note, Robert Glasper est présenté par toute la presse spécialisée comme la nouvelle star du piano jazz. Mais ceux qui, comme moi, l'avaient découvert à travers son premier disque - Mood (Fresh Sound New Talent, 2003) - le savaient depuis quelques temps déjà. Pour les uns, comme pour les autres, confirmation en a été donnée hier soir par un superbe concert au Sunside.

Accompagné par le batteur Damion Reid et le contrebassiste Alan Hampton, Robert Glasper nous a démontré, au cours de deux longs sets, toute l'étendue de son talent, comme interprète et comme compositeur. La force de ses mélodies limpides, alliée à une expressivité idéale du trio, évoque simultanément la fraîcheur de la dernière petite tuerie hip hop et ses grands prédécesseurs dans le cadre magique du trio piano-basse-batterie. Ce qui m'a le plus frappé, hier, c'est la large place que Robert Glasper laisse à ses deux sidemen, particulièrement bons il faut dire. Je ne connaissais pas le bassiste, mais il m'a fait forte impression. Solos délicats, rythme puissant, parfois jazz, parfois plus urbain. Je connaissais mieux Damion Reid, mais sa performance lui a fait prendre une nouvelle dimension à mes oreilles. Sa dextérité à toute épreuve (il faut voir son jeu de doigts dans le maniement des baguettes pour y comprendre quelque chose), là aussi entre deux mondes musicaux, jazz et hip hop, est particulièrement impressionnante, ne cessant jamais pour autant d'être fraîche et réjouissante. Ce qui caractérise ce trio c'est en effet de ne jamais céder à la complexité. Une grosse maîtrise instrumentale, mais mise au service de la communication des sentiments. On n'entend pas des "idées", mais un bon gros feeling, vif et heureux d'être là.

J'insiste sur l'alliage de jazz et de hip hop, pourtant il ne faudrait pas croire que la musique de Robert Glasper est une n-ième fusion facile entre les deux univers. Le hip hop est plus ici un état d'esprit, qui transpire à travers quelques éléments (rythmique, sens du groove, jeu en boucle...), mais le langage du groupe reste entièrement jazz. D'ailleurs, quand le trio s'aventure sur le terrain des reprises, c'est le Prince of Darkness de Wayne Shorter qui sert de base à une escapade joyeuse des trois musiciens. Ceci dit, pour l'essentiel du concert, ce sont les propres compositions de Robert Glasper qu'on a pu entendre. Dont une proportion généreuse de nouveautés, entrecoupées de quelques morceaux qui figurent sur ses deux premiers disques. Plus le concert avançait, plus le public semblait prendre du plaisir. Sur un morceau, au cours du second set, quelques spectateurs ont même repris la mélodie d'un morceau qui venait de s'achever, en la fredonnant. Robert Glasper, tout surpris et tout sourire, décidait de les accompagner quelques mesures. Moment rare dans le cadre d'un concert jazz. Le sommet de la soirée fut sans doute le dernier morceau (une nouveauté) avec un Damion Reid en état de grâce à la batterie et un public rugissant de plaisir. Un dynamisme magique, dans le cadre toujours rajeuni du trio piano-basse-batterie. Trois est décidément le chiffre magique.

samedi 19 novembre 2005

Thierry Titi Robin @ Cabaret Sauvage, vendredi 18 novembre 2005

Back on the blog. Après une semaine bien silencieuse, je reprends du service avec un compte-rendu du concert de Thierry Titi Robin hier soir au Cabaret Sauvage. J'aime beaucoup cette salle. Il s'agit de la reproduction d'un cabaret typique des années 20, de type anversois. Délicieusement boisée, avec un jeu de miroirs et de lumières chaleureux, c'est une salle où l'on vient autant pour les artistes qui s'y produisent (programmation axée "world music") que pour le lieu en lui-même. J'y ai d'excellents souvenirs de concerts d'Akosh Szelevenyi ou du Taraf de Haïdouks. A nouveau l'oreille tendue vers l'Est hier soir avec Thierry Titi Robin qui, bien que gadjo, est certainement le plus parfait ambassadeur des musiques tziganes en France actuellement. Guitariste hors pair, sa musique puise dans la vaste tradition rom, du Rajasthan à l'Andalousie, en passant par le Proche-Orient, les Balkans et la Mitteleuropa.

Hier soir, il a commencé en trio, accompagné par Francis Varis à l'accordéon et Ze Luis Nascimento aux percussions. Tour à tour au 'oud, au bouzouq et à la guitare, Titi Robin alterne ambiances orientales sereines et frénésie rythmique flamenca. J'aime particulièrement sa sonorité au bouzouq, quand sa musique prend des accents rebetiko. On s'imagine alors dans un café enfumé de Salonique au début du XXe siècle, quand le port grec était le carrefour de biens des communautés musicales entre Orient et Occident. Après trois morceaux en trio, le bassiste Pascal Stalin s'est joint au groupe. A priori la présence d'une basse électrique peut paraître un peu saugrenue dans ce genre d'ambiances sonores, et pourtant l'intégration de Pascal Stalin au groupe se fait de la plus naturelle des manières. Il arrive à donner des sonorités très orientales à son jeu de basse qui collent parfaitement avec la musique développée par Titi Robin. Après quelques morceaux en quartet, La Coque, fille de Titi Robin, monte sur scène pour un morceau en trio avec son père et Ze Luis Nascimento. Elle joue du daf (ce grand tambourin d'origine persane) pour un morceau tout en douceur percussive (ce n'est pas un oxymore). Pour les trois derniers morceaux du premier set, l'autre fille de Titi Robin, Maria, rejoint le groupe au complet. Elle chante d'une voix marquée par les traditions flamenca et rom d'Europe centrale (Hongrie, Roumanie). Une sonorité très particulière, typique du chant tzigane, qui exprime douleur et allégresse avec une grande énergie. Le deuxième set commence par trois morceaux en quartet (Titi Robin, Francis Varis, Ze Luis Nascimento et Pascal Stalin), entre classiques de Titi et nouveautés tirés de son plus récent disque, Ces vagues que l'amour soulève (Naïve, 2005). Ensuite, le groupe est rejoint par le cantaor flamenco Jose Montealegre, pour une fin de concert plus marquée par les ambiances ibériques, avec un rappel explosif où tous les musiciens sont revenus sur scène. Ca fait désormais plus de dix ans que Titi Robin trace sa voie au sein des traditions roms, et le résultat est magnifique de vitalité et de singularité, le tout avec un côté très naturel. C'était la première fois que je le voyais sur scène, et le concert fut à la hauteur de mes attentes. Une fort belle soirée.

dimanche 6 novembre 2005

David Chevallier / Elise Caron - The rest is silence @ Point Ephémère, samedi 5 novembre 2005

Hier soir au Point Ephémère, le guitariste David Chevallier présentait son projet "The rest is silence" sur des poèmes de Cesare Pavese. A la manière des Lieder des compositeurs classiques, il a décidé de mettre en musique tout un recueil du poète italien : Verra la morte e avra i tuoi occhi (la mort viendra et elle aura tes yeux). La musique qu'il a composée pour l'occasion est d'ailleurs plus proche de la musique de chambre contemporaine que de l'univers du jazz qu'il fréquente habituellement. Pour être plus précis, David Chevallier a écrit des musiques interprétées par l'Ensemble Octoplus, neuf musiciens de formation classique (violon, alto, violoncelle, contrebasse, flûte, hautbois, clarinette, basson et cor). En plus de ces orchestrations classiques, David Chevallier a réuni son quartet jazz habituel, Les Pyromanes (Yves Robert au trombone, Michel Massot au tuba, Denis Charolles à la batterie et le leader aux guitares), chargé d'improviser sur la musique jouée. Enfin, pour interpréter les textes, c'est à l'inclassable Elise Caron que David Chevallier a fait appel.

Le résultat est assez somptueux il faut dire. Et, dans un lieu plus habitué aux décharges bruitistes qu'aux subtils arrangements classiques, l'ingénieur du son a réalisé une belle performance, permettant une restitution très juste des multiples nuances de l'orchestration.

Le concert s'est ouvert et s'est conclu sur deux poèmes chantés en anglais, alors que tous les autres étaient laissés en version originale, et donc en italien. La voix d'Elise Caron est toujours aussi délicieuse, mettant juste ce qu'il faut de lyrisme noir et d'ironie amusée dans son interprétation des textes de Pavese. L'alliage des timbres, cordes, bois et cuivres, classiques et jazz, permet une grande variété d'approches, même s'il y a une indéniable unité de la musique proposée. Ainsi, sur un morceau, le quatuor à cordes est mis en avant, sur un autre ce sont au contraire les cuivres des "jazzeux", parfois le format se resserre (duo guitare/voix, trio trombone/batterie/voix...), à d'autres moments les quatorze musiciens allient leur effort. On passe aussi à travers diverses ambiances. Il y a un côté joyeux qui emprunte aux musiques des films de Fellini ou à Kurt Weill, mais il y a parallèlement un côté assez sombre, qui exprime bien le thème récurrent de la mort présent dans le recueil mis en musique. Et, avec des musiciens comme Denis Charolles, Yves Robert ou Elise Caron, il y a aussi, nécessairement, de l'humour un peu potache, comme lorsque le tromboniste s'amuse à imiter une mouche ou qu'Elise Caron part sur des onomatopées délirantes. Bref, un spectacle complet, qui mèle beaucoup d'émotions diverses, mais au service unique des sentiments des spectateurs.

