mercredi 27 juillet 2005

Roy Hargrove & RH Factor @ New Morning, mardi 26 juillet 2005

Roy Hargrove était hier soir au New Morning avec son RH Factor, un groupe qui oscille entre jazz, soul et funk. Formule resserrée par rapport au disque du groupe qui voit se succéder une ribambelle d'invités (Steve Coleman, Meshell Ndegeocello, Q-Tip, Common, D'Angelo, Erikah Badu...). Encore que, resserrée, il faut le dire vite, ils étaient quand même neuf sur scène : Roy Hargrove à la trompette, William Marshall et Kevin Williams aux saxes (alto et baryton), Todd Parsnow à la guitare, Willis McCampbell et Renée Neufville aux claviers, Reggie Washington à la basse (vu aux côtés de Steve Coleman il y a quelques années) et enfin Willie Jones et Jason Thomas aux batteries.

Roy Hargrove s'est d'abord fait connaître, à la fin des années 80, comme un jeune lion du bop, capable de jouer à la perfection dans la plus pure tradition du jazz mainstream. Mais, parallèlement à cette carrière de soliste respectable, il a toujours maintenu une oreille attentive du côté des musiques de la rue (funk, soul, rap), apparaissant sur des albums du soulman D'Angelo ou du rappeur Common par exemple. Ou collaborant éphémèrement avec Steve Coleman sur le très bon The Tao of Mad Phat (BMG, 1993). Rien d'étonnant donc à le voir débouler il y a deux ans avec ce projet "RH Factor" où le jazz se marie à la nu-soul et au funk. Mais, si le disque qui en résulte est assez bon, c'est en live que cette musique prend tout son sens. La musique y est plus brute, moins "polie", plus marquée par le plaisir instantané de faire danser le public.

Le concert d'hier soir a ainsi débuté par une terrible déflagration funk aux accents afrobeat particulièrement enthousiasmante. La présence de deux batteries aidait à rendre les rythmes popularisés dans les années 70 par Fela et son batteur Tony Allen. Le ton était donné. Il ne fallait pas s'attendre à des subtilités mélodiques et rythmiques, mais plutôt se laisser entraîner corps et âme par la formidable machine à groover déployée pour l'occasion. C'est donc ce qu'on a fait, avec un plaisir non dissimulé. Après quelques morceaux purement instrumentaux, Renée Neufville s'est mise à chanter, alternant ballades soul et morceaux plus funky. Avec sa belle voix soul, mais peu originale, elle était plus à son avantage sur les morceaux enlevés, où son phrasé se faisait plus rentre-dedans, plus marqué par la scansion funk.

Le RH Factor s'apparente en fait un peu à une relecture des grandes épopées funk des 70s (Oneness of Juju, Funkadelic...) par la génération hip hop. Roy Hargrove a d'ailleurs cité deux mesures de One Nation Under A Groove aux détours d'un morceau, comme pour mieux marquer la filiation. On retrouve l'esprit fusionnel, revendicatif et festif de ces grands ensembles funk d'hier, mais marqué par une rythmique qui puise son inspiration dans les musiques urbaines actuelles, hip hop en tête donc. Le tout joué par des musiciens habitués du langage jazz, ce qui donne une qualité instrumentale indéniable à cette musique.

Le concert s'est déroulé en deux sets assez longs. Les musiciens prennaient visiblement du plaisir à jouer, et le public suivait évidemment, ce qui a permis de pousser jusque vers 1 heure du mat'. Si le premier set était marqué par la présence de Renée Neufville au chant, le second a vu les autres musiciens pousser aussi un peu de la voix, à commencer par le leader, mais aussi - et surtout - le batteur Jason Thomas sur une ritournelle soul assez impressionnante (ça gloussait de plaisir dans le public...). Le concert s'est achevé sur un rappel de trois morceaux, pour prolonger le plaisir le plus longtemps possible.

lundi 25 juillet 2005

Daniel Humair "Baby Boom" Quintet @ Arènes de Montmartre, dimanche 24 juillet 2005

J'adore ce groupe. J'adore les musiciens qui le composent. J'adore la musique qu'ils jouent.

