vendredi 18 janvier 2008

Heinrich von Kleist - La petite Catherine de Heilbronn @ Ateliers Berthier, jeudi 17 janvier 2008

La mise en scène de la pièce d'Heinrich von Kleist par André Engel aux Ateliers Berthier se distingue par son décor, dû à Nicky Rieti. Des blocs de ruines sombres se dressent sur scène, quelque part entre le château d'Heidelberg et l'imaginaire des contes de fées. On peut presque entendre le Neckar couler en contrebas. L'atmosphère est on ne peut plus romantique et plus allemande. On y retrouve avec merveille cette couleur gris anthracite attachée aux vallées de la Souabe, entre denses forêts et rivières opaques, que même le soleil d'été n'arrive pas tout à fait à dissiper. L'orage semble toujours prêt à gronder. Le comte de la pièce ne s'appelle d'ailleurs pas Wetter von Strahl par hasard.

Comme le décor, le propos de la pièce transpire le romantisme, les fissures dans les Lumières. La raison est étrangère à certaines choses : le sentiment conserve ces mystères, et il est vain de vouloir tout réduire à la compréhension rationnelle. Les juges de la Sainte Vehme ont beau protesté que la séduction du comte sur la jeune Catherine de Heilbronn a dû se produire en un lieu et à un moment donnés, il restera tout au long de la pièce une part de mystère et de fantastique autour de cet évènement fondateur - du prétexte du récit, mais avant tout de la révélation aux deux héros de leur identité : la petite Catherine offrira son visage au comte, alors que celui-ci révèlera le secret de son origine à Kätchen. Mystère de l'amour et de la formation du couple : ce n'est que dans la relation à l'autre qu'il existe dans sa singularité et son infini. Kleist, qui se suicida avec sa bienaimée sur les bords du lac de Wannsee dans une mise en pratique jusqu'au-boutiste de la pensée romantique, semble ici préfigurer ce qui sera la grande question philosophique du XXe siècle, entre révélation et éthique, en-deçà du rationalisme grec.

La petite Catherine de Heilbronn est aussi une confrontation merveilleuse de deux femmes que tout oppose : Kätchen, jeune paysanne naïve et illuminée, dépassée par des forces surnaturelles, frêle brindille rousse interprétée par Julie-Marie Parmentier, et la vénéneuse baronne Cunégonde von Thurneck, manipulatrice jusque dans son apparence (Kleist anticipant les faux-semblants de la chirurgie esthétique), campée par une Anna Mouglalis qui joue parfaitement d'une voix rauque qui semble trahir une nature ambiguë, au-delà de sa plastique de rêve. Entre ces deux pôles extrêmes de la féminité, le comte Wetter von Strahl (Jérôme Kircher) cherche sa voie - et les voix de ses songes - aidé par son fidèle Gottschalk (Tom Novembre). La fin voulue par André Engel ne résout pas tout à fait les mystères de ces relations complexes : un dernier sursaut de Kätchen semble la tirer d'un rêve sans que l'on assiste au "oui" des noces à venir. Dans le texte de Kleist, le comte lance un ultime "empoisonneuse !" à Cunégonde, comme pour souligner la dimension de sorcellerie qui enrobe tout cette histoire. Dans l'une comme dans l'autre des versions, le réel n'est jamais sûr. C'est dans le rendu de cette insécurité - magnifiée par le décor - que réside le succès de cette mise en scène.

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