samedi 19 janvier 2008

The Ex & invités @ Instants Chavirés, vendredi 18 janvier 2008

Le groupe hollandais squattait les Instants Chavirés trois soirs de suite, partageant la scène avec leurs invités. J'y étais vendredi, pour la dernière des trois soirées. Cette mini-résidence était l'occasion pour The Ex de proposer un voyage à travers les musiques qu'ils ont abordées durant leur désormais quasi trente ans de carrière : punk, free, world...

Le concert a commencé par un trio réunissant trois de leurs invités : Christine Sehnaoui, saxophoniste alto parisienne, Clayton Thomas, contrebassiste australien de Berlin, et Wolter Wierbos, tromboniste au pays des tulipes. Sonorités étouffées de la saxophoniste pour commencer, dans un long solo introductif pendant que les spectateurs continuaient d'arriver pour occuper chaque centimètre carré des Instants. Vrombissements et bruitisme pour un free jazz introspectif jouant sur la retenue. Bien loin des explosions qui allaient suivre.

La deuxième partie fut courte, le temps d'un énervement simultané sur trois guitares électriques tenues par Terrie Ex et les deux guitaristes du groupe de rock français Api Uiz. Comme une rasade d'alcool blanc qui nettoie et ravage en même temps.

Place aux mots d'Anne-James Chaton ensuite. Trois poèmes tirés d'un recueil de dix-huit "évènements" ayant pour cadre commun l'année 1999. Énumérations hallucinées de notices, avertissements, prix trouvés sur des tickets de métro, des paquets de cigarettes, un journal, etc. Pendant qu'il déclame ses textes, des phrases répétées en boucle par un sampler donnent une dimension hypnotique à son travail : "Washington s'enlise en Irak", "Rien que la loi" ou "La grande peur du bug de l'an 2000" scandent ainsi de manière mécanique les mots du poète montpelliérain. Plutôt impressionnant.

La suite donna lieu à la seule faute de goût de la soirée : le trio rock Api Uiz, formule basique guitare, basse, batterie, a proposé une musique dont toute subtilité était absente. Ils jouent vite et fort, sans que l'on n'en comprenne l'intérêt. Pendant leur trop longue prestation une "artiste peintre" jetait ses tubes de peinture contre des papiers recouvrant les murs des Instants. Tout ça pour finir dans une bouillie marronnasse, aussi bien picturale que musicale. A oublier.

Retour au calme ensuite avec le chanteur et joueur de masenqo (sorte de violon rudimentaire à une corde) éthiopien Afework Negussie. D'abord pour un morceau en solo, puis en duo avec Katherina, la batteuse de The Ex, et enfin en quartet avec Clayton Thomas et Andy Moor. Grand moment, particulièrement envoutant, qui fait apprécier le drumming chaloupée de Katherina au service de mélopées lancinantes pleine de tezeta, cette sorte de blues des hauts plateaux. Tradition et modernité font bon ménage pour sans doute le meilleur moment de la soirée.

Celle-ci se termine par une prestation de The Ex, d'abord resserré à la formule de base du groupe : les guitares de Terrie et Andy, la batterie de Katherina et le chant de G.W. Sok. Répertoire de tubes, avec l'adjonction progressives de quelques invités : Wolter Wierbos pour une version de "State of Shock" rappelant le lyrisme cuivré du Ex Orkest, puis Clayton Thomas, Christine Sehnaoui et Anne-James Chaton afin de finir la fête comme il se doit. Bien belle soirée. Il n'y aurait pas eu Api Uiz, elle aurait même été parfaite.

vendredi 18 janvier 2008

Heinrich von Kleist - La petite Catherine de Heilbronn @ Ateliers Berthier, jeudi 17 janvier 2008

La mise en scène de la pièce d'Heinrich von Kleist par André Engel aux Ateliers Berthier se distingue par son décor, dû à Nicky Rieti. Des blocs de ruines sombres se dressent sur scène, quelque part entre le château d'Heidelberg et l'imaginaire des contes de fées. On peut presque entendre le Neckar couler en contrebas. L'atmosphère est on ne peut plus romantique et plus allemande. On y retrouve avec merveille cette couleur gris anthracite attachée aux vallées de la Souabe, entre denses forêts et rivières opaques, que même le soleil d'été n'arrive pas tout à fait à dissiper. L'orage semble toujours prêt à gronder. Le comte de la pièce ne s'appelle d'ailleurs pas Wetter von Strahl par hasard.