Le Baby Boom Quintet mené par Daniel Humair était hier soir dans les Arènes de Montmartre dans le cadre de Paris quartier d'été pour un fantastique concert. J'avais déjà pu voir le groupe en 2003, au moment où il s'était formé, et j'avais déjà beaucoup apprécié le concert. Mais hier c'était encore mieux que dans mon souvenir, comme si la musique était encore plus incarnée, plus dansante, avec un véritable son de groupe au-delà des fortes individualités qui le composent. Car ce groupe s'appuie véritablement sur quelques figures majeures de la jeune garde du jazz hexagonal : Matthieu Donarier (saxes ténor et soprano), Christophe Monniot (saxes baryton, alto et sopranino), Manu Codjia (guitare) et Sébastien Boisseau (contrebasse).

A l'origine, il y a deux ans, les styles respectifs des deux saxophonistes étaient en tous points opposés. D'un côté Monniot, bouillonnant, amuseur, loufoque, excité. De l'autre Donarier, calme, timide, souple, mélodieux. S'ils ont chacun conservé leur caractère propre, Monniot est un peu moins clownesque dans son personnage mais encore plus facétieux dans sa musique, tandis que Donarier est plus expressif, dansant en même temps que son sax, mais toujours aussi souple dans ses sonorités, comme j'avais déjà pu le constater lors de son récent splendide concert en trio aux Trois Frères. Seuls ou en duo, ils sont les fers de lance lumineux de ce quintet supersonique.

Sur le côté gauche de la scène hier, il y avait un autre phénomène de la jeune génération du jazz français : Manu Codjia. J'en ai déjà parlé à de nombreuses reprises (et pour cause, c'est l'un des musiciens que je vois le plus souvent en concert), mais je ne peux m'empêcher de souligner une nouvelle fois son talent félin. Écouter les notes sortir de la guitare de Codjia pour s'envoler dans la nuit parisienne alors que ses compères se sont tus un instant a quelque chose d'absolument magique, il faut dire. Les habitants de l'immeuble d'en face n'y étaient visiblement pas insensibles, vus que certains étaient montés sur le toit pour profiter du concert, un verre de vin à la main. Il y en a qui ne s'embêtent pas (quoi, moi, jaloux ?).

Les trois larrons font beaucoup pour la réussite de ce groupe. Daniel Humair les a recrutés à leur sortie du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, endroit où il était leur professeur. Depuis quelques années le CNSMP est devenu le véritable vivier du jazz hexagonal. Je ne sais pas trop ce qu'on leur enseigne là-bas, mais visiblement ce n'est pas du formatage. Chacun développe son propre discours, original, sans chercher à copier les grands anciens. Précieux.

Le groupe a joué des compositions d'un peu chacun de ses membres. Du leader bien sûr, mais aussi de Sébastien Boisseau (le beau U Maleho Pablo), de Matthieu Donarier (le délicieux Saveur Exquise) ou encore de Christophe Monniot (la très dansante Bourrée des Mariés). Des thèmes présents sur leur disque intitulé Baby Boom (Sketch, 2003), mais aussi quelques nouveautés. A chaque fois la répartition entre jeu collectif, solos, duos, trios est absolument parfaite, toujours là pour surprendre et susciter l'attention la plus dévouée. Et, surtout, rien n'est systématique, tout se fait selon l'humeur du moment. La gamme quasi complète des saxos (du sopranino au baryton) joués par Donarier et Monniot permet elle aussi de varier avec bonheur les sonorités. On se laisse ainsi entraîner par le tourbillonnant jeu de Monniot à l'alto, le son puissant de Donarier au ténor, l'espièglerie de Monniot au sopranino, et ainsi de suite. Sans oublier bien sûr la classe rythmique exemplaire de Humair derrière sa batterie. Ce n'est pas un grand pour rien.

