dimanche 28 janvier 2007

Camel Zekri / OrkestrRova @ Espace Culturel André Malraux, Le Kremlin-Bicêtre, vendredi 26 janvier 2007

Vendredi soir, le festival Sons d'hiver s'ouvrait sur un programme à l'affiche particulièrement alléchante. Le Rova Saxophone Quartet avait réuni un ensemble de douze musiciens sur la scène de l'Espace Culturel André Malraux du Kremlin-Bicêtre pour présenter son projet Electric Ascension, relecture matinée d'effets électroniques de la pièce de Coltrane. Outre les quatre californiens du Rova, on retrouvait des poids lourds des musiques improvisées tels Jenny Scheinman (vl), Eyvind Kang (vla), Andrea Parkins (machines), Otomo Yoshihide (platines), Nels Cline (g) et même Fred Frith à la basse ! Chris Brown aux machines et Don Robinson à la batterie - qui m'étaient inconnus - complétaient le casting.

Le résultat fut un peu mitigé. Un dernier tiers de l'œuvre fabuleux. Une alternance de passages très appréciables et de dérives bruyantes pas toujours totalement maîtrisées auparavant. La présence de trois "électroniciens" aux sonorités particulièrement violentes et intrusives dressait parfois comme un mur de bruit qui rendait difficilement audible le discours des autres musiciens, surtout dans les passages collectifs. Lors des solos, leur présence trouvait plus facilement une justification par des interventions plus parcimonieuses et plus à l'écoute du discours tenu par leurs partenaires. Je retiens ainsi de très belles interventions de Nels Cline et de Jenny Scheinman (cette dernière au cours d'un très beau trio de cordes avec Cline et Frith notamment). Paradoxalement, les saxophonistes, pourtant à l'origine du projet, n'ont pas souvent eu le beau rôle. Souvenir trop présent des envolées de la version originelle ? Présence de (trop) fortes personnalités à leurs côtés ? Ils furent quand même à la base de la montée en puissance collective du dernier tiers de la pièce. En se montrant tout à coup plus indicatifs sur qui devait jouer, ils ont réussi à mieux maîtriser le chaos sonore qui émanait de l'ensemble. La conduite plus dynamique du groupe qui en a résulté a permis d'apprécier enfin à sa juste valeur l'incroyable débauche d'énergie que dégagent à la fois l'œuvre et les musiciens présents vendredi.

Après leur version d'Ascension, les musiciens ont proposé une relecture plus paisible d'After the rain, délicate ballade coltranienne. Otomo Yoshihide, en jouant avec une bouteille et un verre d'eau, développait d'amusantes sonorités aquatiques qui se fondaient parfaitement dans la thématique du morceau. Avec un niveau sonore moins intense et mieux réparti entre les instruments, ce bonus au programme aura en fait été le meilleur moment du concert. Quand bruitisme, lyrisme et retenue se rencontrent, le casting réuni trouve enfin toute sa justification.

En première partie du concert, Camel Zekri, guitariste originaire du sud algérien, descendant des esclaves noirs, a déroulé en solo quelques unes de ses pièces où se mêlent souvenir du désert - entre blues sahélien et rythmes de transe gnawa - et délices de l'improvisation radicale. Un peu répétitif malgré tout, le solo ne permettant sans doute pas au discours de Zekri de se déployer dans toute son intensité rythmique.

dimanche 21 janvier 2007

Le Bruit du [sign] @ Les Voûtes, vendredi 19 janvier 2007

Un vendredi par mois, le Bruit du [sign] se produit aux Voûtes, dans le XIIIe arrondissement. Après avoir tourné dix minutes dans le quartier pour trouver la rue des Frigos (j'aurais dû regarder le plan avant le concert et non après), j'y étais vendredi soir. J'avais déjà vu le groupe l'année dernière à l'Ermitage et leur prestation m'avait conquis.