Comme le décor, le propos de la pièce transpire le romantisme, les fissures dans les Lumières. La raison est étrangère à certaines choses : le sentiment conserve ces mystères, et il est vain de vouloir tout réduire à la compréhension rationnelle. Les juges de la Sainte Vehme ont beau protesté que la séduction du comte sur la jeune Catherine de Heilbronn a dû se produire en un lieu et à un moment donnés, il restera tout au long de la pièce une part de mystère et de fantastique autour de cet évènement fondateur - du prétexte du récit, mais avant tout de la révélation aux deux héros de leur identité : la petite Catherine offrira son visage au comte, alors que celui-ci révèlera le secret de son origine à Kätchen. Mystère de l'amour et de la formation du couple : ce n'est que dans la relation à l'autre qu'il existe dans sa singularité et son infini. Kleist, qui se suicida avec sa bienaimée sur les bords du lac de Wannsee dans une mise en pratique jusqu'au-boutiste de la pensée romantique, semble ici préfigurer ce qui sera la grande question philosophique du XXe siècle, entre révélation et éthique, en-deçà du rationalisme grec.

La petite Catherine de Heilbronn est aussi une confrontation merveilleuse de deux femmes que tout oppose : Kätchen, jeune paysanne naïve et illuminée, dépassée par des forces surnaturelles, frêle brindille rousse interprétée par Julie-Marie Parmentier, et la vénéneuse baronne Cunégonde von Thurneck, manipulatrice jusque dans son apparence (Kleist anticipant les faux-semblants de la chirurgie esthétique), campée par une Anna Mouglalis qui joue parfaitement d'une voix rauque qui semble trahir une nature ambiguë, au-delà de sa plastique de rêve. Entre ces deux pôles extrêmes de la féminité, le comte Wetter von Strahl (Jérôme Kircher) cherche sa voie - et les voix de ses songes - aidé par son fidèle Gottschalk (Tom Novembre). La fin voulue par André Engel ne résout pas tout à fait les mystères de ces relations complexes : un dernier sursaut de Kätchen semble la tirer d'un rêve sans que l'on assiste au "oui" des noces à venir. Dans le texte de Kleist, le comte lance un ultime "empoisonneuse !" à Cunégonde, comme pour souligner la dimension de sorcellerie qui enrobe tout cette histoire. Dans l'une comme dans l'autre des versions, le réel n'est jamais sûr. C'est dans le rendu de cette insécurité - magnifiée par le décor - que réside le succès de cette mise en scène.

mercredi 16 janvier 2008

Anne Teresa de Keersmaeker - Zeitung @ Théâtre de la Ville, mardi 15 janvier 2008

J'ai bien fait de vérifier - sans vraiment y croire - moins d'une semaine avant le début des représentations s'il restait des places pour la nouvelle création d'Anne Teresa de Keersmaeker au Théâtre de la Ville : non seulement, il en restait, mais en héritant d'une place plein centre au rang E (le septième) je n'avais jamais été aussi bien placé pour un spectacle dans cette salle. En plus, j'ai passé un moment d'une intensité émotionnelle et esthétique comme encore jamais un spectacle chorégraphique ne m'avait procuré (certes, mon intérêt pour la danse est récent, mais quand même...).

Le concept de Zeitung revient autant à la chorégraphe flamande qu'au pianiste Alain Franco, présent sur scène. Il y interprète des musiques de Bach et (un peu) Schönberg entrecoupées par des enregistrements d'impressionnantes pièces orchestrales de Webern. Tout repose sur la rencontre, l'échange, la juxtaposition de la danse et de la musique. Sans qu'un signifiant extérieur (enfin une absence de message !) ne vienne alourdir le propos. Tout est subtil, simple, épuré, bref absolument moderne dans l'esthétique proposée. De quoi me réjouir au plus haut point.