Le concert s'est achevé sur une reprise du joyeux Cd-Rom de Bojan Z. Un thème qui colle parfaitement à l'approche très fellinienne de Donarier et Monniot, respectivement au soprano et au sopranino. Une sorte de 8 1/2 cirquo-balkanico-jazz au plaisir communicatif.

Pour le rappel, ils ont continué dans les reprises, allant les chercher outre-atlantique cette fois-ci, avec un mélodieux Mood Indigo (Ellington) enchaîné avec un tonitruant Boogie Stop Shuffle (Mingus). Un peu à la manière du merveilleux rappel lors du concert du Matthieu Donarier Trio évoqué plus haut (un A Night in Tunisia échevelé qui résonne encore dans ma tête), ils ont ainsi démontré leur attachement non-aliénant au riche héritage afro-américain. Pas de doute, le Baby Boom Quintet est un grand groupe de jazz. Souhaitons lui longue vie !

dimanche 24 juillet 2005

Stéphane Belmondo / Hermeto Pascoal / Michel Portal & Mino Cinelu @ Parc Floral & Arènes de Montmartre, samedi 23 juillet 2005

La liste des noms des musiciens suffirait presque à résumer la qualité des trois concerts auxquels j'ai assisté hier. La journée a commencé avec Stéphane Belmondo et Hermeto Pascoal dans le cadre du Paris Jazz Festival, avant de se prolonger dans la nuit montmartroise avec le concert de Michel Portal et Mino Cinelu dans le cadre de Paris quartier d'été.

Le quartet que Stéphane Belmondo a constitué pour son projet Wonderland, autour de la relecture de morceaux de Stevie Wonder, est une petite merveille d'équilibre, de swing et de justesse. Après l'avoir vu en club l'année dernière (ambiance plus intimiste, trois sets), le concert d'hier était l'occasion de prendre une nouvelle fois beaucoup de plaisir, dans des conditions un peu différentes (plein air, avec des bruits parasites donc, un seul set). Mais, vue la beauté de la musique jouée, on arrive assez bien à faire abstraction de tout ce qui pourrait perturber l'écoute. Eric Legnini, au piano, a une nouvelle fois fait la démonstration de son talent, tout en lyrisme léger et swing entraînant. Laurent Robin, à la batterie, nous a gratifié d'un superbe solo sur la fin, après avoir assuré une pulsation rythmique des plus élégante tout au long du concert. Et, même s'il est plus en retrait, le contrebassiste Paul Imm complète de manière idéale ce carré d'as du swing. Sur les lignes enchanteresses tressées par ses acolytes, Stéphane Belmondo, à la trompette et au bugle, pose délicatement son phrasé toujours très mélodique, soulful comme disent les Américains. Il ne tire par ailleurs pas toute la couverture à lui, laissant à de nombreuses occasions le trio d'accompagnateurs développer son propre discours. La journée commençait rudement bien.