mardi 1 novembre 2005

Thôt & Magic Malik / Thôt Twin @ Point Ephémère, lundi 31 octobre 2005

Double concert autour du groupe Thôt hier soir au Point Ephémère. Pour commencer, le quartet invitait Magic Malik. Le groupe n'a joué qu'un morceau, mais qui a duré une heure. Une longue suite, typique du style Thôt, à la progression sinueuse, faussement répétitive, avec une ligne de basse qui sert de point d'ancrage au discours hachuré de la guitare de Gilles Coronado et du sax alto de Stéphane Payen. Thôt, c'est d'abord une rythmique à toute épreuve, qui a développé un sens certain du groove. Christophe Lavergne à la batterie et Hubert Dupont à la basse sont la base solide, lourde et puissante à partir de laquelle les trois solistes s'amusent à perturber le discours linéaire développé par la section rythmique. Les envolées de Malik à la flûte, la fureur de Payen au sax et le jeu tout en brisures de Coronado à la guitare, font voyager l'auditeur vers des terres musicales très contrastées : énergie rock, légèreté jazz, efficacité funk, motifs indiens... Influencé au départ par les expériences de Steve Coleman ou d'Aka Moon, Thôt a depuis développé un style personnel très nerveux. Si la tête à tendance à suivre le rythme répétitif et obsédant de la basse - à la dimension hypnotique indéniable - le corps prend un plaisir quasi masochiste à tenter de suivre le discours chaotique de la guitare de Coronado. On sort d'un concert de Thôt toujours un peu épuisé ! La présence malicieuse de Magic Malik hier soir a toutefois permis d'introduire quelques éléments moins massifs dans la musique de l'ensemble, apportant un contrepoint de légèreté fort bienvenu.

Pour la deuxième partie du concert, le groupe proposait un nouveau projet : Thôt Twin. L'idée est simple, il s'agit de doubler chaque instrument (sauf la basse, déjà très présente il est vrai). Au quartet de base se sont donc ajoutés Emmanuel Scarpa à la batterie, Damien Cluzel à la guitare et Guillaume Orti au sax alto. Une musique plus écrite, des morceaux plus courts, mais toujours une énergie furieuse. Guillaume Orti, sax de Kartet notamment et pilier de la nébuleuse du Hask, est un formidable musicien, trop méconnu à mon avis. Volontiers libertaire hier soir, il complétait parfaitement la détermination méthodique (sous un dehors chaotique) de Stéphane Payen. Cette nouvelle formation issue de Thôt rappelle le projet "Thôt agrandi" (11 musiciens) qui avait vu le jour en 2002. Elle permet de renforcer les lignes de force du quartet de base, en jouant sur encore plus de combinaisons soniques possibles. Il en résulte une sorte de "funk cérébral" qui épuise et remplit de joie simultanément. Paradoxal, mais enthousiasmant.

dimanche 30 octobre 2005

Alexandre Saada Quintet @ La Fontaine, samedi 29 octobre 2005

J'ai mis pour la première fois les pieds, et les oreilles, à La Fontaine (20 rue de la Grange aux Belles, dans le 10e) hier soir. Depuis maintenant près de deux ans, ce bar organise des concerts de jazz tous les soirs de la semaine (sauf le dimanche), et l'entrée est libre (les musiciens sont rémunérés au chapeau). La programmation y est très bonne et surtout le lieu est autant un lieu de concert qu'un lieu de vie et de création pour les musiciens qui se voient proposer des résidences sur le long terme. Le lieu est géré par une association qui me semble particulièrement intéressante : le Laboratoire de la création.

Depuis lundi dernier, et jusqu'à hier soir, se produisait le quintet du pianiste Alexandre Saada. C'était donc une bonne occasion d'aller découvrir, et le lieu, et ce jeune pianiste. Et d'aller écouter en live la saxophoniste Sophie Alour, dont le récent premier disque (Insulaire, Nocturne, 2005) est très plaisant, et qui fait donc partie du quintet d'Alexandre Saada. Le groupe était complété par Yoann Loustalot à la trompette et au bugle, Chris Jennings à la contrebasse et David Grébil à la batterie. Pour l'occasion, La Fontaine était bien remplie, ce qui était d'ailleurs amplement justifié.

Ce qui frappe d'abord dans la musique d'Alexandre Saada, c'est la qualité des compositions. A l'exception d'un morceau (une belle interprétation de la Pavane pour une infante défunte de Ravel), tous les titres joués étaient signés Saada. Une musique vive dans les passages en quintet, qui sait aussi se faire plus retenue quand le format se resserre et que le piano est mis en avant. Un jeu qui n'est pas sans évoquer Marc Copland à ce moment. La particularité du lieu, qui n'est pas très grand, fait que lors des passages en quintet, le piano était un peu en recul, au niveau sonore, par rapport à la section rythmique ou aux cuivres (mais en même temps, ils jouent sans micro, sans ampli, dans une ambiance chaleureuse au plus près du public, ce qui est quand même très agréable). Il fallait donc profiter des passages en trio (sans les cuivres) ou sans la batterie (un beau duo piano/contrebasse sur un morceau, un autre morceau à quatre sans le batteur) pour apprécier au plus près le style du pianiste. Parfois délicieusement churchy, aux intonations pleines de blues, d'autres fois, au contraire, plus proche de la tradition européenne née du romantisme. Mais toujours très juste.

Les sidemen n'étaient pas en reste. La sonorité de Sophie Alour au sax ténor me plait décidément bien. Un son chaud, plein, dans la lignée de Joe Henderson dont elle est une fan. De la puissance maîtrisée, un alliage parfait de force et de délicatesse. Le contrebassiste Chris Jennings a été pour moi l'autre révélation du concert. Pulsation parfaite quand il faut, inventif et plus "libre" à d'autres moments. Il a un discours bien à lui au sein de l'ensemble, sans pour autant dénaturer la cohérence du groupe.

En deux sets rondement menés (entrecoupés par une petite bière bue dehors vers 23h un 29 octobre, c'est quand même exceptionnel !), Alexandre Saada nous a présenté les compositions que l'on trouve sur son dernier disque en date, Be where you are, que j'ai par conséquent acheté. Après les deux sets normaux du concert, ceux qui comme moi sont restés encore un peu à La Fontaine ont pu bénéficier d'un "morceau caché" (comme on en trouve sur certains CD). Après un quart d'heure de pause, le temps que le lieu se vide, Alexandre Saada, Chris Jennings et David Grébil ont repris leurs instruments, accompagnés pour l'occasion par deux membres du public pas tout à fait comme les autres : Sébastien Llado au trombone et Stéphane Belmondo au bugle. Un joli petit bonus ! Il y a désormais de bonnes chances pour que je remette les pieds assez régulièrement à La Fontaine.

dimanche 23 octobre 2005

Cracow Klezmer Band / David Krakauer @ La Cigale, vendredi 21 octobre 2005

Vendredi soir, direction La Cigale pour les concerts du Cracow Klezmer Band et de David Krakauer dans le cadre du festival Klezmopolitan.

Le Cracow Klezmer Band est certainement l'un de mes groupes préférés du genre. Ses trois disques parus dans la série Radical Jewish Culture de Tzadik sont parmi les tous meilleurs de la série. C'était donc avec une impatience certaine que j'attendais leur prestation dans le cadre de ce nouveau festival, destiné à explorer les ramifications contemporaines des musiques juives traditionnelles. Il ne s'agit pas de rejouer encore et toujours les codes du passé, mais au contraire de "déghettoïser" cette musique en en proposant des lectures fort diverses et résolument actuelles. De ce point de vue, le Cracow Klezmer Band fait parfaitement l'affaire. Mais, contrairement à la scène qui s'est développée à New York depuis une quinzaine d'années maintenant, leur musique ne puise pas du côté de la fusion avec les rythmes populaires contemporaines (jazz, rock, funk, hip hop, electro...). S'il fallait trouver un élément de comparaison, c'est plutôt du côté du Nuevo Tango d'Astor Piazzola qu'il faudrait aller le chercher. Pareillement au compositeur argentin, les quatre membres du Cracow Klezmer Band partent d'une tradition localement ancrée pour l'emmener vers les terres de la composition classique. La musique du Cracow Klezmer Band puise ainsi son inspiration du côté de certains compositeurs de la première moitié du XXe siècle. Leur dette envers les contrastes bartokiens est assez audible notamment. Si le langage puise dans les codes klezmer traditionnels, ils ne se contentent ainsi pas d'une relecture de morceaux du siècle dernier, mais composent leur propre musique, tour à tour déchirante et mystérieuse, lancinante et subtile. Le groupe se compose de Jaroslaw Tyrala au violon, Jaroslaw Bester à l'accordéon bayan (l'accordéon russe traditionnel), Wojciech Front à la contrebasse et Oleg Dyyak aux percussions (et occasionnellement à l'accordéon et à la clarinette). Vendredi soir, ils ont essentiellement joué des morceaux de leur album Bereshit (Tzadik, 2003), un petit bijou flamboyant. Ils ont aussi proposé quelques nouveaux morceaux, notamment lors de la seconde partie de leur prestation qui les a vus être rejoints par le clarinettiste américain Don Byron. Si celui-ci est surtout connu des amateurs de jazz, le clarinettiste afro-américain n'est pourtant pas un néophyte en matière de klezmer puisqu'en 1993 il publiait avec quelques musiciens qui allaient exploser dans les années suivantes (Uri Caine, Dave Douglas, Mark Feldman...) un disque consacré à la musique de Mickey Katz, musicien-entertainer juif qui perpétua le genre aux États-Unis après la guerre. La collaboration entre Don Byron et les musiciens polonais était somptueuse, loin des effusions de sentiments du klezmer traditionnel, plutôt axée sur la retenu, le jeu sur les timbres et l'évocation des harmonies de la musique de chambre classique. Un moment d'une rare magie.

