tag:blogger.com,1999:blog-50050880158463638432024-03-15T22:05:36.026+01:00Native DancerChroniques intermittentes de spectaclesDamienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.comBlogger335125tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-46779312410317612622024-03-15T16:57:00.004+01:002024-03-15T22:05:04.814+01:00Ann O'aro @ Studio de l'Ermitage, jeudi 14 mars 2024<p>C'est la troisième fois en l'espace de quelques mois que le maloya s'invite dans mes chroniques. Après Wati Watia Zorey Band et Lagon Noir (avec, déjà, Ann O'aro au chant) <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2023/12/wati-watia-zorey-band-lagon-noir-maison.html" target="_blank">à Nanterre</a> en décembre, puis le Discobole Orchestra avec Christine Salem <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2024/02/discobole-orchestra-invite-christine.html" target="_blank">au Studio de l'Ermitage</a> début février, les rythmes réunionais étaient donc cette fois-ci ceux du quartet d'Ann O'aro, à l'occasion de la sortie de son troisième album, <i>Bleu</i> (Cobalt, 2024). Pour commencer, la chanteuse monte seule sur scène et s'assoit au piano. La principale nouveauté de ce troisième opus, c'est en effet l'ajout du piano comme "medium d'expression de ses émotions", retour vers un instrument appris pendant l'enfance puis un peu délaissé par la suite, comme elle l'expliquera au cours du concert. Elle y deploie des mélodies simples, tout en flux et reflux, comme un écho des vagues de l'océan Indien qui borde son île, transfigurées par son chant profond, essentiellement en créole, occasionnellement en français. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhTJUAfzPrVPhz2eMIxMBaUwjkUWQuEicL23gY87e922zVImZtY16LgmS_1mHJMohDXtx4lg96rCA_ZRPsTyiW2RqPNmOz3MwrbN9fDL9HcDwKCGxtMv67vBwWRZhTiRTg6APf02e0Eex-AqXM68HY412AT-Xfm4qvqu-qbUSHoYwevcsFbrcS33qq3-mas/s2048/423481F9-2869-46E6-A43B-F977210163A4.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhTJUAfzPrVPhz2eMIxMBaUwjkUWQuEicL23gY87e922zVImZtY16LgmS_1mHJMohDXtx4lg96rCA_ZRPsTyiW2RqPNmOz3MwrbN9fDL9HcDwKCGxtMv67vBwWRZhTiRTg6APf02e0Eex-AqXM68HY412AT-Xfm4qvqu-qbUSHoYwevcsFbrcS33qq3-mas/s320/423481F9-2869-46E6-A43B-F977210163A4.jpeg" width="320" /></a></div><br />Comme souvent avec Ann O'aro, les thèmes qu'elle aborde n'ont rien de léger. Cette fois-ci elle y évoque la veillée d'un mort ou les cancrelats qui tombent dans l'eau à travers les trous d'un vieux pont au bois pourri. Elle rappelle avec humour, mais non sans noirceur, qu'elle avait sous-titré la tournée qui accompagnait la sortie de son premier disque, <i>Ann O'aro </i>(Cobalt, 2018), "<i>Ann O'aro, entre inceste et convivialité</i>". Le thème des violences sexuelles est certes moins présent qu'au début - mais son chant semble toujours habité d'une part d'exorcisme cathartique, comme pour transformer les douleurs d'hier en paroles réparatrices - à la fois par la mise à distance qu'elles permettent, et par le mariage avec la musique qui entraîne le corps vers une extériorité plus positive. <p></p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi7UTMnlbyNiSLJNP_7aWO3Db5wbnVVmdDa1RlnyTFJSXkB-96KdMKg1NRdvt5vykv4Lc1aaVbX8qQBty9i_tA5-XRWVfDltwJA4AsPsBbeffARER3M0Dsd8_3BqdijLZcQeuou09TQrhC7_FByMazUcSdOVer75xTNrZXHu1Ng4FXQrDPlrgbYwOLcib4x/s2048/EAD32E13-BCFF-4404-8D5F-7871FD921F8A.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi7UTMnlbyNiSLJNP_7aWO3Db5wbnVVmdDa1RlnyTFJSXkB-96KdMKg1NRdvt5vykv4Lc1aaVbX8qQBty9i_tA5-XRWVfDltwJA4AsPsBbeffARER3M0Dsd8_3BqdijLZcQeuou09TQrhC7_FByMazUcSdOVer75xTNrZXHu1Ng4FXQrDPlrgbYwOLcib4x/s320/EAD32E13-BCFF-4404-8D5F-7871FD921F8A.jpeg" width="320" /></a></div><br />Pour l'accompagner, on retrouve ses deux complices qui étaient déjà présents sur son disque précédent, <i>Longoz</i> (Cobalt, 2020), Teddy Doris au trombone et Bino Waro aux percussions. Le groupe est désormais complété par Brice Nauroy aux machines. Sa présence, et celle du piano, densifient et diversifient les climats parcourus. Effets dubs ou boucles samplées en directes permettent de jouer avec une matière sonore bien souvent en ébulition - chant intense d'Ann O'aro, solos rutilants de Teddy Doris, rythmes variés entre percussions traditionelles et batterie de Bino Waro. La piano n'est pas toujours présent - la chanteuse alterne les morceaux au chant seul et ceux où elle s'accompagne. Les machines non plus. On retrouve par conséquent parfois les ambiances minimalistes, comme nues jusqu'à l'os, du trio qui officiait seul sur <i>Longoz</i>. Pour mieux en prendre le contrepied par la suite. Pour le rappel, pour "calmer le public" dit-elle, Ann O'aro chante un morceau a capella, alors que ses camarades sont restés sur le côté, hors scène. Pas certain que l'intensité qu'elle met dans son chant est un effet si appaissant. Plutôt saisissant. De beauté. <p></p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-31167829176719459942024-03-10T14:51:00.003+01:002024-03-11T00:27:37.132+01:00Louise Jallu / Dave Douglas Gifts Quintet @ Radio France, samedi 9 mars 2024<p>A priori les propositions esthétiques des groupes menés par Louise Jallu et Dave Douglas sont assez différentes, et pourtant cela faisait pleinement sens de les réunir sur la scène du studio 104 de la Maison de la Radio tant ils jouent, chacun à leur façon, avec des airs incrustés dans la mémoire collective, sans jamais cependant ne chercher à coller à une approche patrimoniale. "<i>Jeu</i>", c'est bien le mot, et c'est d'ailleurs le titre du tout nouvel album de la jeune bandonéoniste française qui sort ces jours-ci. Nourrie de tradition argentine, instrument oblige (son précédent disque s'attaquait d'ailleurs au répertoire d'Astor Piazzolla), elle crée un pont avec la tradition classique européenne dans ce nouvel opus. Ainsi, la plupart des morceaux proposés lors du concert s'amusent à citer des thèmes plus ou moins connus : une sonate de Schumann, un prélude de Fritz Kreisler, le <i>Boléro</i> de Ravel, une sonate de Bach et même une chanson de Brassens, <i>Les sabots d'Hélène</i>. Quelques compositions personnelles, une <i>Milonga en mi majeur</i> et le final <i>A Gennevilliers</i>, en hommage à sa ville natale qui fut, dit-elle, la première d'Europe à ouvrir une classe de bandonéon, complètent le panorama. Si on reconnaît aisément la rythmique si caractéristique du <i>Boléro</i> ou l'écriture contrapuntique de Bach, il ne s'agit en rien d'une interprétation à la lettre des oeuvres, mais bien de libres variations dynamisées par le sextet rassemblé par Louise Jallu. Les têtes connues - Mathias Lévy au violon ou Karsten Hochapfel à la guitare - côtoient les découvertes - Grégoire Letouvet au piano et claviers, Alexandre Perrot à la contrebasse et Ariel Tessier à la batterie. Ensemble, ils offrent un vaste champ des possibles qui illumine de couleurs variées les morceaux interprétés : majestueux ici, plus urgent là, ludique à plus d'un tour, mais toujours finement contrasté. Louise Jallu déploie, sur ces paysages changeants, le soufflet de son instrument et colore de teintes résolument argentines le grand répertoire européen. On se prend facilement au "<i>Jeu</i>". </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEimADmNxWqSlPkcz0Ntz0zj352JLV94E_FJQVhGDXWjCKaA22_HtBFQ3wq1MPOm7ulZ-r-gDpK3F0f3FNvvlSJaT3faC7PgGgDI2FXw_-rP0txsMQSL8KcosKcLrMAuVPFIreCc2kahGN-D7nsqZ60pD1vw3EVNlkIKWonSF2vKXge-I-cFxAsPz98DmFL0/s2048/B05FE5D9-5C7C-4E63-ABAF-93EBF5231111.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEimADmNxWqSlPkcz0Ntz0zj352JLV94E_FJQVhGDXWjCKaA22_HtBFQ3wq1MPOm7ulZ-r-gDpK3F0f3FNvvlSJaT3faC7PgGgDI2FXw_-rP0txsMQSL8KcosKcLrMAuVPFIreCc2kahGN-D7nsqZ60pD1vw3EVNlkIKWonSF2vKXge-I-cFxAsPz98DmFL0/s320/B05FE5D9-5C7C-4E63-ABAF-93EBF5231111.jpeg" width="320" /></a></div><br />En deuxième partie de concert, je retrouve l'un des musiciens les plus présents dans ma discothèque : son nouvel album, <i>Gifts</i>, à sortir en avril mais déjà disponible à la sortie du concert, est ainsi le 70e disque en leader ou co-leader de Dave Douglas à rejoindre mes étagères ! Si on y ajoute les disques sur lesquels il intervient en sideman - à commencer par ceux de Masada - on ne doit pas être loin d'une centaine. Bref, j'adore vraiment Dave Douglas. La joie de le retrouver sur une scène parisienne était accrue par le line up ébouriffant de son nouveau groupe : James Brandon Lewis au sax ténor, Tomeka Reid au violoncelle, Rafiq Bhatia à la guitare et Ian Chang à la batterie. Les deux derniers sont sans doute un peu moins connus, mais ont déjà contribué chacun à un disque du trompettiste : <i>Uplift</i> (2018) pour le batteur et <i>Marching Music</i> (2020) pour le guitariste. Ils sont par ailleurs tous les deux membres du trio post-rock Son Lux et apportent donc une ouverture vers des sonorités à la fois pop et électriques qui contrastent avec la démarche plus jazz des trois autres. Tomeka Reid a elle aussi déjà illuminé de sa présence de récents disques du trompettiste, <i>Engage</i> (2019) et <i>Secular Psalms</i> (2021) et est, au-delà de ça, un pilier fondammental des scènes jazz contemporaines de Chicago et de New York. Le saxophoniste débute lui auprès de Dave Douglas, mais son nom n'a cessé de grandir depuis une dizaine d'années et son abondante discographie est marquée du sceau de l'excellence. <p></p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhn44z1YmD4xz9oJpB5z27CGbOsT76bcS-TJ8SFghjOACCSFGwKmLhAmiZzGa9BVuvDSvKuc8jDJT9qLW3QFowOEowDy9f6UUtkgySxsfEWuf-P9wHmK_AYxVY9WLEXglYxt4AfmLSyuwzuSlBhXD2-aweMS5iaLMzFffzLIKXwFs2WOGMBqf2Sr9zyG3WW/s2048/6DDD64BA-3B2C-448E-B747-B97DE77FDAEE.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhn44z1YmD4xz9oJpB5z27CGbOsT76bcS-TJ8SFghjOACCSFGwKmLhAmiZzGa9BVuvDSvKuc8jDJT9qLW3QFowOEowDy9f6UUtkgySxsfEWuf-P9wHmK_AYxVY9WLEXglYxt4AfmLSyuwzuSlBhXD2-aweMS5iaLMzFffzLIKXwFs2WOGMBqf2Sr9zyG3WW/s320/6DDD64BA-3B2C-448E-B747-B97DE77FDAEE.jpeg" width="320" /></a></div><br />Pour ce concert, et ce nouveau disque, Dave Douglas a choisi de mettre à l'honneur la musique de Billy Strayhorn. Mais, comme pour Louise Jallu en première partie, il ne s'agit en rien de jouer à la lettre une musique d'hier ; plutôt de se l'approprier et de la prolonger par des compositions personnelles et des arrangements résolument modernes pour les quelques compositions du compagnon du Duke interprétées ce soir (<i>Take The A Train</i>, <i>Blood Count</i>, <i>Day Dream</i>). Cette démarche revisiteuse est en fait une constante dans la carrière du trompettiste. Il a ainsi, par le passé, rendu hommage à Booker Little (<i>In Our Lifetime</i>, 1995), Wayne Shorter (<i>Stargazer</i>, 1997), Joni Mitchell (<i>Moving Portrait</i>, 1998), Mary Lou Williams (<i>Soul On Soul</i>, 2000), Jimmy Giuffre (<i>Riverside</i>, 2014), Carla Bley (<i>The New National Anthem</i>, 2017) ou encore Dizzy Gillespie (<i>Dizzy Atmosphere</i>, 2020). Le principe est toujours le même : quelques relectures de "standards" des musiciens honorés et beaucoup de nouvelles compositions qui s'amusent de l'empreinte laissée dans la mémoire collective par les personnalités mise en avant. <p></p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgm8xmoibbjNNVAwXQDGl4eysghU7MAMxi3KJlameNVG4mCJ3KGd9mu9VyBAaotoudYAVpKNslk1QKgCHqMXptO0xWFXKK28KoTkabh-JvU0ob45O6QJ4o2xbN_RO90H9Q8iS82vZEzxxhe08HAV6FriXKxd5JKZBs4l5jbhNBVaIzV4L_5UmnF59tYj7yg/s2048/BDCCEA95-B759-474E-BD62-61A80BC018A8.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgm8xmoibbjNNVAwXQDGl4eysghU7MAMxi3KJlameNVG4mCJ3KGd9mu9VyBAaotoudYAVpKNslk1QKgCHqMXptO0xWFXKK28KoTkabh-JvU0ob45O6QJ4o2xbN_RO90H9Q8iS82vZEzxxhe08HAV6FriXKxd5JKZBs4l5jbhNBVaIzV4L_5UmnF59tYj7yg/s320/BDCCEA95-B759-474E-BD62-61A80BC018A8.jpeg" width="320" /></a></div><br />Au-delà du répertoire de Billy Strayhorn, le grand plaisir de ce concert est la grande plasticité de l'orchestre et les climats changeants qu'il parcourt. La plupart des solos sont laissés aux instruments a priori plus rythmiques : Rafiq Bhatia et Ian Chang font, à de multiples occasions, la démonstration de pourquoi Dave Douglas les a choisis pour "bousculer" façon rock une musique si ancrée dans l'ère swing. Tomeka Reid, quand à elle, extrait la sève blues des compositions de Strayhorn dans quelques solos de grande classe, à l'archet comme en pizzicati. Si elle n'est pas présente sur le disque (joué en quartet, donc), elle n'est pas en reste et chacune de ses interventions est essentielle à l'équilibre du groupe. Les deux soufflants ne cherchent pas le solo démonstratif. Leurs interventions sont souvent ramassées, en solo comme en duo, comme pour réhausser de quelques épices la potion magique du quintet. On retrouve néanmoins le son caractéristique de chacun, entre puissance et suavité pour le saxophoniste - que j'avais déjà pu appécier <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2024/01/marc-ribot-new-trio-feat-james-brandon.html" target="_blank">aux côtés</a> de Marc Ribot il y a quelques semaines - attaques claires et précision mélodique pour le trompettiste. Le tout fonctionne à merveille et tient en alerte pendant tout le set malgré un public un peu mou dans ses réactions - applaudissements polis, mais on est loin, il est vrai, d'une ambiance de club. <p></p><p>La première partie était diffusée en direct sur France Musique (et peut donc être réécoutée sur l'appli Radio France). La seconde devrait être diffusée d'ici quelques semaines.</p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-83429394480413156362024-02-11T14:18:00.010+01:002024-02-11T23:19:34.332+01:00Leyla McCalla / Rhiannon Giddens @ Maison des Arts de Créteil, samedi 10 février 2024<p>La dernière soirée du festival Sons d'hiver voyait se succéder sur scène deux musiciennes issues de la scène folk américaine - même si leur musique est loin de s'y résumer - dont les parcours se sont souvents croisés. Il n'y avait donc rien d'étonnant à ce qu'au milieu du concert de Rhiannon Giddens, celle-ci congédie un instant ses musiciens, pour chanter en duo avec Leyla McCalla, juste accompagnées par le banjo de cette dernière, une chanson traditionnelle haïtienne, "<i>Manman Mwen</i>". Ni qu'elle fasse revenir sa consoeur pour le rappel, afin d'interpréter deux chansons de la "<i>godmother of rock'n'roll</i>", Sister Rosetta Tharpe. De folk songs haïtiennes aux sources du rock'n'roll, ces deux moments illustrent le large spectre d'ambiances parcourues pendant la soirée.</p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjm9VDWfTqQDrZeMmHe60WOL0VLMis_skV39Sn83VDwGFg21DVZ1wS__QUcvAZC_8RKLGm6vvXbn6iRpWNc77RfKMnxt6rrmTiy45_6yzF0807MYgR4PZOR6PNv1EsgOIF4r0aPk_dsbnqzLA4ggZVL5-K2EfHEVflN2L8qqJkO-Hx3loLtQIcKzDiTjd-w/s3615/0FB446F6-02C5-44D4-8A7E-69CFA46C96EC.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="2439" data-original-width="3615" height="216" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjm9VDWfTqQDrZeMmHe60WOL0VLMis_skV39Sn83VDwGFg21DVZ1wS__QUcvAZC_8RKLGm6vvXbn6iRpWNc77RfKMnxt6rrmTiy45_6yzF0807MYgR4PZOR6PNv1EsgOIF4r0aPk_dsbnqzLA4ggZVL5-K2EfHEVflN2L8qqJkO-Hx3loLtQIcKzDiTjd-w/s320/0FB446F6-02C5-44D4-8A7E-69CFA46C96EC.jpeg" width="320" /></a></div><br />En première partie, Leyla McCalla, violoncelle, banjo ou guitare selon les morceaux, se présente accompagnée de Louis Michot au fiddle et Corey Ledet à l'accordéon. Les trois chantent tour à tour selon les morceaux et explorent les rythmes traditionnels de la Louisiane, où ils résident tous. Mais plus versant cajun et rural que jazz et urbain. Les rythmes du zydeco et les paroles en français louisianais entrent néanmoins en résonnance avec les tambours caraïbes et le kreyol ayisyen, puisque Leyla McCalla explore par la même occasion l'héritage musical de l'île dont ses parents sont originaires. Pour ce concert, le trio est ainsi renforcé pendant une partie du set par deux percussionnistes haïtiens de Paris, Claude Saturne et Kebyesou. Je préfère d'ailleurs quand la musique tire vers le côté haïtien, sans doute en raison d'un goût forgé par quelques décénies de fréquentation assidue des musiques de l'Amérique noire. C'est un vrai plaisir, par exemple, de pouvoir entendre sa version de la célèbre chanson traditionnelle "<i>Mèsi Bondye</i>" tout en retenue instrumentale et intensité vocale. Si la démarche de Leyla McCalla fait écho à celle de Sélène Saint-Aimé, entendue un peu plus tôt dans la semaine, le résultat s'en distingue par la part du patrimoine louisianais qu'elle choisit de mettre à l'honneur - violon et accordéon sonnent il est vrai bien différemment des cuivres rompus aux marching bands. Mais, quand pour le rappel, ils entamment un blues, on prend conscience des racines communes à toutes ces musiques, blanches ou noires, rurales ou urbaines, cadiennes ou créoles : africaines et européennes. Américaines. <p></p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhsrR4V788HRd56-Vgmh55MO2L3ThCXx1zwlVjO_TbmoZXwvVLXRrEqYRY-zcqaJkCmiDDeNR-TLTVppJJyj3XVznidqxxKeyih5RgzmN-ftzFMMUYriUPNUAe0qBnmOprRWH-J2jcQVc4r6CBapY5vPfEWAfRQ3OIs7hS-AdR1tNEhTD_o289qq1vmotap/s2048/E5D54929-68A0-4E47-BFA5-7598FF070CD0.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhsrR4V788HRd56-Vgmh55MO2L3ThCXx1zwlVjO_TbmoZXwvVLXRrEqYRY-zcqaJkCmiDDeNR-TLTVppJJyj3XVznidqxxKeyih5RgzmN-ftzFMMUYriUPNUAe0qBnmOprRWH-J2jcQVc4r6CBapY5vPfEWAfRQ3OIs7hS-AdR1tNEhTD_o289qq1vmotap/s320/E5D54929-68A0-4E47-BFA5-7598FF070CD0.jpeg" width="320" /></a></div><br />Rhiannon Giddens part d'un terreau commun, celui des folk songs du <i>Deep South</i> américain. Elle s'est ainsi d'abord fait connaître avec le groupe Carolina Chocolate Drops (auquel Leyla McCalla a également participé) qui revisitait la part noire de cet héritage populaire. Depuis qu'elle a entamé une carrière sous son seul nom, il y a une dizaine d'années, elle maintient bien vivant cette tradition, mais ne se contente plus des racines et s'intéresse aussi aux multiples feuilles engendrées par le grand arbre de la musique populaire américaine. On navigue ainsi, selon les morceaux, entre des formes diverses, parfois au plus proche de la tradition, à d'autres moments plus ouvertes sur une rythmique pop plus actuelle, voire vers des sonorités venues d'ailleurs comme en témoigne la reprise d'un forro d'Hermeto Pascoal. La voix de Rhiannon Giddens, puissante et soulful, se promène à travers ces diverses ambiances et sert des textes souvent engagés, à propos de l'esclavage, des luttes sociales, des rapports hommes-femmes. Elle est accompagnée par un groupe de multi-instrumentistes qui permet une adaptation continue aux ambiances changeantes du répertoire : Francesco Turrisi, accordéon et claviers, Niwel Tsumbu, guitare, Dirk Powell, banjo, guitare et claviers, Jason Sypher, contrebasse et basse électrique, Attis Clopton, batterie et tambour, et la chanteuse elle-même au banjo, à la guitare ou au fiddle. Mais c'est quand elle retrouve sa consoeur de la première partie que l'émotion est la plus évidente. Comme sur ce duo juste soutenu par un banjo qui laisse la pureté des voix nous emporter avec elles.<p></p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-88797139775786395442024-02-10T17:47:00.003+01:002024-02-11T23:22:53.942+01:00Benoît Delbecq 4 / Ambrose Akinmusire - Owl Song @ Théâtre de la Cité Internationale, mercredi 7 février 2024<p>S'il est une figure incontournable de la jazzosphère française depuis plus de trente ans, Benoît Delbecq a aussi régulièrement dépassé les frontières de l'hexagone pour des échanges transatlantiques fructueux. Il y a bien sûr sa relation au long cours avec le clarinettiste canadien <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2011/01/benoit-delbecq-francois-houle-tim-berne.html" target="_blank">François Houle</a>, ou plus récemment le groupe <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2017/11/music-unlimited-31-3e-jour-wels.html" target="_blank">Illegal Crowns</a> avec Bynum, Halvorson & Fujiwara, en passant par la confrontation avec ses pairs pianistes, Andy Milne ou Fred Hersch (est c'est un recensement loin d'être exhaustif). En 2010, il a formé un trio avec le contrebassiste John Hébert et le batteur Gerald Cleaver, avec à la clé deux superbes disques produits par Clean Feed, sous le leadership du contrebassiste (<i>Spiritual Lover</i>, 2010, et <i>Floodstage</i>, 2013). En 2018, toujours sur le label lisboète, le trio est devenu quartet, avec l'adjonction du saxophoniste Mark Turner, et le leadership du pianiste cette fois-ci (<i>Spots On Stripes</i>). Le groupe a remis ça en 2021, sur Jazzdor Series (label lié au festival strasbourgeois du même nom), avec <i>Gentle Ghosts</i>. Mark Turner avait par ailleurs déjà collaboré avec Delbecq par le passé, au moment de son album <i>Phonetics</i> (Songlines, 2004), et j'avais d'ailleurs déjà eu l'occasion de les voir partager la scène au Sunside <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2006/03/benoit-delbecq-unit-sunside-vendredi-24.html" target="_blank">en 2006</a>. Leur présence sur la scène du Théâtre de la Cité Internationale est donc l'aboutissement d'un long compagnonage, et cela s'entend. