dimanche 20 mai 2007

Leoš Janáček - L'affaire Makropoulos @ Opéra Bastille, vendredi 18 mai 2007

Deux ans après De la maison des morts, retour à Bastille pour un autre opéra de Janáček, L'affaire Makropoulos. Si ma dernière expérience en terme de place de dernière minute (Barbe-Bleue à Garnier) n'avait pas été fructueuse, ce ne fut heureusement pas le cas vendredi soir. Mieux, j'ai même obtenu une place centrale au huitième rang de l'orchestre (soit une centaine d'euros d'économisés par rapport au tarif plein).

Le livret de l'opéra est adapté d'une pièce de Karel Capek, l'un des auteurs phares du fantastique praguois aux côtés de Kafka et Meyrink, mais qui lui écrivait en tchèque et non en allemand. L'argument de la pièce n'est pas simple à résumer. Une mystérieuse chanteuse intervient dans un procès centenaire autour d'un héritage qui n'arrive pas à sa conclusion, pour apporter des éléments permettant d'enfin aboutir. Au cours de l'opéra, on apprend progressivement qu'Emilia Marty est en fait Elina Makropoulos - et quelques autres - née plus de trois cents ans auparavant, et sur qui son père, un alchimiste crétois, a testé un élixir de jouvence à la demande de l'empereur Rodolphe II au XVIe siècle. Seulement la formule ne dure que trois cents ans, et Emilia/Elina a besoin de la récupérer pour en reprendre pour trois cents nouvelles années. Elle cherche donc à séduire les participants au procès, sachant que la formule est l'un des éléments de l'héritage (puisqu'elle a en fait séduit, il y a un siècle, le riche homme dont le patrimoine est en jeu).

Dans sa mise en scène, Krzysztof Warlikowski a choisi de déplacer l'action de la Prague des années 20 vers le Hollywood des années 50, sur fond de mythe Marilyn et d'intrigue à la Sunset Boulevard. Cette référence introduit une distanciation assez intéressante par rapport au contexte initial de l'opéra. On sort de l'univers allégorique du fantastique praguois pour entrer dans une réflexion sur les illusions. D'un discours sur la société à un discours sur l'individu. Emilia Marty ne serait-elle tout simplement pas devenu folle, oubliant, à l'instar de Norma Desmond, que le temps a passé ? Son histoire qui ne tient pas debout ne devant alors son succès sur les hommes que grâce à ses charmes à la Marilyn. La transposition temporelle et géographique est aussi intéressante en ce qu'elle rappelle la part déterminante, sur l'évolution de la culture américaine au XXe siècle, de l'émigration centreuropéenne fuyant les totalitarismes (Billy Wilder... au hasard).

Du côté de la musique, on retrouve le langage janáčekien, avec des résonances, par exemple, avec les quatuors à cordes du compositeur morave. L'attachement, toujours primordial chez Janáček, à la langue parlée fait des merveilles ici. Si ses opéras sont privés de récitatifs, ils abondent en revanche de passages captivants au débit rapide, mi-chanté mi-parlé, comme une sorte de sprachgesang très mélodique. Il faut entendre les passages du premier acte qui abondent de références au procès, dans ses aspects de technique juridique, pour comprendre toute la modernité décalée de Janáček.

En ce qui concerne l'interprétation, l'orchestre dirigé par Tomas Hanus, jeune chef tchèque, cède parfois peut-être un peu trop à la mise en scène, en se laissant aller à une interprétation très cinématographique, pleine d'allant hollywoodien, loin de la sécheresse acide d'un Mackerras. Cependant, le final est de toute beauté, autant grâce à la mise en scène autour de la piscine dans laquelle se laisse mourir Elina (Sunset Boulevard, toujours) que grâce à la puissance émotionnelle simple de la partition, avec les chœurs placés dans la salle, aux côtés des spectateurs. Angela Denoke, qui tient le rôle principal, est quant à elle irréprochable, aussi magnifiquement expressive dans le chant lyrique que dans la déclamation. Ses partenaires masculins sont tout aussi remarquables ainsi que Karine Deshayes dans le rôle de Krista. La distribution est ainsi le véritable point fort de cette affaire Makropoulos.

Enfin, il y avait le fameux King Kong de sept mètres de haut. Pas indispensable dans la mise en scène, mais tout de même très impressionnant !

Baptiste Trotignon / Michel Portal, Louis Sclavis, Bojan Z, Bruno Chevillon & Daniel Humair @ Salle Pleyel, samedi 19 mai 2007

Depuis sa réouverture en début d'année, je n'avais jusqu'à présent été à Pleyel que pour des concerts classiques. Samedi, j'y allais pour la première fois pour du jazz : d'abord un solo de Baptiste Trotignon, puis un all-stars européen avec Michel Portal, Louis Sclavis, Bojan Z, Bruno Chevillon et Daniel Humair.