Hermeto Pascoal est l'un des individus les plus étranges de la jazzosphère. Albinos brésilien, poly-instrumentiste improbable (de l'accordéon à l'arrosoir en passant par le piano, les verres ou même... des cochons), longues barbe et chevelure blanches, le sorcier amazonien fait musique de tout. De la bossa aux expériences électriques de Miles Davis, en passant par la relecture des folklores nordestins ou l'invention d'un jazz free en résonnances avec les sons de la jungle amazonienne, il est pafois délicat de suivre le parcours protéiforme de ce grand petit bonhomme. J'attendais donc avec impatience d'enfin pouvoir le voir en concert, lui qui vient assez peu souvent de ce côté-ci de l'Atlantique. Accompagné d'un pianiste, une chanteuse, un saxophoniste, un bassiste, un percussionniste et un batteur, Hermeto Pascoal, lui-même le plus souvent aux claviers électriques, nous a proposé un véritable jazz brésilien. La recontre de ces deux univers si riches (le jazz et la MPB) n'est pas si fréquente, et rarement à la hauteur. L'un prend toujours le pas sur l'autre. Que ce soit des jazzmen qui jouent - gentillement - de la bossa, ou au contraire des artistes brésiliens qui s'essaient aux ornementations plus jazzy que véritablement jazz. Avec Hermeto Pascoal, rien de tout cela, mais au contraire une musique vivante, libre, rieuse. Comme s'il mettait la nature en musique. Le terme de jungle employé pour qualifier les suites d'Ellington dans les années 30 conviendrait parfaitement aux miniatures swinguantes d'Hermeto Pascoal. On croit entendre le bruissement de la forêt, les cris d'animaux inquiétants, le cours du fleuve pas toujours très tranquille, les danses sacrificielles de quelques indigènes anthropophages, mais aussi les rituels festifs du forro nordestin, les rythmes urbains du jazz bop, les sons de la vie quotidienne dans les grandes métropoles. On ne sait plus très bien, à l'arrivée, si l'on est en pleine forêt amazonienne ou au milieu de la forêt de gratte-ciels de Sao Paulo. Mais Hermeto Pascoal, c'est aussi une sorte de lutin rieur, qui joue avec des verres, fait chanter le public, invite Stéphane Belmondo a participé à la fête, fait danser dans les têtes (quand ce n'est pas sur la tête), cite Round Midnight ou Autumn Leaves pour mieux les tropicaliser, et révèle une constellations de talents méconnus au sein de son groupe, comme cette chanteuse qui sort des sons aigus et onomatopiques mais au caractère extrêmement dansant, ou ce jeune pianiste au jeu rythmiquement complexe mais toujours très fluide. Hermeto Pascoal, quasi-septuagénaire (il est né en 1936), c'est en fait, à l'image de celui qu'il accompagna brièvement en 1970, un grand sorcier, mais aussi un grand sourcier qui fait jaillir les notes comme personne.

Que se racontent un basque et un martiniquais quand ils se retrouvent côte à côte sur une scène ? Des histoires de folklores. De folklores imaginaires. Les plus beaux. C'est en tout cas ce qu'ont fait Michel Portal (clarinette basse, sax soprano et bandonéon) et Mino Cinelu (batterie, toutes sortes de percussions et programmation électronique) hier soir dans le sympathique cadre des Arènes de Montmartre. Largement improvisée, leur rencontre (même si ce n'était pas leur première) se plaçait ostensiblement sous le signe du plaisir partagé. Entre eux deux, et avec le public. Si je te joue cette mélodie, par quel rythme me réponds-tu ? Si je te joue tel rythme, quel discours vas-tu pouvoir tenir dessus ? Si je joue tango, pourras-tu chanter en créole ? Ces deux musiciens ont tellement de musique dans leurs mémoires que leurs sonorités se font vite voyageuses pour le spectateur. Difficile de ne pas répondre à l'appel d'un embarquement immédiat quand la douce voix de l'hotesse Air France se mue en la clarinette basse de Portal. De quoi achever de la plus agréable des manières une journée pleine des plus belles notes qu'on puisse entendre.

dimanche 17 juillet 2005

Fernanda Abreu / Tom Zé @ Parc de la Villette, samedi 16 juillet 2005

Revoilà Tom Zé ! Quelques mois après son concert dans le cadre de Banlieues Bleues, le génial trublion de la MPB se produisait - gratuitement - dans le parc de la Villette hier soir. Avant de revenir sur sa prestation, quelques mots sur la première partie.

Le concert a commencé par une énergique démonstration de samba-funk de la part de la reine du genre, Fernanda Abreu. Entre chant samba et funk parlé (comme on appelle le rap au Brésil), son style vocal oscille constamment entre deux extrêmes. D'un côté gouailleuse, de l'autre mélodieuse. La musique de son groupe est à son image - double. On retrouve des éléments de samba traditionnelle mélangés au rythmes lourds et enlevés du funk. En quasiment deux heures de concert, elle a proposé un large éventail de son répertoire, de son tube Rio 40 Graus qui l'a fait connaître hors du Brésil il y a une dizaine d'années à une reprise à succès du Jack Soul Brasileiro de Lenine. De quoi bien chauffer le public avant le concert de Tom Zé.