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhAO93rWSc_zwCYskuhyphenhyphenoZU1pkRoLXAJbptqvUPtR3gx7NGzUN32k9frEvK0EOg80WpzLSwaYmqAlPbUeJBXe0OfqJzFNEa-ZMHjV-WoGMZ6YF20Ul70LR3i5Y8fuS1udNNvG40mJchsRvk3dp5d_bGf6KhsUCv5KSu3s9fneDEMpYKgWqTgAjuFfIR0vXd/s2048/4A0E6982-1503-4967-ACCF-0E580EED3F0E.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhAO93rWSc_zwCYskuhyphenhyphenoZU1pkRoLXAJbptqvUPtR3gx7NGzUN32k9frEvK0EOg80WpzLSwaYmqAlPbUeJBXe0OfqJzFNEa-ZMHjV-WoGMZ6YF20Ul70LR3i5Y8fuS1udNNvG40mJchsRvk3dp5d_bGf6KhsUCv5KSu3s9fneDEMpYKgWqTgAjuFfIR0vXd/s320/4A0E6982-1503-4967-ACCF-0E580EED3F0E.jpeg" width="320" /></a></div><br />Bien entendu, les compositions frappent immédiatement l'oreille par leur caractère typiquement "delbecquien" (tourneries rythmiques obsessionnelles, rebondissements plein de surprises, piano préparé cotonneux, liberté du jeu dans un cadre pourtant bien défini...), mais ce qui est encore plus essentiel, c'est la complémentarité des sonorités, leur assemblage / déphasage constant. Delbecq et Turner qui tiennent ensemble la mélodie quand la rythmique prend des chemins de traverses, Delbecq et Cleaver qui maintiennent des boucles régulières pendant que Turner déploie un solo feutré au ténor, Herbert et Cleaver qui assoient le rythme pendant que Delbecq s'amuse des monts et vallées permis par la préparation du piano, etc. J'aime profondément l'individualité de ces quatre musiciens pris séparément, mais impossible mercredi de ne pas les entendre comme un "tout" - leur musique a une progression définitivement organique. Les compositions semblent "vivre". Elles cherchent leur chemin, parfois tortueux, qui peut nécessiter de revenir sur ses pas à l'occasion, parfois plus linéaires, propulsées par le désir de s'étendre au-delà du cadre préétabli. C'est encore plus envoutant en live, par leur présence aux uns aux autres, à leur instrument, dans une salle de parfaite dimension (ni trop petite ni trop grande, en forme d'ellipse enveloppante). Un très grand moment de musique.<p></p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiWBoi1TtmotbW2t3x2iwFM-OXxKFtJlEmQNM80txScMX_yKn4J8o4A2cSM-A9VZ37VegKQgzNxjFBZJsLXYMYs4GCfevYkW3q3SiUeK48bzv-m4Ofpy_Gm5Hm3_B-uJ-ip9fYwv_rSZetxM6gefu8iQpgwbWXWe2JTi94a40-mqdtETMS0y48PbzzD4cyx/s4032/8C198125-5D2A-46A7-99A5-850C9B84274D.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="3024" data-original-width="4032" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiWBoi1TtmotbW2t3x2iwFM-OXxKFtJlEmQNM80txScMX_yKn4J8o4A2cSM-A9VZ37VegKQgzNxjFBZJsLXYMYs4GCfevYkW3q3SiUeK48bzv-m4Ofpy_Gm5Hm3_B-uJ-ip9fYwv_rSZetxM6gefu8iQpgwbWXWe2JTi94a40-mqdtETMS0y48PbzzD4cyx/s320/8C198125-5D2A-46A7-99A5-850C9B84274D.jpeg" width="320" /></a></div><br />Les précédents concerts d'Ambrose Akinmusire auxquels j'avais pu assister le voyaient intervenir au sein d'un ensemble instrumental assez fourni, <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2015/02/ambrose-akinmusire-quintet-charles.html">en septet</a>, déjà dans le cadre de Sons d'hiver, en 2015, ou à huit avec son projet <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2019/08/ambrose-akinmusire-origami-harvest.html" target="_blank">Origami Harvest</a> à Lisbonne en 2019. Cette fois-ci il se présentait dans le cadre plus dépouillé d'un trio. Et le dépouillement est ce qui frappe d'entrée quand Gregory Hutchinson commence de la plus douce des manières en caressant sa batterie avec ses balais. Quand le leader à la trompette et Jakob Bro à la guitare le rejoignent, c'est pour déployer de délicats paysages evanescents. Le guitariste danois étire le temps, il crée comme un halo mélancolique sur lequel Akinmusire s'appuie pour dérouler quelques mélodies toutes en nuances. Entrée en douceur, qui définit en fait le cadre général du set proposé. On restera la plupart du temps sur des registres tout au plus mediums, au risque parfois de ne pas profiter pleinement des jeux de contrastes qui faisaient toute la richesse de la première partie. Les deux passages que je préfère sont ceux qui sortent justement un peu de ce cadre trop léché : un solo absolu d'Akinmusire, riche d'une approche protéiforme, qui fait justement entendre sa capacité à faire survenir l'inatendu, puis un duo entre le trompettiste et le batteur, au rythme plus enlevé, qui sort quelque peu la musique de sa torpeur. Ce sont donc les moments où le guitariste n'intervient pas qui m'accrochent le plus l'oreille, et j'ai effectivement eu un peu de mal, tout au long du concert, à trouver une réelle interaction entre lui et les deux autres. Il faut dire que sur le disque du groupe (<i>Owl Song</i>, Nonesuch, 2023) et sur le début de leur tournée européenne, c'était Bill Frisell qui intervenait sur les six cordes. Peut-être tour simplement que ce manque d'interaction était lié à l'arrivée trop récente de Jakob Bro dans le groupe. Ceci-dit, l'accueil du public m'a semblé très enthousiaste, notamment si on considère qu'il s'agit d'une musique quand même relativement exigeante. <p></p><p><br /></p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-34417933863510474832024-02-09T23:38:00.002+01:002024-02-10T03:51:50.295+01:00Sélène Saint-Aimé - New Orleans Creole Songs / William Parker - Raining On The Moon @ Théâtre Antoine Watteau, Nogent-sur-Marne, mardi 6 février 2024<p>Le festival Sons d'hiver mettait à l'honneur deux contrebassistes mardi dernier. D'abord la jeune Sélène Saint-Aimé qui se présentait à la tête d'un sextet américain, et plus précisément néo-orléanais, faisant suite à une résidence réalisée sur place dans le cadre du programme de la Villa Albertine - cet équivalent de la Villa Médicis romaine mise en place par les ministères des Affaires Etrangères et de la Culture en 2021 (avec la particularité de n'être pas un lieu à proprement dit mais d'être localisée dans dix métropoles américaines). Dans le cadre de cette résidence, la contrebassiste d'origine martiniquaise a particulièrement cherché les connexions "créoles" entre les Antilles françaises et la Louisiane, et en présentait donc le résultat - qu'elle considère comme encore "work in progress" - sur la scène du théâtre de Nogent-sur-Marne. Pendant tout le concert, Sélène Saint-Aimé prend la peine d'expliquer sa démarche, raconte de nombreuses annecdotes sur son séjour sur place, évoque son étonnement face à la signification différente du mot "créole" en Louisiane, ou lit un extrait du <i>Grand camouflage</i>, un ouvrage de Suzanne Césaire en date de 1945. Elle reconnaît elle-même "qu'elle parle beaucoup ce soir". Et si, en temps normal, on pourrait penser que de tels passages entre les morceaux coupent un peu l'élan du concert, son propos est si intéressant qu'il renforce au contraire le sens de la musique proposée. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj9iJDNu1qTDvTP8SvrcDSWJ4EnXBaJhY44sxuzZof3zY8CanaNMlSY_h6QDXy2BuyITX5v_X9WmVMuHiroRTWZg2Ej3cvE3l_4kdXErs9HDeouNgUaVZNjgJjQZSJA4gNtS1vnZyq1Od7zeybg9oOKm_iPNMJDNEdPHRGKi22H5McnK1TfQ2iNy0W12pE0/s1440/696E96BD-9DE8-42ED-82E6-D08C8DEBB1C5.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1081" data-original-width="1440" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj9iJDNu1qTDvTP8SvrcDSWJ4EnXBaJhY44sxuzZof3zY8CanaNMlSY_h6QDXy2BuyITX5v_X9WmVMuHiroRTWZg2Ej3cvE3l_4kdXErs9HDeouNgUaVZNjgJjQZSJA4gNtS1vnZyq1Od7zeybg9oOKm_iPNMJDNEdPHRGKi22H5McnK1TfQ2iNy0W12pE0/s320/696E96BD-9DE8-42ED-82E6-D08C8DEBB1C5.jpeg" width="320" /></a></div><br />Le concert à proprement parlé commence par un dialogue entre les deux cuivres de l'orchestre - Steve Lands à la trompette et Miles Lyons au trombone (qui interviendra aussi au sousaphone). Sélène Saint-Aimé les rejoint ensuite, contrebasse et vocalises, avant que l'ensemble du groupe ne se mette en mouvement : Gladney au sax ténor, Shea Pierre au piano et Alfred Jordan à la batterie. Il y a là de vieux chants créoles servis par des cuivres particulièrement néo-orléanais entre échos de Louis Armstrong et solennité des marching bands locaux, mais aussi les propres compositions de la contrebassiste, comme cet <i>Arawak Uhuru</i> du nom du peuple indigène de la Martinique, ou une reprise d'un morceau du batteur Doug Hammond, influence majeure des conceptions rythmiques de Steve Coleman, avec qui Sélène a étudié. Bref, on est très loin d'une approche <i>revivaliste</i>, mais bien face à une proposition originale, personelle et sensible. Sélène s'accompagne souvent au chant - vocalises ou paroles en créole - donnant ainsi une dimension assez "aérienne" à sa musique, ce qui crée comme un contre-point à la rythmique funky typique de la Crescent City. Et c'est cette originalité qui emporte mon adhésion, comme un reflet musical du syncrétisme caraïbe.<p></p><p>En deuxième partie, on retrouvait un autre groupe mené par un contrebassiste, fidèle d'entre les fidèles du festival. William Parker rappelait ainsi que la première fois qu'il avait joué ce répertoire à Sons d'hiver, c'était il y a vingt-deux ans, au moment de la sortie du premier disque du groupe. Et, depuis cette date, je crois bien qu'il est de la programmation - comme leader ou sideman - quasiment chaque année. Je l'y ai pour ma part vu en 2004, 2006, 2010, 2013 et 2014. Pour cette année, il venait avec l'un des groupes que je préfère dans sa très vaste discographie : <i>Raining On The Moon</i>, du nom du premier disque paru en 2002 sur Thirsty Ear, donc. A l'origine il s'agissait en fait du quartet pianoless et ornettien (sax alto, trompette, basse, batterie) de Parker auquel s'était joint la chanteuse Leena Conquest. Pour les disques suivants, le groupe s'était élargi avec l'arrivée de la pianiste Eri Yamamoto. Et pour ce concert, Steve Swell au trombone a pris la place de Lewis Barnes à la trompette. Pour le reste, William Parker s'entoure des mêmes fidèles depuis le début, à savoir Rob Brown au sax alto et l'incontournable Hamid Drake à la batterie. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhTH3OlhHEuMiOtGhrHiUV7GjrofedO55FQnsg5wvjwJjctA_jWLNtLCupOcn4CsDCJoxuoRHWWraaBO-D-m0UaUBFFRX2D68rYdc2HwYNemQ_iFCvlTuMFLVjM674Ak5TTWqjLitTzRoi0SnRnSIjHhx1DjDv1a8UdXWvj54RyJdnN_NNu7_dCP7Zo8AeK/s1440/0C65859B-7946-4A25-8B74-89B045B89870.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1081" data-original-width="1440" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhTH3OlhHEuMiOtGhrHiUV7GjrofedO55FQnsg5wvjwJjctA_jWLNtLCupOcn4CsDCJoxuoRHWWraaBO-D-m0UaUBFFRX2D68rYdc2HwYNemQ_iFCvlTuMFLVjM674Ak5TTWqjLitTzRoi0SnRnSIjHhx1DjDv1a8UdXWvj54RyJdnN_NNu7_dCP7Zo8AeK/s320/0C65859B-7946-4A25-8B74-89B045B89870.jpeg" width="320" /></a></div><br />La musique s'inscrit dans la filiation de ces groupes qui relient les musiques-racines de l'expression africaine-américaine (blues, spirituals, swing, soul) au jazz libre et aux revendications civiques. On pense au <i>We Insist! Freedom Now Suite </i>de Max Roach, aux <i>Stances à Sophie</i> de l'Art Ensemble of Chicago, ou au <i>Cry Of My People</i> d'Archie Shepp. Le chant de Leena Conquest fait ainsi écho à Abbey Lincoln ou Fontella Bass dans ses intonations. Eri Yamamoto est très convaincante dans ses inflexions harmoniques pleine d'une mémoire d'un siècle de musiques. Et, bien entendu, la paire rythmique Parker-Drake est égale à elle-même, tellement évidente dans sa capacité à tenir le drive tout en l'agrémentant d'effets ébouriffants. Le répertoire du concert plonge dans les différents disques que le groupe a publié, avec notamment les excellemment engagés <i>Raining On The Moon</i> et <i>James Baldwin To The Rescue</i> issus du premier album et <i>Soledad</i> et <i>Corn Meal Dance</i> du second (<i>Corn Meal Dance</i>, justement, paru sur AUM Fidelity en 2007). C'est une musique qui dégage de l'optimisme, plein d'une foi humaniste dans un avenir meilleur malgré l'état du monde. Bref, quelque chose de particulièrement indispensable par les temps qui courent. <p></p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-15298723877644253192024-02-04T16:15:00.004+01:002024-02-05T00:02:24.162+01:00Discobole Orchestra invite Christine Salem @ Studio de l'Ermitage, vendredi 2 février 2024<p>Deux semaines après ses <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2024/01/theo-girard-pensees-rotatives-days-of.html" target="_blank">Pensées Rotatives</a>, Théo Girard remettait en quelque sorte ça, pour une nouvelle expérience d'orchestre à 360°. Le principe est en effet le même avec ce Discobole Orchestra : une couronne de soufflants qui encercle le public et le groupe-coeur au centre de la salle. Quelques variations tout de même. Au centre de l'attention, cette fois-ci, un quartet voix-guitare-basse-batterie. Si on retrouve Ianik Tallet à la batterie et Théo Girard, donc, à la contrebasse, le coeur de l'orchestre est complété par Stéphane Hoareau à la guitare et par la chanteuse de maloya Christine Salem. Et ce sont ainsi les rythmes réunionais qui sont mis à l'honneur. </p><p>Le nom de l'orchestre fait directement référence à la Compagnie du Discobole, cofondée et cogérée par Théo et Stéphane, qui abrite notamment le label Discobole Records qui documente les groupes menés par l'un et l'autre (ou les deux à la fois) ainsi que ceux de quelques amis. J'ai déjà rappelé dans ma chronique des Pensées Rotatives que j'avais découvert Théo dans le Bruit du [sign] en 2006. Pour ce qui concerne Stéphane, c'était à peu près à la même époque, dans le trio <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2006/06/nhog-attracteurs-etranges-theatre-de.html" target="_blank">NHOG</a> aux côtés, tiens donc, de Théo, pour un concert organisé par l'association Sophie Aime qui émanait... du Bruit du [sign]. Depuis, les deux complices ont, notamment, monté des groupes explorant le maloya sous différents angles, de G!rafe mettant à l'honneur les textes d'Alain Peters (traduits et récités en français) à Trans Kabar qui instille une bonne dose de rock dans les rythmes réunionais. Vendredi, ce sont en fait les 3/4 de ce dernier groupe qui se retrouvaient au centre du Studio de l'Ermitage, avec Christine Salem "remplaçant" en quelque sorte Jean-Didier Hoareau au chant et au kayamb. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgfF_6ACW3lVmt1i-1nzXtnUNkn7a2MySBiaIcKnPlC4NKR1i2U1ehg98EIX_u-sH0e_mmkBzjXYMuXC54u2hvmngdNqj1U_TbNrQDqYHDLTtOnIsV-VZWlWuKLW0zPA4IwmC3RwsPQrDHvweI3K6Sb9jt6D4CkEFOBasV0mdKLw6XHq1aVoEV8DxFIMV9-/s2048/CB3E06DE-EAA7-470D-9136-219A01A84C50.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgfF_6ACW3lVmt1i-1nzXtnUNkn7a2MySBiaIcKnPlC4NKR1i2U1ehg98EIX_u-sH0e_mmkBzjXYMuXC54u2hvmngdNqj1U_TbNrQDqYHDLTtOnIsV-VZWlWuKLW0zPA4IwmC3RwsPQrDHvweI3K6Sb9jt6D4CkEFOBasV0mdKLw6XHq1aVoEV8DxFIMV9-/s320/CB3E06DE-EAA7-470D-9136-219A01A84C50.jpeg" width="320" /></a></div><br />Si on retrouve certains des musiciens des Pensées Rotatives dans la couronne de soufflants, il y a là aussi quelques variations par rapport au précédent concert. Tout d'abord dans l'instrumentation, puisque les saxophones ténor ont laissé la place à des trombones aux côtés des trompettes et des saxophones alto. On notera aussi au passage la belle parité de l'orchestre : 8 musiciens et 8 musiciennes. La disposition est par ailleurs un peu différente : là où ils étaient disposés à équidistance les uns des autres telles les heures d'une horloge il y a deux semaines, ils sont désormais regroupés par trois (un trombone, une trompette, un sax alto) et sont disposés aux quatre points cardinaux. Enfin, le public se tient debout et circule donc entre le quartet central et les soufflants. Il faut dire que la frénésie des rythmes du maloya est propice au dodelinement de têtes et donne envie de se dégourdir les jambes. Impossible d'écouter une telle musique en restant sagement assis. <p></p><p>Le concert commence sur les chapeaux de roue. La voix grave si singulière de Christine Salem produit une transe entrainante quand elle répète en boucle le même mot, souligné par les unissons puissants des cuivres et des anches. Le rythme du concert est le plus souvent enlevé, frénétique, hypnotique, plein de denses polyrythmies. Les quelques morceaux plus calmes s'invitent comme d'utiles respirations pour repartir de plus belle sur les rythmes endiablés qui suivent. Particulièrement généreux - deux heures non stop - les musiciens prennent un plaisir visible à entraîner le public dans leur transe festive. Le répertoire allie des morceaux de Christine Salem (pour ceux que je peux identifier, tel cet hommage à <i>Mandela</i>) et des compositions de Stéphane Hoareau, sur des arrangements de Théo Girard pour le grand format de l'orchestre. Les soufflants se voient offrir quelque solos chacun leur tour. L'occasion de sortir un peu de l'ombre tour à tour Judith Wekstein, Morgane Pommier, Gabrielle Rachel et Thibault du Cheyron aux trombones, Hector Léna-Schroll, Achille Alvarado, Jérôme Fouquet et Antoine Berjeaut aux trompettes, Juliette Marcais, Cléa Torales, Florence Kraus et Léa Ciechelski aux saxes alto.</p><p>Mais, comme avec les Pensées Rotatives, ce qui, indéniablement, distingue cet excellent concert d'un autre bon concert, c'est la sensation de circuler au coeur de l'orchestre, d'entendre la musique nous parvenir à 360°, de soudain entendre un trombone nous surprendre dans l'oreille droite, avant que le sax ne lui réponde à gauche. Peut-être encore plus nécessaire pour une musique d'une telle densité rythmique. Pris au coeur du rituel d'une ancestrale confrérie du souffle, ouverte et accueillante, on s'abandonne facilement à la musique et à la joie qu'elle diffuse. Un grand merci (et bravo) à Théo Girard pour cette double proposition parisienne à quelques jours d'intervalle. Et pour prolonger cela, un disque du Discobole Orchestra devrait sortir prochainement. A ne pas manquer !</p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-56221089334886998032024-01-25T21:55:00.002+01:002024-01-25T22:21:04.719+01:00Marc Ribot New Trio feat. James Brandon Lewis / Ceramic Dog @ Centre des Bords de Marne, Le Perreux-sur-Marne, mercredi 24 janvier 2024<p>Il y a quelques mois, on célèbrait les 70 ans de John Zorn à la Philharmonie. Hier soir, le festival <i>Sons d'hiver</i> prenait un peu d'avance pour célébrer le même passage des ans de l'un des plus fidèles compagnons du saxophoniste new-yorkais, Marc Ribot (il ne les aura en fait que le 21 mai prochain). Le guitariste touche-à-tout se voyait confier une soirée en deux parties pour présenter deux propositions fort différentes (après avoir joué en solo la veille - je n'y étais pas) : tout d'abord son New Trio pour une relecture en accélérée de l'histoire du jazz, puis son power trio <i>Ceramic Dog</i> pour un set particulièrement rock (et bien au-delà). </p><p>Comme il le fait remarquer en arrivant sur scène, pour son New Trio ils sont quatre ! En effet, à Hilliard Greene (cb) et Chad Taylor (dms), il faut ajouter James Brandon Lewis au sax ténor. La genèse de ce groupe pourrait bien être à chercher dans un précédent groupe de Ribot, monté il y a une vingtaine d'années pour honorer la musique d'Albert Ayler : <i>Spiritual Unity</i>. Dans ce groupe, que j'avais eu l'occasion de voir deux fois sur scène, <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2005/04/charles-gayle-marc-ribots-spiritual.html" target="_blank">en 2005</a> et <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2008/02/laurent-bardainne-spiritual-unity-cite.html" target="_blank">en 2008</a>, Ribot s'était déjà adjoint les services de Chad Taylor à la batterie mais aussi de deux figures de la scène free, le contrebassiste Henry Grimes et le trompettiste Roy Campbell. A la mort de ce dernier, le groupe était devenu le "Marc Ribot Trio" (un live au Village Vanguard a été publié par Pi Recordings en 2014). Avec la mort d'Henry Grimes en 2020, Ribot a donc dû trouver un nouveau contrebassiste - et c'est ainsi que le Trio est devenu New Trio avec l'arrivée d'Hilliard Greene. L'adjonction du saxophoniste est elle toute récente puisque, d'après l'annonce en ouverture de concert, ce n'était que leur deuxième fois ensemble après une récente première à New York il y a quelques jours. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgWDEo78Q_9CDLWG0wJGo4ke8Or5RfzeJ7izt3Hq2aIXYrOhj85vgQQALpVIt6MTzGXmyrZHRNhD6MjvuAUPJLpmttPEwT19bYKLKSPvQJxd5lLczw3nc-3MHr6FWU-7JyiGHkKRjEK8iUVdup8JpjMtuSn0o8_ZSFlNUAtik58sKgAWA3hi-0dze_x1vFd/s2048/D938FB08-4B17-4D38-B64A-DEEC1E7906AB.