La seconde partie du concert était l'œuvre de David Krakauer et de son groupe Klezmer Madness. L'ayant déjà vu à trois reprises, dont une fois cette année à la Cité de la Musique, mon attente était moins grande que pour le Cracow Klezmer Band. Mais c'est toujours un vrai plaisir d'aller écouter cette musique qui s'incarne pleinement en live. Energie bouillonnante, clarinette virevoltante, guitare et basse électriques bondissantes, échantillonneur hip hop manié par Socalled, batterie tournoyante, les ingrédients Krakauer étaient tous au rendez-vous, pour l'exposition de quelques morceaux phares du répertoire du clarinettiste new-yorkais. L'originalité du concert résidait dans la collaboration avec la violoniste tchèque Iva Bittova, gentille allumée des musiques tangentes et inclassables. Sur quelques morceaux, Iva Bittova a joué du violon et poussé de la voix. Une voix étrange, entre celle d'un clown et les chants de gorge qui évoquent plus les folklores paysans hongrois que tchèques bizarrement. L'occasion d'un petit moment de délire au milieu du concert qui ajoutait une dose de fraîcheur faussement ingénue, mais assez bienvenue.

Imre Kertesz - Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas @ Théâtre Ouvert, samedi 22 octobre 2005

Moment extraordinaire hier soir au Théâtre Ouvert pour la dernière représentation parisienne de l'adaptation théâtrale du texte d'Imre Kertesz (la pièce part maintenant en tournée en province et en banlieue). Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas est sans conteste l'un des textes les plus forts, les plus boulersants, les plus intelligents qu'il m'ait été donné de lire (plusieurs fois). Le voir s'incarner sur scène (car c'est littéralement d'une incarnation qu'il s'agit à travers la performance remarquable de Jean-Quentin Châtelain) fait immédiatement sens. Cette prière, au ton distancé mais au rythme très poétique, semble faite pour être dite. Non pas déclamée, mais juste dite. Comme on parle dans la vie, avec hésitations, répétitions, fulgurances parfois, de manière traînante souvent. La grande réussite de l'interprétation de Jean-Quentin Châtelain c'est d'avoir su rendre, à travers l'utilisation d'une voix apprêtée, toute la distance et l'humour très pince sans rire avec lesquels Kertesz a écrit ce texte pourtant d'une rare violence contre soi-même.

Montée et mise en scène par Joël Jouanneau, la pièce ne reprend pas tout le texte du livre (ça serait sans doute trop long, la pièce dure déjà pas loin de deux heures). Mais, malgré les coupures, la force du texte, liée en partie à sa construction, n'est pas remise en cause.

Comme le titre l'indique, Imre Kertesz tente d'expliquer pourquoi il n'a pas voulu d'enfant. Mais, contrairement à ce que laisserait penser une connaissance superficielle de l'auteur, il ne s'agit pas, comme il le dit, d'un "non de Juif", un non rationnel qui serait lié à son passage par Auschwitz à quinze ans. Non, son "non" est quelque chose de métaphysique, d'existentiel, qui crie et hurle en lui. En évoquant des évènements de sa vie, avec toujours cette distance qui caractérise toute son oeuvre littéraire, en entrant en résonnance avec des oeuvres de philosophes, de musiciens, de poètes (le plus souvent sans les citer explicitement), Kertesz livre ici une réflexion sur la judéïté ("un état de fait désagréable, pas très compréhensible, mais passible de la peine de mort", ou plus exactement "une femme de chambre chauve en robe de chambre rouge devant son miroir"), sur ses rapports à son ex-femme, sur la rationalité du Mal et l'absurdité du Bien, sur son enfance, sur la paternité.

Ce récit-monologue en forme de prière commence par faire sourire le spectateur, puis monte progressivement vers une tension extrême, qui débouche sur une violence autodestructrice du verbe : "ton inexistence considérée comme la liquidation radicale et nécessaire de mon existence". Kertesz continue de creuser, avec son stylo, la tombe dans le ciel que d'autres ont commencé de creuser pour lui. Tombe dans le ciel, la mort comme un maître allemand, les violons aux notes sombres : les références à la Fugue de Mort parcourent le texte. Le caractère cyclique du texte, la répétition de certains passages, composent ainsi, comme chez Celan, une douce musique de la mort. Le kaddish. La prière des morts.

vendredi 21 octobre 2005

Paco El Lobo & Laurent Geniez @ Olympic Café, jeudi 20 octobre 2005

Présenté comme du "flamenco free" sur le site de l'Olympic Café, le concert du guitariste et chanteur Paco El Lobo avec le saxophoniste Laurent Geniez hier soir m'intriguait. Je connaissais déjà les deux, séparément. Geniez pour l'avoir vu avec le Collectif Slang il y a quelques mois. Paco El Lobo pour l'avoir écouté sur disque, dans un contexte flamenco traditionnel. Amateur du genre, et aussi - vous l'aurez remarqué - de free jazz, ce concert avait tout pour me séduire. Et il y a effectivement eu d'excellents moments. A commencer par le formidable premier morceau, lente montée en puissance émotionnelle, avec Geniez délicieusement sinueux au sax alto et Paco El Lobo à la voix terriblement flamenco, sèche, rauque, dure. Le rythme s'accélère très progressivement, le sax dérape, se reprend, la guitare se fait répétitive, puis plus mélodieuse, la densité sonore s'approfondit, pour finir dans une ambiance enlevée, forte, puissante. Le public est peu nombreux (une vingtaine de personnes ?), mais il communique bien avec les musiciens, tapant dans ses mains juste quand il faut, se montrant réceptif et chaleureux entre les morceaux. Laurent Geniez n'est pas venu qu'avec son saxophone. Il joue aussi des flûtes, des percussions et des machines électroniques. Ca permet de varier les formats. Acoustique, électronique. Flamenco, jazz, hip hop. Le meilleur reste néanmoins les morceaux où sax et guitare se répondent. Comme le très beau titre en hommage au grand père de Geniez. Ou les deux derniers morceaux, qui dévoilent une parenté insoupçonnée entre cri flamenco et chant free jazz. Les morceaux à l'accent électronique sont plus dans une optique divertissante. Geniez, qui fait alors volontiers le clown, ne s'en cache d'ailleurs pas. L'émotion n'en est que plus forte par ailleurs. Au final, le temps passe très vite. Et pour seulement un deuxième concert ensemble, le résultat était incontestablement au rendez-vous.

samedi 15 octobre 2005

Artaud / Belmondo & Yusef Lateef @ La Cigale, vendredi 14 octobre 2005

Tout le monde en parle ou presque. Le disque des frères Belmondo avec Yusef Lateef est l'évènement du moment dans la jazzosphère hexagonale (vive la géoméfree !). La presse spécialisée bien sûr, mais aussi la presse généraliste. Trois pages dans Le Monde 2 de ce week-end par exemple. Autant dire que La Cigale était bien remplie hier soir pour le concert de la fratrie sudiste et du natif de Chattanooga, Tennessee. Cela se passait dans le cadre du festival d'Ile-de-France, qui s'achève ce week-end, et plus précisément dans le cadre du sous-festival Factory, la branche "jazz & électro" d'un festival plus centré sur le classique en temps normal. Après quelques années passées du côté du Trabendo (et des débuts dans une usine de Saint-Denis, d'où son nom), le festival Factory a vu les choses en grand cette année en investissant la salle du boulevard Rochechouard.

La soirée d'hier commençait par le concert du groupe de Vincent Artaud (vu cet été aux côtés de Julien Lourau). Auteur d'un premier disque mêlant jazz, électro et classique du XXe siècle sur le label B-Flat des frères Belmondo, le contrebassiste était accompagné par six musiciens : Pierrick Pedron aux saxes alto et soprano, Thomas Savy aux clarinettes, Eric Dufaÿ au cor, Pierre-Alain Goualch au piano et un batteur et une flûtiste dont les noms m'échappent pour le moment (je corrigerai plus tard si ça me revient). Deux différences par rapport au disque donc : l'absence des cordes et la présence d'un piano. Une approche un peu plus jazz aussi, avec quelques beaux solos de Pierrick Pedron et de Pierre-Alain Goualch notamment. Pour le reste on retrouve ce qui fait la particularité de cette musique : une inspiration qui puise sa source du côté de Debussy, Stravinsky ou Bartok selon les morceaux, associé à une programmation électronique, le tout dans un langage jazz. Une musique assez intellectuelle, comme le reflète d'ailleurs les noms des morceaux, mais que je ne trouve personnellement pas sans charme.

On restait dans une esthétique très Third Stream (ce mélange de jazz et de classique) pour le concert des frères Belmondo et de Yusef Lateef. Faisant suite à leur disque Hymne au soleil, qui revisitait la musique française du début du XXe siècle (Lili Boulanger, Maurice Duruflé, Ravel et Fauré), leur nouvel opus, Influence, met en avant Yusef Lateef, qui vient de fêter ses 85 printemps, pour une musique au croisement de multiples... influences : classique, jazz, musique orientale... Lateef a en effet été l'un des premiers jazzmen à s'intéresser aux musiques extra-occidentales (d'Asie, du Moyen-Orient, d'Afrique), avant que plein d'autres ne s'engouffrent dans la brèche ainsi entrouverte à partir des années 60. Il a aussi composé plusieurs pièces dans un langage classique. Il était donc le compagnon américain idéal pour prolonger les idées des frères Belmondo. La musique proposée hier soir n'est cependant pas une "musique totale", dans ce que ce terme peut avoir d'enfermant (il "faut" tout citer). C'est plutôt une musique qui ouvre sur l'infini, en laissant beaucoup de place au murmure (c'est très lévinassien cette opposition entre totalité et infini, dis donc...). Le meilleur adjectif pour décrire cette musique est en fait assez simple : elle est coltranienne. Pas étonnant de retrouver un réarrangement d'un classique de Yusef Lateef en hommage au Brother John donc (un des sommets de la soirée d'ailleurs).