Depuis son concert d'avril dernier, j'ai acheté le nouveau disque de Tom Zé, Estudando o Pagode - Na Opereta Segregamulher e Amor, ce qui permet de comprendre un peu mieux le pourquoi des chansons proposées au public. Tom Zé a en effet écrit une opérette (inachevée est-il précisé) sur la condition de la femme au Brésil. Je notais dans ma note d'avril que le thème central des chansons était le féminisme. En voici donc l'explication. Musicalement, Tom Zé a choisi de se servir du pagode, un dérivé populaire et commercial de la samba qui a connu son heure de gloire dans les années 90. Genre musical méprisé par les classes sociales éduquées au Brésil, Tom Zé l'a choisi pour le sortir de la ségrégation dans lequel il se trouve (à l'image de la femme, donc). On retrouve là le génie de Tom Zé qui mêle avec délice le populaire et l'intellectuel (les paroles des chansons faisant de nombreuses références à la mythologie grecque ou aux thèses féministes les plus élaborées). Ceci se retrouve aussi musicalement, comme par exemple sur le morceau Ave Dor Maria, qui fait s'entrechoquer l'Ave Maria de Gounod et un "pagode entambouriné". Ce qu'il y a de bien également à posséder ce nouveau disque, c'est que le livret de l'opérette est disponible à la fois en portugais et en français. Malgré les nombreux concerts brésiliens auxquels j'assiste, mon portugais progresse en effet assez lentement, et il n'est pas inutile d'avoir quelques traductions ! Ça permet en tout cas d'apprécier encore plus finement les chansons de Tom Zé.

Pour le concert d'hier soir, Tom Zé a donc commencé par chanter quelques unes des chansons de cette opérette : l'une qui traite d'un discours fait à l'ONU pour défendre les femmes brésiliennes maltraitées, l'autre qui évoque une hypothétique gay pride au Vatican, une troisième qui met en scène un macho qui tape sa femme, etc. On l'aura compris, Tom Zé n'est pas du genre à adhérer au discours ambiant sur le Brésil de Lula qui irait irrémédiablement vers le bonheur. Quand l'accent est mis sur les inégalités sociales dans les discours officiels, Tom Zé en profite pour mettre en lumière la première des inégalités qui frappe le Brésil (et bien d'autres pays malheureusement). Dans le même ordre d'idées, il a eu la bonne idée d'insérer dans son spectacle une reprise d'une chanson de son précédent album (l'extraordinaire Jogos de Armar, véritable petit bijou d'inventivité musicale) traitant de la prostitution infantile au Nordeste. Avec toujours ce ton faussement angélique, quand par exemple il fait mine de se réjouir que la prostitution des enfants participe à l'accroissement du PIB brésilien (O Pib Da Pib).

Attitude symptomatique de son rapport au pays, quand un spectateur lui a lancé un drapeau brésilien pour qu'il le brandisse (et joue ainsi des gentils clichés occidentaux sur le Brésil sea, sex and sun), il a refusé. On retrouve là l'attitude politique du mouvement tropicaliste dont il fut l'un des éminents membres dans les années 60. Ce qui lui valu d'ailleurs, ainsi qu'à Caetano Veloso par exemple, l'inimitié à la fois des militaires au pouvoir et de l'opposition de gauche menée par le parti communiste, particulièrement nationaliste et antiaméricaine. Les tropicalistes mélangeant allègrement musiques traditionnelles brésiliennes et éléments de la pop culture anglo-saxonne, avec une démarche politique que l'on qualifierait aujourd'hui de libérale-libertaire, ça ne pouvait que déplaire.