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgWDEo78Q_9CDLWG0wJGo4ke8Or5RfzeJ7izt3Hq2aIXYrOhj85vgQQALpVIt6MTzGXmyrZHRNhD6MjvuAUPJLpmttPEwT19bYKLKSPvQJxd5lLczw3nc-3MHr6FWU-7JyiGHkKRjEK8iUVdup8JpjMtuSn0o8_ZSFlNUAtik58sKgAWA3hi-0dze_x1vFd/s320/D938FB08-4B17-4D38-B64A-DEEC1E7906AB.jpeg" width="320" /></a></div><br />A eux quatre, ils couvrent un très large spectre de musiques, qui se reflète dans le set enlevé qu'ils nous ont joué : une sorte de relecture des musiques-racines du jazz et des environs, du blues, de la soul, du rythmn'n'blues. James Brandon Lewis apporte un son rond, puissant et chaleureux, abreuvé par une connaissance aigue de l'histoire du saxophone jazz qui prend tour à tour des aspects respecteux de la tradition ou au contraire furieusement ouverts sur la diversité de ses expressions contemporaines. Ribot intervient en contrepoint, perturbant juste ce qu'il faut la ligne mélodique par des distortions dont il a le secret, sans jamais n'oublier de se mettre au service de cette musique hommage. La paire rythmique brille sans effet démonstratif. Hilliard Greene teinte de quelques <i>blue notes</i> ses interventions à l'archet quand Chad Taylor nous démontre une fois de plus qu'il est l'un des batteurs les plus enthousiasmants de la scène jazz actuelle. Et comme il est également un membre éminent du propre quartet de James Brandon Lewis, il est un peu la pierre angulaire sur laquelle le groupe repose, celui qui apporte du liant, par sa science rythmique, entre toutes les parties, qui ont ainsi l'occasion de prendre quelques chemins de traverse bienvenus. <p></p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjfy_8nQGcv19cHYtQD7OPZ3o7EQdkde713ltsyVGGB1vVJNCOvFRuoMcHAYJujJkEeQ9PL6eyJOExC0eCBBrzh3FDbVpxDulRaVvMfuJb3epHRg4gou1KxaulwpU74Q4JmOKeojtgqGS2ERQIHKQU8PotdHSPwPRMzrBQsJ63bIOUo99o7gUPCJfhyXp6H/s2048/0ED91E08-B99A-400D-B098-CA161AA58E69.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjfy_8nQGcv19cHYtQD7OPZ3o7EQdkde713ltsyVGGB1vVJNCOvFRuoMcHAYJujJkEeQ9PL6eyJOExC0eCBBrzh3FDbVpxDulRaVvMfuJb3epHRg4gou1KxaulwpU74Q4JmOKeojtgqGS2ERQIHKQU8PotdHSPwPRMzrBQsJ63bIOUo99o7gUPCJfhyXp6H/s320/0ED91E08-B99A-400D-B098-CA161AA58E69.jpeg" width="320" /></a></div><br />Après une courte pause, Ribot revient avec deux fidèles, pour un groupe qu'il maintient depuis maintenant pas mal de temps, <i>Ceramic Dog</i>, soit Shahzad Ismaily (b, moog) et Ches Smith (dms). La <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2007/03/marc-ribots-ceramic-dog-la-dynamo-mardi.html" target="_blank">première fois</a> que je les avais vus sur scène, c'était ainsi en 2007, dans le cadre de Banlieues Bleues. Depuis, je les ai revus en 2016 (déjà dans le cadre de Sons d'hiver) et en 2018 (au Palac Akropolis de Prague). La bonne surprise, cette fois-ci, est qu'à des nouveaux morceaux issus de leur récent <i>Connection</i> (Yellow Bird, 2023) ils ont ajouté quelques morceaux plus anciens, voire datant de leurs débuts comme les grandioses versions de <i>Digital Handshake</i> ou <i>Maple Leaf Rage</i> auxquelles nous avons eu droit. Si l'approche est explicitement rock, tendance punk, elle n'est en rien monolithique et on parcourt des territoires extrêmement variés, avec toujours une distance un peu ironique par rapport aux modèles dont ils s'inspirent. Ainsi de cette cumbia endiablée pour conclure le concert qui donne autant envie de danser qu'un original colombien tout en glissant des distortions ribotiennes, épices new-yorkaises qui en relèvent toute la saveur. L'alternance de morceaux chantés - par Ribot dans un esprit complètement punk, il ne cherche pas à masquer sa faible technique vocale - et de pièces instrumentales propices aux dérapages contrôlés maintient l'attention en alerte tout au long du concert. Les frappes puissantes de Ches Smith - binaires mais explosives - alternent avec des passages plus percussifs et délicats, voire quelques instants à mains nues, quand Shahzad Ismaily troque parfois sa basse pour un synthé Moog pour quelques nappes <i>illbient</i> qui ajoutent du bizarre pour un set certes rock, mais définitivement pas <i>straight</i>. <p></p><p>Une face jazz, une autre rock, mais à condition bien entendu qu'on n'ait pas une définition trop étroite de ces concepts... voilà un portrait parfait de Marc Ribot, guitariste majeur de notre époque, souvent au service des autres, et pas n'importe lesquels (John Lurie, Tom Waits, Caetano Veloso, Alain Bashung, Marisa Monte et beaucoup d'autres), mais aussi véritable leader de groupes passionnants. De quoi célébrer avec bonheur le passage prochain du cap des 70, à la manière de ce qu'on avait pu faire avec Zorn, donc, en novembre à la Philharmonie... et comme on reste en famille, je me suis encore une fois retrouvé assis à proximité de... Mathieu Amalric !</p><p><br /></p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-88045065953100650212024-01-21T17:51:00.009+01:002024-01-21T20:24:16.235+01:00Théo Girard - Pensées Rotatives / Three Days Of Forest @ Théâtre Silvia Monfort, samedi 20 janvier 2024<p>Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas vu Théo Girard sur scène. Sans doute depuis le quatrième et dernier concert du Bruit du [sign] auquel j'ai assisté, en 2011 (le premier, dès 2006). Mais, comme pour les autres membres de ce groupe devenu un peu culte tellement il aura marqué son époque (dans le domaine relativement confidentiel des musiques auxquelles je prête une oreille attentive), j'ai continué à suivre la carrière de Théo de loin en loin, surtout sur support discographique. Après l'aventure du Bruit du [sign], conclue par l'apothéose de l'excelentissime <i>Yebunna Seneserhat</i> (Cobalt, 2011), recontre la plus aboutie - car la plus originale, ne cherchant pas reproduire l'originel - entre les transes éthiopiennes et les préoccupations des musiques chercheuses occidentales, Théo a notamment mis sur pied son propre trio. Ce dernier est composé, outre de Théo à la contrebasse, d'Antoine Berjeaux à la trompette et du batteur anglais Seb Rochford. Il a sorti un premier disque, <i>30 Years From</i>, en 2017, sur le label co-géré par Théo, Discobole Records. Un second, <i>Bulle</i>, a suivi deux ans plus tard avec le passage du trio au quartet par l'ajout du sax alto de Basile Naudet. Puis 2021 a donné naissance aux <i>Pensées Rotatives</i>, soit le trio complété d'une couronne de soufflants (4 trompettes, 4 sax alto et 4 sax ténor). Le disque reprend des morceaux des deux précédents mais complètement revisités par le <i>grand format</i> de l'orchestre assemblé. C'est peu de dire que le disque est excellent. Mais le vivre en concert ajoute une dimension immersive incomparable, pour une expérience assez unique.</p><p>Car, avant d'être un disque, <i>Pensées Rotatives</i> est un concept que la disposition de la salle du Théâtre Silvia Monfort a pu parfaitement restituer. Au centre, les trois membres du trio - avec hier soir Iannik Tallet à la batterie - forment le coeur du dispositif. Ils jouent en étant tournés vers l'intérieur du triangle qu'ils forment, se regardant les uns les autres. Autour d'eux, deux couronnes de spectateurs, les premiers assis par terre sur des coussins, les seconds sur des chaises formant un large cercle, les enveloppent. Les spectateurs sont eux mêmes encerclés par les douze soufflants, avec une alternance trompette, sax ténor, sax alto qui se répète donc quatre fois, chacun étant disposé à une heure précise de l'horloge imaginaire qu'ils forment. Pour le spectateur le son provient donc à la fois d'immédiatement devant lui (le trio) mais aussi d'immédiatement derrière lui (pour ma part, une trompette dans l'oreille droite et un sax ténor dans la gauche), et d'un peu plus loin pour les bouts de la couronne situés de l'autre côté de l'horloge. Du concept à l'expérience sensorielle, il y a un pas que les mots ne peuvent que difficilement restranscrire, mais c'est vraiment incroyable de se retrouver projeter comme ça au coeur de l'orchestre - et change complètement la perception du concert.</p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhaX1o-stFBKt4tr6rfVEsUrHk__OXdWJFqN6OAVe3khECw6-fq77hIIFDmIR6k5iUdbkRMFzyUWgctREPYo6k3hFHBaBtPJHq8ICYPZjbsR9WuN-kPur51GPYT9EVYMC3GB9WjaoYFyUKxgh_xsxTv2gHcPRvU7YE7WxDcqTKZ6IZjduNi9VY04QvOOAb7/s2048/4DC1D7E8-3A1A-46D1-9975-5E87DDCBE521.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhaX1o-stFBKt4tr6rfVEsUrHk__OXdWJFqN6OAVe3khECw6-fq77hIIFDmIR6k5iUdbkRMFzyUWgctREPYo6k3hFHBaBtPJHq8ICYPZjbsR9WuN-kPur51GPYT9EVYMC3GB9WjaoYFyUKxgh_xsxTv2gHcPRvU7YE7WxDcqTKZ6IZjduNi9VY04QvOOAb7/s320/4DC1D7E8-3A1A-46D1-9975-5E87DDCBE521.jpeg" width="320" /></a></div><br />La disposition des soufflants n'est par ailleurs pas complètement figée. Pour des solos, tel ou tel vient rejoindre au centre de la scène le trio pour quelques instants. Et, même quand ils restent derrière les spectateurs, ils se déplacent parfois d'une heure à l'autre pour donner à entendre le mouvement de ces <i>Pensées Rotatives</i>. <p></p><p>L'écriture de Théo Girard, à l'evidence mélodique très imagée, est parfaitement servie par ce grand orchestre original. Les soufflants donnent là de l'ampleur à la ligne mélodique, servent ici de contrechant ou accentuent ailleurs la richesse polyrythmique de l'ensemble. On retrouve des morceaux (<i>La traversée du pont par le chameau</i>, <i>Tom & Jerry</i>, <i>Waiting for Ethiopia on a Bosphorus Bridge</i>...), tous plus entrainants les uns que les autres, qu'on a déjà pu apprécier sur disque, mais qui se retrouvent transfigurés par la spatialisation de la musique. L'équipe assemblée par Théo mêle complices de longue date - on retrouve ainsi Nicolas Stephan (ts) et Julien Rousseau (tp) du Bruit du [sign] ou Basile Naudet (as) du quartet évoqué plus haut - et rencontres plus récentes. Aux trompettes, on trouve ainsi Hector Léna-Schroll, Nicolas Souchal et Jérôme Fouquet. Aux sax altos, Sol Léna-Schroll, Cléa Torales et Lisa Cat-Berro. Et aux sax ténor, Julien Ponvianne, Théo Nguyen Duc Long et Sigrid Afret. </p><p>Pour conclure, Théo n'oublie pas de remercier Antonin Leymarie (qu'on a pu voir dans TTPKC & Le Marin, le Surnatural Orchestra, le Magnetic Ensemble, ou l'Imperial Quartet entre autres), artiste associé au Monfort et responsable de la programmation du festival Sonore qui se déroulait sur trois jours ce week-end. L'orcherstre joue alors un morceau aux sonorités qui évoquent de loin les fanfares balkaniques, pas si étranger aux territoires que TTPKC ou le Surnat' aimaient aussi parcourir. A moins qu'il ne faille le voir comme un clin d'oeil au propre père de Théo, Bruno Girard qui fut pendant quarante ans le violon de Bratsch, un groupe pour qui les musiques de l'Est du continent n'avaient aucun secret (et on se souvient également avoir vu Théo il y a près de vingt ans au sein de Sibiel, un trio à cordes dont le nom provient directement d'un village roumain... la boucle est bouclée). </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjnYnBxEn4_VUJp5AuRZwM9SXmPk-EDhdPBle1jjpJyCdMKeplbc2tn0P6HE748PZvINokMucJvClX-MrUZ7qil-w1SUihCtGAyrPGezb9LjIFAqf2PPKrWeTTJ6gtP9BGzODvPRj2ITMo6qH325NgipcBgapKlpkZVZgA-FK858hHDWC2aFj57539CKuu9/s1440/7B9CDFE9-8082-42A2-8334-00A9E8216D39.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1086" data-original-width="1440" height="241" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjnYnBxEn4_VUJp5AuRZwM9SXmPk-EDhdPBle1jjpJyCdMKeplbc2tn0P6HE748PZvINokMucJvClX-MrUZ7qil-w1SUihCtGAyrPGezb9LjIFAqf2PPKrWeTTJ6gtP9BGzODvPRj2ITMo6qH325NgipcBgapKlpkZVZgA-FK858hHDWC2aFj57539CKuu9/s320/7B9CDFE9-8082-42A2-8334-00A9E8216D39.jpeg" width="320" /></a></div><br />Difficile d'enchaîner sur autre chose, après un tel concert, alors la programmation fait le pari intelligent de nous proposer quelque chose de totalement différent. On change d'abord de salle, pour se retrouver dans une disposition en gradin plus traditionnelle. Sur scène, quatre jeunes femmes proposent une mise en musique de poètesses anglophones, essentiellement africaines-américaines. Angela Flahaut les déclame ou les chante, en traduit parfois quelques passages, ou les contextualise rapidement avec humour avant chaque morceau. Autour d'elle, on retrouve Séverine Morfin au violon alto, Blanche Lafuente (du trio Nout) à la batterie et Lucci aux synthé et laptop, ainsi qu'aux choeurs. La musique parcourt des climats très changeants d'un morceau à l'autre. Une transe technoïde au rythme particulièrement appuyé succède à une délicate échappée folk ou Séverine Morfin ne joue qu'en pizzicati. La voix d'Angela Flahaut, qui allie puissance et souplesse, habite ces poèmes comme s'il s'agissait tour à tour d'hymnes ou de ballades, de chansons rock ou de comptines. Grâce à cette diversité dans l'interprétation, on ne voit pas le temps passé, et on ressort particulièrement enthousiasmé par cette double proposition d'un soir permise par le festival Sonore du Théâtre Silvia Monfort, un lieu où je mettais les pieds pour la première fois, mais dont il faudra surveiller la programmation à l'avenir. <p></p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-27965163118255143402024-01-20T14:43:00.002+01:002024-01-20T14:56:41.215+01:00Mary Halvorson Sextet @ Théâtre Victor Hugo, Bagneux, vendredi 19 janvier 2024<p>Concert évènement ! Evènement parce que tout passage de Mary Halvorson par la région parisienne en est un en soi. Mais c'était aussi le jour de la sortie de son nouveau disque, <i>Cloudward</i> (Nonesuch), et la première étape d'une tournée européenne pour célébrer cela. Et, d'un point de vue plus personnel, c'était le 25e concert avec Mary (en leader, co-leader ou sidewoman) auquel j'assistais ! Les 24 précédents tenaient tous dans une décénie (2010-2019), mais je n'avais plus eu l'occasion de la voir depuis plus de quatre ans et le <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2019/08/mary-halvorson-code-girl-fundacao.html" target="_blank">concert</a> de <i>Code Girl</i> à Lisbonne. C'est donc sans aucun doute l'une des musiciennes que j'ai le plus vue sur scène, et de manière certaine pour la décénie 2010s. Un nom qui me motive à lui seul, ou presque, à aller assister à des festivals à l'étranger quand elle y est multi-programmée : Saalfelden en 2010 (avec son <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2010/08/jazzfestival-saalfelden-2010-2e-jour-12.html" target="_blank">Trio</a>, avec <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2010/09/jazzfestival-saalfelden-2010-3e-jour-23.html" target="_blank">Ingrid Laubrock's Anti-House</a>, avec le <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2010/09/jazzfestival-saalfelden-2010-4e-jour-22.html" target="_blank">Taylor Ho Bynum Sextet</a>), Wels en 2017 (avec <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2017/11/music-unlimited-31-1er-soir-wels.html" target="_blank">Tomas Fujiwara's Triple Double</a>, en <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2017/11/music-unlimited-31-2e-jour-wels-samedi.html" target="_blank">duo avec John Dieterich</a>, avec <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2017/11/music-unlimited-31-3e-jour-wels.html" target="_blank">Illegal Crowns</a>), Berlin en 2018 (avec Thumbscrew, pour une soirée d'impro avec des musiciens berlinois, avec son Octet - non chroniqués) et à trois reprises Jazz em Agosto (en 2013 avec <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2013/08/anthony-braxton-quartet-fundacao.html" target="_blank">Anthony Braxton</a> et avec son <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2013/08/mary-halvorson-quintet-fundacao.html" target="_blank">Quintet</a>, en 2018 jouant du <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2018/07/mary-halvorson-quartet-masada-fundacao.html" target="_blank">Masada</a> et des <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2018/08/kris-davis-quartet-john-medeski-trio.html">Bagatelles</a> de John Zorn, en 2019 avec <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2019/08/robyn-schulkowsky-joey-baron-tomas.html" target="_blank">Tomas Fujiwara's Triple Double</a> et <i>Code Girl</i> donc). Si je l'ai parfois vue deux fois dans la même formation, ça n'a jamais été trois. Et le concert d'hier soir était la première occasion pour moi de découvrir sur scène son sextet dit <i>Amaryllis</i> du nom de leur premier album commun paru en 2022 chez Nonesuch. 25 fois, donc, mais avec toujours de nouvelles surprises !</p><p>Pour ce groupe, Mary Halvorson a rassemblé quelques fidèles et des nouvelles têtes. Du côté des fidèles, il y a bien entendu Tomas Fujiwara à la batterie, mais aussi les deux cuivres de l'ensemble : Jacob Garchick au tombone, qui avait déjà fait partie de son Septet et de son Octet, et Adam O'Farrill à la trompette, qui était lui de l'aventure <i>Code Girl</i>. Les deux "nouveaux" - même si leur présence ici n'a rien de surprenant tant ils naviguent dans les mêmes eaux musicales - ce sont Patricia Brennan au vibraphone et Nick Dunston à la basse. Et par leurs caractéristiques propres, ils ont une influence déterminante sur le son de l'orchestre. Nick Dunston parce que, avec Fujiwara, il forme une rythmique qui tient un drive déterminant pour faire <i>avancer</i> les morceaux (on a vraiment le sentiment d'une histoire propulsée par la section rythmique à maintes reprises). Ils me semblent d'ailleurs avoir été (volontairement ?) mis en avant dans le mixage de la soirée, n'étant en rien relégués à l'arrière plan comme une rythmique traditionnelle en tout cas. Dunston impulse par ailleurs le plus souvent les changements de direction d'un morceau à l'autre, par des solos puissants, où sa contrebasse vrombit avec enthousiasme. Patricia Brennan, quant à elle, entremêle bien souvent ses interventions avec celles de la leader, à tel point qu'on ne sait parfois plus bien qui de la guitare ou du vibraphone produit ces notes enveloppantes particulièrement moelleuses. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgjP6SP9lLQdVuww8f798wRMobfYiHI0qrWz4ORmfXLCQXJshPU2oBTgnVwSUVuKyL0q_YoDXANX4vVZnKnnEi3GINxFnIUOmDIWQ-emqFiST29s2Y8vA_QKgo53Li9VO-TTgEAwr1xCKvpPdWnJL8GM11mrU45Tm_Qwo7BL8lODZoZgx4lpiVL5EKPsDMo/s3855/A5F79184-6D22-402E-8BEC-A5155190D3B4.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="2891" data-original-width="3855" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgjP6SP9lLQdVuww8f798wRMobfYiHI0qrWz4ORmfXLCQXJshPU2oBTgnVwSUVuKyL0q_YoDXANX4vVZnKnnEi3GINxFnIUOmDIWQ-emqFiST29s2Y8vA_QKgo53Li9VO-TTgEAwr1xCKvpPdWnJL8GM11mrU45Tm_Qwo7BL8lODZoZgx4lpiVL5EKPsDMo/s320/A5F79184-6D22-402E-8BEC-A5155190D3B4.jpeg" width="320" /></a></div><br />S'il y a bien des solos des uns et des autres au cours du concert, ce qui frappe avant tout c'est le caractère très organique de la musique, où chaque ligne s'entrecroise, chaque voix prolonge le discours d'ensemble, et où finalement l'orchestre apparaît comme le prolongement naturel de la pensée musicale d'Halvorson. Pas de rupture, tout est fluide. Pas le sentiment d'une succession d'interventions indépendantes, mais bien une musique qui se déploie comme un tout, cohérent et marqué du sceau très reconnaissable de sa compositrice. La plupart des morceaux joués étaient extraits du tout nouveau disque, et m'étaient donc par conséquent inconnus. Au plaisir de retrouver des repères <i>halvorsoniens</i> s'ajoutait donc celui de la découverte d'un nouveau répertoire. Et celui-ci transmet, peut-être plus que jamais chez Mary, un sentiment de bonheur simple, d'enthousiasme et d'optimisme. Il n'y a plus qu'à faire tourner en boucle <i>Cloudward</i> sur la platine pour prolonger tout cela.<p></p><p>---</p><p>Pour atteindre les 25, aux concerts cités ci-dessus, il convient d'ajouter 8 concerts parisiens (dans 8 salles et avec 8 formations différentes), un concert praguois (un <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2019/06/john-zorn-bagatelles-marathon-forum.html" target="_blank">Bagatelles Marathon</a> zornien où elle intervenait deux fois... mais du coup, ça fait 26 ? :-) ) et un concert new-yorkais auprès d'Ingrid Laubrock (avec Ben Gernstein, Dan Peck et Tom Rainey) en 2011.</p><p>Evènement dans l'évènement, la soirée a aussi été l'occasion de rencontrer pour la première fois en chair et en os le plus braxtonien des jazzfans et chroniqueurs, l'incountournable <a href="http://www.franpisunship.com/" target="_blank">Franpi</a>.