Sur scène, ils étaient treize. Ce qui ne leur a pas porté malheur. En arrière plan, le moteur jazz de l'orchestre : Laurent Fickelson au piano, Paul Imm à la contrebasse et Dre Pallemaerts à la batterie. Un flux continu, marqué par l'esthétique du quartet classique de Trane, sert de base rythmique admirable aux vents placés en première ligne. A l'extrême gauche, Lionel Belmondo au sax soprano, à la clarinette et à la flûte mène l'orchestre et indique qui doit jouer quoi. Au centre droit de la scène, Yusef Lateef (flûtes, sax ténor et hautbois) côtoie Stéphane Belmondo (trompette, bugle, conque marine). A leurs côtés, on trouve un flûtiste, un hautboïste, un joueur de cor anglais, Thomas Savy à la clarinette basse, un bassoniste, un joueur de cor et un tubiste. Musique aérienne, un peu mystique, certainement spirituelle, ce que confirme d'ailleurs les mots de Lionel Belmondo entre les morceaux. Après les interprétations de Shafaa et Influence, le tromboniste Glenn Ferris rejoint l'orchestre. Il brillera particulièrement dans ses solos lors de la Suite Overtime qui réarrange quatre classiques de Yusef Lateef. Les solos des frères Belmondo, notamment Stéphane magistral à la trompette, et les interventions de Lateef aux diverses flûtes, élèvent le niveau de l'ensemble vers les sommets du jazz, quand les interventions des autres vents donnent des accents plus classiques à l'ensemble. Au final, une superbe musique qui réussit à ne pas "enfermer" les solistes dans l'écriture très poussée des morceaux. Gros succès de la part du public qui s'est levé comme un seul homme dès la dernière note du concert jouée. Une standing ovation véritablement spontanée, ce qui est quand même assez rare. Magnifique.

mardi 11 octobre 2005

Silverio Pessoa / Renata Rosa @ Café de la Danse, lundi 10 octobre 2005

J'avais beaucoup aimé le concert de Renata Rosa dans le cadre de Banlieues Bleues en avril dernier, j'ai donc profité de l'enregistrement d'un DVD live au Café de la Danse hier soir pour aller la revoir. La soirée organisée par le label Outro Brasil proposait en fait deux concerts, puisqu'avant Renata Rosa se produisait un autre chanteur nordestin, Silverio Pessoa.

Avec son look christique, Silverio Pessoa a une présence assez forte sur scène. Verbe alerte, il déclame ses textes sur fond de forro traditionnel ou modernisé. Accordéon, cavaquinho (avec pédale d'effets, c'est la première fois que je vois ça), guitare, basse et percussions l'accompagnent pour une musique très énergique et dansante. S'il part du forro traditionnel, Silverio Pessoa n'hésite cependant pas à intégrer quelques touches plus modernes à l'aide d'un sampler ou d'effets électriques sur le cavaquinho et la guitare. Cela donne une sorte de funk organique, au rythme entêtant et tournoyant. A la fois dans la continuité de Luiz Gonzaga et Jackson do Pandeiro, cousin de Naçao Zumbi et Mestre Ambrosio, et nourri des rythmes urbains nord-américains, Silverio Pessoa donne à entendre une musique ancrée dans la terre nordestine et les champs de canne à sucre du Pernambouc, mais qui résonne comme bien plus actuelle que la musique fabriquée au kilomètre aussi vite démodée qu'elle n'est produite.

Après une petite pause, le groupe de Renata Rosa prend place sur scène. C'est la même formation que celle que j'avais pu voir il y a six mois : trois percusionnistes, un bassiste, un guitariste, Seu Luiz Paixao au rabeca (violon rural traditionnel) et Renata Rosa au chant et au rabeca également. Même si musicalement on en est à mille lieux, Renata Rosa m'évoque les plus beaux chants gitans. Elle arbore constamment un grand sourire, mais son chant arrive à communiquer simultanément des émotions très contradictoires et pourtant extrêmement fortes, de la joie la plus éclatante à la douleur la plus déchirante. Son magnétisme a quelque chose de très proche des grands cantaor flamenco. Sa voix pure, puissante, cristalline se fait particulièrement envoûtante dans les contextes les plus dépouillés, a capella ou juste soutenue par les percussions. On touche alors du doigt le caractère rituel présent dans les rythmes ruraux nordestins qu'elle remet au goût du jour. Elle possède en fait un magnétisme tout chamatique. L'hypnose rythmique et les stridences du rabeca produits par sa musique accentuent le caractère extériorisant de celle-ci. L'esprit s'en va flotter ailleurs quand on l'écoute. On ne s'appartient plus. Et c'est très agréable.

vendredi 7 octobre 2005

Brésil, l'héritage africain @ Musée Dapper

Vue hier, l'exposition Brésil, l'héritage africain au Musée Dapper. Le concept est simple, mais également assez rare pour qu'on y porte attention : montrer les liens entre cultures africaines et afro-brésilienne, du XVIe siècle à la période contemporaine.

Le Brésil fut le pays du Nouveau Monde qui accueilla le plus d'esclaves africains à l'époque de la traîte négrière. On retrouve donc sous diverses formes des éléments venus d'Afrique dans des objets fabriqués au Brésil par des esclaves ou des noirs affranchis. L'exposition se concentre sur trois ensembles culturels africains distincts : la culture yoruba (actuel Nigéria), les cultures fon et ewe (Togo, Bénin) et la culture bantu (Congo, Angola). Ces ethnies ont été parmi les plus déportées de l'autre côté de l'Atlantique, il n'est donc pas étonnant qu'on trouve de nombreuses correspondances, notamment dans les objets magico-religieux. C'est en effet à travers les objets liés au candomblé, religion syncrétique afro-brésilienne dans la même veine que le vaudou en Haïti ou la santeria à Cuba, que la proximité est la plus évidente. Le Shango yoruba (à gauche sur la photo) et le Xango brésilien (à droite) sont des cousins à peine éloignés. Le culte des orixas au Brésil (orishas à Cuba), se rapproche de celui des esprits dans les religions africaines traditionnelles. Jusque dans la symbolique. La hâche présente sur la tête de Xango/Shango - le dieu du feu - se retrouve des deux côtés de l'océan. Il en va de même pour les autres orixas.

Il y a cependant quelques particularités liées au contexte brésilien qui sont également présentées, comme le culte des saints catholiques noirs ou l'assimilation progressive des orixas et des saints, qui permettait aux esclaves de pratiquer simultanément la religion du Portugais et celle de leurs ancêtres. Une collection de statues de saints, d'ex-voto, d'oratoires et d'autels cherche ainsi à mettre en valeur les éléments africains qui se retrouvent jusque dans la décoration d'objets d'origine européenne. S'il n'y a pas toujours de correspondance pratique entre objets brésiliens et africains, des référents symboliques subsistent, et l'exposition permet justement de faire la part de l'un et de l'autre.

L'exposition propose également quelques oeuvres d'artistes contemporains qui s'inspirent directement de la culture syncrétique afro-brésilienne. La proximité d'objets plus anciens permet de mieux saisir le sens d'oeuvres qui pourraient paraître à première vue comme des oeuvres abstraites dans la tradition occidentale (mais on sait l'influence des arts africains sur les avant-gardes du début du XXe siècle, ce n'est donc qu'un juste retour des choses). Si elle n'est pas très grande (une petite heure suffit à en faire le tour), cette exposition a le mérite d'être la première sur ce thème organisée en France, dans le cadre de l'année du Brésil évidemment. De quoi illustrer et creuser un peu des éléments que l'on ne connaît souvent que de manière superficielle.

Brésil, l'héritage africain, Musée Dapper, jusqu'au 26 mars 2006

mercredi 5 octobre 2005

Tim Berne, Craig Taborn, Tom Rainey @ Sunside, mardi 4 octobre 2005

Parmi les musiciens que je n'avais encore jamais vus sur scène, Tim Berne était sans doute l'un de ceux dont j'attendais un concert parisien avec le plus d'impatience. Depuis hier, grâce à sa prestation en trio au Sunside, mon attente a été comblée, et grandement !

Pour l'occasion, le saxophoniste (alto) se présentait en trio avec Craig Taborn au piano (acoustique, ce qui change un peu de ce qu'on a pu entendre jusque là sur disque) et Tom Rainey à la batterie. Placé on ne peut plus près des musiciens (à moins d'être sur les genoux du batteur, je pouvais difficilement être plus proche de la batterie), j'ai pleinement profité de la débauche d'énergie sonore qu'offre ce groupe. De quoi en prendre plein les oreilles, et la tête, pour mon plus grand plaisir il est vrai.

