Quelques semaines après leur passage par Saalfelden, Sylvie Courvoisier, Mark Feldman, Thomas Morgan et Gerry Hemingway revenaient sur le vieux continent avec notamment une étape parisienne dimanche soir au Sunside. Leur disque commun est sorti en début d'année et leur concert estival reste suffisamment frais dans ma mémoire pour me retrouver... surpris par la musique proposée. En effet, sur deux longs sets, beaucoup de morceaux inédits et encore plus d'improvisations renouvelées. Aucune redite. S'ils interprètent bien Messiaenesque de Sylvie et The Good Life de Mark, présents sur To Fly To Steal (Intakt, 2010) et joués cet été, le reste est de l'ordre de l'inouïe. Et même sur ces terrains "balisés" on est bien loin du parcours fléché.
Le concert commence ainsi par une nouvelle composition de Sylvie : un "nouveau piece sans title" comme le dit Mark en faisant l'effort de parler français. Ce premier morceau est assez typique de la collaboration artistique du violoniste et de la pianiste. Tandis que lui alimente son jeu d'une expressivité post-romantique agrémentée de divers frottements et pincements, elle s'attache à mettre en place une tension rythmique dynamique, jouant sur tous les registres et toutes les techniques permis par le piano. La paire rythmique ponctue avec légèreté le discours laissé aux deux leaders sur cette entame. Les (r)apports de forces s'équilibrent par la suite grâce aux libertés prises par Hemingway notamment. Le traitement de Messiaenesque conduit ainsi le groupe à en proposer une vision complètement explosée, aux longues dérives bruitistes, juste entrecoupées de bref rappels de l'obsédant thème par le violon de Mark Feldman. La composition de Sylvie semble se décomposer dans l'instant. Elle se retrouve dispersée en mille morceaux, avec néanmoins cette sempiternelle phrase qui résiste, et ne semble pas vouloir mourir.
Le sommet du concert est atteint avec le troisième long morceau (plus d'une demi-heure ?) qui conclut le premier set. Mark Feldman commence en solo, dans le dévoilement progressif d'un relief mélodique vallonné, légèrement accidenté, mais qui conserve toute sa lisibilité. Les trois autres entrent très progressivement dans le morceau, jouant le plus délicatement possible. Sylvie frotte alors très légèrement les cordes du piano, dans un va-et-viens soyeux mais néanmoins obsessionnel. Elle maintient ainsi une tension, plus suggérée qu'explicite, qui n'en trouve que plus de force. Gerry Hemingway semble, lui, souffler dans un petit appeau au son délicat. Comme une légère brise dans les feuilles symbolisées par les vibrations des cordes du piano. Thomas Morgan n'intervient lui aussi qu'avec parcimonie, par une pulsation lâche, quasi fantomatique. L'installation dans la durée de ce climat d'entre deux mondes est propice à emmener avec lui l'esprit de l'auditeur, qui semble alors errer dans un étrange purgatoire, entre mémoire classique et surprise de l'inattendu. Sur le dernier tiers du morceau, le terrain se fait plus accidenté. Piano, contrebasse et batterie voient leurs chemins diverger, proposer pièges et tentations à un violon qui continue de musarder tant bien que mal à travers les embûches rythmiques et les explosions percussives. Magistrale réussite, par la maîtrise du temps et de la dramaturgie, de la forme et de la liberté.
Le deuxième set propose lui aussi trois morceaux, selon des règles - et dérèglements - du jeu similaires, mais néanmoins tout à fait différentes. Impossible de décrire in extenso cette musique où jaillit la vie à tout instant, et où les sentiments les plus divers (mélancolie, gaité, impatience, contemplation...) sont sublimés par le goût de la surprise. Le concert s'achève sur The Good Life et une envolée solitaire de Gerry Hemingway qui, si sur le principe se rapproche de ce que j'avais pu entendre à Saalfelden sur le même morceau, procure toujours son lot de plaisir sauvage en live. Le public, relativement nombreux pour un dimanche soir et pour une musique loin des codes du mainstream, témoigne de son plaisir par de longs applaudissements qui poussent les musiciens à revenir saluer plusieurs fois... ce qui est loin d'être toujours le cas au Sunside !
A lire ailleurs : Ludovic Florin, Bladsurb.
mardi 23 novembre 2010
dimanche 14 novembre 2010
Marc Ribot's Sun Ship @ New Morning, samedi 13 novembre 2010
Après l'hommage à Albert Ayler mené par le guitariste il y a quelques années, on pouvait s'attendre à ce que ce nouveau projet n'en soit que la transcription au répertoire coltranien. Si le groupe a bien interprété des morceaux extraits de l'album posthume de Coltrane dont il tire son nom, la démarche semble différente. Et la différence fondamentale tient au fait qu'il ne s'agit pas ici d'un projet-hommage, mais d'un groupe aux fortes personnalités musicales qui a certes, avec Sun Ship, un point de départ bien précis, mais qui est loin de s'y cantonner.