</p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-83374774709417641232024-01-14T16:18:00.005+01:002024-01-14T17:13:41.368+01:00Kronos Quartet @ Cité de la Musique, samedi 13 janvier 2024<p>Le 1er septembre 1973, le violoniste David Harrington fonde le Kronos Quartet à Seattle. 50 ans et quelques mois plus tard, à l'occasion d'une tournée mondiale pour célébrer l'évènement, il est sur la scène de la Cité de la Musique en ouverture de la 11e biennale de quatuors à cordes. Ses compagnons ne sont plus les mêmes qu'à l'origine, mais le second violon, John Sherba, et l'alto, Hank Dutt, sont tout de même là depuis 1978 et le déménagement d'Harrington à San Francisco. Le violoncelle a lui changé à plusieurs reprises de mains et l'actuel titulaire du poste, Paul Wiancko, ne l'est que depuis un peu moins d'un an (février 2023). Cela n'altère en rien le son du quatuor. Ainsi, dès que les premières notes résonnent on reconnaît immédiatement le "son" Kronos entendu au fil des ans dans des oeuvres toujours plus variées, serviteurs des compositeurs phares de la musique contemporaine, et en premier lieu des minimalistes américains, mais également attachés à parcourir les coins et recoins de la création contemporaine sur tous les continents, sans renier un attachement certain aux musiques populaires, du jazz au rock, de l'électro aux musiques traditionnelles.</p><p>Leur halte parisienne s'est déroulée en deux étapes. Si j'ai été contraint de passer mon tour pour le premier soir (vendredi), j'étais bien présent pour le second. Le concert a commencé par deux pièces extraites de leur projet "<a href="https://www.google.cz/url?esrc=s&q=&rct=j&sa=U&url=https://50ftf.kronosquartet.org/&ved=2ahUKEwjYqa7Uid2DAxXxAPsDHdGpCn8QFnoECAQQAg&usg=AOvVaw0MCEzZv23SJphY8ztkf3zw" target="_blank"><i>Fifty for the Future</i></a>", soit la commande de 50 nouvelles oeuvres à 50 compositeurs différents dans un but pédagogique pour la formation des jeunes quatuors à cordes à l'interprétation de la musique d'aujourd'hui. Tout d'abord <i>YanYanKliYan Senamido</i> (2020) de la chanteuse béninoise Angélique Kidjo, qui nous rappelle d'autres collaborations fructueuses du Kronos avec des artistes africains (Rokia Traoré, le Trio Da Kali...), suivi d'une pièce ludique de Terry Riley, <i>Lunch in Chinatown </i>(2016), au cours de la quelle les quatre membres du Kronos lancent à la cantonade des phrases souvent entendues dans un restaurant (qui paiera l'addition, etc.). </p><p>Retour en arrière ensuite avec une pièce de Krzysztof Penderecki, <i>Quartetto per archi n°1</i> (1960). Pour l'occasion le grand écran, qui avait servi a projetté un court film documentaire en l'honneur du quatuor en début de soirée, redescend afin de projeter la partition que les Kronos regardent donc en même temps que le public (ils jouent debout et dos au public pour la voir). La visualisation aide à comprendre comment cette musique est construite, au-delà des "bruits" apparents (courts glissandi, frappes sèches, crépitements...). La pièce suivante, <i>Spectre</i> (1990) de John Oswald, est construite sur un motif qui cherche à reproduire le bruit de l'obturateur d'un appareil photo. Là aussi, l'écoute est complétée par un aspect visuel illustratif : les lumières s'éteignent et se rallument pour saisir dans l'instant les gestes des musiciens.</p><p>Suivent ensuite deux pièces toutes récentes (2023) issues de la commande "<i>Kronos Five Decades</i>", un ensemble de dix compositions que le quatuor a prévu de créer tout au long de la tournée célébrant leurs cinquante ans (de juillet 2023 à juin 2024). Tout d'abord <i>Segara Gunung</i>, de la compositrice indonésienne Peni Candra Rini où les sons de la jungle de Bornéo servent de support à des développements plus linéaires inspirés par la musique traditionnelle javanaise. Quatre mouvements extraits de <i>gfedcba</i> de Michael Gordon (qui sera créé dans son intégralité à Berkeley en mars prochain) suivent. Inspiré par des scherzos de Haydn, il s'agit de courtes pièces où l'aspect ludique est là encore mis en avant, notamment dans le dernier avec la superposition d'images d'un chaton lapant une cuiller de lait et des sons cartoonesques. </p><p>La première partie se conclut par une nouvelle pièce extraite du projet "<i>Fifty for the Future</i>". Pour l'occasion, les Kronos sont rejoints sur scène par deux jeunes quatuors qui ont participé durant le week-end au marathon sur ledit projet : six quatuors qui se relaient pour jouer l'intégralité des 50 compositions. Le quatuor Magenta (quatre filles) et le quatuor Agate (quatre garçons) se placent ainsi chacun derrière le membre du Kronos en fonction de son instrument pour obtenir un petit ensemble de cordes qui interprète le <i>Quartet Satz</i> (2017) de Philip Glass. C'est sans doute la pièce la plus profonde de cette première partie qui jusque là n'avait proposé que des pièces un peu anecdotiques. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhfFxf2ZPcgJYAlN2rws3ydQXMMpoSJ_69i5ULasTs7ZIrhiDUDyf7OTIyDDuJEqMqYvOr1UTSlnPPzWtRfmZjDMPEYiVjL5rfnt3tL5eh9CZ2QrK3k_KD-hXQJiQCs5DoeittupK31Cr64_DUhmm5cr63Zb6cRs_E0B5ZeL5SpH39y9ggSZ4_rwpDy6FGq/s2048/F9135A33-2623-4025-924A-14F76063D006.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhfFxf2ZPcgJYAlN2rws3ydQXMMpoSJ_69i5ULasTs7ZIrhiDUDyf7OTIyDDuJEqMqYvOr1UTSlnPPzWtRfmZjDMPEYiVjL5rfnt3tL5eh9CZ2QrK3k_KD-hXQJiQCs5DoeittupK31Cr64_DUhmm5cr63Zb6cRs_E0B5ZeL5SpH39y9ggSZ4_rwpDy6FGq/s320/F9135A33-2623-4025-924A-14F76063D006.jpeg" width="320" /></a></div><br />Après l'entracte, on reprend avec une nouvelle pièce ludique, <i>ZonelyHearts: PhoneTap + CCTV</i> (2022) de la compositrice canadienne Nicole Lizée, où cette fois le quatuor joue tout en décrochant régulièrement le combiné d'un vieux téléphone à cadran. Deux autres courtes pièces suivent. Tout d'abord, <i>Maji </i>(2023), de la musicienne électro Jlin, d'après Sun Ra. On retrouve effectivement un groove qui rappelle les grandes heures de l'Arkestra mais sans la dimension hypnotique qu'aurait pu permettre un timing un peu moins serré. <i>Flow</i> (2010) de Laurie Anderson prend le contre-pied, pour une pièce toute en retenue, avec de faibles variations. <p></p><p>Ce concert-patchwork permet certes de voyager d'un bout à l'autre de la galaxie Kronos, mais en ne proposant que des oeuvres courtes (toutes moins de dix minutes), il ne permet pas vraiment à l'émotion de prendre place. Heureusement, la dernière oeuvre au programme permet enfin des développements plus longs. Pour l'occasion, les Kronos sont rejoints par la compositrice et chanteuse ukrainienne Mariana Sadovska, qui s'accompagne à l'harmonium, pour interpréter son requiem en quatre mouvements, <i>Chernobyl. The Harvest</i>. Ecrit en 2012, il résonne malheureusement un peu différemment aujourd'hui, alors que l'Ukraine mène une guerre de résistance à l'invasion russe depuis près de deux ans. La musique s'inspire des traditions populaires ukrainiennes et m'évoque à certains moments ce qu'à pu faire le Cracow Klezmer Band dans cette sorte de fusion des folklores des terres de sang et de l'écriture plus classique (contrastes bartókiens, nuevo tango piazzollesque, ou řikadla janáčekiennes comme horizon). C'est beaucoup plus prenant que tout ce qui a pu lui précéder ce soir là et permet enfin à l'émotion de poindre son nez. </p><p>En rappel, sous l'insistance des applaudissements, David Harrington explique qu'ils vont faire une exception (ils ne voulaient pas jouer autre chose après la pièce de Mariana Sadovska). Ils interprètent une version tout en retenue d'<i>Amazing Grace</i>, avec l'alto de Hank Dutt qui "chante" la mélodie pendant que les autres lui font écho, sur un registre pianissimo, de loin en loin. Au final, sans doute pas un concert à la hauteur de mes attentes, même si la pièce de Mariana Sadovska était très belle. Essentiellement une question de format qui ne peut mener qu'à un papillonage un peu frustrant. </p><p>---</p><p>A lire aussi : le <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2005/05/kronos-quartet-theatre-de-la-ville.html" target="_blank">précédent concert</a> du Kronos auquel j'ai assisté, en 2005 au Théâtre de la Ville</p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-73019894620130647932023-12-23T17:22:00.001+01:002023-12-23T17:24:31.633+01:00Wati Watia Zorey Band / Lagon Noir @ Maison de la Musique, Nanterre, samedi 16 décembre 2023<p>Soirée sous le signe du maloya, dans le cadre du festival Africolor, avec deux groupes qui revisitent et transfigurent les rythmes réunionais. La soirée commence avec un groupe dont le nom fait office de programme. Wati watia, cela peut vouloir dire mic-mac, ou embrouille, commérage. C'est un terme créole réunionais utilisé par Alain Peters dans sa chanson "<i>Mangé pou le coeur</i>". Zorey, cela fait référence aux "zoreilles", soit les Français de métropole en créole. Le Wati Watia Zorey Band est donc un groupe d'ici qui revisite à sa manière la musique et les textes d'Alain Peters, poète maudit de l'île de la Réunion, auteur de quelques chansons phare du maloya moderne au tournant des années 70/80, mort en 1995 alors qu'il n'avait que la quarantaine, rongé par l'alcool et les problèmes psychiques. Le groupe est mené par deux chanteuses : Marjolaine Karlin, qui tient aussi l'accordéon ou le kayamb (planche percussive typique de la Réunion) à l'occasion, et Rosemary Standley, surtout connue pour son rôle au sein du groupe pop/americana Moriarty. Leurs voix se différencient et se complètent : colorée et précieuse pour Rosemary Standley, plus directe pour Marjolaine Karlin. Elle sont accompagnées par un groupe à l'instrumentation qui détonne pour interpréter ces rythmes créoles : Jennifer Hutt est au violon, Gérald Chevillon (déjà vu au sein de l'Imperial Quartet) au saxophone basse, Chadi Chouman à la guitare et au banjo et Salvador Douezy à la batterie. Cela permet au groupe de donner des couleurs très variées aux chansons d'Alain Peters, assez éloignées de leur forme habituelle. Le son du sax basse, puissant, lancinant, envoûtant, fait particulièrement merveille dans les morceaux où il est mis en avant. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhWOdZwwveKD93dmASm92XM4_N1wXBwyTORnBO7AtAGEhMorLVdKxFnREKIQqiQZebtah37_a6tcWk3FjIlJ2UhlREuJEbNUH8xx6oclTivIG3YBSL9Jzrt4WadqRnvVFLAOQZFRiGqAtcWB5S-TUe5hoH-ok_CZlBE44VqSH_KuRiilTD6cuBDJCs-DvYv/s1440/8F42AD32-7753-4267-9AF7-B8A4963409C4.jpeg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1086" data-original-width="1440" height="241" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhWOdZwwveKD93dmASm92XM4_N1wXBwyTORnBO7AtAGEhMorLVdKxFnREKIQqiQZebtah37_a6tcWk3FjIlJ2UhlREuJEbNUH8xx6oclTivIG3YBSL9Jzrt4WadqRnvVFLAOQZFRiGqAtcWB5S-TUe5hoH-ok_CZlBE44VqSH_KuRiilTD6cuBDJCs-DvYv/s320/8F42AD32-7753-4267-9AF7-B8A4963409C4.jpeg" width="320" /></a></div><br />Le concert commence par deux morceaux étendards d'Alain Peters, la "<i>Complainte de Satan</i>" et "<i>Mangé pou le coeur</i>". Mais au cours du concert, particulièrement généreux, qui s'étend sur plus d'1h30, les deux chanteuses ne se contentent pas de mettre à l'honneur les morceaux les plus connus du poète, mais en parcourent tous les coins et recoins, entrecoupant les chansons de quelques explications, par bribes, avec beaucoup de retenue, sur la vie de Peters. Les couleurs changeantes ont pour effet de me parler plus ou moins. Cela me touche par exemple moins quand elles tirent vers la folk que dans les passages plus tendus, entre jazz électrique et post rock, comme cette formidable interprétation de "<i>Rest' la maloya"</i>, sans doute la chanson la plus connue de Peters, particulièrement fantomatique, au rythme ralenti et néanmoins très appuyé. Dans le même genre liquoreux, leur version de "<i>Wayo Manman</i>" fait ressortir toute la douleur dont semblait souffrir Peters. Sur la fin du concert, elles font un pas de côté en allant visiter le temps d'un morceau une autre créolité, guadeloupéenne , sans que cela ne fasse tâche dans ce programme réunionais. Leur joie de jouer ensemble et de partager cette musique se prolonge en un long rappel de non pas une mais trois chansons complémentaires. Généreux jusqu'au boût. <p></p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiai06jL8wipZniULPK5Qi4_wIZ6_f4MSoc4HU4G2X_ZZ94ojl8z2pr_RMpQQUHaS03O80nVfxFQK5G_lC9uD5sNSxbSGAjf6aTZiA0yBw5en58TDRd5dIssb5VIyRZw_upoat8BJBY5ksBDK7Sr-mjtwaHaqBAK1HzFSGjsLxA9QSpHRrwSBs7rJQOvrxP/s1440/7C5B146D-2C57-495A-A951-4EE0EC63F06E.jpeg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1440" data-original-width="1440" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiai06jL8wipZniULPK5Qi4_wIZ6_f4MSoc4HU4G2X_ZZ94ojl8z2pr_RMpQQUHaS03O80nVfxFQK5G_lC9uD5sNSxbSGAjf6aTZiA0yBw5en58TDRd5dIssb5VIyRZw_upoat8BJBY5ksBDK7Sr-mjtwaHaqBAK1HzFSGjsLxA9QSpHRrwSBs7rJQOvrxP/s320/7C5B146D-2C57-495A-A951-4EE0EC63F06E.jpeg" width="320" /></a></div><br />En seconde partie de soirée, la créolité réunionaise se confronte à d'autres réalités. Le groupe Lagon Noir n'en est qu'au deuxième concert de sa jeune existence, commencée quelques jours auparavant dans le cadre du festival strasbourgeois Jazzdor. Malgré cela, l'intensité est déjà là. L'intensité de la chanteuse réunionaise Ann O'aro tout d'abord. Autrice de deux excellents disques de maloya minimaliste sous son nom ces dernières années, elle se confronte ici à un univers beaucoup plus électrique. Sa voix déchirante, puissante et comme écorchée vive, fait également merveille dans ce contexte moins dépouillé qu'à l'accoutumée. Pour l'occasion elle est entourée par deux musiciens issus du <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2014/05/soirees-tricot-la-generale-vendredi-2.html" target="_blank">Tricollectif</a> et très actifs sur la scène jazz hexagonale contemporaine : le saxophoniste Quentin Biardeau (au ténor et au synthé ce soir-là) et Valentin Ceccaldi qui avait troqué son habituel violoncelle pour une basse électrique. Le quatuor était complété par le batteur et chanteur burkinabé Marcel Balboné. La présence de ce dernier donnait une coloration panafricaine aux chansons du groupe qui, outre le créole réunionais faisaient également retentir les sonorités sahéliennes ici ou là. Plus nerveuse que celle de Wati Watia, la musique de Lagon Noir dégage beaucoup d'énergie, même s'il y a quelques passages au rythme plus ralenti bienvenus pour respirer un peu. Chacun brille tour à tour - Quentin Biardeau par tel solo enflammé, Ann O'aro par la puissance habitée de son chant, Valentin Ceccaldi par l'ancrage solide qu'il maitient tout au long du concert ou Marcel Balboné par sa palette percussive très variée - mais c'est bien un collectif fluide et unitaire qui s'offre à nous, avec une musique qui leur est propre où les influences diverses se fondent pour tenir un discours cohérent. On a hâte de pouvoir retrouver ça sur disque à l'occasion.<p></p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-12648190386965131652023-12-06T21:54:00.004+01:002023-12-06T23:47:04.658+01:00Alexandra Grimal Trio @ Le Triton, samedi 2 décembre 2023<p>J'ai souvent vu Alexandra Grimal sur scène lors de la décénie 2006-2016. La <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2006/04/alexandra-grimal-la-fontaine-vendredi.html" target="_blank">première fois</a>, c'était à La Fontaine en avril 2006, et la dernière au sein de l'ONJ d'Olivier Benoît sur le programme <i>Europa Berlin</i> en mars 2016 à la Maison de la Musique de Nanterre, mon dernier concert parisien avant mon exil praguois. La première d'un nouveau trio, au Triton, était donc l'occasion idéale pour renouer les fils d'une certaine fidélité et voir (et entendre) comment la musique d'Alexandra avait évolué ces dernières années. Nouveau trio, car l'association de ses trois membres était inédite, mais pourtant l'occasion de retrouver Jozef Dumoulin aux côtés d'Alexandra, pour une association qui avait, par le passé, largement contribué à créer madite fidélité à la musique de la saxophoniste. Je me souviens ainsi d'un concert mémorable à l'été 2006 avec justement Dumoulin, et Dré Pallemaerts, en trio (que j'avais <a href="https://www.citizenjazz.com/Alexandra-Grimal-au-Duc-des-Lombards.html" target="_blank">chroniqué</a> pour Citizen Jazz) qui m'avait définitivement "converti" en suiveur attentif de la carrière d'Alexandra. Cette fois-ci, le triangle était complété par Yuko Oshima, batteuse japonaise installée en France, et <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2015/09/jazzfestival-saalfelden-2015-2e-jour-13.html" target="_blank">déjà vue</a> il y a quelques années au sein du duo Donkey Monkey qu'elle formait avec la pianiste Eve Risser. </p><p>Le concert commence par des développements tout en nuance de Jozef Dumoulin au piano. Adepte des claviers électriques, il s'exprime ce soir-là essentiellement sur le grand piano acoustique, même s'il a sur sa droite un synthé et sur sa gauche une bass station, complétés par un sampler posé sur le piano. Il construit patiemment un univers ouaté, tout en retenu, qui permet d'installer immédiatement une ambiance propice à l'écoute attentive. Alexandra le rejoint ensuite en dessinant de courtes phrases au saxophone que Dumoulin sample en direct pour les réinjecter dans la musique qui commence à se densifier, par l'accumulation de strates. Yuko Oshima les écoute attentivement et n'intervient que très parcimonieusement pour ajouter quelques virgules soniques de-ci de-là en frappant cymbales ou cloches. L'ambiance déployée est une parfaite introduction à la soirée, pleine de sérénité et de douceur.</p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjh35APoYbSAGyOCCwWJiHsBZ2FXv7H0RP7xFYIviM3otHQ0ggpB2B1_h-uj_1SdKJ72arF8jJZf910j0W4GjoYU9PaAPddwdm_cjN3gcFkoKw5JCsmxfiTNTe0qsyNn8eSywj7OY58dqgjJY7Eyg_1C2Q1hsOxVLUXmPsJEDwTgfz1iKCA2ZckaGK1WxBL/s2048/0B83CFC7-D6E6-44AA-8578-33C24A62D566.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjh35APoYbSAGyOCCwWJiHsBZ2FXv7H0RP7xFYIviM3otHQ0ggpB2B1_h-uj_1SdKJ72arF8jJZf910j0W4GjoYU9PaAPddwdm_cjN3gcFkoKw5JCsmxfiTNTe0qsyNn8eSywj7OY58dqgjJY7Eyg_1C2Q1hsOxVLUXmPsJEDwTgfz1iKCA2ZckaGK1WxBL/s320/0B83CFC7-D6E6-44AA-8578-33C24A62D566.jpeg" width="320" /></a></div><br />Par la suite, Alexandra alterne entre le ténor et le soprano, entre interventions atmosphériques pour contribuer à l'élaboration collective de la masse sonore et solos plus intenses où elle prend clairement le discours à son compte et se pose en leader le temps d'un instant. Ce n'est jamais très long - on la sent plus dans une démarche collective que dans l'expression d'une singularié - mais c'est toujours magnifique. Elle a une qualité vraiment inédite dans l'expressivité, aussi bien au ténor qu'au soprano, qui réussit à allier les contraires apparents du feu et de la glace. Son attachement au silence, à n'intervenir que quand c'est nécessaire, me frappait déjà en 2006 (à l'époque où je l'avais <a href="https://www.citizenjazz.com/Alexandra-Grimal.html" target="_blank">interviewée</a> pour Citizen Jazz et où je notais déjà ce point). Elle n'a pas changé d'approche depuis ce temps, mais a évidemment muri sa démarche, parfaitement maîtrisée à l'aide de ce nouveau trio. Au passage, il est intéressant de relire les deux autres interviews qu'Alexandra avait accordé à mes camarades citoyens, pour comprendre son évolution : <a href="https://www.citizenjazz.com/Alexandra-Grimal-3467289.html" target="_blank">en 2012</a> auprès de Laurent Poiget, et <a href="https://www.citizenjazz.com/Alexandra-Grimal-cultive-son-jardin-abstrait.html" target="_blank">en 2020</a> auprès de Franpi Barriaux. <p></p><p>Au cours du concert, la saxophoniste abandonne aussi un instant ses instruments pour tout simplement chanter des "<i>songs of freedom</i>" (si ma mémoire est bonne) de sa voix cristalline, qui a gardé quelquechose du grain de l'enfance. A un autre moment, elle approche un transistor qui grésille délicatement de son micro pour donner d'autres couleurs à la musique - mais toujours dans une sorte de clair-obscur qui brouille les contrastes. Ces partenaires d'un soir sont sur la même longueur d'onde. Yuko Oshima est plus percussionniste que batteuse, ne cherchant pas spécialement à "soutenir" le rythme mais plutôt à ponctuer le discours, intervenant comme coloriste. Jozef Dumoulin, quant à lui, définit l'ambiance générale des morceaux, leur donne leur assise, toujours avec une certaine économie de moyens. C'est délicat et un écrin parfait pour les chants d'Alexandra, à la voix, au ténor ou au soprano. Un beau concert qui me conduira nécessairement à continuer de tisser le fil de cette fidélité dans les années à venir.