Pour en revenir au drapeau, il l'a quand même pris à la fin de son concert, mais pas vraiment pour le brandir. Pendant que lui et ses musiciens revêtissaient casques de chantier et bleus de travail, son guitariste jouait l'hymne national brésilien façon Stars and Stripes hendrixien à Woodstock. Grinçant. D'autant plus quand il a commencé à produire le rythme en tapant avec un marteau sur le casque d'un de ses musiciens (qui lui rendait). On retrouve là une démarche typique de Tom Zé, qui fait musique de tout, et notamment des sons industriels. Deux de ses meilleurs disques ne s'appellent pas pour rien Com Defecto De Fabricacao (avec défauts de fabrication) et Jogos de Armar (jeux de construction). Dans le même morceau, Tom Zé et ses musiciens ont également utilisé des scies à métaux pour jouer quelques rythmes étincelants (au sens propre !).

Enfin, dernier élément tomzéïen emblématique, les chansons aux paroles inventées, avec des mots polyglottes qui ne veulent pas forcément dire grand chose en eux-mêmes, mais dont les sonorités s'accordent bien avec la musique, comme sur l'amusant Jimi Renda au cours duquel Tom Zé ajoutait des paroles mi-français mi-portugais mi-anglais (oui, je sais, ça fait trois demis... mais c'est très tomzéïen ça comme concept !).

On l'aura compris, ce concert était vraiment enthousiasmant et une nouvelle démonstration du génie du septuagénaire tropicaliste, toujours à sautiller dans tous les sens, à amuser tout autant qu'à faire réfléchir son public. Tom Zé est grand !

lundi 11 juillet 2005

Omar Sosa / Jimmy Bosch & Mercadonegro @ Parc Floral, dimanche 10 juillet 2005

Journée latine hier au Paris Jazz Festival. La première partie était assurée par Omar Sosa en trio + DJ. Le pianiste cubain était accompagné par le bassiste Childo Tomas et le percussionniste Miguel Anga Diaz, soit la moitié du groupe de son concert de décembre dernier au New Morning. Le trio s'était adjoint pour l'occasion les services d'un DJ dont je n'ai pas retenu le nom.

En trois longs morceaux (vingt minutes chacun), Omar Sosa a donné un bon aperçu de ses récentes recherches musicales. Tout d'abord axées sur l'aspect rythmique des choses dans le premier morceau, avec un jeu au piano très percussif, où les bribes de mélodies n'étaient que de courte durée. Une manière originale de dynamiser le latin jazz qui a trop souvent tendance à tout sacrifier à l'aspect purement dansant. Ici, on perçoit une recherche, l'exploration de nouvelles voix. La complémentarité entre Sosa et Anga Diaz était pour beaucoup dans la réussite de ce survol des rythmes afro-cubains marqués par la santeria, ce culte synchrétique cubain proche du vaudou haïtien et du candomblé brésilien (même racine yoruba - tiens, un sample judicieux de Fela servi par le DJ au passage). Pour les deux autres morceaux, Sosa accordait plus de place à la mélodie, introspective sur les introductions et conclusions des morceaux, plus déstructurée et éclatée dans leurs développements.

Changement d'optique pour la seconde partie avec l'orchestre de salsa Mercadonegro. Exit le jazz, il s'agissait là d'une vrombissante machine à faire danser dans la plus pure tradition salsa, tous cuivres en avant. Composé de musiciens de toute l'Amérique Latine (Cuba, Pérou, Argentine, Brésil, Colombie) et même d'Italie, le groupe propose une musique efficace, même s'il lui manque le petit grain de folie qui pourrait faire dérailler le tout. Après trois morceaux en forme d'échaufement, le groupe a été rejoint par le tromboniste nuyoricain Jimmy Bosch, star incontestée de la "salsa dura". Et, de fait, au fur et à mesure du concert, s'insérant de mieux en mieux dans le son de l'orchestre, Jimmy Bosch a apporté une dimension supplémentaire, plus osée et plus libre, à la musique du groupe. Sans rien perdre de son aspect dansant, les solos et duos menés par Jimmy Bosch entrainaient le groupe vers une ivresse joyeuse et communicative, ce qui permettait de vaincre les réticences du début. Pour le rappel, il a appelé Omar Sosa et Miguel Anga Diaz a les rejoindre sur scène pour une descarga finale du plus bel effet.

dimanche 10 juillet 2005

Brian Blade Fellowship / The Bad Plus @ Parc Floral, samedi 9 juillet 2005

Le Paris Jazz Festival s'était un peu transformé en Paris Drums Festival hier. Entre Brian Blade à la tête de son groupe Fellowship et David King au sein de The Bad Plus, on a eu le droit à une démonstration de maniement des baguettes, dans deux styles très différents, mais tous les deux impressionnants.

