Parmi les musiciens que je n'avais encore jamais vus sur scène, Tim Berne était sans doute l'un de ceux dont j'attendais un concert parisien avec le plus d'impatience. Depuis hier, grâce à sa prestation en trio au Sunside, mon attente a été comblée, et grandement !
Pour l'occasion, le saxophoniste (alto) se présentait en trio avec Craig Taborn au piano (acoustique, ce qui change un peu de ce qu'on a pu entendre jusque là sur disque) et Tom Rainey à la batterie. Placé on ne peut plus près des musiciens (à moins d'être sur les genoux du batteur, je pouvais difficilement être plus proche de la batterie), j'ai pleinement profité de la débauche d'énergie sonore qu'offre ce groupe. De quoi en prendre plein les oreilles, et la tête, pour mon plus grand plaisir il est vrai.
Tim Berne, c'est d'abord un son particulier. Comme une lave incandescente qui coule vive, rapide, continue, mais pas nécessairement en ligne droite. Le jeu de Tim Berne et de ses musiciens est plutôt structuré en micro-cellules rythmiques et mélodiques, qui se brisent constamment les unes contre les autres, donnant un discours particulièrement stimulant, par l'alliance d'un flot sonore continu et de multiples variations à l'intérieur de ce flot. Le jeu de Craig Taborn au piano est peut-être de ce point de vue le plus exemplaire. S'il n'est pas incapable de dérouler de douces mélodies dans un style assez traditionnel, comme il l'a fait à quelques reprises, il développe surtout son jeu dans les ruptures mélodiques constantes, un peu comme s'il ne jouait pas la ligne mélodique dans l'ordre "logique" que le beau imposerait. Son jeu n'est cependant pas spécialement free, car très structuré, et réussissant à donner une grande cohérence dans le propos pas si hachuré qu'il n'y parait de prime abord. Il est quelque part ailleurs, à l'image de son leader, qui a développé une voie qui lui est propre dans le jazz contemporain, un peu en marge de ses collègues de la Downtown Scene new-yorkaise.
Mais ma position m'a surtout permis d'apprécier au mieux la performance de Tom Rainey à la batterie. Son air nonchalant (il est grand, maigre et parait un peu ailleurs) ne laisse pas présager de son jeu très dynamique, capable des fulgurances les plus impressionnantes et des variations de sonorité les plus étonnantes. Avec un haut du corps très élastique (il utilise toute la surface de ses bras, des mains aux coudes), il arrive à utiliser sa batterie de manière très complète, ce qui accentue l'aspect toujours très paradoxal de la musique de Tim Berne : un magma rythmique continu, mais composé d'éléments très disparates, qui constitue une incroyable machine au groove décalé, parfait pour les architectures sonores abstraites du leader.
Trois sets menés de fort belle manière. Une musique extrêmement vive, marquée d'une certaine urgence de dire, et au final un des discours les plus originaux du jazz actuel.
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