</p><p>Et, à propos de fil renoué, en sortant du Triton, j'entends mon nom hélé dans la rue : c'est <a href="http://bladsurb.blogspot.com/" target="_blank">Bladsurb</a>, autre survivant blogueur, qui m'a reconnu bien que, là aussi, nous ne nous soyons pas croisés à un concert depuis un temps certain. </p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-13312171788877507202023-11-12T21:34:00.006+01:002023-11-12T23:02:55.838+01:00Irreversible Entanglements @ Le 104, vendredi 10 novembre 2023<p>Le temps d'un week-end, le Festival d'Automne donnait carte blanche à la cinéaste Alice Diop (réalisatrice de plusieurs documentaires, passée à la fiction l'année dernière avec <i>Saint-Omer</i>, primé à la Mostra et aux Césars) pour investir le 104. Lectures, projections, installations, danse et concerts étaient au programme, avec pour point commun d'interroger la place des femmes afro-descendantes dans les sociétés occidentales, en Europe comme outre-Atlantique, et pour thématique partagée le besoin de la <i>Reformuler</i> (titre du programme de cette carte blanche). L'actuelle tournée européenne du collectif américain Irreversible Entanglements, dont Camae Ayewa, a.k.a. Moor Mother, incarne la face la plus visible car la plus vocale, faisait donc une halte pertinente dans le cadre de cette carte blanche.</p><p>J'avais découvert le quintet lors du Jazzfest Berlin 2018, alors qu'ils ouvraient une soirée chicagoane qui se poursuivait par un duo entre Roscoe Mitchell et Moor Mother, puis le groupe Fly or Die de la regrettée Jaimie Branch, et enfin l'Art Ensemble of Chicago qui célébrait pour l'occasion ses 50 ans. Chicagoan, Irreversible Entanglements l'est surtout par le label qui a publié leurs trois premiers disques, l'indispensable International Anthem, alors que les membres du groupe ont plutôt pour origine Philadelphie, D.C. ou Brooklyn - mais leur présence faisait complètement sens ce soir-là, tant ils semblent naturellement s'inscrire dans la descendance de l'Art Ensemble. </p><p>J'avais revu Moor Mother au début de cette année, pour son passage à Sons d'hiver avec son propre projet "<i>Jazz Codes</i>". Deux membres d'Irreversible Entanglements l'accompagnaient déjà en février : Aquiles Navarro à la trompette et Luke Stewart à la basse. C'est peu dire qu'ils avaient mis le feu (avec cinq autres musiciens sur scène). Leur passage une deuxième fois par la région parisienne cette année m'offre donc comme une séance de rattrapage pour ce concert que je n'avais pas chroniqué. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi8RMwBfJvzpRY_DyC9K-awLynAE4FBMu2zA3voHVdhswg1a95Ig8Nq9jjsS9R06QMRxIKipjgtJPnWj9xM8p0nejafMZCDNJqFHzQwlR4QhoE2yHPmL4Tc_K2C9Lj0LdK6NzjDA75NF7iPya5DAvDFY69wg5XIxJRRNer88Xvl74Q7kWl-0NXWDzFBBdem/s1440/ACFED824-3EB0-40D5-9ED9-46034D7CC040.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1082" data-original-width="1440" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi8RMwBfJvzpRY_DyC9K-awLynAE4FBMu2zA3voHVdhswg1a95Ig8Nq9jjsS9R06QMRxIKipjgtJPnWj9xM8p0nejafMZCDNJqFHzQwlR4QhoE2yHPmL4Tc_K2C9Lj0LdK6NzjDA75NF7iPya5DAvDFY69wg5XIxJRRNer88Xvl74Q7kWl-0NXWDzFBBdem/s320/ACFED824-3EB0-40D5-9ED9-46034D7CC040.jpeg" width="320" /></a></div><br />Le programme distribué en arrivant au 104 indique : 21h30>22h30, concert d'Irreversible Entanglements. Mais ce programme par trop minuté n'a en rien été respecté. C'est un flux ininterrompu de près de deux heures - les morceaux s'enchaînent sans aucune pause - que les cinq musiciens nous proposent. Outre Moor Mother, Navarro et Stewart déjà cités, le groupe comprend aussi Keir Neuringer à la clarinette et aux saxophones soprano et ténor, et Tcheser Holmes à la batterie. Quand ils arrivent sur scène, une fois que les applaudissements se sont tus, ils n'enchainent pas tout de suite - ils échangent des regards, attendent le moment propice pour démarrer. Aquiles Navarro est le premier à s'élancer, avec un hymne puissant qu'il déploie pour transpercer le silence. Luke Stewart agite ensuite quelques clochettes pour servir de tapis rythmique minimaliste avant de s'emparer de sa contrebasse pour la faire vrombir en soutien et lancer un groove que complète bientôt Tcheser Holmes à la batterie. Ces deux-là ne vont plus s'arrêter du concert, ils créent un beat hypnotique qui donne du liant aux interventions des souffleurs et au spoken word de Moor Mother. Keir Neuringer commence par la clarinette, plus en retrait que le trompettiste - une constante pendant presque tout le concert - et intervient plus pour réhausser de quelques teintes différentes le magma sonore que pour porter un discours soliste. Sur ce dense tapis rythmique zébré d'interventions free, Moor Mother déclame ses textes de manière parcimonieuse - ce sont plutôt des phrases, souvent répétées de loin en loin, qui scandent la musique de sa voix sombre, grave, appuyée. <p></p><p>Le concert gagne en intensité au fur et à mesure. Toujours servies par une paire rythmique vraiment impeccable et implacable de bout en bout pour maintenir la flamme du groove, les interventions de Keir Neuringer aux saxophones se font plus bouillonantes, et si Aquiles Navarro a parfois recours à une sourdine, il maintient une puissance hymnique dans la plupart de ces interventions. Moor Mother semble de plus en plus habitée, jusqu'au paroxysme qu'est le titre <i>Protect Your Light</i>, qui donne son nom à leur plus récent album (paru chez Impulse! cette année). Les deux souffleurs manipulent à l'occasion quelques synthés et autres boîtes à effets électroniques pour créer des paysages sonores différents, sans que le batteur ni le bassiste ne s'arrêtent dans leur entreprise clairerement affichée de la soirée : nous hypnotiser et nous conduire à la transe. Cette dimension est renforcée quand Navarro passe aux percussions afro-caraïbes sur la fin du concert pour un une avalanche rythmique très prenante. Héritiers d'un certain free jazz, ils s'attachent néanmoins à maintenir un rythme régulier, riche, presque dansant, qui fait hocher la tête et battre du pied. Un peu comme l'Art Ensemble des <i>Stances à Sophie</i>. </p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-41049671103929170972023-11-03T15:17:00.007+01:002023-11-03T22:10:22.651+01:00John Zorn - Masada & Beyond @ Philharmonie de Paris, jeudi 2 novembre 2023<p>John Zorn aime marquer le coup du passage des décénies. Les deux concerts de la Philharmonie s'inscrivent dans une courte tournée européenne, après deux dates en Italie et avant deux jours à La Haye, pour fêter les 70 ans du compositeur. L'occasion d'un coup de projecteur sur quelques uns de ses projets les plus récents. Sous le titre "Masada & Beyond", la deuxième soirée propose ainsi trois groupes aux esthétiques de départ distinctes, même si la "patte" zornienne est reconnaissable à chaque fois. Pour le dire vite, et de manière nécessairement un peu caricaturale, on pourrait dire que le jazz du New Masada Quartet précède la musique contemporaine de l'ensemble Heaven and Earth Magick, avant que le metal de Simulacrum ne cloture la soirée. Un bon résumé, ceci-dit, des amours musicales du new-yorkais, qui auront irrigué toute sa carrière. </p><p>Le cap des 70 ans n'est pas le premier changement de décénie qui donne l'occasion à Zorn de faire une sorte de "bilan de carrière". En 1993, pour célébrer ses 40 ans, il avait organisé un mois de concerts à la Knitting Factory durant le mois de septembre (il est né le 2 septembre 1953). Rétrospectivement, un tournant essentiel dans sa carrière avec l'adieu à Naked City (1988-1993) et le démarrage de l'aventure Masada (le premier concert du quartet originel ayant même eu lieu le jour précis de son anniversaire, le 2 septembre 1993). Mais, tel le Danube, Masada a en fait deux sources qui n'ont fait que se rejoindre ce jour-là à la Knitting Factory. Quelques semaines plutôt, au mois de juillet 1993, Zorn avait déjà fait appel à Dave Douglas, Greg Cohen et Joey Baron pour enregistrer une musique de film (parue sur les <i>Filmworks III</i>) dans un genre bien différent - un jazz de film noir presque classique. De la même manière, les compositions de Masada ont commencé à être jouées par d'autres formations instrumentales un peu auparavant (on trouve un live d'un premier "Electric Masada" d'août 1993 sur Youtube - un quartet avec Zorn, Marc Ribot, Kato Hideki et Ben Perowski !). Dès le départ, Zorn a imaginé son corpus de compositions comme pouvant être joué par des formations fort diverses, et s'il a fixé le "canon" du premier songbook à l'aide du fabuleux quartet, il a aussi dès le début multiplié les essais comme le documente le double disque <i>Bar Kokhba</i>, enregistré entre 1994 et 1996 par divers combos. </p><p>Parmi les musiciens habitués depuis trente ans à ce répertoire, il y a Kenny Wollesen. Il était déjà de certains groupes jouant la musique de Masada en 1993-1994 (remplaçant même Joey Baron comme batteur titulaire du quartet à certaines occasions). Il est donc, avec Zorn lui-même, celui qui fait le pont entre le Masada des origines et le New Masada Quartet que Zorn a mis sur pied récemment (premiers concerts en 2019). Pour compléter le line-up, Zorn a fait appel à deux musiciens beaucoup plus récents dans sa galaxie : Julian Lage à la guitare et Jorge Roeder à la contrebasse. </p><p>Comme à son habitude, il n'y a pas de tour de chauffe avec Zorn. Le quartet entame le concert sur les chapeaux de roue, par un jet d'alto rageur pour saisir l'auditeur. 5 morceaux iconiques du répertoire du quartet original revisités, 40 minutes, ça va à toute vitesse. Il y a bien entendu l'incontournable <i>Hath-Arob</i>, sans doute le morceau de Masada que j'ai le plus entendu en concert tant il est sur la <i>set list</i> à chaque fois. C'est toujours intéressant de voir comment chaque formule instrumentale s'empare de ce morceau qui fait une place explicite au chaos (sur la partition, il y a un gribouillis à la place des notes à un moment). L'occasion d'échanges bruitistes interrompus dans l'instant pour revenir à la mélodie, puis qui ressurgissent plus loin, dans un jeu de <i>stop-and-go</i> que Zorn affectionne particulièrement et qu'il dirige de gestes autoritaires de la main tout en jouant du saxo. Le troisième morceau, plus apaisé (<i>Rahtiel</i>), déploie en douceur sa mélodie plaintive et donne l'opportunité à Jorge Roeder de briller dans un solo très <i>charliehadenien</i>. Suit ensuite un morceau que je mets du temps à identifier (sans me souvenir du titre, j'ai en tête sa version par le Bar Kokhba Sextet), tellement il se trouve transfiguré par le rythme très chaloupé, quasi caraïbe, que lui fait subir Julian Lage. La présence de ce dernier est d'ailleurs ce qui métamorphose le plus le son du groupe par rapport à ce qu'on connaît déjà. Il insuffle une bonne dose de blues aux compositions à plusieurs reprises et s'amuse comme un fou dans les échanges vifs avec l'alto de Zorn dans les passages les plus enlevés. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh33qEgqHZJIk-KHFVSk3x8LTW9DpfucXW2xD4xPx3Caa9UaMycUoPAlNdzovV_147Qs3J7eTFtHD6Cu9kG75T57dYCuBjDPaj8FZ9bmERQANmOdkxNxzmMakByPkEXtdgw5aDCKrbd20IL4MAEB3Ax52K7aFQ_-o2KZtyvXRh03sHSHjPy041O15H-Th8X/s4032/1A1F2AAB-2E05-415B-A293-A0E29CAAB965.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="3024" data-original-width="4032" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh33qEgqHZJIk-KHFVSk3x8LTW9DpfucXW2xD4xPx3Caa9UaMycUoPAlNdzovV_147Qs3J7eTFtHD6Cu9kG75T57dYCuBjDPaj8FZ9bmERQANmOdkxNxzmMakByPkEXtdgw5aDCKrbd20IL4MAEB3Ax52K7aFQ_-o2KZtyvXRh03sHSHjPy041O15H-Th8X/s320/1A1F2AAB-2E05-415B-A293-A0E29CAAB965.jpeg" width="320" /></a></div><br />Après ce premier set échevelé, on retrouve des musiciens vus la veille en compagnie de Barbara Hannigan pour une sorte d'intermezzo sous la forme de deux morceaux d'une dizaine de minutes chacun : Stephen Gosling (piano), Sae Hashimoto (vibraphone), Jorge Roeder (contrebasse) et Ches Smith (batterie) interprètent les compositions <i>Casting the Runes</i> et <i>Acéphale</i>, enregistrées sur l'album <i>Heaven and Earth Magick</i> (2021) qui donne du coup son nom à l'ensemble sur le programme. Je dois dire que c'est l'un de mes disques préférés de Zorn de ces dernières années. Je ne boude donc pas mon plaisir. Le principe en est simple, et déjà utilisé à de nombreuses reprises par Zorn : les partitions du piano et du vibraphone sont écrites, alors que la section rythmique improvise. C'est très réussi. Sae Hashimoto est une formidable coloriste au vibraphone, et la dynamique d'ensemble est vraiment prenante. <p></p><p>Pour conclure la soirée, le trio Simulacrum, soit Matt Hollenberg à la guitare, John Medeski à l'orgue Hammond et Kenny Grohowski à la batterie, fait monter le volume sonore de quelques décibels. J'avais déjà vu le groupe <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2018/08/simulacrum-fundacao-calouste-gulbekian.html" target="_blank">à Lisbonne en 2018</a>, et ce qui m'a le plus frappé cette fois-ci - après quelques réglages bienvenus - a été la qualité du son rendu malgré la puissance sonore (en tout cas, depuis le parterre, les échos lus par la suite de spectateurs placés plus haut dans la salle étaient différents). On entendait bien chaque instrument, distinguant chaque note, sans qu'un des trois larons n'écrase l'autre. Du coup, j'ai pris plus de plaisir que lors du concert lisboète (qui était lui en plein air, par un temps qui tournait à l'orage). Le groupe se concentre ce soir sur la forme courte. Chaque morceau est ramassé, comme un condensé d'énergie, qui ne cherche pas à épuiser tous les possibles des grooves mis en place. Chacun a sa couleur, même si le parfum du métal est le plus preignant. Kenny Grohowski me semble avoir une palette d'approches plus large que dans mon souvenir. Il participe ainsi autant que les deux autres aux changements de climats, alors que je notais le contraire il y a cinq ans. Sans doute l'avantage d'un vécu en commun de longue date désormais (le groupe a tout de même enregistré dix disques depuis 2015 !). Sur l'insistance du public, alors que les lumières se sont déjà rallumées, et au prix d'une longue standing ovation, ils reviennent finalement pour un rappel explosif qui conclut la soirée de la plus belle des manières. </p><p>Cette célébration en deux temps des 70 ans de John Zorn aura ajouté un nouveau souvenir très marquant à ma mémoire de désormais vingt ans de compagnonnage sur les scènes du monde (enfin, surtout d'Europe). Un cheminement qui, sans s'y réduire, trouve tous les cinq ans l'occasion de réaffirmer avec force la centralité de l'oeuvre du new-yorkais dans mes amours musicales : la découverte de l'Electric Masada (alors encore qu'un sextet avec Zorn, Ribot, Saft, Dunn, Wollesen et Baptista) dans le théâtre antique de Vienne en 2003, le domaine privé déroulé pendant cinq soirées par la Cité de la Musique et la Salle Pleyel <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2008/06/" target="_blank">en 2008</a>, les célébrations du 60e anniversaire <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2013/08/" target="_blank">à Lisbonne</a> et <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2013/09/" target="_blank">à Paris</a> en 2013, les six soirées sur dix auxquelles j'ai assisté pour la 35e édition de Jazz em Agosto à Lisbonne <a href="http://native-dancer.blogspot.com/search/label/Jazz%20em%20Agosto%202018" target="_blank">en 2018</a>, auxquelles s'ajoutent donc ces deux soirées pleine de magie de la Philharmonie en 2023. Vivement 2028 !</p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-3677289224971869632023-11-02T14:53:00.012+01:002023-12-06T22:32:56.123+01:00Hannigan sings Zorn @ Philharmonie de Paris, mercredi 1er novembre 2023<p><a href="http://native-dancer.blogspot.com/2009/09/john-zorn-shir-hashirim-grande-halle-de.html" target="_blank">En 2009</a>, John Zorn présente sa version du Cantique des Cantiques (<i>Shir Hashirim</i>, d'après son titre en hébreux) au festival Jazz à la Villette. Pour l'occasion, le new-yorkais souhaite avoir des récitants français en lieu et place de Lou Reed et Laurie Anderson qui avaient tenu le rôle lors de concerts américains. L'équipe du festival lui suggère les noms de Clotilde Hesme et Mathieu Amalric. C'est ainsi que se noue la relation amicale qui unit depuis lors l'acteur et réalisateur au compositeur. Depuis, Amalric a participé à l'album <i>Rimbaud</i> (2012) - il erructe le texte de <i>Conneries</i> sur la composition du même nom - et commencé à filmer Zorn à de multiples occasions. Ce qui devait être à l'origine une commande d'Arte pour un portrait du saxophoniste, s'est peu à peu transformé en un projet au long cours qui a débouché sur une série de trois documentaires qui sortent ces jours-ci au cinéma en France, après avoir été montrés dans quelques festivals "zorniens" au fil des ans (j'avais ainsi pu voir <i>Zorn II</i> <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2018/07/barbara-hannigan-stephen-gosling-john.html" target="_blank">à Lisbonne en 2018</a>). </p><p>Ce même jour de 2018 dans la capitale portugaise était également créée la pièce <i>Jumalattaret</i> pour piano et soprano. Si au piano on retrouvait un fidèle du compositeur en la personne de Stephen Gosling, c'est une nouvelle venue dans l'univers zornien à qui revenait l'honneur d'assurer la partie vocale : la soprano canadienne Barbara Hannigan... qui n'est autre que la compagne de Mathieu Amalric à la ville. Depuis lors, Zorn a continué d'écrire des oeuvres destinées à la chanteuse, et c'est donc avec un titre de soirée mettant en exergue le patronyme des deux stars que la Philharmonie présente son programme. </p><p>Alors que je m'installe, idéalement situé face à la scène au cinquième rang, j'ai la bonne surprise de remarquer John Zorn sous sa capuche installé juste derrière moi, au sixième rang. Il est bientôt rejoint par Mathieu Amalric. On peut donc difficilement être mieux placé si les spectateurs les plus illustres de la soirée sont situés juste à côté !</p><p>Le programme annonçait trois compositions, mail il y en aura en fait quatre - je bénéficie de l'explication fournie par Amalric à son autre voisin : la quatrième pièce devait initialement être jouée lors de la deuxième soirée, le 2 novembre, mais Barbara Hannigan a dû renoncer à sa participation pour des raisons familiales et Zorn a insisté pour qu'elle la chante dès le premier soir. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjnwZBFYkIUBCLHxE0w2-gTNchQV_wacWIPeCoVPhYmM4khjTgG2BQhR0OnR04mo_lr5du7gp5fC5McAvjovOv-SOJddMz-TJw2W6PTkkr7BdI3XEY9ojlHAuKD1d_zuXPlsNSwkISQwZIlAWZM0rqpkVVKWZNDFhji87DK0GIIRpMAtxA5iKeIvH6XliLb/s2048/AC9058BB-FF18-45F8-BA50-D7F5EB96B801.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="2048" data-original-width="1536" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjnwZBFYkIUBCLHxE0w2-gTNchQV_wacWIPeCoVPhYmM4khjTgG2BQhR0OnR04mo_lr5du7gp5fC5McAvjovOv-SOJddMz-TJw2W6PTkkr7BdI3XEY9ojlHAuKD1d_zuXPlsNSwkISQwZIlAWZM0rqpkVVKWZNDFhji87DK0GIIRpMAtxA5iKeIvH6XliLb/s320/AC9058BB-FF18-45F8-BA50-D7F5EB96B801.jpeg" width="240" /></a></div><br />La soirée commence par la fameuse <i>Jumalattaret</i>, dont j'avais donc assisté à la création il y a cinq ans. C'est la seule pièce que j'avais déjà eu le plaisir d'entendre. Cycle de lieder basé sur le Kalevala finlandais, il convoque les forces occultes et mystiques chères à Zorn. Barbara Hannigan excèle dans les vocalises comme dans le sprachgesang en finnois ! Très élégamment drappée d'une robe rouge lui donnant des allures de vestale, elle captive de bout en bout dans cette pièce d'une trentaine de minutes. Sa présence scènique est vraiment magnétique, et sa voix d'une pureté remarquable quelque soit le registre auquel elle doit avoir recours : chuchotements, cris, douces mélopées... La partition de piano, toujours tenu par Stephen Gosling, sonne typiquement zornienne, à mi-chemin d'influence classiques et d'exotica plus accessible. C'est d'ailleurs quelque chose qui me frappera tout au long de la soirée : si par le passé Zorn pouvait donner l'impression de développer plusieurs langages, voire plusieurs carrières en parallèle, il semble aujourd'hui avoir abouti à quelque chose de plus unifié, au-delà des genres et de l'art du collage et du zapping qu'il a largement pratiqué dans le passé. <p></p><p>Après une petite pause destinée à préparer le plateau suivant - essentiellement la mise en place d'un vibraphone - Barbara Hannigan revient, mais cette fois-ci tout de noir vêtue. A ses côtés prennent place Jay Campbell au violoncelle, Sae Hashimoto au vibraphone et Ches Smith à la batterie. La composition, <i>Ab Eo, Quod</i> est plus récente (2021) et propose un parcours onirique, souligné par le son du vibraphone et le jeu tout en nuance de Ches Smith sur les ballais et les mailloches. Après le finnois, Hannigan passe au latin, mais ne perd rien de sa magie expressive dans cette pièce plus ramassée (moins de dix minutes). </p><p>Pour la troisième pièce, pas de changement de robe cette fois-ci, mais de nouveaux accompagnateurs : le JACK Quartet, soit Christopher Otto et Austin Wulliman aux violons, John Pickford Richards à l'alto et Jay Campbell au violoncelle. Composée il y a une dizaine d'années pour le quatuor Arditti, <i>Pandora's Box</i> met cette fois-ci l'allemand à l'honneur, dans un registre où l'écriture zornienne lorgne du côté de la Vienne fin de siècle et, toujours et encore, des forces occultes qui ont nourri l'imaginaire romantique et post-romantique. Hannigan est égale à elle-même - jamais l'attention ne retombe tellement elle fascine par le moindre de ses souffles.