Je n'avais jusqu'à maintenant jamais pris le temps de prêter une oreille attentive à Trotignon. On ne peut pas dire que le concert de samedi m'encourage à y remédier désormais. J'ai trouvé ça d'un ennui intersidéral. On attend qu'il se passe quelque chose, mais malheureusement rien ne vient jamais dans cette musique nombriliste. Le son semble comme contenu dans le piano. Trotignon a bien du mal à emplir l'espace magnifique de la salle Pleyel. Ce jazz aux accents pop et romantiques est quelque chose auquel je n'accroche pas du tout. Si j'en crois les réactions de mon voisin de devant, je n'étais pas le seul à lutter contre l'assoupissement auquel conduit inévitablement cette musique désincarnée.

Quel contraste avec la musique du groupe réuni par Michel Portal ! Ca vit, ça jaillit, ça remplit l'espace. On sent les tripes des musiciens, leur joie de vivre et de jouer. Ce sont certes des musiciens que j'ai déjà vu d'innombrables fois, mais jamais tous ensemble, et surtout jamais avec une telle acoustique. Le plaisir venait ainsi avant tout de la qualité incroyable du son, ce qui donnait une dimension supplémentaire à la musique, sans qu'elle ne perde pour autant rien de sa sauvagerie joyeuse. Portal et Sclavis, clarinette basse et sax soprano tous les deux, sont d'une complémentarité jubilatoire. Sur leurs impulsions conjuguées, la musique tournoie à des vitesses folles, mène une danse espiègle qui habite d'un nouveau jour les thèmes classiques de Portal ou la reprise décalée du Jean-Pierre de Miles. Il y a un aspect cabaret déjanté dans leur jeu pourtant si parfaitement maîtrisé qui contraste formidablement avec le jazz endormi de la première partie.

La section rythmique n'était pas en reste. Là aussi l'acoustique de la salle était la vedette principale. J'ai apprécié le drumming d'une souplesse exemplaire d'Humair comme jamais. Un plaisir constamment renouvelé pour les oreilles. Les arpèges de Bojan et la puissance boisée de Chevillon ponctuaient quant à eux le jeu des trois "vétérans" avec enthousiasme.

Parmi les morceaux joués, l'essentiel était signé Portal, avec des classiques comme Solitudes ou Mutinerie, ou le plus récent Nada Mas. La seule incursion dans le répertoire d'un autre aura été le deuxième rappel : le traditionnel CD-rom conclusive de Bojan Z, transformé en vaste foutoir balkanique sur lequel le bandonéon de Portal et le soprano de Sclavis ont épuisé ce qu'il leur restait de souffle vital. Rien que du connu, mais avec un contexte idéal qui a fait passer le concert à 100 à l'heure.

samedi 5 mai 2007

James Chance & The Contorsions @ Le Triptyque, jeudi 3 mai 2007

James Chance n'est pas mort. Mieux, il se produit encore en concert, et était de passage à Paris jeudi soir au Triptyque. La nouvelle m'a d'abord surpris. Je le pensais rangé des voitures depuis une bonne vingtaine d'années. La nouvelle m'a ensuite interloqué. Faut-il ou non y aller ? Dans quel état peut-il être aujourd'hui vu son goût pour l'alcool et les drogues à l'époque ? La déception ne risque-t-elle pas de prendre le pas sur la curiosité face à ce héros de la no wave new-yorkaise du tournant des 70s/80s ? J'ai finalement tenté ma chance, et ne le regrette pas.

Après une première partie assommante assurée par un groupe français qui mélangeait un peu tous les genres musicaux, mais en faisant beaucoup de bruit, James Chance se présente sur la petite scène du Triptyque. Il a grossi, c'est sûr, mais sa silhouette conserve un peu de cet aspect nerveux qui tranche avec son regard absent, perdu dans des litres de substances pas toutes très licites. L'air ailleurs, le corps bien présent : une démarche disco-punk qui se retrouve dans sa veste dorée, son nœud papillon et ses cheveux grisonnants toujours aussi peu coiffés.

Il commence le concert en triturant un clavier électrique dont il sort de grandes nappes de funk destroy quelque part entre Fela et Sun Ra. Derrière lui, un trio guitare, basse, batterie puise lui aussi essentiellement dans le registre funk. Un peu moins punk, un peu moins free jazz, un peu moins disco, bref moins no wave qu'il y a vingt-cinq ans, mais avec toujours cette passion pour les musiques noires qui transpire, servie par une voix plus à l'aise dans le cri sexuel, les limites du juste, ou le parlé-chanté que dans le "beau chant". Une reprise de James Brown viendra confirmer la dette toujours renouvelée de celui qui se fit appeler un temps James White autant pas goût de la blague potache que par réelle révérence.

Il joue moins de sax qu'à la grande époque, se contentant de quelques brèves incursions acides sur l'instrument, mais son alto évoque toujours un Ornette punk - technique rudimentaire et amour de la sonorité du texan - qui reste déterminant dans la signature du son James Chance. Un peu de clavier, un peu de sax, l'instrument dont il aura finalement fait le plus grand usage jeudi soir, c'est un verre d'alcool dont il buvait une gorgée quasiment entre chaque phrase éructée dans le micro. L'effet a toutefois été bénéfique puisque le concert est allé en s'améliorant pour finir, avec le mythique Contort Yourself, dans le vraiment très bon.