Tim Berne, c'est d'abord un son particulier. Comme une lave incandescente qui coule vive, rapide, continue, mais pas nécessairement en ligne droite. Le jeu de Tim Berne et de ses musiciens est plutôt structuré en micro-cellules rythmiques et mélodiques, qui se brisent constamment les unes contre les autres, donnant un discours particulièrement stimulant, par l'alliance d'un flot sonore continu et de multiples variations à l'intérieur de ce flot. Le jeu de Craig Taborn au piano est peut-être de ce point de vue le plus exemplaire. S'il n'est pas incapable de dérouler de douces mélodies dans un style assez traditionnel, comme il l'a fait à quelques reprises, il développe surtout son jeu dans les ruptures mélodiques constantes, un peu comme s'il ne jouait pas la ligne mélodique dans l'ordre "logique" que le beau imposerait. Son jeu n'est cependant pas spécialement free, car très structuré, et réussissant à donner une grande cohérence dans le propos pas si hachuré qu'il n'y parait de prime abord. Il est quelque part ailleurs, à l'image de son leader, qui a développé une voie qui lui est propre dans le jazz contemporain, un peu en marge de ses collègues de la Downtown Scene new-yorkaise.

Mais ma position m'a surtout permis d'apprécier au mieux la performance de Tom Rainey à la batterie. Son air nonchalant (il est grand, maigre et parait un peu ailleurs) ne laisse pas présager de son jeu très dynamique, capable des fulgurances les plus impressionnantes et des variations de sonorité les plus étonnantes. Avec un haut du corps très élastique (il utilise toute la surface de ses bras, des mains aux coudes), il arrive à utiliser sa batterie de manière très complète, ce qui accentue l'aspect toujours très paradoxal de la musique de Tim Berne : un magma rythmique continu, mais composé d'éléments très disparates, qui constitue une incroyable machine au groove décalé, parfait pour les architectures sonores abstraites du leader.

Trois sets menés de fort belle manière. Une musique extrêmement vive, marquée d'une certaine urgence de dire, et au final un des discours les plus originaux du jazz actuel.

dimanche 18 septembre 2005

Elise Caron @ Le Triton, samedi 17 septembre 2005

Après l'avoir vue au printemps dans Schweyk aux Amandiers, j'avais envie de découvrir un peu plus l'univers d'Elise Caron. Je suis donc allé hier soir au Triton, où elle donnait un récital intitulé Eurydice bis. Elise Caron est une chanteuse singulière. Interprète du répertoire classique, collaboratrice de compositeurs contemporains (Luc Ferrari, Michel Musseau...), voix libre au contact de diverses formations jazz (dont l'ONJ quand Claude Barthélémy le dirigeait), adepte d'une chanson française de qualité, et enfin comédienne, son talent multiforme est assez impressionnant.

Hier soir, elle était accompagnée par le pianiste Denis Chouillet, le clarinettiste Bruno Sansalone et le bassiste Daniel Diaz. Elle même chante, mais joue aussi de la flûte. L'univers d'Eurydice bis est poétique, drôle, tendre, et d'une justesse dans la transmission des sentiments qui fait que l'on est littéralement fasciné (à ne plus pouvoir quitter Elise des yeux) par ce voyage musical au contact de quelques mythes revisités (Eurydice, Sisyphe) et d'une évocation pleine de magie de la nature (un arbre, une fleur empotée). Il y a aussi beaucoup d'humour et de malice dans ses chansons, qui en font des éléments d'un univers poétique familier et tendre, en rien mièvre, et en lien direct avec la musique jouée. Pas de texte trop lourd qui écraserait la musique ici : pas d'appel à la révolution (sauf pour libérer les libellules), mais au contraire une adéquation parfaite, faite d'espièglerie et de délicatesse, entre des musiciens parfaits de précision et la voix remarquable d'Elise Caron. Contrairement à la grande majorité des tenants de la chanson française, elle chante vraiment et ne se contente pas de "poser" se voix sur la musique. La fréquentation du répertoire classique y est sûrement pour quelque chose. Musicalement, Elise Caron est assez inclassable. La présence d'une clarinette fait parfois penser à l'univers de Louis Sclavis. Certains passages évoquent Prokofiev : l'esprit de Pierre et le Loup est assez proche de celui d'Elise, son jeu à la flûte rappelle le Lieutenant Kijé. Un brin de gouaille très cabaret dans son chant de mezzo-soprano tend vers Kurt Weill parfois. Les comptines de Bartok ou Janacek (Rikadla) ne sont pas loin, par le jeu de Denis Chouillet au piano. Mais Elise Caron a avant tout un univers qui lui est propre, au-delà des influences très diverses qui la composent. Par ailleurs, entre les morceaux, Elise Caron se fait volontiers clown (au sens noble du terme), improvisant et déconnant en utilisant différents registres de voix (présentatrice télé, adolescente pré-pubère...) pour présenter avec humour ses chansons. Les rappels sont l'occasion de laisser l'humour potache d'Elise s'incruster dans sa musique, avec une chanson qu'elle chante à l'envers ("emia et ej... etsetéd et ej...") ou une imitation, pleine de trémolo dans la voix, de la variété à la mode sur la bande FM. De quoi entendre tout ce qui différencie la chanson selon Elise Caron du reste de la chanson française.

A la sortie, l'univers magique d'Eurydice bis procure chez le spectateur un sourire tenace qui en dit long sur la réussite du spectacle.

dimanche 11 septembre 2005

Aka Moon / Magic Malik Orchestra @ Trabendo, samedi 10 septembre 2005

Sixième et dernière soirée pour moi dans le cadre de l'édition 2005 de Jazz à la Villettehier au Trabendo. Pour conclure ce programme essentiellement américain jusqu'à présent, deux groupes européens : les Belges d'Aka Moon tout d'abord, suivi du Magic Malik Orchestra. Deux excellentes prestations pleines d'une bouillonnante énergie.

Le concert a commencé on ne peut plus à l'heure (à 20h00 pile !), et Aka Moon n'a pas eu besoin d'échauffement pour entrer dans le vif du sujet. Le trio belge - Fabrizio Cassol au sax alto, Michel Hatzigeorgiou à la basse et Stéphane Galland à la batterie - joue une musique tourbillonnante, pleine d'énergie, qui allie puissance, rapidité et sens de la boucle pour installer un groove imparrable. Stéphane Galland est explosif à souhait, Michel Hatzigeorgiou est l'élément chaleureux du groupe, domptant le rythme pour le rendre plus bondissant, et Fabrizio Cassol, dans un style qui emprunte à Steve Coleman et Tim Berne, est délicieusement entêtant dans ses explorations puissantes et vives (mais pas hurlantes). Fortement inspiré par la démarche du M-Base colemanien - un peu à la manière de la Nébuleuse du Hask en France, le cousinage avec Thôt est assez évident - le groupe a aussi longuement côtoyé les musiques africaines et indiennes, ce qui a certainement accru son sens des rythmes obsédants et faussement répétitifs. Au milieu du concert, Michel Hatzigeorgiou nous a gratifié d'un long solo épatant en introduction d'un morceau, s'auto-samplant rythmiquement pour improviser dessus de manière plus mélodique. Quand il est rejoint par ses deux comparses après ces cinq minutes entêtantes, le public est aux anges ! Il le restera jusqu'au bout tant la musique d'Aka Moon est joyeusement communicative. Seul petit regret : l'absence de rappel dû au minutage un peu trop serré du concert.

Pour la deuxième partie, Magic Malik proposait une version agrandie de son Orchestra. De cinq musiciens originellement, on était hier passé à dix. Si on retrouvait la cellule-souche de l'Orchestra avec Malik à la flûte et au chant, Denis Guivarch au sax alto, Or Solomon au piano et au synthé, Sarah Murcia à la contrebasse et Maxime Zampieri à la batterie, il fallait en plus compter sur Bo van der Werf au sax baryton, Laurent Blondiau à la trompette, Gilles Coronado à la guitare, Jean-Luc Lehr à la basse électrique et DJ Rebel aux platines. Pour qui connaît le sens du groove développé par Malik, le premier morceau avait de quoi surprendre avec des arrangements de cuivre faussement classiques, bien éloignés du jazz virevoltant de l'Orchestra habituel. Pourtant, petit à petit, l'air de rien, le rythme s'impose, et l'orchestre prend des accents funk. La démarche de Malik s'apparente de plus en plus à celle de Steve Coleman : un oeil sur la composition contemporaine, avec une certaine abstraction, un autre sur la musique populaire (le groove de la rue, les mélodies enfantines, etc.) pour faire tourner la machine. Dans l'ensemble, peu de solos de la part des musiciens (à part Malik, toujours aussi étonnant au chant-flûte) : un chacun son tour pendant le concert. Le jeu se concentre sur l'aspect collectif, alternant les passages en grande formation, et les formules plus réduites à trois ou quatre. Comme d'habitude, un petit grain de folie insufflé par Malik fait décoller l'ensemble, poussant des cris de sa voix aigue, chantant et jouant de la flûte simultanément, prennant des solos de flûte virevoltant, montrant de la main la marche à suivre à ses sidemen, entonnant un "Petit Papa Noël" pas tout à fait de saison au milieu d'un morceau, improvisant sur les remerciements une chanson à base des mots "merci" et "de rien"... La musique de l'Orchestra a des faux airs de "Piccolo Saxo et Compagnie" pour grands enfants amateurs de groove tournoyant. Le concert s'achève sur un formidable morceau très dansant qui finit de convaincre que, s'il a bien grossi depuis la dernière fois, l'Orchestra est toujours l'une des formations les plus entrainantes du jazz français. Formidable prestation de Malik et ses acolytes !

vendredi 9 septembre 2005

Mike Ladd & Vijay Iyer @ Point Ephémère, jeudi 8 septembre 2005

La Grande Halle étant en travaux, le festival sort des limites du Parc de la Villette cette année et investit notamment le Point Ephémère. Hier soir s'y produisait le rappeur Mike Ladd et le pianiste Vijay Iyer. J'avais déjà pu voir Vijay Iyer, à la tête de son quartet, l'année dernière à Banlieues Bleues. Ce jeune pianiste américain d'origine indienne (d'Inde, pas amérindien) a été pendant quelques années sideman de Steve Coleman, et d'ailleurs sa musique trouve ses racines dans les conceptions développées par le collectif M-Base. En 2003, il a sorti un premier projet en collaboration avec Mike Ladd. Le concept-album qui en a résulté (In What Language?, Pi Recordings, 2003) est un recueil de textes scandés, déclamés, chantés sur le thème des aéroports, lieu symbole de la mondialisation pour les auteurs : à la fois lieux d'échanges, de rencontres, de transits, mais aussi de zones de non droit, de quarantaine et de frontières. La musique oscille entre jazz, rap et éléments électroniques, et le résultat est des plus convaincants.