Avant même qu'il ne débute, le spectacle donne à voir la scène du Théâtre de la Ville nue, désossée, avec les murs des coulisses, les mécanismes d'élévation des décors, les lances incendies apparents. Pendant que le public s'installe les neuf danseurs de la compagnie Rosas et le pianiste se placent sur le bord du plateau attendant le moment propice pour commencer. A peine l'intensité lumineuse faiblit-elle qu'un couple de danseurs rejoint le centre de la scène et entame des mouvements, sans musique. L'homme semble jouer du yoyo avec le corps de la femme : son bras enlace et désenlace continuellement sa partenaire, dans un jeu permanent d'enroulement et déroulement des corps, de prise de possession de l'espace et, surtout, du temps. Fluidité des gestes et art du contrepoint en légères saccades mécaniques, comme pour annoncer la musique de Bach, à venir. C'est toutefois celle de Webern qui entame le spectacle. Durant toute la durée de celui-ci, les interactions entre danse et musique seront intenses, mais sur une multitude de registres qui maintient l'attention fermement à l'affut. Parfois les corps soulignent la structure des compositions, parfois des discours juxtaposés présentent des correspondances furtives comme pour mettre en lumière la magie de l'instant précis de la rencontre. A propos de lumière, le jeu sur celles-ci, dû à Jan Joris Lamers, apporte une troisième dimension à cette création, proposant lui aussi ses propres rythmes, ses accompagnements occasionnels et ses ruptures subites, mais toujours avec un souci d'économie (on reste dans le contraste épuré du blanc et du noir).

Le discours des danseurs (cinq femmes et quatre hommes) s'articule en solos, duos, trios, quatuors et mouvements d'ensemble qui renouvellent constamment l'intérêt. La chorégraphe dit avoir laissé une large place à l'improvisation, autour d'un langage corporel travaillé à partir des propositions des danseurs lors des répétitions. Les sourires, et mêmes les rires, de ceux qui ne participent pas activement à l'action (mais qui restent quand même présents sur le bord du plateau) semblent souligner ces gestes inattendus. Le langage esthétique reste tout de même unifié autour de propositions fortes qui allient une certaine austérité (ni fioriture ni excès de signifiant) servie par des courbes générales des membres déliées et des saccades de certaines charnières (cou, poignets, hanches...) qui maintiennent un équilibre aussi précaire que magnifique. Accélérations, décélérations, silence et mouvements, statisme et musique, répétition des mêmes gestes sur des contextes sonores distincts... Tout est dans cette idée de tension maîtrisée qui ma plaît tant en art.

A la sortie - et cela dure le lendemain - il reste des images fortes, des séquences bien incrustées dans la mémoire, et l'impression d'une rencontre parfaite de l'esprit et du corps, de l'abstraction de la musique et de l'incarnation de la danse. Du coup, j'attends avec impatience la soirée autour de Steve Reich proposée par Rosas et l'ensemble Ictus dans un mois à Nanterre (reprise d'un programme présenté au Théâtre de la Ville la saison dernière).

samedi 5 janvier 2008

Roland Pinsard, Benoît Delbecq, Emmanuel Scarpa @ Radio France, samedi 5 janvier 2008

J'étais cet après-midi à la Maison de la Radio pour l'enregistrement d'A l'improviste. Anne Montaron y recevait le clarinettiste Roland Pinsard accompagné de Benoît Delbecq et Emmanuel Scarpa. J'avais déjà pu voir ce dernier à plusieurs reprises au sein de Thôt Twin ou du trio qu'il forme avec Alexandra Grimal et Antonin Rayon, quant à Delbecq je ne compte plus le nombre de fois et de formations où je l'ai vu. Le clarinettiste était en revanche une découverte pour moi.