La première partie était donc assurée par Brian Blade à la tête d'un quintet tout en souplesse et élasticité, à l'image du leader. J'ai déjà vu Brian Blade au Parc Floral. C'était il y a deux ans avec le quartet de Wayne Shorter, autrement dit un immense moment de musique. C'est peu dire qu'il m'avait fait une forte impression. J'étais donc assez impatient à l'idée de le retrouver à la tête de sa propre formation. Celle-ci est composée de Myron Walden, particulièrement brillant au sax alto et à la clarinette basse, Melvin Butler au sax ténor, Jon Cowherd au piano et Doug Weiss, qui a des faux airs de Charlie Haden physiquement, à la contrebasse. Parmi les sidemen, l'altiste est celui qui m'a le plus impressionné, aussi bien au sax qu'à la clarinette, comme sur la très belle introduction du deuxième morceau, où il était simplement accompagné par le pianiste et des clochettes agitées par Brian Blade. Le pianiste n'était pas mauvais non plus, capable de moments particulièrement lyriques, comme si sa musique jaillissait d'une source vive et continue. D'ailleurs, un bon nombre des compositions jouées par le groupe étaient de lui. Mais le meilleur c'était évidemment Brian Blade lui-même, qui a une façon de dynamiter le rythme, de l'éclater en de multiples micro-rythmes tous plus dansants les uns que les autres, que son jeu s'apparente à un perpétuel feu d'artifice joyeux et particulièrement bondissant. La musique jouée était dans l'esthétique jazz la plus pure, du jazz sans épithète, mainstream, simplement du jazz. Et du bon, du très bon. Un peu à l'image de cette nouvelle scène américaine documentée par un label comme Fresh Sound New Talent. Ni conservateurs, ni révolutionnaires, les musiciens connaissent les codes du jazz et jouent dedans et non autour. Le contraire des esthétiques fusionnelles (electro, funk, rock, world...) qui font bien souvent vivre le jazz contemporain. Et ça a du bon aussi parfois. Notamment quand tout cela est souligné par un batteur de la trempe de Brian Blade. Le public ne s'y est pas trompé qui a fait une belle standing ovation au groupe (chose très rare pour les premières parties, et pourtant je fréquente le PJF depuis pas mal d'années maintenant).

La seconde partie était radicalement différente. Bien qu'également issus de la scène américaine contemporaine, The Bad Plus développent une approche moins strictement jazz. Ils empruntent de nombreux éléments à la culture rock : répertoire mais aussi manière de construire les morceaux, mélodiquement et rythmiquement parlant. David King, le batteur du groupe, a d'ailleurs le parfait look du rockeur énervé : corpulence qui en impose, tatouages, piercing... Le genre de mec qu'on n'aimerait pas croiser un soir dans une rue sombre. Pourtant, arborant constamment un sourire qui lui bouffe tout le visage, il a l'air tout gentil. Sa batterie ne doit pas penser la même chose, vue la manière dont il s'en occupe. Avec sa frappe lourde, très rapide, il est dans l'explosion permanente. Si le jeu de Brian Blade s'apparente à un feu d'artifice, avec David King on serait plutôt face à l'artillerie lourde. On ne parle pas de "loud jazz" pour rien à propos de The Bad Plus. Leur marque de fabrique pourrait d'ailleurs bien être cet alliage assez spécial de mélodies simples, naïves, légères et d'un rythme extrêmement présent, en intensité sonore et en vitesse d'exécution.

