samedi 27 octobre 2007

Arne Lygre - Homme sans but @ Ateliers Berthier, vendredi 26 octobre 2007

Le noir. Total. Puis, une lumière ouatée, d'aube naissante. Deux silhouettes se détachent sur un sol immaculé. Elles contemplent un fjord. Peter et son frère viennent d'y accoster. Ils rêvent d'y construire, à partir de rien, une ville nouvelle. Peter, à qui tout a toujours réussi, veut se mettre en danger, connaître ne serait-ce que la possibilité de l'échec. Les gestes sont lents. Les déplacements comme entravés par de lourdes semelles de plomb. La langue se déploie dans le temps. Devient arythmique. Les personnages sont-ils bien réels ? Ne sommes-nous pas plutôt projetés dans une autre dimension, peuplée d'avatars virtuels, à l'espace et au temps encore mal définis ?

La pièce d'Arne Lygre, jeune auteur norvégien né en 1968, présentée actuellement aux Ateliers Berthier dans le cadre du Festival d'Automne, joue constamment de la confusion entre le réel et le virtuel, l'apparence et le concret. Avec, en son centre, un personnage principal qui semble réunir ces deux contraires : l'argent. Homme sans but est une pièce sur le pouvoir (corrupteur ?) de l'argent, le pouvoir d'achat. Peter, milliardaire ayant fait fortune dans on ne sait quel virtual business, achète tout. Il arnaque d'abord le propriétaire des terrains longeant le fjord pour y construire sa ville. Il reconstitue, ensuite, grâce à son argent, une vie sociale et familiale pleine d'apparences et de faux-semblants qui se délitera après sa mort, gangrénée par le cancer de l'héritage.

La mise en scène de Claude Régy dilate le temps. Le silence y est roi. L'économie (polysémie lourde de sens) est au cœur de sa vision de l'œuvre de Lygre. Les gestes et les mots sont précis. Chirurgicaux. Violents parfois. Comme invisibles le plus souvent. La pièce est portée par la présence électrisante de Jean-Quentin Chatelain, dans le rôle de Peter. L'acteur suisse, que j'avais pu voir récemment dans l'adaptation scénique du Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas d'Imre Kertész, y joue à merveille de son timbre de voix si particulier. Traînant. Magnétique. Il porte les deux premiers tiers de la pièce. Le dernier tiers, après sa mort, souffre de son absence.

Une atmosphère étrange émane finalement de cette pièce. Les personnages oscillent entre le je et le il. Tout y est lent. La lumière semble simultanément crue et ouatée. Les sons, évanescents et stridents. La vie ressemble à la mort. La mort ne ressemble pas à la vie. La langue est simple, économe. Elle crée l'âpreté. Lygre fait sentir le vide comme la langue de Hamsun fait sentir, physiquement, la faim. La force de cette œuvre n'est pas immédiate. Elle laisse le spectateur en suspens, dans une impression mitigée. Elle demande l'effet du temps. Mais elle marque. D'une manière indélébile.

vendredi 19 octobre 2007

Alain Platel - vsprs @ Théâtre de la Ville, jeudi 18 octobre 2007

Sous ce titre un peu énigmatique se cache le dernier spectacle du chorégraphe flamand Alain Platel, des Ballets C. de la B., créé l'année dernière au Théâtre de la Ville, et qui y revient pour quinze jours cet automne. J'y étais hier soir.

Le titre fait référence aux Vêpres de la Vierge de Monteverdi, revues par Fabrizio Cassol, saxophoniste d'Aka Moon. Pour l'occasion, une chanteuse (Christina Zavalloni) et neuf musiciens interprètent sur scène la musique : les trois d'Aka Moon (vus récemment en clôture de Jazz à la Villette pour le concert-anniversaire de leurs quinze ans), l'ensemble baroque Oltremontano (deux sacqueboutes et deux cornets à bouquin) et deux musiciens roms, Tcha Limberger au violon et à la flûte et Vilmos Csikos à la contrebasse. La musique, malgré les différentes atmosphères abordées, trouve assez vite son unité, comme parcourue d'un bout à l'autre par une certaine tension spirituelle propice à l'élévation des corps. Et c'est d'ailleurs un spectacle en trois dimensions que proposent les dix danseurs présents sur scène. Le fond de la scène est en effet surmonté d'une montagne de vêtements immaculés qui sert de prétexte à des jeux d'escalade acrobatiques.

Danseurs ou circassiens, les membres des Ballets C. de la B. entremêlent les genres, d'hallucinants mouvements contorsionnistes en éructations spasmodiques de noms de super-héros (de Superman à Lassie chien fidèle). La musique se tait parfois, laissant les corps traversés de tremblements seuls en scène, comme dénudés, frappée d'une fragilité inquiétante. On pense souvent aux mouvements mi-automatiques mi-incontrôlés des aliénés mentaux, source d'inspiration avouée de Platel pour ce spectacle. Les transes africaines décrites dans le programme sont moins évidentes. Certains solos ont une grande force émotionnelle, quelques passages collectifs proposent de captivants mouvements désordonnés/réordonnés en instantané. Toutefois, la force de la danse semble s'épuiser au fur et à mesure que le spectacle avance, comme consumée de l'intérieur par une volonté de trop en faire. La fin est laborieuse, recourant de manière un peu systématique à quelques clichés éculés de l'art contemporain : la répétition ad lib., le mime sexuel avec sous-titres clignotants, l'épuisant épuisement de la musique et des gestes. Ma voisine lâchera même un retentissant "Mein Gott. Das is schlecht" avant de ne pouvoir contenir un fou rire et de lancer, en se levant, un définitif "ich kann nicht mehr".

La fin - interminable - gâche ainsi un spectacle pourtant assez captivant sur ses deux premiers tiers. On regrette que Platel n'ait pas su terminer plus tôt. L'œuvre y aurait certainement gagné en impact. Plus concentrée, resserrée, elle y aurait gagné un sens qui finit par se diluer dans un éclectisme trop éclaté.