Les trois musiciens, suivant le principe de l'émission, ont improvisé en continu pendant cinquante minutes, avant de répondre à quelques questions d'Anne Montaron. La musique portait tout d'abord la patte bien distincte de Benoît Delbecq : son piano préparé dans les aigus évoque tour à tour les sonorités d'un gamelan ou d'une sanza, alors que son jeu délié sur la partie non-préparée du clavier possède un aspect à la fois liquide et vocal. Sonorités aiguës et mates, qui donnent le sentiment d'une énergie contenue, maitrisée, retenue. Emmanuel Scarpa s'est volontiers fondu dans cette esthétique, en préférant les cliquetis sur toutes sortes de percussions à la puissance d'une batterie conventionnelle, avec néanmoins sur la fin quelques séquences plus énergiques. Quant à Roland Pinsard, il cultive un son "à l'étouffée", parsemé de quelques éclats plus francs dans l'expulsion de l'air et de la note, qui s'accorde parfaitement avec la toile rythmique tissée par ses deux compagnons.

Malgré une unicité esthétique assumée, portée sur la subtilité des sons, les jeux sur les vitesses et les tensions (des pinces à linge sur les cordes du piano au désossement de la clarinette) permettaient un voyage en rien monotone à travers ce flux continu de près d'une heure. Les quasi-silences laissant juste échapper le feulement délicat à travers la clarinette basse de Roland Pinsard se juxtaposaient ainsi à des accélérations de Benoît Delbecq au clavier qui redynamisaient l'écoute. Ou, inversement, les explosions puissantes d'Emmanuel Scarpa à la batterie s'achevaient dans la finesse du son de balle de ping-pong du piano préparé.

Une bien jolie manière de démontrer l'étendu des possibles de la chose improvisée, bien loin des repères du free, avec l'affirmation d'un univers personnel à plus d'un moment poétique. Et un premier rendez-vous avec Benoît Delbecq en cette année 2008 qui s'annonce riche en occasions de le voir dans des contextes différents. Dans les semaines à venir, par exemple : le 5 février au sein de Pool Players dans le cadre de Sons d'hiver, le 9 février en duo avec Andy Milne à Radio France, le 23 février au sein du quartet d'Eric Plandé toujours à Radio France, ou encore le 10 avril avec Marcelline Delbecq pour le projet "Vert pâle" dans le cadre de Banlieues Bleues. Et même, en restant chez soi, sur le site de Sextant avec trois vidéos de concerts donnés en 2007 : avec Kartet à La Dynamo le 31 mai (j'y étais), avec Han Bennink au Sunside le 16 novembre, et en solo à nouveau à La Dynamo le 19 novembre (en pleine grève des transports, d'où mon absence...).

Sinon, l'émission sera diffusée le 16 janvier à 22h sur France Musique.

mardi 1 janvier 2008

2007 dans le rétro

Soixante-dix huit concerts cette année. Tendance à la baisse, mais qui reste suffisamment soutenue pour m'avoir permis de voir et entendre de fort belles choses (des moins bonnes également). S'il ne fallait en retenir que l'écume mémorielle la plus vive, ce serait sans conteste l'Aquarius Ingress de Steve Coleman à la Villette en septembre, Vijay Iyer et Rudresh Mahanthappa en duo au Sunside en juillet, Myra Melford et Kartet se partageant l'affiche à la Dynamo en mai, Mephista au Triton en novembre, Anne Paceo en quartet au Duc des Lombards en mars, sans oublier la double soirée Masada à Barcelone en juin. Une année dominée par les ramifications foisonnantes de l'esthétique m-baso-haskienne donc, avec toujours un fort parfum de Downtown Scene, et une pincée de jeune scène française. Ce riche mélange se retrouve parmi la production discographique qui m'a accroché : revue du meilleur of 2007 en douze galettes (le classement n'est qu'alphabétique).

Airelle Besson / Sylvain Rifflet - Rockingchair - Chief Inspector
Le disque qu'on attendait de la part de Jim Black ! Jazz, post-rock et pop entremêlés, pour une musique parente de celle d'AlasNoAxis, mais en plus variée. Clarté des lignes d'Airelle Besson à la trompette, profondeur de chant de Sylvain Rifflet au sax et à la clarinette. A mi-chemin d'influences Downtown parfaitement assimilées et d'une scène française cross-over largement documentée par Chief Inspector : Limousine, Caroline, TTPKC, Camisetas... Le tout avec un sens des mélodies qui devrait pouvoir séduire au-delà des cercles jazz.