Cette année, les deux musiciens ont remis ça autour d'un nouveau projet. Signé Mike Ladd uniquement, ils ont produit un disque autour du livre Negrophilia de Petrine Archer-Straw qui explore les liens de fascination et d'inspiration entre les cultures noires et les avant-gardes parisiennes du début du XXe siècle. Actualisant le propos, ils explorent quant à eux les liens entre la Black Culture mondiale et le Paris contemporain (Negrophilia, Thirsty Ear, 2005). Le propos musical est encore plus expérimental que pour le précédent disque.

Hier soir ils présentaient néanmoins un autre projet, apparemment encore en gestation. Ils vont en effet collaborer avec une compagnie de théâtre pour un spectacle alliant musique, poésie et mouvements corporels. Pour l'occasion ils étaient accompagnés sur scène par un des membres de cette compagnie de théâtre (dont je n'ai malheureusement pas retenu le nom) qui s'occupait d'installations sonores répondant aux mouvements du corps de Mike Ladd. Celui-ci se disposait ainsi sur une sorte de tapis truffé de capteurs qui provoquaient des petits bruits électroniques servant de base rythmique aux textes qu'il déclamait. De même, il se servait d'une sorte de bâton-theremin qui produisait des sons électriques aux mouvements de mains du rappeur. De l'autre côté de la scène, Vijay Iyer jouait à la fois du piano et de multiples machines électroniques qui lui permettaient de trafiquer le son et de produire des rythmes variés. La musique qui en résultait était volontiers minimaliste dans ses effets, centrée sur la voix captivante de Mike Ladd. Incontestablement du "rap d'intello", mais quand c'est aussi bien fait, c'est vraiment passionnant.

Pour le rappel, ils ont joué un morceau de chacun de leurs deux projets précédents : The French Dig Latinos, Too extrait de Negrophilia, et Plastic Bag extrait de In What Language?. Des répères bienvenus, pour conclure.

jeudi 8 septembre 2005

Le Monde de Kota / McCoy Tyner @ Cité de la Musique, mercredi 7 septembre 2005

Sur le papier, c'était la soirée évènement du festival : McCoy Tyner en solo sur la scène de la Cité de la Musique. Avant le concert j'avais un peu peur que son état de santé ne se soit trop dégradé ces derniers temps (il a dû écourter sa tournée estivale des festivals européens suite à une embolie pulmonaire), mais, s'il a effectivement du mal à se déplacer, ses mains ont conservé quelques zests de magie. Avant d'en venir à sa prestation, quelques mots sur la première partie, assurée par des jeunes musiciens issus de la classe de jazz du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris.

Le groupe en question s'appelait Le Monde de Kota et était composé de quatre musiciens à l'instrumentation originale : Olivier Goulet à l'harmonica, Stéphane Montigny au trombone, Julien Omé à la guitare et Guido Zorn à la contrebasse. Leur musique puise à la fois dans le jazz (influence d'Henri Texier notamment) et dans les musiques dites "du monde" avec des motifs africains assez présents. C'est indéniablement bien écrit, avec pas mal d'idées intéressantes qui jouent sur l'alliage peu habituel de ces instruments, mais c'est justement un peu trop écrit à mon avis. Ils gagneraient certainement à quitter parfois la partition pour insufler un petit grain de folie. Leur musique gagnera certainement en consistance après une tournée en club, avec un public plus proche et plus réactif. Ca vaudra le coup d'aller les revoir d'ici un an pour voir comment leur musique évolue.

Après un court entracte, McCoy Tyner rejoint son piano seul sur la scène. Je l'avais déjà vu en trio l'année dernière pour un concert extrêmement dynamique, au swing contagieux, avec pas mal de couleurs latines. Quelques constantes hier : une main gauche puissante, bondissante, au bout d'un poignet encore très mobile, une rythmique très présente, mais qui dynamise la mélodie plus qu'elle ne la couvre. Tyner, pianiste phare du jazz moderne, reste attaché aux musiques sources de la culture afro-américain (son jeu est chantant comme un gospel, rapide comme un ragtime, plein d'émotions comme un blues). Quelques variantes aussi : des couleurs plus clairement jazz qu'il y a un an, des phases plus retenues aussi, qui font une belle place aux accords mineurs, comme sur le magnifique 4e morceau. Je n'ai pas reconnu beaucoup de morceaux malheureusement, si ce n'est un Four by Five et les deux rappels : All Blues (de M.D.) et Naima (de J.C.), ce dernier ayant été demandé par un spectateur alors que Tyner était tout surpris de devoir revenir à nouveau. Au final, un bon concert, même si un peu court, du dernier représentant du mythique quartet.

mercredi 7 septembre 2005

Sonny Fortune & Rashied Ali @ Trabendo, mardi 6 septembre 2005

Cette année, la programmation du festival Jazz à la Villette est organisée autour de deux thèmes : Jazz New Sounds et Coltrane's Sound, dont le concert d'hier soir au Trabendo était un bel exemple. Pour l'occasion le saxophoniste Sonny Fortune et le batteur Rashied Ali dialoguaient autour de la musique du Trane. Les deux philadelphiens sont connectés depuis longtemps à l'univers du grand saxophoniste disparu en 1967. Rashied Ali fut son dernier batteur, entre 1965 et 1967, et il reste l'homme du fabuleux dialogue d'Interstellar Space, sans doute l'un des plus beaux disques de free jazz. Sonny Fortune, lui, a longuement côtoyé McCoy Tyner et Elvin Jones (il fut l'un des piliers de la Jazz Machine du batteur), et par conséquent le répertoire coltranien.

Rashied Ali ayant 70 ans et Sonny Fortune 66, on vient surtout à ce genre de concert avec l'espoir qu'ils aient encore de beaux restes, mais sans véritablement attendre les fulgurances de leur jeunesse. Le concert commence d'ailleurs un peu comme ça, avec une interprétation du thème d'Impressions, célèbre morceau du répertoire coltranien. Là, on se dit : "ok, ils vont jouer quelques thèmes de Coltrane de manière honnête et respectueuse, ça sera pas mal, mais pas génial". Et puis en fait, on a tout faux. Parce qu'après avoir joué deux-trois fois le thème d'Impressions, Sonny Fortune ne s'arrête pas, bien au contraire, il lâche complètement les amarres pour une exploration du morceau qui va durer 90 minutes !!! Et là, c'est peu de dire que la surprise est de taille et remplit de plus en plus de joie les spectateurs, moi le premier, au fur et à mesure du concert. C'est le genre de concert qui n'existe plus normalement, complètement hors norme, avec des improvisations de génie. On sait bien que ce genre de concert a existé autrefois et ailleurs, dans le New York des années 60, grâce à quelques enregistrements sur disques, mais le prendre en pleine poire comme ça (en étant en plus au deuxième rang en ce qui me concerne), c'est le genre de truc dont on ne rêve même pas. Après coup, on se dit qu'on vient d'assister à l'un des meilleurs concerts de sa vie, si ce n'est le meilleur.

Sonny Fortune au sax alto a un style qui emprunte simultanément à Charlie Parker et à Coltrane. Il a la vélocité du Bird et la profondeur émotionnelle de Coltrane. Il ne lâche pas prise un instant pendant les 65 premières minutes du concert (et donc du morceau, puisqu'il n'y en aura qu'un). Boosté par un Rashied Ali en grande forme à la batterie, puissant sur les toms et maintenant un bruissement constant des cymbales, Fortune explore jusqu'à ne plus avoir de souffle le thème d'Impressions, rebondissant de-ci de-là dessus, pour mieux repartir ensuite dans sa recherche sans fin. Pas besoin de jouer extrêmement free, il marie plutôt les différentes facettes du jazz moderne (du bop au free) pour dresser un portrait très cubiste - vue sous différentes faces simultanément - de la magie coltranienne. Au bout de 65 minutes, Fortune s'arrête quand même un instant histoire de reprendre un peu ses esprits et surtout de s'éponger le front et les mains, laissant Rashied Ali seul pendant 5 minutes. Pendant cet intermède en solo, celui-ci nous gratifie d'ailleurs d'un numéro assez hallucinant sur les cymbales, les faisant tourner sur elles même avec fracas mais aussi légèreté. Virevoltant ! Après ce solo, Fortune empoigne à nouveau son saxo pour repartir explorer les Impressions coltraniennes pendant 20 minutes supplémentaires, finissant en citant le thème en entier, ce qu'il n'avait plus fait depuis le début du morceau, une heure et demi auparavant !