</p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjl744PwTLHonN2D1o9SC-fZwXWSzLQgofLC9sut7EAxzoSZwA2mbmHb8CtS4_giPGWtXjsa2CA1ujbAyZdj6-vTwfqN3YdH8z7440TjEtIRa4gMQMgPelt8u8E_XKRyD8KoHoJTcjJ8j5RmlXB_TwlP2hj_Mk1fP_0Ukip83lgXxM0SAKpsL8kf7jU6jbd/s2048/E452DDD7-14AA-4683-89CF-760C0D06226A.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjl744PwTLHonN2D1o9SC-fZwXWSzLQgofLC9sut7EAxzoSZwA2mbmHb8CtS4_giPGWtXjsa2CA1ujbAyZdj6-vTwfqN3YdH8z7440TjEtIRa4gMQMgPelt8u8E_XKRyD8KoHoJTcjJ8j5RmlXB_TwlP2hj_Mk1fP_0Ukip83lgXxM0SAKpsL8kf7jU6jbd/s320/E452DDD7-14AA-4683-89CF-760C0D06226A.jpeg" width="320" /></a></div><br />En guise de conclusion inattendue, Barbara Hannigan arbore une troisème robe différente, plus légère, plus printanière, blanche avec quelques imprimés dessus (des fleurs, un crabe...). Ambiance plus guillerète qui se reflète dans la musique. Pour l'occasion, Stephen Gosling revient au piano, accompagné par Jorge Roeder à la contrebasse et Ches Smith à la batterie. Reprenant un procédé qu'il a inauguré il y a une dizaine d'années - un instrument soliste à la partition écrite accompagné par une section rythmique qui improvise - Zorn crée une pièce joyeuse, plus jazz que les précédentes, qui rappelle parfois ce qu'il a pu écrire pour l'ensemble Alhambra. Cette fois-ci en anglais, Hannigan s'amuse à dynamiser l'ensemble, utilisant parfois ses mains comme un mégaphone ou swinguant presque à d'autres moments. <p></p><p>A l'aide de quatre langues, de quatre line-ups instrumentaux et de trois robes, Barbara Hannigan aura illuminé de son exceptionnelle aura les compositions de John Zorn comme j'ai rarement eu l'occasion de l'entendre. Cela fait pourtant maintenant vingt ans (la première fois, en juillet 2003 avec l'Electric Masada dans le théâtre antique de Vienne !) que je vois régulièrement Zorn en concert à travers l'Europe (Paris, Prague, Barcelone, Lisbonne, Vienne en Autriche comme en Isère) ou même à New York, mais c'était clairement un des moments les plus forts d'incarnation de sa musique qu'il m'ait été donné d'entendre. Sans doute, tout là-haut, au même niveau que Masada.</p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-41952723493327237832023-11-01T16:20:00.002+01:002023-11-01T17:27:02.754+01:00Bertolt Brecht / Kurt Weill - L'Opéra de quat'sous @ Comédie Française, dimanche 29 octobre 2023<p>De Bertolt Brecht, vraiment ? Alors que la pièce a commencé depuis quelques minutes, Christian Hecq (Peachum) prend à partie Sefa Yeboah pour lui demander s'il connaît Brecht. En lui expliquant qui était le fameux homme, il suggère qu'il n'a fait qu'aposer sa signature à un texte écrit par "<i>sa petite amie de l'époque</i>". Le programme distribué à l'entrée mentionne ainsi : texte de Bertolt Brecht, musique de Kurt Weill, avec la collaboration d'Elisabeth Hauptmann. Thomas Ostermeier, metteur en scène de cette nouvelle production du chef d'oeuvre weimarien, utilise ainsi un procédé typiquement brechtien - la distanciation, la disparation du quatrième mur - pour envoyer un clin d'oeil ironique à l'auteur et rappeler la contribution oubliée de son amante. Ce ne sera pas la seule fois que des addresses au public qui n'existent pas dans la pièce originale (qui en compte pourtant certaines) s'immisceront ainsi dans le cours du spectacle. Ainsi Stéphane Varupenne, interprète du chef de la police Tiger Brown, qui s'excuse en arrivant sur scène de ne pas être Benjamin Lavernhe, qui tient le rôle en alternance avec lui. Comme la pièce insiste par elle-même sur son caractère de représentation théâtrale, cela fonctionne comme un hommage naturel au génie brechtien.</p><p>C'est la deuxième fois que je vois une représentation de <i>l'Opéra de quat'sous</i>, quatorze ans après la venue du Berliner Ensemble <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2009/09/bertolt-brecht-kurt-weill-lopera-de.html" target="_blank">au Théâtre de la Ville</a>. Il est donc tentant de jouer au jeu des différences. La première, évidente, est le passage de l'allemand au français en rejoignant la maison de Molière. S'il est d'abord un peu étrange d'entendre des chansons si connues en v.o., traduites, il faut reconnaître une vraie réussite dans la nouvelle traduction proposée par Alexandre Pateau. Celui-ci a cherché à respecter à la fois la gouaille populaire du texte original et la nécessité d'une prosodie qui puisse correspondre aux mélodies de Kurt Weill. Si je notais il y a quatorze ans que les sous-titres de la version du TdV édulcoraient le propos de Brecht, rien de tel ici. On notera toutefois un parti pris étrange avec la retraduction en français moderne des textes de François Villon que Brecht avait lui même traduits en allemand, sans respecter le texte original. D'autant plus perturbant quand on a leur interprétation par Léo Ferré dans l'oreille. </p><p>La seconde différence tient aux choix de mise en scène. Il faut dire que la version du Berliner Ensemble était confiée à Bob Wilson, dont on connaît les choix esthétiques extrêmement forts au point d'en avoir fait une marque de fabrique très personnelle. Pourtant, Ostermeier comme Wilson en profitent pour rendre hommage à des formes typiques de la période de création de la pièce (1928). Si Wilson revisitait à sa manière l'expressionisme du cinéma allemand des années 20, Ostermeier regarde lui un peu plus à l'Est et s'inspire du constructivisme russe. Placé en corbeille, sur le côté de la scène, je ne dispose cependant pas d'un angle de vue me permettant de profiter pleinement du décor, et concentre l'essentiel de mon attention sur les comédiens, qui eux me sont bien visibles. </p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhcnM-tQv0SCetQlMgR7bXHA5VcQikuk9R9NcxO2eqyvikiH13UC0rGUYycHrkC9ysebG6DpCwFXgBd0ytmmQf6LmyYCC-6otbDdO6Nj-EQB59PyjTrJw6lPAyR1VJWZIV9BjKwMZ3CwbPR-ZPWaW_VpmXt466Q5aj97bb9y7caj_E0ps4_rH4j1YPY2MCg/s2048/243CA168-6495-46DC-937B-264E8AF46AFA.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhcnM-tQv0SCetQlMgR7bXHA5VcQikuk9R9NcxO2eqyvikiH13UC0rGUYycHrkC9ysebG6DpCwFXgBd0ytmmQf6LmyYCC-6otbDdO6Nj-EQB59PyjTrJw6lPAyR1VJWZIV9BjKwMZ3CwbPR-ZPWaW_VpmXt466Q5aj97bb9y7caj_E0ps4_rH4j1YPY2MCg/s320/243CA168-6495-46DC-937B-264E8AF46AFA.jpeg" width="320" /></a></div><br />On sait l'équilibre de la pièce difficile à trouver pour embrasser l'ensemble de ses dimensions : pas vraiment un opéra, ni une pièce de théâtre, il faut savoir chanter, jouer, passer d'un registre à l'autre. Sur une musique qui elle-même est un syncrétisme de plusieurs genres, passant du trivial au sublime, mêlant rengaines populaires et arrangements ciselés. C'est l'orchestre Le Balcon qui assure la partie instrumentale, ayant recours à des multi-instrumentistes comme Weill l'avait imaginé à l'origine. Dans les parties vocales, les rôles sont assez inégaux. La distribution féminine brille ainsi plus que sa contrepartie masculine tout au long de la pièce. Marie Oppert, qui interprète Polly Peachum, rayonne particulièrement dans les chansons emblématiques que sont <i>Seeräuber-Jenny</i> (<i>Jenny-la-flibuste</i> ici), la <i>Barbara-song</i> ou le <i>duo de la jalousie</i>, sans doute le plus beau moment du spectacle. Elle y fait face à Claïna Clavaron, qui interprète Lucy, dans un duel vocal spectaculaire alors que les deux interprètes grimpent sur les grilles de la prison d'où Mac-la-lame (nouvelle traduction de Mackie Messer) vient de s'échapper. C'est aussi Claïna Clavaron à qui revient l'honneur d'ouvrir la pièce en interprétant la plus que célèbre complainte de Mackie Messer. Véronique Vella, en Celia Peachum, est, dans un registre différent, plus truculant, elle aussi à la hauteur dans les parties chantées. Elle forme avec Christian Hecq, égal à lui-même dans l'utilisation de son corps, un couple Peachum haut en couleurs qui fait beaucoup pour le succès comique de la pièce. Birane Ba, qui interprète Macheath, a une vraie présence dans les passages parlés, mais souffre un peu de la comparaison avec ses nombreuses conquêtes féminimes dans les parties chantées. <p></p><p>On ne voit ceci-dit pas le temps passer, et la curiosité de départ face à une version en français du <i>Dreigroschenoper</i> se transforme vite en enthousiasme face à la joie que dégage la troupe du Français à interpréter cet <i>Opéra de quat'sous</i>. La prochaine fois, il faudra peut-être aller voir comment se débrouille Mack-the-Knife dans la langue de Shakespeare ? </p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-28722168430814643352023-09-10T15:23:00.002+02:002023-09-10T15:28:54.346+02:00Tom Skinner / Henri Texier @ Cité de la Musique, mardi 5 septembre 2023<p>Il y a depuis quelques années une certaine <i>hype</i> autour du renouveau du jazz britannique. Un jazz très métissé, dont les principaux acteurs sont issus des diasporas afro-descandantes de l'ex-empire colonial de Sa Majesté. Pas étonnant d'y retrouver des influences afrobeat ou caraïbéennes en nombre. Le <i>spiritual jazz</i> des 70s est une autre source d'inspiration de cette musique nécessairement syncrétique. On retrouve un peu de ces éléments dans la musique de Tom Skinner, mais sans doute dans un ancrage plus purement jazz - au sens où il fait référence à la source américaine beaucoup plus explicitement que d'autres groupes londoniens contemporains. Le titre du récent disque publié par le batteur avec son quintet, <i>Voices of Bishara</i>, renvoie ainsi directement au nom du label créé par le violoncelliste Abdul Wadud dans les 70s pour publier sa propre musique. On retrouve d'ailleurs un violoncelle, tenu par Kareem Dayes, dans l'instrumentation du groupe de Skinner. Outre ses productions comme leader, Abdul Wadud, disparu l'année dernière, est surtout célèbre pour sa collaboration avec Julius Hemphill à la même époque, et notamment sur le chef d'oeuvre <i>Dogon A.D.</i> paru en 1972. Là aussi, impossible de ne pas avoir en tête la musique d'Hemphill quand résonnent les compositions de Skinner. Il ne s'agit néanmoins ni d'une relecture (ce sont des compositions originales) ni d'un pastiche, plus d'une filiation assumée sur laquelle s'appuyer pour développer sa propre expression. Et ça fonctionne très bien en concert. Outre le violoncelle déjà évoqué, le groupe est constitué de deux saxophones ténor (Robert Stillman et Chelsea Carmichael, cette dernière également à la flute) et d'une contrebasse (Tom Herbert, déjà entendu par le passé au sein de Polar Bear ou d'Acoustic Ladyland). Robert Stillman assume les tourbillons free quand Chelsea Carmichael propose des contrepoints plus voyageurs. L'assise rythmique est solide, nourrie de musiques africaines comme de la tradition jazz. Kareem Dayes alterne, lui, jeu à l'archet et pizzicati selon les morceaux, tour à tour voix mélodique ou renfort rythmique selon les besoins des compositions. L'ensemble fait preuve d'une forte cohésion, concentré sur son propos, qui permet de nous emporter avec lui au cours de l'heure que dure sa prestation. </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh_NexNlC9zUSVIaCgsXmzEy375UKp1lI-LMDdYhReY4hBf3mrbphga7BUV5ZZtRtblFEL-M4YXHdhDeb1Yw4sGnT1QMW-Rm8e3ewktWJvi36N8F6IsrI63FVUWYPITsFAoltowsrrwkrT54n-Y_erri2rAssxvDiUK41cFLbMTcFTvtyGEH4nXv9qyjM4Z/s1440/431DE316-C18E-40AE-8035-0085C4A7E382.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1081" data-original-width="1440" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh_NexNlC9zUSVIaCgsXmzEy375UKp1lI-LMDdYhReY4hBf3mrbphga7BUV5ZZtRtblFEL-M4YXHdhDeb1Yw4sGnT1QMW-Rm8e3ewktWJvi36N8F6IsrI63FVUWYPITsFAoltowsrrwkrT54n-Y_erri2rAssxvDiUK41cFLbMTcFTvtyGEH4nXv9qyjM4Z/s320/431DE316-C18E-40AE-8035-0085C4A7E382.jpeg" width="320" /></a></div><p>On ne présente plus Henri Texier, depuis le temps qu'il est un pilier essentiel de la scène jazz hexagonale. Pour l'occasion, le contrebassiste introduisait un nouveau groupe et un nouveau répertoire, annonciateur d'un disque à paraître d'ici quelques semaines, comme toujours sur Label Bleu, <i>An Indian's Life</i>. Clin d'oeil assumé à <i>An Indian's Week</i> paru il y a tout juste 30 ans (1993 déjà !). Et dernier volet d'un tryptique dédié aux amérindiens, en considérant <i>Sky Dancers</i> (paru en 2015) comme le second. Pour l'occasion, Texier a assemblé un septet, soit son groupe le plus fourni depuis le Sonjal Septet du milieu des 90s, responsable de <i>Mad Nomad(s)</i>, paru en 1995, sans doute l'un des disques les plus importants dans le début de mon amour pour le jazz à l'époque - et la preuve que c'était une musique vivante, contemporaine, à vivre en concert, et non juste une musique patrimoniale de légendes décédées. Henri Texier a donc eu un rôle essentiel dans mon éducation musicale, et je l'ai souvent vu sur scène. Ce retour à la Cité de la Musique fait ainsi écho à un concert au même endroit, dans le même cadre de Jazz à la Villette, lors de l'édition 2003 (il y a vingt ans !). Le contrebassiste y présentait déjà un nouveau groupe, le Strada Sextet, un peu avant la publication d'un disque dudit groupe, <i>(V)ivre</i> (Label Bleu, 2004). Mais si je l'ai beaucoup vu en concert à l'époque, cela a été beaucoup moins vrai récemment : la dernière fois date en effet de 2005 (dix-huit ans, une éternité !). </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh2rMFDsPhm6-clGA9Z3lNLcsVtzanrUvGIPQrgxNt9K9bNQH3fesNdGpJQcfyVgdeleO_nF-Dtyuimbeo4xf28Aahvb63TvtWPPY7WX_Q8zTYYA3bUppn7NepM6hQu8jVjPmgyetAyEFMHiX8aQJaelN0OTfFBRdzsq_zH2Phy2smnwtb3dbMtjaNzcgvd/s1440/26C7DCAD-8AAD-4CB1-B0E4-5477EE1880B6.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1082" data-original-width="1440" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh2rMFDsPhm6-clGA9Z3lNLcsVtzanrUvGIPQrgxNt9K9bNQH3fesNdGpJQcfyVgdeleO_nF-Dtyuimbeo4xf28Aahvb63TvtWPPY7WX_Q8zTYYA3bUppn7NepM6hQu8jVjPmgyetAyEFMHiX8aQJaelN0OTfFBRdzsq_zH2Phy2smnwtb3dbMtjaNzcgvd/s320/26C7DCAD-8AAD-4CB1-B0E4-5477EE1880B6.jpeg" width="320" /></a></div><p>Ce nouveau groupe rassemble quelques fidèles de plus ou moins longue date et des nouveaux venus dans l'univers de Texier. Du côté des fidèles, bien entendu son fils, Sébastien Texier, au sax alto et clarinettes, membre de toutes les aventures de son père depuis vingt-cinq ans. Egalement Manu Codjia à la guitare, dont la première collaboration remonte justement au Strada Sextet, il y a vingt ans donc. Plus récent mais tout aussi essentiel, le batteur Gautier Garrigue (découvert au sein des excellents Flash Pig) accompagne déjà Texier depuis cinq ans et trois disques. Du côté des nouveaux venus, le trompettiste belge Carlo Nardozza amène un instrument rarement entendu dans les ensembles du contrebassiste (depuis Michel Marre dans <i>La Companera</i>, en 1983 ?). Encore plus inédit, l'ajout d'une chanteuse, en la personne d'Himiko Paganotti. Enfin, le sax ténor est tenu par Sylvain Rifflet - si cet instrument n'a rien d'inédit dans un contexte texierien, il est tenu ici par l'un de ceux qui y a développé l'un des plus beaux sons sur la scène jazz hexagonale. Fidélité et renouvellement dans la composition de l'équipe, mais dès que les premières notes résonnent - solo de contrebasse, puis duo contrebasse-batterie - aucun doute n'est possible, on assiste bien à un concert d'Henri Texier. Si les compositions sont essentiellement inédites (une relecture de <i>Dakota Mab</i> - avec un texte de Sitting Bull récité par Himiko Paganotti en plus - et un standard de Fats Waller - <i>Black & Blue</i> - se glissent néanmoins dans la <i>set list</i>), on est en terrain extrêmement familier. On y retrouve de puissants <i>tutti</i> à l'unisson qui font sonner les morceaux comme des hymnes, et des solos voyageurs qui donnent différentes teintes aux morceaux. L'ajout de la voix à l'ensemble, essentiellement en vocalises (à part le standard évoqué et quelques passages récitatifs), renforce ce côté hymnique. Himiko Paganotti tient alors le rôle de ce chant dans la tête qu'en tant qu'auditeur de Texier on a forcément déjà ressenti. Un chant dans la tête qui nous accompagne nécessairement sur le chemin du retour, en attendant de pouvoir retrouver ce répertoire sur disque d'ici quelques semaines. </p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-79628634076354366552023-09-03T16:54:00.006+02:002023-09-03T17:09:59.573+02:00Jose James sings Erykah Badu / Meshell Ndegeocello @ Philharmonie de Paris, vendredi 1er septembre 2023<p>C'est la rentrée ! et le retour d'une tradition bien ancrée. En effet, depuis qu'il a été refondé sous le nom de Jazz à la Villette en 2002 et se tient début septembre (le Villette Jazz Festival se tenait précédemment début juillet), j'ai assisté à au moins un concert de chaque édition jusqu'en 2015. Pour cette édition 2023, je commence par une double affiche sous le signe de la soul, mais pas que, dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris.</p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgAU1FiqlnVu2BnfI2tVps09Q5LWT4_f7kORKcXXL0moIG_oX0z72CcYbI9XGcO5Dvlh_5xr-lruj7J-E8U5erSeC1awpNchrBmSOYhraWy7XMxsuC0rz_3-nW_LyNVmmITpKaDUOvrOPmOFtRqh2FtIcnjj44ml80qKulMFUzkDlFPMbTd34JqUrhhL9Ob/s1440/423EA43E-57EB-414D-9B0B-A0F364C27963.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1079" data-original-width="1440" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgAU1FiqlnVu2BnfI2tVps09Q5LWT4_f7kORKcXXL0moIG_oX0z72CcYbI9XGcO5Dvlh_5xr-lruj7J-E8U5erSeC1awpNchrBmSOYhraWy7XMxsuC0rz_3-nW_LyNVmmITpKaDUOvrOPmOFtRqh2FtIcnjj44ml80qKulMFUzkDlFPMbTd34JqUrhhL9Ob/s320/423EA43E-57EB-414D-9B0B-A0F364C27963.jpeg" width="320" /></a></div><p>En première partie, Jose James propose une relecture de quelques titres emblématiques de la reine de la <i>nu soul</i>, Erykah Badu. Il entame le concert par deux tubes majeurs de la chanteuse : <i>On & On</i> (extrait de <i>Baduizm</i>, le premier opus de Badu, qui date déjà de 1997) et <i>Didn't Cha Know</i> (extrait de <i>Mama's Gun</i>, le second album, produit par la dream team des Soulquarians en 2000). De quoi tout de suite rentrer dans le vif du sujet. Généreux avec le public - au point de descendre se balader dans la salle au cours du concert et serrer quelques mains - Jose James alterne les registres, se fait tour à tour crooner, soulman ou MC pour éclairer les compos de Badu sous différents angles. Il faut dire que, si elle est apparue comme une figure de proue du mouvement <i>nu soul</i> au tournant du millénaire, sa musique s'abreuve aux différentes sources du grand fleuve des musiques africaines-américaines : jazz, soul, funk, hip hop... Et c'est ce que Jose James fait magnifiquement ressortir au cours du concert. On retrouve des titres comme <i>Green Eyes</i> ou <i>Bag Lady</i>, eux aussi issus du chef d'oeuvre <i>Mama's Gun</i>, mais aussi des morceaux un peu plus récents comme <i>The Healer</i> ou <i>Gone Baby, Don't Be Long</i>, issus des deux volumes de <i>New Amerykah</i> (quand même 2007 et 2010 respectivement - on attend la suite depuis ce temps...). Sur scène, il s'entoure d'un quartet qui n'hésite pas à emmener les compositions de Badu vers des développements plus jazz lors de quelques solos instrumentaux : Ebban Dorsey, tout juste 19 ans, est au sax alto, Ashley Henry au piano et claviers, Jharis Yokley à la batterie et Josh Hari joue le remplaçant du remplaçant (d'après la présentation qu'en fait Jose James) à la basse. La voix féline de Jose James fait le reste et place les chansons d'Erykah Badu sur la vaste carte des standards.</p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgJxNG86VwuG0A41dJVi4yZE4HD88i4AU_QAG2f4Few00LcZGya4-4dfvu3fTST-NgdFJu0O47HMhsFhyxV65eZ_d_xX2WxZ0BYDZSRwkb8e-DFuKyg92ygjV_fbn72vnJhymTKIETNSncGTSo0vxB0SXo199RxVZWGYTSoagpocmwiM0asdU3v_UyMDiB4/s1440/0B95C433-0339-4F8A-86F9-A534208B9F34.