Après l'avoir vue au printemps dans Schweyk aux Amandiers, j'avais envie de découvrir un peu plus l'univers d'Elise Caron. Je suis donc allé hier soir au Triton, où elle donnait un récital intitulé Eurydice bis. Elise Caron est une chanteuse singulière. Interprète du répertoire classique, collaboratrice de compositeurs contemporains (Luc Ferrari, Michel Musseau...), voix libre au contact de diverses formations jazz (dont l'ONJ quand Claude Barthélémy le dirigeait), adepte d'une chanson française de qualité, et enfin comédienne, son talent multiforme est assez impressionnant.
Hier soir, elle était accompagnée par le pianiste Denis Chouillet, le clarinettiste Bruno Sansalone et le bassiste Daniel Diaz. Elle même chante, mais joue aussi de la flûte. L'univers d'Eurydice bis est poétique, drôle, tendre, et d'une justesse dans la transmission des sentiments qui fait que l'on est littéralement fasciné (à ne plus pouvoir quitter Elise des yeux) par ce voyage musical au contact de quelques mythes revisités (Eurydice, Sisyphe) et d'une évocation pleine de magie de la nature (un arbre, une fleur empotée). Il y a aussi beaucoup d'humour et de malice dans ses chansons, qui en font des éléments d'un univers poétique familier et tendre, en rien mièvre, et en lien direct avec la musique jouée. Pas de texte trop lourd qui écraserait la musique ici : pas d'appel à la révolution (sauf pour libérer les libellules), mais au contraire une adéquation parfaite, faite d'espièglerie et de délicatesse, entre des musiciens parfaits de précision et la voix remarquable d'Elise Caron. Contrairement à la grande majorité des tenants de la chanson française, elle chante vraiment et ne se contente pas de "poser" se voix sur la musique. La fréquentation du répertoire classique y est sûrement pour quelque chose. Musicalement, Elise Caron est assez inclassable. La présence d'une clarinette fait parfois penser à l'univers de Louis Sclavis. Certains passages évoquent Prokofiev : l'esprit de Pierre et le Loup est assez proche de celui d'Elise, son jeu à la flûte rappelle le Lieutenant Kijé. Un brin de gouaille très cabaret dans son chant de mezzo-soprano tend vers Kurt Weill parfois. Les comptines de Bartok ou Janacek (Rikadla) ne sont pas loin, par le jeu de Denis Chouillet au piano. Mais Elise Caron a avant tout un univers qui lui est propre, au-delà des influences très diverses qui la composent. Par ailleurs, entre les morceaux, Elise Caron se fait volontiers clown (au sens noble du terme), improvisant et déconnant en utilisant différents registres de voix (présentatrice télé, adolescente pré-pubère...) pour présenter avec humour ses chansons. Les rappels sont l'occasion de laisser l'humour potache d'Elise s'incruster dans sa musique, avec une chanson qu'elle chante à l'envers ("emia et ej... etsetéd et ej...") ou une imitation, pleine de trémolo dans la voix, de la variété à la mode sur la bande FM. De quoi entendre tout ce qui différencie la chanson selon Elise Caron du reste de la chanson française.
A la sortie, l'univers magique d'Eurydice bis procure chez le spectateur un sourire tenace qui en dit long sur la réussite du spectacle.
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