Un peu moins d'un an plus tard, leur musique est toujours aussi bien, aux carrefours d'influences qui me sont chères : Henry Threadgill, Tim Berne, Steve Coleman, Jim Black pour n'en citer que quelques unes. Le propos a même gagné en densité de groupe : les solos sont un peu moins démonstratifs ce qui renforce la sensation de bouillonnement permanent du collectif. Si les envolées de Nicolas Stephan au sax, Julien Rousseau à la trompette et Julien Omé à la guitare ont conservé tout leur tranchant, la présence renforcée de passages en duo ou trio permet une densification du propos, qui se démarquait pourtant déjà par son énergie. Jeanne Added est égale à elle-même, c'est à dire déjà parmi ce qui se fait de mieux en "jazz vocal" (le terme est-il adéquat ?) actuellement, malgré son jeune âge (le même que le mien, c'est dire si elle est jeune !). Atmosphérique, onomatopéique, instrumentale, poétique quand elle emprunte à la langue de Shakespeare, un brin loufoque dans celle de Molière, elle fascine à tout instant. Théo Girard à la contrebasse et Sébastien Brun à la batterie et à quelques occasions aux machines complètent le casting. C'est un véritable bonheur - encore un - que d'avoir à faire à une contrebasse et non à une basse électrique dans ce contexte aux compositions pourtant tendues, lorgnant vers un certain rock. La rondeur du frottement de l'archet et le bruitisme délicat des pizzicati permis par la "grand-mère" en bois ancrent le groupe dans un sol beaucoup plus accueillant que ne l'est en général le béton armé d'une basse électrique. Sébastien Brun doit lui beaucoup à Jim Black, ce qui donne à certains passages des allures d'AlasNoAxis, mais en plus varié grâce à l'effectif plus étoffé du groupe et à la présence d'une singulière chanteuse. Si l'année dernière Julien Omé et Nicolas Stephan m'avaient particulièrement enthousiasmé dans leurs expressions individuelles, c'est vendredi Julien Rousseau qui s'est révélé à moi. Ses attaques claires et vives à la trompette et au bugle apportaient une netteté qui semblait définir la direction lumineuse vers laquelle le magma collectif s'orientait progressivement.

Le groupe entre en studio cette semaine pour enregistrer son premier disque (auquel on peut souscrire sur leur site ou lors des concerts pour les aider à récolter les fonds nécessaires).

mercredi 10 janvier 2007

Alexandra Grimal Quartet @ Les 7 Lézards, lundi 8 janvier 2007

L'année 2007 commence comme la précédente s'est achevée, en tout cas en ce qui concerne les concerts auxquels j'assiste : même groupe, même salle, le 19 décembre et le 8 janvier. De quoi avoir un bon aperçu du quartet que forment Alexandra Grimal (ts, ss), Giovanni Di Domenico (p), Manolo Cabras (b) et Joao Lobo (dms).

Les fidèles de Samizdjazz et de Citizen Jazz savent déjà tout le bien que je pense d'Alexandra. Son concert au Duc en août reste parmi les meilleurs auxquels j'ai assisté en 2006. Elle est d'ailleurs la musicienne que j'ai le plus souvent vue sur scène l'année dernière, dans de multiples formations. Et bien je peux dire que le quartet dont il est question ici est l'un de ses meilleurs groupes, si ce n'est le meilleur. Celui dans lequel le jeu est le plus libre et le plus dense, sans doute en raison du fait que les musiciens se connaissent depuis six ans. D'ailleurs, le fait que le répertoire soit entièrement composé par Alexandra, Giovanni, Manolo et... Ornette Coleman ne trompe pas.

En quatre sets (deux à chaque fois), on a ainsi pu savourer dans les détails les spécificités de ce groupe. On y retrouve la "patte" Grimal, faite d'un subtil mélange de retenue et d'explosivité, mais on y découvre surtout un jeu collectif servi par de formidables individualités. Si j'avais déjà pu apprécier le jeu très percussif de Joao Lobo à La Fontaine, la découverte des deux Italiens de Bruxelles au piano et à la contrebasse n'a fait qu'amplifier le plaisir. Ils apportent en effet beaucoup à l'identité sonore du groupe, par leur jeu constamment sur la brèche, in'n'out. La place dévolue au silence, aux respirations des uns et des autres, à la manière de ce qu'Alexandra laissait déjà entrevoir dans d'autres formations, est ici majeure. Le fait que les quatre musiciens soient sur la même longueur d'onde, qu'ils aient quelque part la même approche du temps musical, rend ce groupe particulièrement excitant. La qualité des compositions, qui forment un tout cohérent avec les thèmes d'Ornette repris pour l'occasion, est elle aussi indéniable. Elles mêlent pour la plupart des thèmes limpides, d'une simplicité obsédante, à des développements aventureux, entre silences, bruissements et explosions tour à tour bruitistes et lyriques. Une unité s'en dégage, mais certainement pas une uniformité.

Ces concerts étaient également l'occasion d'entendre Alexandra après le mois et demi de résidence qu'elle a passé au Banff Center (Canada) – ce qu'elle évoquait dans l'interview qu'elle m'a accordée l'été dernier. Certaines compositions étaient d'ailleurs d'amusants clins d'oeil, à l'instar de ce "Elks around" devenu "Des caribous tout autour" lors du deuxième concert. C'était également le début d'un renforcement de l'expérience collective qu'est ce groupe. Alexandra me disant qu'elle souhaitait le privilégier pour les deux années à venir. Vivement la suite !