Le concept de Zeitung revient autant à la chorégraphe flamande qu'au pianiste Alain Franco, présent sur scène. Il y interprète des musiques de Bach et (un peu) Schönberg entrecoupées par des enregistrements d'impressionnantes pièces orchestrales de Webern. Tout repose sur la rencontre, l'échange, la juxtaposition de la danse et de la musique. Sans qu'un signifiant extérieur (enfin une absence de message !) ne vienne alourdir le propos. Tout est subtil, simple, épuré, bref absolument moderne dans l'esthétique proposée. De quoi me réjouir au plus haut point.
Avant même qu'il ne débute, le spectacle donne à voir la scène du Théâtre de la Ville nue, désossée, avec les murs des coulisses, les mécanismes d'élévation des décors, les lances incendies apparents. Pendant que le public s'installe les neuf danseurs de la compagnie Rosas et le pianiste se placent sur le bord du plateau attendant le moment propice pour commencer. A peine l'intensité lumineuse faiblit-elle qu'un couple de danseurs rejoint le centre de la scène et entame des mouvements, sans musique. L'homme semble jouer du yoyo avec le corps de la femme : son bras enlace et désenlace continuellement sa partenaire, dans un jeu permanent d'enroulement et déroulement des corps, de prise de possession de l'espace et, surtout, du temps. Fluidité des gestes et art du contrepoint en légères saccades mécaniques, comme pour annoncer la musique de Bach, à venir. C'est toutefois celle de Webern qui entame le spectacle. Durant toute la durée de celui-ci, les interactions entre danse et musique seront intenses, mais sur une multitude de registres qui maintient l'attention fermement à l'affut. Parfois les corps soulignent la structure des compositions, parfois des discours juxtaposés présentent des correspondances furtives comme pour mettre en lumière la magie de l'instant précis de la rencontre. A propos de lumière, le jeu sur celles-ci, dû à Jan Joris Lamers, apporte une troisième dimension à cette création, proposant lui aussi ses propres rythmes, ses accompagnements occasionnels et ses ruptures subites, mais toujours avec un souci d'économie (on reste dans le contraste épuré du blanc et du noir).
Le discours des danseurs (cinq femmes et quatre hommes) s'articule en solos, duos, trios, quatuors et mouvements d'ensemble qui renouvellent constamment l'intérêt. La chorégraphe dit avoir laissé une large place à l'improvisation, autour d'un langage corporel travaillé à partir des propositions des danseurs lors des répétitions. Les sourires, et mêmes les rires, de ceux qui ne participent pas activement à l'action (mais qui restent quand même présents sur le bord du plateau) semblent souligner ces gestes inattendus. Le langage esthétique reste tout de même unifié autour de propositions fortes qui allient une certaine austérité (ni fioriture ni excès de signifiant) servie par des courbes générales des membres déliées et des saccades de certaines charnières (cou, poignets, hanches...) qui maintiennent un équilibre aussi précaire que magnifique. Accélérations, décélérations, silence et mouvements, statisme et musique, répétition des mêmes gestes sur des contextes sonores distincts... Tout est dans cette idée de tension maîtrisée qui ma plaît tant en art.
A la sortie - et cela dure le lendemain - il reste des images fortes, des séquences bien incrustées dans la mémoire, et l'impression d'une rencontre parfaite de l'esprit et du corps, de l'abstraction de la musique et de l'incarnation de la danse. Du coup, j'attends avec impatience la soirée autour de Steve Reich proposée par Rosas et l'ensemble Ictus dans un mois à Nanterre (reprise d'un programme présenté au Théâtre de la Ville la saison dernière).
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