Suite du festival Jazz à la Villette. Hier soir, toujours au Trabendo, se produisaient The Young Philadelphians, trio guitare-basse-batterie composé de Marc Ribot, Jamaaladeen Tacuma et Calvin Weston. S'ils ne sont plus si "young" que ça, les deux derniers sont effectivement originaires de Philadelphie, ville mondialement connue pour la Liberty Bell et pour le fameux Philly Sound. Comme les musiciens d'hier soir ne sonnaient pas spécialement comme des cloches, c'est plutôt du côté du Philly Sound qu'il faut chercher le lien entre la ville et le groupe. S'il n'y avait pas ces torrents de cordes soul qui ont fait la gloire de la ville dans les 70s, la musique du trio était quand même marquée par une bonne dose de funk. Il faut dire que Tacuma est sans doute l'un des bassistes électriques les plus rebondissants de la musique afro-américaine contemporaine.
Tacuma et Weston se connaissent depuis leur passage dans le Prime Time ornettien dont ils assuraient la rythmique free-funk. Leur collaboration en trio avec un guitariste n'est pas une première puisqu'ils ont déjà gravé de splendides plages à la fois expérimentales et funk avec James Blood Ulmer ou Derek Bailey (cf. Mirakle chez Tzadik). Weston et Ribot se connaissent également depuis de nombreuses années puisqu'ils ont joué ensemble dans les Lounge Lizards de John Lurie dans les 80s. A travers ces différentes collaborations, on a une petite idée de la musique jouée par le trio, au croisement du funk, du jazz et du rock.
Voir Marc Ribot sur scène, c'est toujours être assuré d'entendre quelque chose de totalement différent à chaque fois. S'il a bien un son propre, facilement identifiable, il promène sa guitare au contact de tellement de musiciens et groupes différents, qu'il renouvelle constamment son discours. Assez discret lors du concert de Spiritual Unity à Banlieues Bleues en avril dernier, il ne s'est pas privé de solos dévastateurs hier soir. Jouant assis, il ne reste pour autant pas stoïque au dessus de son instrument mais donne l'impression de se battre avec, comme s'il tentait de maîtriser un animal sauvage, pour en extraire des sons incisifs, aux sonorités rock et blues - avec également quelques éléments caraïbes et surf pour pimenter le tout.
Jamaaladeen Tacuma, lui, est la colonne vertébrale du groupe, n'abandonnant jamais son sens du groove très communicatif, que ce soit en appui rythmique de Ribot ou au cours de solos particulièrement énormes durant lesquels son large sourire en dit long. Calvin Weston, quant à lui, a une frappe puissante, rapide, plus orientée vers les rythmes binaires hier, qui se marie à merveille avec le jeu de Tacuma à la basse. On sent qu'ils se côtoient depuis des années.
Au cours du concert, le trio a été rejoint sur quelques morceaux par un saxophoniste alto marseillais dont je n'ai pas compris le nom. La musique puisait alors plus clairement dans la musique new-yorkaise de la fin des 70s et du début des 80s, entre scène loft et no wave, entre punk et funk.
Étrangement, la majorité du public a attendu les 2/3 du concert pour se lever, alors que ce n'est pas spécialement une musique destinée à être écoutée assis religieusement. La dimension du plaisir corporel assez évidente qui se dégage du jeu rebondissant de Tacuma exigeait un esprit un peu plus festif de la part de l'audience. Le dernier tiers du concert, avec un public enfin sautillant et dansant, fut par conséquent le plus agréable. Les musiciens avaient enfin le sourire et rallongeaient leurs solos pyrotechniques.
Les morceaux joués n'ont pas été annoncés, si ce n'est le premier rappel, un morceau de Tacuma intitulé Dream escape. J'ai juste reconnu au cours du concert un Oh when the saints joué à 200 à l'heure et GP, un morceau de James Carter qui se trouve sur son album Layin' in the cut auquel participent les trois musiciens d'hier soir (et Jef Lee Johnson pour compléter le quintet). Le concert s'est achevé sur un morceau chanté en espagnol par Ribot, mais plus proche d'un rock mexicano-californien que des Cubanos Postizos, le groupe de vraie-fausse musique cubaine du guitariste.
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