Le groupe a joué essentiellement des nouveaux morceaux aux titres toujours aussi improbables (j'ai retenu un joli Rhinoceros is my profession) qui devraient se retrouver sur leur prochain disque, qu'ils viennent juste d'enregistrer. Ils ont également interprété quelques morceaux tirés de leur disque These are the Vistas (Columbia, 2003) comme Big Eater et le beau Everywhere You Turn. Ou encore l'un de mes morceaux préférés de leur répertoire, lors des rappels, And Here We Test Our Powers Of Observation tiré de leur album Give (Columbia, 2004). Les compositions se répartissent de manière assez équilibrée entre les trois membres du groupe : David King donc, mais aussi Ethan Iverson au piano et Reid Anderson à la contrebasse.

Que serait enfin un concert de The Bad Plus sans reprise de tube de la pop music mondiale ? Hier, on a eu le droit à une reprise un peu anecdotique du We are the Champions de Queen, mais aussi à une belle version de Human Behavior de Björk.

samedi 2 juillet 2005

[iks] / TTPKC & Le Marin / Surnatural Orchestra @ Studio de l'Ermitage, vendredi 1er juillet 2005

Le groupe montréalais [iks] était hier soir au Studio de l'Ermitage pour rencontrer deux groupes parisiens, à savoir TTPKC & Le Marin, que je vois décidément souvent ces temps-ci, et le Surnatural Orchestra, fanfare jazz-klezmer de 19 musiciens.

Le concert a commencé par quelques morceaux joués par [iks], seul sur scène. Ce quintet canadien est composé de Sébastien Arcand-Tourigny au sax alto, de Stefan Schneider à la batterie, de Pierre-Alexandre Tremblay à la basse et aux machines, de Sylvain Pohu à la guitare et aux machines et de Nicolas Boucher aux claviers et aux machines. Il s'agit donc d'un groupe d'électro-jazz mais qui, heureusement, ne fait ni dans l'électro jazzy, ni dans la jazz "boom boom tchack". C'est un véritable quintet jazz, influencé par le M-Base ou la démarche de Tim Berne, un peu à la manière de la nébuleuse du Hask de ce côté-ci de l'Atlantique, qui retraite en direct certains éléments par ordinateur pour ajouter des effets décalés à leur musique.

Après deux suites en forme de medley pour présenter leur musique, ils ont été rejoints par les quatre membres de TTPKC & Le Marin (3 saxes, 1 batteur) pour quelques morceaux particulièrement prenants. Installant des climats entêtants, tourbillonnants, d'abord assez planants, puis montant petit à petit en régime, de manière très sinueuse (c'est là qu'on voit l'influence de Tim Berne), les morceaux finissaient par des aopthéoses de saxes déchaînés au son retraité par ordinateur assez exceptionnelles. C'était vraiment dommage que ça s'arrête.

Le deuxième set à vu la confrontation de [iks] et du Surnatural Orchestra, groupe qui inclut les musiciens de TTPKC & Le Marin. La première chose qui frappe, c'est le contraste. Les membres du Surnatural sont déguisés façon cirque, alors que les musiciens canadiens semblent prendre assez au sérieux leur musique. Choc des cultures. Le Surnatural klezmerise à tout va, alors que [iks] cherche plutôt à installer des climats sur le long terme. Pourtant, leur collaboration n'a pas été dénuée d'intérêt, les Canadiens se prenant peu à peu au jeu, en malaxant électroniquement les solos endiablés des membres du Surnatural. Si au début les morceaux étaient assez abstraits, puisant dans le jazz comtemporain, petit à petit des citations klezmer se sont introduites dans la musique de l'ensemble pour finir façon fanfare balkanique, tous cuivres en avant, les membres de [iks] sautillant tout autant que leurs rigolards collègues parisiens.

Excellent concert qui aura permis de découvrir un groupe vraiment intéressant. Ils seront d'ailleurs encore en concert le samedi 9 juillet, toujours à l'Ermitage, pour rencontrer Momo Erectus cette fois-ci, un autre groupe issu du collectif Surnatural. Avis aux amateurs.