A la fin du concert, après des applaudissements extrêmement nourris, les deux musiciens ont dédié leur "recherche" (puisque c'est le terme qu'ils ont employé) à Coltrane et aux sinistrés de la Nouvelle-Orléans, avec beaucoup de simplicité et de sincérité dans les quelques mots prononcés. Devant l'insistance du public, ils sont revenus pour un rappel - chose qu'ils ne font par en temps normal ont-ils précisé - pour un morceau évidemment plus court et pas issu du répertoire coltranien, histoire de remercier un public qui fut particulièrement bon, il est vrai. Un concert vraiment extraordinaire.

dimanche 4 septembre 2005

The Young Philadelphians @ Trabendo, samedi 3 septembre 2005

Suite du festival Jazz à la Villette. Hier soir, toujours au Trabendo, se produisaient The Young Philadelphians, trio guitare-basse-batterie composé de Marc Ribot, Jamaaladeen Tacuma et Calvin Weston. S'ils ne sont plus si "young" que ça, les deux derniers sont effectivement originaires de Philadelphie, ville mondialement connue pour la Liberty Bell et pour le fameux Philly Sound. Comme les musiciens d'hier soir ne sonnaient pas spécialement comme des cloches, c'est plutôt du côté du Philly Sound qu'il faut chercher le lien entre la ville et le groupe. S'il n'y avait pas ces torrents de cordes soul qui ont fait la gloire de la ville dans les 70s, la musique du trio était quand même marquée par une bonne dose de funk. Il faut dire que Tacuma est sans doute l'un des bassistes électriques les plus rebondissants de la musique afro-américaine contemporaine.

Tacuma et Weston se connaissent depuis leur passage dans le Prime Time ornettien dont ils assuraient la rythmique free-funk. Leur collaboration en trio avec un guitariste n'est pas une première puisqu'ils ont déjà gravé de splendides plages à la fois expérimentales et funk avec James Blood Ulmer ou Derek Bailey (cf. Mirakle chez Tzadik). Weston et Ribot se connaissent également depuis de nombreuses années puisqu'ils ont joué ensemble dans les Lounge Lizards de John Lurie dans les 80s. A travers ces différentes collaborations, on a une petite idée de la musique jouée par le trio, au croisement du funk, du jazz et du rock.

Voir Marc Ribot sur scène, c'est toujours être assuré d'entendre quelque chose de totalement différent à chaque fois. S'il a bien un son propre, facilement identifiable, il promène sa guitare au contact de tellement de musiciens et groupes différents, qu'il renouvelle constamment son discours. Assez discret lors du concert de Spiritual Unity à Banlieues Bleues en avril dernier, il ne s'est pas privé de solos dévastateurs hier soir. Jouant assis, il ne reste pour autant pas stoïque au dessus de son instrument mais donne l'impression de se battre avec, comme s'il tentait de maîtriser un animal sauvage, pour en extraire des sons incisifs, aux sonorités rock et blues - avec également quelques éléments caraïbes et surf pour pimenter le tout.

Jamaaladeen Tacuma, lui, est la colonne vertébrale du groupe, n'abandonnant jamais son sens du groove très communicatif, que ce soit en appui rythmique de Ribot ou au cours de solos particulièrement énormes durant lesquels son large sourire en dit long. Calvin Weston, quant à lui, a une frappe puissante, rapide, plus orientée vers les rythmes binaires hier, qui se marie à merveille avec le jeu de Tacuma à la basse. On sent qu'ils se côtoient depuis des années.

Au cours du concert, le trio a été rejoint sur quelques morceaux par un saxophoniste alto marseillais dont je n'ai pas compris le nom. La musique puisait alors plus clairement dans la musique new-yorkaise de la fin des 70s et du début des 80s, entre scène loft et no wave, entre punk et funk.

Étrangement, la majorité du public a attendu les 2/3 du concert pour se lever, alors que ce n'est pas spécialement une musique destinée à être écoutée assis religieusement. La dimension du plaisir corporel assez évidente qui se dégage du jeu rebondissant de Tacuma exigeait un esprit un peu plus festif de la part de l'audience. Le dernier tiers du concert, avec un public enfin sautillant et dansant, fut par conséquent le plus agréable. Les musiciens avaient enfin le sourire et rallongeaient leurs solos pyrotechniques.

Les morceaux joués n'ont pas été annoncés, si ce n'est le premier rappel, un morceau de Tacuma intitulé Dream escape. J'ai juste reconnu au cours du concert un Oh when the saints joué à 200 à l'heure et GP, un morceau de James Carter qui se trouve sur son album Layin' in the cut auquel participent les trois musiciens d'hier soir (et Jef Lee Johnson pour compléter le quintet). Le concert s'est achevé sur un morceau chanté en espagnol par Ribot, mais plus proche d'un rock mexicano-californien que des Cubanos Postizos, le groupe de vraie-fausse musique cubaine du guitariste.

vendredi 2 septembre 2005

Anthony Braxton, Taylor Ho Bynum, Tom Crean @ Trabendo, jeudi 1er septembre 2005

Tous les ans à l'occasion du festival Jazz à la Villette, le Trabendo se rappelle qu'il y a encore quelques années il s'appelait le Hot Brass et qu'il était un club de jazz. J'y étais hier soir pour le premier des six concerts du festival pour lesquels j'ai pris des places cette année. S'y produisait Anthony Braxton en trio. Le Chicagoan, figure emblématique de l'intersection de la musique contemporaine et du free jazz, était accompagné par deux jeunes musiciens qui m'étaient jusque là inconnus : Taylor Ho Bynum à la trompette et Tom Crean à la guitare. Une formation atypique, sans section rythmique, mais avec tout de même un ordinateur manipulé par Braxton, plus pour alimenter la musique en obstacles sonores que pour soutenir le jeu des solistes ceci dit.

Braxton, qui fête cette année ses 60 ans, est un peu le père du jazz contemporain, dans sa frange la plus exploratoire. A leurs manières (différentes), les trois altistes qui auront le plus contribué à renouveler le discours du jazz ces 20 dernières années (i.e. Steve Coleman, John Zorn et Tim Berne) lui doivent tous beaucoup. Le multisaxophoniste de Chicago n'intervenait hier soir qu'à l'alto et au sopranino - en plus des machines - pour un discours très abstrait, mais qui n'en oublie pour autant pas le trait, la trace. Ce n'était pas une musique nébuleuse, atmosphérique, mais plutôt sinueuse, pointilliste par moment, plus expressionniste qu'impressionniste. Pour continuer dans la métaphore picturale, le discours développé me faisait penser tour à tour à des œuvres de Miro et de Pollock. Des toiles certes abstraites, mais qui s'attachent à promouvoir la ligne, le symbole ponctuel, le petit dessin significatif, au contraire des toiles plus contemplatives d'un Rothko par exemple. Ainsi, les trois musiciens variaient les rythmes, modulaient sans cesse leur jeu, se faisant vifs et ramassés ici, plus sinueux là, proposant toujours un discours très captivant. Chose assez rare, j'ai ainsi été complètement absorbé par la musique durant toute la durée du concert, ne pensant à rien d'autre qu'à suivre leur discours, qui demande il est vrai une bonne dose d'attention et de concentration pour en saisir le maximum de richesse. Ils ont joué la durée d'un sablier - placé à côté de l'ordinateur de Braxton - soit un peu plus d'une heure, sans interruption aucune. La musique coulait dans un flot continu, avec des rapides, des tourbillons, des rochers (électroniques) au milieu, des passages plus apaisés aussi.

Sur les deux pupitres devant Braxton se trouvaient sur celui de droite des partitions et sur celui de gauche d'étranges dessins minimalistes qui n'étaient d'ailleurs pas sans rappeler ceux de Miro. On sait que Braxton est un véritable intellectuel de la musique, nourri d'une connaissance philosophique assez poussée, qui mêle constamment écriture contemporaine savante et improvisation acrobatique, sans que l'on sache toujours très bien distingué l'un de l'autre au cours du jeu. Transcription personnelle d'orientations musicales à suivre et source d'inspiration picturale, ces dessins conservent leur caractère énigmatique pour le commun des mortels.

Les deux jeunes sidemen de Braxton ont été de très intéressantes découvertes, notamment le trompettiste Taylor Ho Bynum. Son jeu, nourri de celui du maître, est une captivante exploration des possibilités de l'instrument, parfois bouché, parfois non. A des moments rutilant, à d'autre d'une douceur crépusculaire, il ne se répétait jamais, surprenant et renouvelant constamment l'attention du public. Je vais creuser un peu dans sa discographie à l'avenir pour en connaître un peu plus sur lui. Outre le discours développé par chacun, ce qui frappait également c'était le jeu collectif qui changeait constamment de combinaison auditive, à deux, à trois, écrit, improvisé, bruitiste, souffle retenu, jaillissement festif, cordes pincées, grattées, pavillon bouché, conque marine, éléments électroniques... Comme s'il s'agissait d'explorer quasi mathématiquement (une autre préoccupation de Braxton) l'ensemble des possibilités offertes par une telle formule instrumentale dans un temps limité (le sablier).

samedi 20 août 2005

Aldo Romano, Rémi Vignolo, Bojan Z @ Sunside, vendredi 19 août 2005

Trio de choc hier soir sur la scène du Sunside : Aldo Romano, Rémi Vignolo et Bojan Zulfikarpasic. Des musiciens que j'ai toujours un grand plaisir à aller écouter en concert (c'est assez régulier). Ce fut une nouvelle fois un excellente soirée. J'avais déjà vu Vignolo en trio avec chacun des deux autres (par exemple, avec Bojan en mars dernier), mais cette combinaison très prometteuse était une première.