Steve Coleman - Invisible Paths : First Scattering - Tzadik
Steve Coleman sur Tzadik : premier évènement. Steve Coleman en solo : deuxième évènement. Le résultat est à la hauteur de cette double attente. Séparés temporairement du magma ryhtmique qui les accompagne habituellement, la phrasé et la justesse de Coleman sur l'alto font ici merveille. Si on y retrouve évidemment une science de l'architecture rythmique des morceaux poussée à l'extrême, c'est en effet la possibilité d'entendre la beauté du son du chicagoan dans sa plus simple expression qui finit par emporter l'adhésion. Très addictif.

Sylvie Courvoisier - Lonelyville - Intakt
Abaton + Mephista = Lonelyville. C'est ainsi que la pianiste suisse définit ce nouveau groupe. Soit la composition contemporaine et l'écriture pour cordes de son trio Abaton mêlées à l'improvisation sertie d'électronique de Mephista. En quintet, avec le violon de Mark Feldman, le violoncelle de Vincent Courtois, les machines d'Ikue Mori et la batterie de Gerald Cleaver, Sylvie Courvoisier propose quatre suites envoutantes entre lyrisme et bruitisme, mémoire classique et écoute de l'inouï.

Sylvie Courvoisier - Signs and Epigrams - Tzadik
Grande année pour Sylvie Courvoisier, avec également la parution de ce disque en solo enregistré pour Tzadik. Dix pièces pour piano : des études, des improvisations, des compositions qui explorent les possibles du clavier mais aussi des cordes et du cadre. Parfois préparé, le piano devient un orchestre à lui tout seul. On y retrouve l'attention toute particulière de Sylvie Courvoisier portée au silence, au moindre bruit, aux résonnances mémorielles, par delà le jazz et le classique.

Dave Douglas Quintet - Live at the Jazz Standard - Greenleaf Music
Le Quintet de Dave Douglas ne cesse de surprendre. Chaque disque semble un cran au-dessus du précédent. Il sera toutefois difficile de faire mieux que celui-ci, résultat (en deux CD) d'une semaine passée au Jazz Standard new-yorkais. Dave Douglas y a troqué pour l'occasion sa trompette pour le cornet, mais c'est la cohésion de l'ensemble, la fougue de Donny McCaslin au sax et l'incandescence de Uri Caine au fender rhodes qui font la véritable différence. Du jazz plaisir, dans la lignée du second quintet de Miles dans les 60s, mais avec un son résolument contemporain.

Dupont T - Spider's Dance - Ultrabolic
La moitié de Kartet avec Rudresh Mahanthappa ! Hubert Dupont, bassiste de Kartet fait ici équipe avec Yvan Robilliard au piano, Chander Sardjoe à la batterie et donc l'altiste new-yorkais. Les compositions de Dupont ont toujours été les plus évidemment groove de Kartet, on retrouve donc ici son écriture chaleureuse, imprégnée de références africaines et indiennes. Sardjoe et Mahanthappa sont les partenaires idéaux par leur alliage raffiné du langage jazz et de leurs racines indiennes. Accélérations et décélérations vertigineuses pour un festival rythmique impressionnant.

Kartet - The Bay Window - Songlines
Cinquième disque en dix-sept ans d'existence pour le groupe le plus passionnant des années 90-2000 de l'hexagonojazzosphère, qui, une fois n'est pas coutûme, commence par un standard : Misterioso de Monk. De quoi, immédiatement, saisir les spécificités du "son" Kartet et d'en comprendre les racines. Des morceaux courts, d'apparence limpide, qui révèlent petit à petit, au fil des écoutes, toutes les subtilités de leur charme complexe : science des rythmes et des vitesses, alliance critisalline des timbres, originalité du phrasé, sens de la retenue et maîtrise de la tension. Du grand art. Le meilleur disque de l'année. Et, pour bien commencer 2008, Citizen Jazz met en ligne une interview de Guillaume Orti.