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1082" data-original-width="1440" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgJxNG86VwuG0A41dJVi4yZE4HD88i4AU_QAG2f4Few00LcZGya4-4dfvu3fTST-NgdFJu0O47HMhsFhyxV65eZ_d_xX2WxZ0BYDZSRwkb8e-DFuKyg92ygjV_fbn72vnJhymTKIETNSncGTSo0vxB0SXo199RxVZWGYTSoagpocmwiM0asdU3v_UyMDiB4/s320/0B95C433-0339-4F8A-86F9-A534208B9F34.jpeg" width="320" /></a></div><p>Après la pause, c'est Meshell Ndegeocello qui se présente sur scène entourée de cinq compères : Justin Hick chante, Kyle Miles tient la basse, Jebin Bruni est aux claviers, Chris Bruce à la guitare et Abe Rounds à la batterie. C'est l'équipe au coeur de son plus récent album, le splendide <i>The Omnichord Real Book</i>, paru chez Blue Note cette année. Les trois derniers cités formaient aussi le groupe qui soutenait Meshell sur son précédent disque, le beau <i>Ventriloquism</i> (Naïve, 2018) consacré à des reprises de tubes r'n'b des 80s/90s. C'est donc sans trop de surprise un répertoire qui mêle les morceaux de ces deux disques qui nous est proposé. Les compos de Meshell alternent ainsi avec quelques reprises : <i>Waterfalls</i> de TLC au rythme ralenti, <i>Smooth Operator</i> de Sade complètement transfiguré (au point de ne pas chanter le refrain), <i>Nite and Day</i> d'Al B. Sure! lui aussi alangui ou un <i>Atomic Dog</i> méconnaissable de George Clinton. De manière générale, Meshell fait dans la retenue, dans le registre clair-obscur. Son inimitable <i>sprachgesang</i> soulful ne s'en trouve que plus mis en avant. Elle ne joue en effet quasiment pas de basse (ni des claviers qui lui font face) et se concentre sur le chant. On est loin de certains anciens concerts très funky auxquels on a pu assister (je garde un souvenir ému d'un passage à Sons d'Hiver en 2005 avec Steve Coleman, Dave Fiuczynski ou Chris Dave notamment). Mais ça marche tout aussi bien, et on se laisse facilement emporter, même si on regrette presque le confort de la Philharmonie et se rêve à pouvoir écouter ce type de musique dans une salle de plus petite taille, debout, afin de ne pas laisser le temps à l'attention de retomber un peu entre les morceaux. Les voix de Meshell (qui alterne chant et parlé-chanté) et de Justin Hicks (gorgée de gospel et de soul classique) offrent un beau contraste qui donne beaucoup de relief aux morceaux, notamment ceux issus de son plus récent disque - même en l'absence des nombreux invités de marque qui font aussi le succès du disque (Jeff Parker, Joel Ross, Jason Moran, Oliver Lake, Ambrose Akinmusire, Josh Johnson...). Meshell nous fait même le plaisir de revenir à la source originelle, avec une interprétation d'un des morceaux qui figurait sur son premier disque, <i>Plantation Lullabies</i>, sorti il y a trente ans déjà (Maverick, 1993) : "Sit back, relax"... le leitmotiv de <i>I'm Digging You (Like An Old Soul Record)</i> est un appel auquel on ne peut pas résister. </p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-40358742130477022932023-05-20T14:33:00.002+02:002023-05-20T14:38:58.646+02:00Steve Coleman & Five Elements @ New Morning, mercredi 17 mai 2023<p>Je ne sais exactement combien de fois j'ai vu Steve Coleman sur scène. Sans doute autour d'une vingtaine depuis le début de ce siècle. C'était pour sûr la treizième fois depuis 2007, date à laquelle j'ai commencé à noter tous les concerts auxquels j'assistais. Et je me souviens d'au moins cinq concerts antérieurs. Ce qui est également certain, c'est qu'il n'y avait jamais eu un aussi long laps de temps entre deux concerts, puisque le dernier auquel j'ai assisté remonte déjà à 2017. C'était donc avec une certaine excitation que je m'avançais vers le New Morning - autre valeure sure - mercredi. </p><p>Au fil des années Steve Coleman nous avait habitués à un répertoire en perpétuelle évolution, changeant les formats instrumentaux, renouvelant sans cesse ses sidemen pour donner la chance à de jeunes pousses prometteuses (la liste est très longue des figures aujourd'hui importantes du jazz new yorkais qui ont percé à ses côtés). A tel point qu'on sentait parfois le public un peu dubitatif face à des prestations qui s'éloignaient du souvenir brulant de ses performances des 90s. Pourtant, il y avait toujours un son et une approche (poly)rythmique propre à l'altiste qu'on ne pouvait confondre avec un autre. J'étais donc du côté de ceux qui continuaient à suivre avec intérêt son parcours en ne ratant que très rarement ses apparitions sur les scènes parisiennes. </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjlblPaO_VxjiRMxZt_qeCfQ2RaLntwTvdsvPKe6JWdlwXkoDVtkr_aWHTGm8WxgwAKv64cxJfO2dDxZPEe2DxrMHnTIfRVP0tkmpmh8smcO8ncBhWBrON5TkqK3tbbowUMSVc5NgTA7ANNO8XluIluWVgiVE4Xn_6MpT7NvH8liJKgCoCm0WDh_ORIYA/s1440/BBAEBB67-F97A-4F68-ACF2-6F10B549D5DD.jpeg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1080" data-original-width="1440" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjlblPaO_VxjiRMxZt_qeCfQ2RaLntwTvdsvPKe6JWdlwXkoDVtkr_aWHTGm8WxgwAKv64cxJfO2dDxZPEe2DxrMHnTIfRVP0tkmpmh8smcO8ncBhWBrON5TkqK3tbbowUMSVc5NgTA7ANNO8XluIluWVgiVE4Xn_6MpT7NvH8liJKgCoCm0WDh_ORIYA/s320/BBAEBB67-F97A-4F68-ACF2-6F10B549D5DD.jpeg" width="320" /></a></div><p>Pour ces retrouvailles, la petite surprise est donc un format instrumental resserré et somme toute classique : sax alto, trompette (Jonathan Finlayson), basse électrique (Rich Brown) et batterie (Sean Rickman). Pas non plus de nouvelle tête, mais au contraire des fidèles d'entre les fidèles : Sean Rickman a commencé à accompagner Coleman en 1996 et Jonathan Finlayson en 2001. Et si Rich Brown est plus récent, il n'a rien d'une jeune pousse, et fut au contraire toujours dans le second cercle de la galaxie colemanienne, jouant dans les mêmes groupes que certains sidemen emblématiques du Chicagoan comme Andy Milne ou... Sean Rickman justement. Quant au répertoire proposé, il résonne du souvenir de ses disques des 90s, plein de thèmes connus même s'il n'est pas toujours évident de s'en rappeler le titre exact. Exception faite de l'incontournable <i>Little Girl, I'll Miss You</i> de Bunky Green, devenu un standard du répertoire colemanien (il apparaissait dès le deuxième album de Coleman en leader, <i>On The Edge Of Tomorrow</i>, JMT, 1986) et l'une des plus belles mélodies de l'histoire du jazz à mes oreilles. </p><p>Back to basics, donc, pour ce concert. Et, même si l'on n'a rien contre la découverte, ça fait un bien fou de pouvoir voir Coleman et ses associés déployer une telle approche en live. Il faut dire que la qualité des solos, la science rythmique poussée à son paroxysme, cet alliage de groove continu et de variations relançant constamment l'attention, et enfin le son des instruments si parfaitement maîtrisé placent les Five Elements toujours tout en haut de l'affiche. Je n'étais visiblement pas le seul à prendre du plaisir tellement les réactions du public ont été bouillantes d'un bout à l'autre du concert. Rarement vu un public aussi spontanément enthousiaste, dans un New Morning bondé pour l'occasion (concert sold out). De quoi définitivement donner l'envie de ne pas rater son prochain passage par Paris. Twenty times and counting !</p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-12520620413324616402023-05-14T16:20:00.016+02:002023-05-14T18:38:19.645+02:00Herbie Hancock @ Fondation Louis Vuitton, samedi 13 mai 2023<p>Le <i>chameleon</i> des claviers se produisait trois soirs de suite dans l'auditorium de la Fondation Louis Vuitton en marge de l'exposition <i>Basquiat x Warhol, à quatre mains</i>. Avant d'assister au concert du troisième soir, je profite donc de la fin d'après-midi pour visiter ladite exposition qui présente sur quatre niveaux l'essentiel de la collaboration des deux icônes de l'art américain de la seconde moitié du XXe siècle. Pendant trois années (1983-85), ils ont produit une quantité assez considérable d'oeuvres à quatre mains : près de 160 dont une grande partie est présentée ici, augmentée d'autres oeuvres permettant de contextualiser la scène du NY Downtown des 80s (Keith Harring, Futura2000...), de photos d'archive et même d'une série d'oeuvres à six mains avec le renfort de celles de Francesco Clemente. A première vue les styles de Basquiat et Warhol sont assez dissonants, et le contexte de l'époque (Warhol avec l'essentiel de son oeuvre, et surtout de son impact sur l'histoire de l'art, déjà derrière lui, alors que Basquiat n'a commencé à émerger sur la scène artistique qu'en 1979) pourrait laisser craindre une rencontre par trop artificielle, mais pourtant il se dégage une vraie cohérence dans l'approche à quatre mains, tour à tour juxtaposition façon cadavre exquis, dialogue, confrontation et même véritable oeuvre commune où les styles entremêlés réussissent à transmettre sur la toile l'énergie urbaine du New York de l'époque - comme dans les rues où graffitis et publicités s'entrechoquent pour créer un univers singulier bien identifié. La quantité d'oeuvres rassemblées nécessite du temps pour bien profiter de la richesse de l'exposition et, arrivé à la fondation à 17h30, j'ai tout juste le temps de pénétrer dans l'auditorium pour le concert de Herbie Hancock prévu pour 20h30.</p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhhmvAv_XXafBDdBmSY2IPj2-oWhB9M7IEuMUvp9UTm3YXeOVVrTck_WzHBnHdcE1meNFv4v5uyy8g8chSe0x543mRH2UHKCmUQSiJZGYe2M8_pdtfYue64GoCOl7pbuDZrECMN9YlSRI9akUeVys1GqqxNKVf3Sjf8IKSL3OYo9NstFFZn6rVgVuiSRA/s2048/A494D0C3-5E02-411C-B52E-993CAC03F695.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhhmvAv_XXafBDdBmSY2IPj2-oWhB9M7IEuMUvp9UTm3YXeOVVrTck_WzHBnHdcE1meNFv4v5uyy8g8chSe0x543mRH2UHKCmUQSiJZGYe2M8_pdtfYue64GoCOl7pbuDZrECMN9YlSRI9akUeVys1GqqxNKVf3Sjf8IKSL3OYo9NstFFZn6rVgVuiSRA/s320/A494D0C3-5E02-411C-B52E-993CAC03F695.jpeg" width="320" /></a></div><p>C'est la cinquième fois que je vois Herbie Hancock sur scène. <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2012/11/herbie-hancock-salle-pleyel-mercredi-31.html" target="_blank">Par le passé</a>, je n'ai pas toujours été pleinement convaincu mais le bon souvenir du dernier concert <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2017/11/struny-podzimu-2017.html" target="_blank">à Prague en 2017</a> et le line-up prométeur qui l'accompagnait m'ont décidé à franchir le pas. La salle de l'auditorium n'est pas immense, on profite donc d'un concert dans un contexte presque intimiste, ce qui est un autre avantage peu commun pour une <i>légende</i> de cet acabit. Du concert de Prague d'il y a six ans, Herbie Hancock a conservé la section rythmique : James Genus à la basse électrique (entendu notamment auprès de Dave Douglas, Uri Caine ou encore Elysian Fields) et Trevor Lawrence Jr. à la batterie (plutôt actif auprès de stars pop, r'n'b ou hip hop - Kendrick Lamar, Dr. Dre, Alicia Keys...). Pour compléter le quintet il a fait appel au fidèle guitariste béninois Lionel Loueke (vu auprès de Michel Portal ou du saxophoniste Luboš Soukup pendant mes années praguoises) et à la jeune flutiste Elena Pinderhughes (entendu, elle, sur disque, auprès d'Ambrose Akinmusire ou Common). Bref un casting qui navigue alègrement entre les genres, du jazz le plus classique au hip hop, à la manière du pianiste au cours de ses plus de soixante ans de carrière.</p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgK6iOXKeofXdJV5nFy9Y7_Xo1XrcFFGqQGRZvs5Ap_dV9qp-BgcPS9Q98avJ99DVWpCx9wIbf2229EDjaHrQmMA_sCVAknIjS7OZpH21PBCbfC2UE0Y1ygQ-RrMqWF5DnBvRgrIsgOC2Dfy7z7-tssw08JmI9JQzsPv_aPv5LM0JHVAHt9cTKbqyC6gw/s1440/4C44708F-CC12-40DE-8B75-C4220B95ED65.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1086" data-original-width="1440" height="241" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgK6iOXKeofXdJV5nFy9Y7_Xo1XrcFFGqQGRZvs5Ap_dV9qp-BgcPS9Q98avJ99DVWpCx9wIbf2229EDjaHrQmMA_sCVAknIjS7OZpH21PBCbfC2UE0Y1ygQ-RrMqWF5DnBvRgrIsgOC2Dfy7z7-tssw08JmI9JQzsPv_aPv5LM0JHVAHt9cTKbqyC6gw/s320/4C44708F-CC12-40DE-8B75-C4220B95ED65.jpeg" width="320" /></a></div><p>Soixante ans : l'année 2023 marque l'anniversaire de la rencontre de Herbie Hancock avec Miles Davis, alors qu'il n'avait que 23 ans. Il deviendra son pianiste attitré jusqu'à la fin des 60s. Ce sont aussi les cinquante ans de l'album <i>Head Hunters</i>, explosion funk qui a défini le son d'une époque. Mais aussi les quarante ans de <i>Future Shock</i> et son tube <i>Rockit</i> aux sonorités hip hop et électro, contemporain des premières toiles communes de Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol !</p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjbkCA-bZEuoUMAJugpnaL39NdIkxt4HffOBXHDSv9y9HMZKdqkNmJVWtZ1QSBWe2ixnAPjXvB3IcfmDNmouow_3zJWIy_p-OJPWtcRvywOrK5_SAX1zHDIZ2G1sFKZCHZ-eff0dyTSSH55xy7je8YbpOCak4wG6envTbccbes2oZYz6KDxwitLXm15dA/s2048/129683A5-BC96-46C8-BC83-6E80564FFB08.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1536" data-original-width="2048" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjbkCA-bZEuoUMAJugpnaL39NdIkxt4HffOBXHDSv9y9HMZKdqkNmJVWtZ1QSBWe2ixnAPjXvB3IcfmDNmouow_3zJWIy_p-OJPWtcRvywOrK5_SAX1zHDIZ2G1sFKZCHZ-eff0dyTSSH55xy7je8YbpOCak4wG6envTbccbes2oZYz6KDxwitLXm15dA/s320/129683A5-BC96-46C8-BC83-6E80564FFB08.jpeg" width="320" /></a></div><p>C'est ce grand melting-pot de sons que nous propose Herbie Hancock avec son groupe ce soir. Il annonce d'ailleurs en franglais en introduction qu'ils vont jouer une "<i>ouverture</i>" sous forme de medley de "<i>petits morceaux</i>", voyage à travers quelques uns des thèmes composés par le pianiste au cours de sa carrière. Ca commence par des textures cosmiques au synthé avant que des harmonies plus jazz ne résonnent au piano. Durant tout le concert, Herbie alternera ainsi les types de claviers. Le morceau de bravoure de cette <i>ouverture</i> est sans doute le solo de Lionel Loueke autour du thème de <i>Rockit</i> à la guitare et aux onomatopées alors que ses compagnons se sont tus un moment. Incroyable transcription des sonorités électroniques et des scratches d'origine. Ca commence fort. Hancock annonce ensuite un hommage à son "<i>best friend</i>" récemment disparu, Wayne Shorter, à travers une interprétation d'un des thèmes les plus iconiques du saxophoniste, <i>Footprints</i>. Là aussi, si tous les musiciens apportent leur pierre à l'édifice, c'est encore une fois Lionel Loueke qui se distingue particulièrement au moment de son solo. Celui-ci superpose le thème de <i>Vera Cruz</i> de Milton Nascimento aux harmonies du morceau d'origine maintenues par le pianiste pendant ce temps-là. Pour la suite du concert, Herbie puise dans son répertoire des 70s avec notamment <i>Actual Proof</i> (album <i>Thrust</i>, 1974) et <i>Come Running To Me</i> (album <i>Sunlight</i>, 1978). Chaque morceau est généreusement étendu pour laisser le groove prendre toute sa place. En conclusion, les accords funky de l'introduction de <i>Chameleon</i> confirment leur incroyable pouvoir de séduction - comment y résister ? A le voir danser sur scène avec son synthé à bretelles en bandoulière, on a du mal à croire qu'il vient de célébrer ses 83 printemps le mois dernier. Définitivement le meilleur concert de Herbie Hancock auquel j'aurai eu la chance d'assister !</p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-33063008729774330022023-02-11T15:47:00.000+01:002023-02-11T15:47:01.297+01:00Marilyn Mazur's Shamania / Joe Lovano, Greg Cohen & Joey Baron @ Théâtre Jacques Carat, Cachan, samedi 4 février 2023<p>Le <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2015/02/ambrose-akinmusire-quintet-charles.html" target="_blank">dernier</a> concert parisien chroniqué en ces pages date de février 2015 et avait pour cadre le festival Sons d'hiver. Quoi de plus naturel que de reprendre donc là où en était resté, après quelques six années passées à Prague, pour lancer cette nouvelle année de concerts franciliens. Chronique de la première des deux soirées auxquelles j'ai assisté dans cette édition du festival itinérant du Val-de-Marne et qui en résume bien tout l'intérêt.</p><p>C'est la première fois que je vois Marilyn Mazur sur scène malgré sa présence depuis plus de quarante ans dans les parages des musiques auxquelles je prête volontiers une oreille. Pour l'occasion la percussionniste danoise s'est entourée d'un groupe purement féminin et scandinave (Danemark, Suède, Norvège) qu'elle a nommé Shamania. Le nom du groupe résume bien l'ambition : des rythmes aux origines diverses et pas toujours spécifiquement localisables au service de la danse, du groove et de la spiritualité. A ses côtés, alignées sur la droite de la scène, on trouve Lis Wessberg au trombone, Lotte Anker aux saxophones ténor et soprano, Hildegunn Oiseth à la trompette, Sissel Vera Pettersen au sax alto et au chant et Josefine Cronholm au chant. De l'autre côté de la scène, Makiko Hirabayashi au piano, Lisbeth Diers aux congas et Ida Duelund à la basse complètent la section rythmique emmenée par Marilyn Mazur à la batterie et aux très diverses percussions. Pour accentuer l'importance du ryhtme dans ce rituel chamanique, elles interviennent toutes à diverses percussions et poussent de la voix au cours du concert. La science percussive de la leadeuse est donc particulièrement bien servie par cette assemblée et les tourneries proposées ont un indéniable pouvoir d'entrain. Les solos des différents cuivres ajoutent une connection au spiritual jazz où élans free et attention au groove cohabitent avec plaisir. On se laisse ainsi facilement emporté par la puissance de l'ensemble. S'il fallait apporté une nuance, ce serait le caractère parfois un peu trop court des morceaux qui ne laisse justement pas toujours l'opportunité d'atteindre l'abandon de soi complet à la musique - objectif chamanique s'il en est - et frustre un peu l'auditeur. Mais c'est le revers de la médaille d'une musique et d'une prestation excellentes : on en veut plus !</p><p>Un sax hero et une section rythmique qu'on ne présente plus, la seconde partie de la soirée maintient haut le niveau d'exigence musicale. Malgré la centralité de Joe Lovano dans le monde du jazz contemporain depuis quatre décénies, c'est bien la présence de Greg Cohen à la contrebasse et de Joey Baron à la batterie qui m'a fortement motivé à prendre une place pour ce concert : la moitié de Masada au service d'une autre musique, ça éveille la curiosité. Le format sax ténor, contrebasse, batterie évoque forcément Sonny Rollins. On n'est donc pas spécialement surpris quand Lovano annonce que le premier titre qu'ils ont joué s'intitule <i>Sonny 2020</i> et a été composé pour célébrer les 90 ans du sax colossus. Ils enchaînent alors avec une autre composition-hommage, cette fois-ci en l'honneur de Charlie Haden. Lovano puise les morceaux du programme dans sa très riche discographie. Suit ainsi <i>Golden Horn</i>, composée à Istanbul et interprétée à l'époque par le Transtlantik Quartet d'Henri Texier (avec Steve Swallow et Aldo Romano) et qu'on trouve sur <i>Izlaz</i> (Label Bleu, 1988). Le morceau suivant, dont je n'ai pas retenu le nom, provient lui d'un disque de 1992 gravé avec Michel Petrucciani, Dave Holland et Ed Blackwell, <i>From The Soul</i> (Blue Note). Vient ensuite une interprétation d'un standard de Rodgers & Hart, <i>It's easy to remember</i>, que Coltrane avait enregistré (parmi beaucoup d'autres) en son temps. Au-delà du <i>name dropping</i> impréssionnant que le repertoire choisi permet, c'est à une exploration au long cours des différentes facettes de sa carrière que Lovano nous convie ainsi, merveilleusement servie par ses comparses du soir. Joey Baron, notamment, émerveille à chacun de ses solos - il se passe toujours quelque chose d'hors norme dès que le format lui permet de s'épancher au-delà du support rythmique nécessaire. Pas de morceau de Masada au répertoire (ça aurait pu, Lovano ayant enregistré un opus du <i>Book of Angels</i> avec Dave Douglas, Uri Caine et justement Greg Cohen et Joey Baron), mais de l'excellente musique qui nous accompagne encore pendant l'heure et quart nécessaire au retour chez soi (c'est beau mais c'est loin comme disait l'autre).</p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-78928470798777083692021-10-14T16:02:00.003+02:002021-10-15T15:54:22.768+02:00Roland Dahinden & Ensemble Radost / Anthony Braxton Trio @ Divadlo Archa, dimanche 10 octobre 2021<p>Il fallait bien un artiste de la trempe d'Anthony Braxton pour marquer le retour des concerts post-pandémie. Il s'agissait en effet du premier concert de l'année 2021 auquel j'assistais, le premier depuis près d'un an (Iva Bittova & Dunaj en octobre 2020), le second depuis mars 2020 et le début de l'épidémie de covid, et même le premier d'un artiste américain depuis près de deux ans (Greg Osby en novembre 2019). Quelle meilleure affiche que l'un des plus importants compositeurs et improvisateurs de ces cinquantes dernières années pour regoûter au plaisir de la performance live ?