Y a-t-il un leader et des sidemen avec un tel trio ? Aldo Romano, par la force de l'âge, est le plus connu du grand public, et signait d'ailleurs la majorité des morceaux joués hier soir, mais ses deux complices d'un soir étaient loin d'être réduits au rôle de faire-valoir. Bojan Z, en tant que pianiste, peut sembler mener le discours, mais Vignolo + Romano, c'est bien plus qu'une section rythmique. Rémi Vignolo et sa contrebasse chantante a tout d'un leader naturel, mais la configuration du triangle était avant tout équilatérale. Pas de leader donc, mais à la place beaucoup de feeling, de clins d'oeil complices, de larges sourires communicatifs et une musique qui jaillit ici, coule volupteusement là, rebondit par surprise, exprime tendresse, mélancolie, petites joies simples, racines italiennes ou balkaniques, et ouverture sur le vaste monde.

Le premier set a commencé par Hulio's Blues, un thème de Bojan qu'on trouve sur The Rise de Julien Lourau. Un morceau très chantant, à la mélodie limpide, qui plaçait d'emblée le concert sous le signe de la bonne humeur. Pourtant les morceaux suivants, signés Aldo Romano, puisaient volontiers dans le registre de la mélancolie. Avec, comme d'habitude avec le batteur italien, des mélodies toutes plus fines les unes que les autres, pour exprimer ici un amour éteint sur fond de banlieue morose, là la pauvreté qui règne à Port-au-Prince. Le premier set s'est achevé sur une improvisation autour du thème de Caravan, qui revenait deux ou trois fois au cours du morceau au détour de longues échappées en toute liberté. L'expression de ceux qui ont tout compris au jazz : une musique ludique, qui joue simultanément sur les repères de la mémoire populaire et sur les effets de surprise pour mieux embarquer le spectateur vers de nouveaux horizons.

Le deuxième set voyait s'enchaîner des morceaux un peu plus explosifs, comme cette incursion vers les rythmes binaires du rock, à travers une vieille composition d'Aldo Romano, du temps où il jouait de cette musique justement. L'occasion également pour Bojan Z d'interpréter son délicieux Groznjan Blue, qui évoque ses racines yougoslaves, avec un Aldo Romano très délicat aux balais, et surtout une complémentarité mélodique entre Bojan et Rémi Vignolo assez magique. Entre deux morceaux, la vision pour le moins mordante d'Aldo Romano sur les nouveaux "chanteurs" français croisés lors d'une soirée en hommage à Claude Nougaro a bien faire rire le public. Peut-être une manière aussi pour le batteur italien de masquer son émotion pourtant assez palpable au moment d'interpréter l'une de ses plus célèbres compositions, Il Camino, connue pour avoir servi de base à la chanson Rimes de Nougaro. Un incroyable moment de tendresse en hommage à l'ami défunt pour conclure un set qui avait commencé sur un climat opposé.

Le troisième et dernier set, un peu plus court que les deux précédents, a notamment été l'occasion d'une dynamique relecture de Nutty de Thelonious Monk, avec un Bojan Z bondissant sur les peu évidents accords monkiens. Etrangement, il n'y eut durant tout le concert qu'un seul morceau issu du répertoire du magnifique Threesome d'Aldo Romano, et c'était pour conclure la soirée : Song for Elis, une douce ballade en hommage à Elis Regina. Pour prolonger dans les ambiances brésiliennes, lors du rappel, Aldo Romano a laissé la batterie pour chanter Estate, chanson certes italienne à l'origine, mais rendue célèbre dans le monde entier par Joao Gilberto. Là aussi, Nougaro l'avait adaptée en français.

A la sortie d'un tel concert, on n'a qu'une hâte : pouvoir à nouveau les écouter ensemble très prochainement, et pourquoi pas, chez soi, à l'occasion d'un disque.

lundi 8 août 2005

Proms 29 & 30 @ Royal Albert Hall, jeudi 4 & vendredi 5 août 2005

Voici quelques impressions et commentaires sur les deux soirées passées au Royal Albert Hall pour l'édition 2005 des Proms.

Jeudi 4 août, programme baroque avec l'Akademie für Alte Musik de Berlin qui interprétait des oeuvres de Telemann, Händel et Bach. Avant d'en venir à la musique elle-même, quelques mots sur la salle et l'ambiance. Le Royal Albert Hall est une belle salle aux dimensions assez impressionnantes, mais à l'acoustique imparfaite. Pour les Proms, l'arène centrale est laissée aux spectateurs debout (d'où le nom de Proms : Promenade Concerts). De fait, si certains sont debout, d'autres n'hésitent pas à s'allonger dans des positions assez improbables pour ce genre de concert. Placé assez près de l'orchestre, sur la droite de la scène, j'ai pu apprécier dans des conditions pas trop mauvaises le concert, même si on sentait bien que le son se perdait et se diluait un peu en route. Qu'est-ce que ça devait être pour les places les plus hautes !

Dans une salle aux deux tiers vides, l'Akademie für Alte Musik a toutefois proposé un excellent concert. Si la musique de Telemann ne m'a pas pleinement convaincu, les extraits du Rinaldo de Händel furent en revanche un petit bijou. Le concert a donc commencé par une interprétation de la suite en do majeur "Hamburger Ebb' und Flut" de Telemann qui cherche à retranscrire musicalement l'ambiance aquatique de Hambourg. J'aime beaucoup Hambourg (ma ville allemande préférée parmi celles que je connais... ce qui exclut, il est vrai, pour le moment Berlin et Dresde), mais la suite de Telemann représentait un peu pour moi l'aspect de la musique baroque que je n'aime pas trop, à savoir une musique décorative, essentiellement d'apparat, avec des codes par trop identifiables.

Changement d'ambiance avec les duos et arias de Händel tirés de deux de ses opéras : Rinaldo et Theodora. Là, pour le coup, on dépasse très largement les codes établis de la musique de l'époque pour toucher au sublime et à l'intemporel. On a tout d'abord eu droit à un duo extrait de Rinaldo (Scherzano sul tuo volto) avec la soprano Maria Cristian Kiehr et le contre-ténor Daniel Taylor, qui fut lui la véritable révélation de ce concert. L'aria suivant (Cara sposa, amante cara), toujours tiré de Rinaldo, chanté par le contre-ténor fut d'ailleurs le plus beau moment de la soirée, jouant parfaitement sur les silences et la délicatesse de la lamentation face à l'amour perdu. Ont suivi un aria chanté par Maria Christiana Kiehr (Ah, crudel, il pianto mio, toujours Rinaldo) et un duo extrait de Theodora (To thee, thou glorious son of worth). Magnifique.

Le concert s'est achevé avec la suite n°4 en ré majeur de Bach. Une belle interprétation, qui servait parfaitement la musique de Bach... et qui mettait aussi en avant tout ce qui sépare Bach de Telemann dans l'utilisation des bourrées, gavottes et autres menuets.

Le lendemain, changement d'époque, avec un programme romantique et post-romantique, autour de Tchaïkovski, Mahler et Sibelius. La salle était beaucoup plus pleine que la veille. Il faut dire que l'horaire était moins tardif (19h30 contre 22h) et surtout qu'il y avait la présence d'Anne Sofie von Otter dans les Rückert-Lieder de Mahler. Les stars déplacent toujours du monde.

Le concert a commencé avec près d'une heure de retard à cause d'un larsen insistant à l'origine visiblement difficilement identifiable (lié à la retransmission de la BBC sans doute). Assez désagréable, même s'il a donné l'occasion à un spectateur de faire preuve d'un humour tout britannique en déclarant que le concert était remplacé par une performance de Stockhausen !

Situé beaucoup plus loin de la scène que la veille (et pour cause, le prix des places avait connu une inflation certaine), j'avais un peu peur que l'acoustique de la salle me joue des tours. Et, si ce n'était pas aussi terrible que ce que j'imaginais, c'était un peu dérangeant sur les Lieder de Mahler, tout en fines nuances.

Les nuances, ce n'est pas ce qui caractérise le Francesa da Rimini de Tchaïkovski qui ouvrait le concert. Cette fantaisie symphonique d'après Dante est ultra-romantique et ultra-russe dans son traitement. L'orchestre (en l'occurence l'orchestre symphonique de Göteborg) pètait de partout, exacerbant au maximum les sentiments, et explorant le second cercle des Enfers avec véhémence. L'orchestre était dirigé par un tout jeune chef vénézuelien, Gustavo Dudamel (né en 1981 !), qui remplaçait Neeme Järvi, initialement prévu mais finalement indisponible. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il n'hésite pas à en rajouter dans l'interprétation violente de l'oeuvre de Tchaïkovski, qui n'est pourtant pas des plus calmes. Au final, cela donne une musique assez facile. Qu'on apprécie sans enthousiasme.

Les Rückert-Lieder mis en musique par Mahler, c'est autre chose. Pour le coup, on entend des murmures, de fines harmonies, une beauté toute en délicatesse, magnifiquement interprétés il faut dire par Anne Sofie von Otter et par un orchestre tout à coup plus à son aise. Le seul regret tient à l'acoustique et aux dimensions de la salle qui font un peu perdre de la magie de cette musique. 

Le concert s'est achevé par la symphonie n°5 de Sibelius, que je n'ai pas vraiment appréciée. La musique du compositeur finlandais se fait très attentiste dans cette oeuvre, j'ai trouvé. On attend inlassablement que quelque chose se produise, et pourtant rien ne vient jamais. Il faut dire qu'après les Lieder de Mahler, on devient vite exigeant, et que la sucession des oeuvres jouées ce soir-là n'aidait pas à apprécier la symphonie de Sibelius.

Mahler et Händel furent donc les deux grands moments de ces soirées passées dans le temple de cet étrange festival classique et populaire, qui connait peu d'équivalents dans le monde. Je ne suis pas sûr d'avoir ainsi percé à jour le mystère de la perfide Albion, mais c'est une expérience à tenter au moins une fois, c'est indéniable.