Rudresh Mahanthappa - Codebook - Pi Recordings
Un son nerveux, new-yorkais. De la vitesse, de la puissance, une dose d'acidité, un langage rythmique simultanément complexe et plein de groove. On avait découvert Mahanthappa dans le quartet de Vijay Iyer. Pour ce disque, les rôles sont inversés : le saxophoniste est devenu leader et le pianiste intervient en soutien. François Moutin à la basse et Dan Weiss à la batterie complètent le casting. Il y a de l'urgence dans cette musique, mais pas seulement. On est loin du free hurleur, plutôt dans une descendance explosive de Steve Coleman. Qui brille de mille feux.

Myra Melford / Mark Dresser / Matt Wilson - Big Picture - Cryptogramophone
On est pris par l'énergie tourbillonnante du trio dès les premières secondes du disque. Malgré le classicisme de la formule (piano-basse-batterie), on est ici assez loin du prêt-à-jouer plein de joliesses qui fait trop souvent florès ailleurs. Myra Melford y ré-explore le champ de ses amours musicales : du blues au free, en passant par les mélodies orientales (le premier morceau a ainsi un passage très masadien). Mais, surtout, la pianiste n'est pas seule en scène. Elle n'est ni soutenue, ni accompagnée par Mark Dresser et Matt Wilson. Les rôles au sein du trio changent constamment et l'identité qui en résulte ne peut apparaître que comme le résultat d'un son de groupe. Une joie de jouer, ensemble, communicative.

Chris Potter Underground - Follow the Red Line, Live at the Village Vanguard - Universal
Quel groove ! Le Village Vanguard inspire décidément Chris Potter. Après le bouillonnant Lift, dans un style post-bop un poil plus classique, le ténor plonge dans l'électricité en compagnie de quelques figures de l'underground Downtown : Craig Tabon aux claviers, Adam Rogers à la guitare, Nate Smith à la batterie. Soient des compagnons de route de Tim Berne, David Krakauer ou Dave Holland. Le plaisir est constant tellement la puissance allègre de Potter emporte tout sur son passage. Un groove incroyable, des compositions à l'accent quasi pop (très abordables en tout cas) et des effets électrisants constants de Taborn et Rogers qui font monter très haut la sauce.

Print - Baltic Dance - Yolk
Des compositions bien charpentées alliées à un souci du groove : on est en pleine esthétique haskienne. Pas étonnant d'y retrouver Stéphane Payen tant le cousinage avec Thôt est évident. Les compositions de Sylvain Cathala font une belle place aux complémentarités de timbres du ténor et de l'alto, dans une écriture dominée par des soucis architecturaux et de jeu sur les vitesses. La progression des morceaux est ainsi bien souvent irrésistible. Le jeu tout en rondeurs de Jean-Philippe Morel à la contrebasse apporte même une dimension chaleureuse indispensable à ce groove intellectuel.

Yves Rousseau - Poète, vos papiers ! - Le Chant du Monde
La surprise de l'année. Reprendre Ferré, c'est casse-gueule. Je partais loin d'être convaincu d'avance. La qualité des musiciens présents, et notamment des deux chanteuses, Jeanne Added et Claudia Solal, m'a poussé à tenter ma chance. Le résultat est passionnant. Yves Rousseau a adapté des textes issus du recueil de poèmes Poète, vos papiers publié en 1956. Certains avaient déjà été chantés par Ferré, d'autres étaient restés inédits en chanson. Jeanne Added se distingue particulièrement dans son interprétation. Si on est loin de la grandiloquence ferréenne, on entend une voix qui puise son énergie vitale dans ses tripes. Et puis, à une époque où n'importe qui s'improvise chanteur, il n'est pas désagréable d'entendre des voix justes qui ne se contentent pas de se poser sur la musique, mais qui au contraire participent pleinement à l'élaboration de celle-ci.

Bonne année 2008 à tous !