Revoilà Tom Zé ! Quelques mois après son concert dans le cadre de Banlieues Bleues, le génial trublion de la MPB se produisait - gratuitement - dans le parc de la Villette hier soir. Avant de revenir sur sa prestation, quelques mots sur la première partie.
Le concert a commencé par une énergique démonstration de samba-funk de la part de la reine du genre, Fernanda Abreu. Entre chant samba et funk parlé (comme on appelle le rap au Brésil), son style vocal oscille constamment entre deux extrêmes. D'un côté gouailleuse, de l'autre mélodieuse. La musique de son groupe est à son image - double. On retrouve des éléments de samba traditionnelle mélangés au rythmes lourds et enlevés du funk. En quasiment deux heures de concert, elle a proposé un large éventail de son répertoire, de son tube Rio 40 Graus qui l'a fait connaître hors du Brésil il y a une dizaine d'années à une reprise à succès du Jack Soul Brasileiro de Lenine. De quoi bien chauffer le public avant le concert de Tom Zé.
Depuis son concert d'avril dernier, j'ai acheté le nouveau disque de Tom Zé, Estudando o Pagode - Na Opereta Segregamulher e Amor, ce qui permet de comprendre un peu mieux le pourquoi des chansons proposées au public. Tom Zé a en effet écrit une opérette (inachevée est-il précisé) sur la condition de la femme au Brésil. Je notais dans ma note d'avril que le thème central des chansons était le féminisme. En voici donc l'explication. Musicalement, Tom Zé a choisi de se servir du pagode, un dérivé populaire et commercial de la samba qui a connu son heure de gloire dans les années 90. Genre musical méprisé par les classes sociales éduquées au Brésil, Tom Zé l'a choisi pour le sortir de la ségrégation dans lequel il se trouve (à l'image de la femme, donc). On retrouve là le génie de Tom Zé qui mêle avec délice le populaire et l'intellectuel (les paroles des chansons faisant de nombreuses références à la mythologie grecque ou aux thèses féministes les plus élaborées). Ceci se retrouve aussi musicalement, comme par exemple sur le morceau Ave Dor Maria, qui fait s'entrechoquer l'Ave Maria de Gounod et un "pagode entambouriné". Ce qu'il y a de bien également à posséder ce nouveau disque, c'est que le livret de l'opérette est disponible à la fois en portugais et en français. Malgré les nombreux concerts brésiliens auxquels j'assiste, mon portugais progresse en effet assez lentement, et il n'est pas inutile d'avoir quelques traductions ! Ça permet en tout cas d'apprécier encore plus finement les chansons de Tom Zé.
Pour le concert d'hier soir, Tom Zé a donc commencé par chanter quelques unes des chansons de cette opérette : l'une qui traite d'un discours fait à l'ONU pour défendre les femmes brésiliennes maltraitées, l'autre qui évoque une hypothétique gay pride au Vatican, une troisième qui met en scène un macho qui tape sa femme, etc. On l'aura compris, Tom Zé n'est pas du genre à adhérer au discours ambiant sur le Brésil de Lula qui irait irrémédiablement vers le bonheur. Quand l'accent est mis sur les inégalités sociales dans les discours officiels, Tom Zé en profite pour mettre en lumière la première des inégalités qui frappe le Brésil (et bien d'autres pays malheureusement). Dans le même ordre d'idées, il a eu la bonne idée d'insérer dans son spectacle une reprise d'une chanson de son précédent album (l'extraordinaire Jogos de Armar, véritable petit bijou d'inventivité musicale) traitant de la prostitution infantile au Nordeste. Avec toujours ce ton faussement angélique, quand par exemple il fait mine de se réjouir que la prostitution des enfants participe à l'accroissement du PIB brésilien (O Pib Da Pib).
Attitude symptomatique de son rapport au pays, quand un spectateur lui a lancé un drapeau brésilien pour qu'il le brandisse (et joue ainsi des gentils clichés occidentaux sur le Brésil sea, sex and sun), il a refusé. On retrouve là l'attitude politique du mouvement tropicaliste dont il fut l'un des éminents membres dans les années 60. Ce qui lui valu d'ailleurs, ainsi qu'à Caetano Veloso par exemple, l'inimitié à la fois des militaires au pouvoir et de l'opposition de gauche menée par le parti communiste, particulièrement nationaliste et antiaméricaine. Les tropicalistes mélangeant allègrement musiques traditionnelles brésiliennes et éléments de la pop culture anglo-saxonne, avec une démarche politique que l'on qualifierait aujourd'hui de libérale-libertaire, ça ne pouvait que déplaire.
Pour en revenir au drapeau, il l'a quand même pris à la fin de son concert, mais pas vraiment pour le brandir. Pendant que lui et ses musiciens revêtissaient casques de chantier et bleus de travail, son guitariste jouait l'hymne national brésilien façon Stars and Stripes hendrixien à Woodstock. Grinçant. D'autant plus quand il a commencé à produire le rythme en tapant avec un marteau sur le casque d'un de ses musiciens (qui lui rendait). On retrouve là une démarche typique de Tom Zé, qui fait musique de tout, et notamment des sons industriels. Deux de ses meilleurs disques ne s'appellent pas pour rien Com Defecto De Fabricacao (avec défauts de fabrication) et Jogos de Armar (jeux de construction). Dans le même morceau, Tom Zé et ses musiciens ont également utilisé des scies à métaux pour jouer quelques rythmes étincelants (au sens propre !).
Enfin, dernier élément tomzéïen emblématique, les chansons aux paroles inventées, avec des mots polyglottes qui ne veulent pas forcément dire grand chose en eux-mêmes, mais dont les sonorités s'accordent bien avec la musique, comme sur l'amusant Jimi Renda au cours duquel Tom Zé ajoutait des paroles mi-français mi-portugais mi-anglais (oui, je sais, ça fait trois demis... mais c'est très tomzéïen ça comme concept !).
On l'aura compris, ce concert était vraiment enthousiasmant et une nouvelle démonstration du génie du septuagénaire tropicaliste, toujours à sautiller dans tous les sens, à amuser tout autant qu'à faire réfléchir son public. Tom Zé est grand !
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