</p><p>La soirée organisée par Prague Music Performance, organisme spécialisé dans la musique contemporaine et le jazz haut de gamme sur la scène praguoise (Brad Mehldau Trio et John Zorn's Bagatelles marathon déjà vus grâce à eux ces dernières années), se présentait en deux parties articulées autour de la musique du chicagoan. Avant son propre trio, Roland Dahinden, musicien suisse qui fut l'élève puis l'assistant de Braxton à la Wesleyan University, dirigeait l'Ensemble Radost, réunion d'une trentaine de musiciens issus des académies de musique de Prague et de Brno. L'effectif, fourni, comprend quatre batteries, quatre contrebasses, trois guitares, un piano joué à quatre mains, accordéon, vibraphone et cymbalum, trois violons, une viole de gambe, trois trompettes, deux trombones, deux saxophones, deux clarinettes basses, une flute et une chanteuse. Le programme indique les compositions n°174, 136 et 257, mais il est à vrai dire difficile de délimiter des "morceaux" puisque tout s'enchaine pendant près de trois quarts d'heure. La musique passe par des atmosphères fort variées, de l'abstraction contemporaine aux échos de marching bands, jouant sur la complémentarité des timbres que l'orchestre propose, et la possibilité de jouer avec l'espace en activant tour à tour différents "blocs" de l'ensemble. On pense nécessairement au Creative Orchestra que Braxton anima dans les années 70 - il y en a comme des échos - sans que pour autant on ne puisse réduire la performance à une copie de l'original. La musique est par bien des aspects "moins jazz", plus diverse dans les languages utilisés, intégrant des éléments d'une "oeuvre" édifiée au cours de plus de cinq décénies désormais. </p><p>La seconde partie voit Braxton à la tête d'une nouvelle déclinaison de son Diamond Curtain Wall Trio. Cette dénomination fait référence à une musique mêlant écriture, improvisation et électronique. Braxton active ainsi à l'aide d'un ordinateur une sorte de fond sonore cristallin, d'abord suggéré, puis plus présent sur le dernier tiers de la performance. L'approche rappelle celle du premier des quatre concerts du saxophoniste auquels j'ai assisté, en trio avec Taylor Ho Bynum et Tom Crean <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2005/09/anthony-braxton-taylor-ho-binum-tom.html" target="_blank">à la Villette en 2005</a>. Les notes du programme distribué à l'entrée font également référence à ce qui semble être un nouveau language braxtonien, dénommé Lorraine, et présenté de la sorte : "<i>Lorraine is the name of a new music prototype. This is a music system that governs the "sonic winds" of breath. There is a stillness in the air and the ghosts of the past commands the space. Memories and shadows of "beingness" adorn the ornementation of old ruins and blessed relics. Sounds castles in the sky - long forgotten experiences have returned with love and humility. Lorraine has come home to birth a renewal and awareness of the other. Lorraine the traveller.</i>" Derrière la description poétique, on retrouve des échos de préoccupations au long cours d'Anthony Braxton : la fréquentation sans cesse renouvellée des standards du jazz, la relecture de son propre répertoire par ses anciens étudiants de la Wesleyan University, ou son système Echo Echo Miror House par lequel des enregistrements d'oeuvres anciennes s'intercallent dans la performance live de nouvelles compositions à l'aide d'iPods. Mais le terme qui reflète sans doute le mieux la performance du jour dans ce court descriptif est celui de <i>sonic winds of breath</i>.</p><p>En effet le souffle, ample, multiple, inventif, est ce qui ressort en premier lieu du trio assemblé pour l'occasion. Anthony Braxton tient, bien entendu, les saxophones (alto essentiellement avec de courts passages au soprano et au sopranino). Face à lui, Susana Santos Silva lui répond à l'aide de trompette et bugle. Entre eux, le soufflet de l'accordéon d'Adam Matlock sert de liant, faisant circuler les idées, parfois réhaussées par la voix de ce dernier, étranges échos de souvenirs enfouis dans notre mémoire collective. Comme lors d'un concert en quartet <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2013/08/anthony-braxton-quartet-fundacao.html" target="_blank">à Lisbonne en 2013</a>, la qualité du son - porté par le souffle donc - me frappe particulièrement. Braxton et la trompettiste portugaise apportent une attention particulière au rendu sonore de leur expressivité. Comme si les aspects les plus théoriques de la musique s'effaçaient pour laisser juste la place à l'émotion, simple et directe. C'est sans doute là la réussite la plus marquante de la performance, ne pas se laisser enfermer dans ses propres systèmes et languages, mais porter une constante attention à la réception de la musique - ce pour quoi elle est jouée sur scène. Nouvelle démonstration magistrale qu'Anthony Braxton est bien un des monuments les plus essentiels des musiques issues du jazz (sans s'y résumer), toujours alerte et créatif à 75 ans passés. Quatrième concert (deux à Paris, un à Lisbonne, un à Prague) et l'impression renouvellée d'avoir assister à quelque chose d'unique. Et par la même occasion, la confirmation de l'importance de Susana Santos Silva sur la scène contemporaine desdites musiques (quatre ans après l'avoir vue <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2017/11/music-unlimited-31-1er-soir-wels.html" target="_blank">à Wels</a> en duo avec Kaja Draksler, autre excellent souvenir). </p>Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-21399221879403911592019-08-18T19:10:00.001+02:002019-08-18T19:13:59.671+02:00Mary Halvorson - Code Girl @ Fundação Calouste Gulbenkian, dimanche 11 août 2019Le festival s'achève par le dernier né des projets menés par Mary Halvorson. Si elle a longtemps développé ses groupes à partir de la cellule-souche de son trio avec John Hébert et Ches Smith (trio, puis quintet, puis septet, et enfin octet), ce nouvel ensemble part d'un autre trio : celui qu'elle forme avec Michael Formanek (cb) et Tomas Fujiwara (dms), et qui a déjà enregistré plusieurs albums sous le nom de Thumbscrew. Alors que six musiciens sont présents sur scène, seuls les trois membres du trio de base jouent ainsi continuellement. Les trois autres interviennent de manière parcimonieuse, souvent comme solistes, parfois comme voix mélodiques dédoublées.<br />
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Sur la gauche de la scène, on retrouve la chanteuse Amirtha Kidambi. Elle est l'autre élément essentiel de ce groupe. Tout d'abord parce qu'il s'agit d'un projet articulé autour de chansons. Ensuite parce que sa voix si particulière définit la sonorité de l'ensemble. Je l'avais vue au sein du groupe Seaven Teares à <a href="http://native-dancer.blogspot.com/2017/11/music-unlimited-31-2e-jour-wels-samedi.html" target="_blank">Wels en 2017</a> (festival dont Mary Halvorson était la curatrice), mais j'étais resté assez dubitatif face à la musique proposée, il est vrai plus à cause de l'autre chanteur du groupe que d'elle. Je retrouve néanmoins cette dimension fortement théâtrale de la voix qui m'avait géné il y a deux ans. Au cours d'une même phrase, la voix de Kidambi prend ainsi tour à tour des accents folk, jazz, cabaret, opératique... il faut ainsi un petit temps d'adaptation pour saisir le sens de la démarche. Elle me fait - dans certains passages - un peu penser à ce que Jen Shyu pouvait développer auprès de Steve Coleman, une technique vocale hors des cadres préétablis, capable de développer un discours soliste parallèle aux instrumentistes. Du coup, elle prend beaucoup plus de place que les deux autres "voix" solistes dans la construction des morceaux : Adam O'Farill à la trompette et Maria Grand au sax ténor et au chant. Ils semblent tous les deux plus là comme des voix secondaires - que Maria Grand accompagne Amirtha Kidambi au chant, ou que sax et trompette assument le discours mélodique.<br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhN4SPhHxBY1h085fBmDlsm2VJmeiPtZHUgWpE9KskWQr5qW_frN0j0bJGHmXTVNhKdiWrVCcEWDsib-LC9NjWZi2sPUBQDrY5NjceIDXisna1UmaL05GSthlD0XI6nCazvZp8Cu6iAq0hu/s1600/IMG_2758.JPG" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1200" data-original-width="1600" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhN4SPhHxBY1h085fBmDlsm2VJmeiPtZHUgWpE9KskWQr5qW_frN0j0bJGHmXTVNhKdiWrVCcEWDsib-LC9NjWZi2sPUBQDrY5NjceIDXisna1UmaL05GSthlD0XI6nCazvZp8Cu6iAq0hu/s400/IMG_2758.JPG" width="400" /></a></div>
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La jeune saxophoniste, découverte elle aussi auprès de Steve Coleman, a néanmoins droit à deux morceaux en soliste, l'un au sax, l'autre au chant, dans lesquels elle déploie une approche plus en retenue, qui donne une sorte de fragilité contrôlée, comme en dentelle, à la musique. Sans doute mes moments préférés du concert, avec les passages ou seul le trio Halvorson, Formanek, Fujiwara intervient.<br />
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Si Amirtha Kidambi est la voix qui donne leur relief aux compositions, on reconnait aisément la griffe Halvorson dans les mélodies proposées (musique et paroles sont d'elle). L'écriture fait ainsi fortement penser au duo qu'elle formait avec Jessica Pavone, et qui s'aventurait sur un terrain avant-folk souvent au service d'un format "chanson" (les deux poussaient de la voix). On retrouve ainsi ces mêmes mélodies acidulées, d'apparence bancale, qui semblent avancer en claudiquant, mais à l'indéniable pouvoir de séduction. Pour l'occasion, Mary Halvorson précise qu'il s'agit d'un tout nouveau répertoire, joué pour la première fois en concert, différent des morceaux enregistrés sur le premier disque du groupe (au format quintet, avec Ambrose Akinmusire à la trompette). De quoi annoncer de nouveaux développements pour ce projet encore assez récent.Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-18685459205115081542019-08-13T20:14:00.001+02:002019-08-13T22:38:53.681+02:00Ambrose Akinmusire - Origami Harvest @ Fundação Calouste Gulbenkian, samedi 10 août 2019Alors que la moitié du concert est déjà dépassée, Ambrose Akinmusire et Kokayi se mettent en retrait pour un aparté rapide. Ils ont repéré des mouvements dans la foule. Alors que jusqu'à présent les quelques goutes de pluie n'avaient dérangé personne dans l'audience, la soudaine averse pousse les uns vers la sortie, les autres sous les arbres, d'autres encore à sortir capuche ou couvre-chef. Après un bref échange, ils font donc signe au public de venir les rejoindre sur scène, à l'abri de la structure métallique de celle-ci. Imperturbables, les autres musiciens continuent, alors que le public forme désormais un cercle resserré autour d'eux. Le son des instruments n'est alors plus perçu à travers l'amplification nécessaire à un concert en plein air, mais au plus près de la matière propre à chacun. Et quoi de mieux pour un quatuor à cordes !<br />
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Le projet "Origami Harvest" d'Ambrose Akinmusire associe en effet les apparents contraires. Sur la gauche de la scène, les trois quarts de son quartet régulier sont présents : Sam Harris au piano et au synthé, Justin Brown à la batterie, et le leader à la trompette. Sur la droite, on retrouve le Mivos Quartet, quatuor à cordes habitué du répertoire contemporain, soit Olivia de Prato (vl), Maya Bennardo (vl), Victor Lowrie Tafoya (vla) et Tyler J. Borden (cello). Au centre, enfin, le rappeur Kokayi, habitué au dialogue jazz-rap après vingt-cinq ans d'expériences communes avec Steve Coleman. Sur disque, le résultat était enthousiasmant (avec d'autres rappeurs), mais j'étais curieux de pouvoir écouter ça sur scène, sans le travail de production inhérent à la réalisation d'un enregistrement.<br />
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="float: left; margin-right: 1em; text-align: left;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEimCiA5p8L4-WHer4V4itZgk6sCRw56zoio0CPGUqMzLzuS-AT_vUD25qDE8XrxSrIFrNxN_nbfTdiDu_e5sxzGbJY4_JtiOA0PWY02swEBXsSCx-pBdVCGyVZTlju6YcUEszOXheeJyHFA/s1600/IMG_1583.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="1200" data-original-width="1600" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEimCiA5p8L4-WHer4V4itZgk6sCRw56zoio0CPGUqMzLzuS-AT_vUD25qDE8XrxSrIFrNxN_nbfTdiDu_e5sxzGbJY4_JtiOA0PWY02swEBXsSCx-pBdVCGyVZTlju6YcUEszOXheeJyHFA/s400/IMG_1583.JPG" width="400" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><i>Au plus près de l'action, pour échapper à la pluie</i></td></tr>
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La vue permet de mieux comprendre comment cette musique fonctionne. Les huit musiciens ne jouent quasiment jamais tous ensemble. On assiste plutôt à une succession de "tableaux" : le plus souvent, piano et batterie offrent des beats hip hop typiques sur lesquels Kokayi rappe, voire chante, ou Akinmusire prend de puissants solos. Entre ces moments frénétiques, les cordes offrent comme des respirations, accompagnées par l'un des autres (trompette, rappeur ou batterie, mais pas tous en même temps) ou seules. A la mi-temps du concert, je me fais la réflexion qu'à force tout se ressemble un peu... et comme tout bon commentateur sportif émettant un jugement par trop définitif, je suis immédiatement démenti par la tournure des évènements. Les morceaux de la seconde moitié me semblent en effet faire un usage plus divers des possibles combinaisons soniques, réduisant quelque peu la part prise par le couple claviers / batterie, offrant aussi plus de libertés aux cordes dans leurs interventions, sur des schémas moins évidents. Cette perception est donc renforcée par l'invitation faite au public de rejoindre le groupe sur scène. Juste en face de Kokayi, à quelques mètres des cordes, leur rendu est totalement différent sans le filtre de l'amplification.<br />
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Kokayi improvise alors quelques strophes sur la pluie qui redouble d'intensité, ajoutant par son free style un peu de légèreté à un propos par ailleurs très <i>conscient</i>, comme une bande son du mouvement Black Lives Matter. "<i>Say their names : Trayvon Martin, Sandra Bland, Eric Garner...</i>" Frissons garantis. Et la confirmation que la démarche d'Ambrose Akinmusire est décidément très politique, directement connectée au contexte social des vies noires contemporaines aux Etats-Unis. C'était déjà le cas lors d'un <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2015/02/ambrose-akinmusire-quintet-charles.html" target="_blank">précédent concert</a>, avec une approche musicale différente, vu il y a quelques années à Sons d'hiver. Comme je l'indiquais alors, il reprend le flambeau d'une longue tradition dans la culture afro-américaine. Et, servie par une telle musique, on peut être certain que la flamme n'est pas prête de s'éteindre.Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5005088015846363843.post-10448170546241767502019-08-10T20:38:00.000+02:002019-08-13T20:44:50.162+02:00Robyn Schulkowsky & Joey Baron / Tomas Fujiwara - Triple Double @ Fundação Calouste Gulbenkian, vendredi 9 août 2019Pour cette deuxième soirée, je ne me contente pas du concert de 21h30 dans l’amphithéâtre en plein air, mais prends également une place pour celui de 18h30 dans un des auditoriums de la fondation. Petite surprise, celui-ci est bien rempli pour assister à un duo de percussions ! Est-ce le nom de Joey Baron qui suffit à déplacer les foules ? Pour l’occasion le génial batteur dialogue avec Robyn Schulkowsky, issue de la musique contemporaine. Qui dit duo de percussionnistes ne dit cependant pas nécessairement pyrotechnie démonstrative. Les deux musiciens entament ainsi leur dialogue dans la retenue, à mains nues sur les toms (batterie, bongos, et quelques petits gongs pour lui, timpani, congas, cymbales, divers gongs pour elle). On sait, pour l’avoir vu plusieurs fois à l’œuvre dans cet exercice au sein de concerts de Masada, combien Joey Baron est enthousiasmant dans ce registre, vrai mélodiste des peaux, capable de toutes les nuances. Sa compagne d’un soir est dans le même état d’esprit, et le concert commence ainsi sous les meilleures auspices. Par la suite, ils élargiront leur registre d’interventions, balais, baguettes, mailloches pour Baron, essentiellement mailloches pour Schulkowsky, privilégiant continuellement l’écoute de l’autre et la retenue. Robyn Schulkowsky dédicace ainsi l’une de leurs interventions à Rosa Parks, exemple de résistance tranquille (le morceau s’intitule « Quiet resistance »). Il ne s’agit pas ici de revendiquer avec fureur sa colère, mais de faire l’éloge d’une force mentale capable de se dresser sereinement face à l’injustice. La musique qui sous-tend l’hommage est à l’avenant, simple, pure, douce mais très loin du « prêt à écouter » des beats globalisés. Sur la fin, Joey Baron développe brièvement un langage plus ostensiblement jazz, Robyn Schulkowsky se prête au jeu, ravie d’explorer des modes qu’elle ne fréquente pas habituellement. Et tous les deux arborent continuellement un grand sourire tout au long de leur performance qui en dit long sur leur plaisir à partager cette petite heure sur scène.<br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgWmdPdYJ8SSjuYsBTfkwnF56Pzd6YUqtHCWo_yA1g7WFxl3i_bQEuCTwpqJWoc_kZShiYXuct5WSofYS-juGKdUpAwLnC6YLfLTD7vz4sSMB7Mdo5Ww7xlgnRfhm8LDS9WtT1R9CX_D60c/s1600/IMG_2816.JPG" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1200" data-original-width="1600" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgWmdPdYJ8SSjuYsBTfkwnF56Pzd6YUqtHCWo_yA1g7WFxl3i_bQEuCTwpqJWoc_kZShiYXuct5WSofYS-juGKdUpAwLnC6YLfLTD7vz4sSMB7Mdo5Ww7xlgnRfhm8LDS9WtT1R9CX_D60c/s400/IMG_2816.JPG" width="400" /></a></div>
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A 21h30, dans l’amphithéâtre des jardins de la fondation, on retrouve aussi deux percussionnistes. Tomas Fujiwara est accompagné par Gerald Cleaver au sein de son Triple Double, sextet associant deux trios à l’instrumentation similaire : trompette/cornet, guitare, batterie. Ralph Alessi et Taylor Ho Bynum se partagent les cuivres et Mary Halvorson et Brandon Seabrook les cordes. C’est la deuxième fois que je vois le groupe sur scène après <a href="https://native-dancer.blogspot.com/2017/11/music-unlimited-31-1er-soir-wels.html" target="_blank">Wels en 2017</a>, et mon enthousiasme n’a en rien décru depuis lors, bien au contraire. Cette musique est extraordinaire de bout en bout : grande lisibilité des morceaux (peut-être aidée par deux ans d’écoute répétée du disque du groupe) dont les mélodies simples semblent avancer toutes seules, musicalité extrême de chaque intervention, en solo, en duo, en trio ou à tutti, véritable travail d’arrangement pour maintenir constamment l’attention au plus haut grâce à des combinaisons instrumentales différentes, et large place laissée à l’improvisation pour étirer au maximum le plaisir - mais jamais au détriment de la cohérence d’ensemble. Il y aurait de nombreux passages à mettre en lumière, mais l’un de ceux qui résument le mieux la démarche est sans doute le morceau du rappel : alors que les deux batteurs maintiennent un rythme obsédant, les quatre autres se relaient pour assurer le discours. Celui-ci semble ainsi rebondir de droite à gauche de la scène : d’abord Brandon Seabrook, puis Taylor Ho Bynum, puis Ralph Alessi, et enfin Mary Halvorson, et on repart sur Seabrook. Au premier tour, les solos sont développés dans la durée, puis se raccourcissent au fur et à mesure, tour après tour, jusqu’à ce que l’ensemble se fonde dans une reprise du thème à tutti après quatre ou cinq tours de solos. Beau travail sur l’espace et le temps dans la construction du discours. Il faudrait également évoquer les nombreux duos, contrastés quand les deux guitaristes se répondent, complémentaires quand les deux batteurs allient leur puissance de frappe, inventifs quand Bynum et Fujiwara nous rappellent qu’ils ont pris l’habitude d’un tel dialogue depuis près de deux décennies. Qualité de l’écriture, engagement total de chaque interprète, vrai travail d’arrangement, rapport parfait entre forme et liberté, composition et improvisation, il est fort probable que ce Triple Double soit l’un des plus beaux groupes de la décennie écoulée. Mais avec Bynum, Halvorson et Fujiwara, c’est presque une habitude.Damienhttp://www.blogger.com/profile/07454159562235788805noreply@blogger.com0