La première réjouissance offerte par ce quartet en est sa paire rythmique. Jason Ajemian et Chad Taylor, contrebasse et batterie, sont issus de la fertile scène chicagoane (on les a entre autre entendus ensemble au sein du Chicago Underground Trio de Rob Mazurek). Ajemian, notamment, a été énorme durant tout le concert. Très musical, il met sa science des techniques étendues (baguettes coincées entre les cordes, percussions sur le bois et les cordes...) au service du discours d'ensemble et non juste pour le plaisir démonstratif individuel. C'est lui le vrai poumon du groupe, qui maintient l'aspect chantant des compositions quand les deux guitaristes se lancent dans des décalages mélodiques conjoints et complémentaires.
Car l'autre particularité du groupe c'est d'être mené par les douze cordes de Mary Halvorson et Marc Ribot. La présence d'une deuxième guitare à ses côtés semble pousser Ribot à aller au-delà de ses gimmicks habituels. Car, si la répartition des rôles n'est pas égalitaire (aggravée par un problème d'amplification d'Halvorson sur le côté gauche de la scène lors du premier set) et si on retrouve le langage bien particulier de Ribot dans ses solos faits de phrases heurtées très rythmiques, celui-ci élargit aussi la palette des possibles dans les passages où les deux guitares se répondent. L'illustration parfaite en a été l'interprétation magistrale de Dearly Beloved de Coltrane, pleine de spiritualité, dans l'esprit de son auteur, mais dans un langage propre aux musiciens présents. Ajemian et Taylor dressent le cadre solennel en installant lentement le rythme avant de plonger dans une furie bruitiste tandis que les deux guitares se répondent de manière retenue, Halvorson dans une approche acidulée d'abord cotonneuse avant de gagner en tranchant et Ribot obsessionnel autour du thème répétitif et mystique du morceau. Intense.
Au-delà des thèmes de Coltrane, le groupe puise dans les standards (un Stella by Starlight très swing en intro par exemple) et le rythm'n'blues des prétextes à ses décalages vénéneux, bien loin de toute formule. Si la présence d'Halvorson, au niveau de l'intensité sonore, apparaît parfois en retrait, ses interventions font surgir au détour d'une envolée solitaire de Ribot des contrepoints étonnants qui font tout l'intérêt du groupe. Elle se glisse ainsi dans les petits interstices dont elle dispose pour distiller des dissonances jamais brutales, toujours suggérées. Comme une sauce aigre-douce. Après les avoir vus se succéder sur la scène de la Kunsthaus de Saalfelden cet été, il y avait donc un vrai plaisir à les voir partager la même scène pour deux sets pleins de subtiles décalages au milieu d'une musique dense, parfois swinguante, parfois tirant vers le groove. Toujours chantante. Le public ne s'est pas trompé en faisant revenir les musiciens à deux reprises. Permettant au passage à Ribot de témoigner du plaisir qu'il avait à jouer dans cette salle, la première qui l'avait accueilli à Paris pensait-il se souvenir.
A lire ailleurs : Thierry Quénum sur leurs concerts à Tampere (Finlande) et à Strasbourg, et Ludovic Florin sur celui de Paris.
La première réjouissance offerte par ce quartet en est sa paire rythmique. Jason Ajemian et Chad Taylor, contrebasse et batterie, sont issus de la fertile scène chicagoane (on les a entre autre entendus ensemble au sein du Chicago Underground Trio de Rob Mazurek). Ajemian, notamment, a été énorme durant tout le concert. Très musical, il met sa science des techniques étendues (baguettes coincées entre les cordes, percussions sur le bois et les cordes...) au service du discours d'ensemble et non juste pour le plaisir démonstratif individuel. C'est lui le vrai poumon du groupe, qui maintient l'aspect chantant des compositions quand les deux guitaristes se lancent dans des décalages mélodiques conjoints et complémentaires.
Car l'autre particularité du groupe c'est d'être mené par les douze cordes de Mary Halvorson et Marc Ribot. La présence d'une deuxième guitare à ses côtés semble pousser Ribot à aller au-delà de ses gimmicks habituels. Car, si la répartition des rôles n'est pas égalitaire (aggravée par un problème d'amplification d'Halvorson sur le côté gauche de la scène lors du premier set) et si on retrouve le langage bien particulier de Ribot dans ses solos faits de phrases heurtées très rythmiques, celui-ci élargit aussi la palette des possibles dans les passages où les deux guitares se répondent. L'illustration parfaite en a été l'interprétation magistrale de Dearly Beloved de Coltrane, pleine de spiritualité, dans l'esprit de son auteur, mais dans un langage propre aux musiciens présents. Ajemian et Taylor dressent le cadre solennel en installant lentement le rythme avant de plonger dans une furie bruitiste tandis que les deux guitares se répondent de manière retenue, Halvorson dans une approche acidulée d'abord cotonneuse avant de gagner en tranchant et Ribot obsessionnel autour du thème répétitif et mystique du morceau. Intense.
Au-delà des thèmes de Coltrane, le groupe puise dans les standards (un Stella by Starlight très swing en intro par exemple) et le rythm'n'blues des prétextes à ses décalages vénéneux, bien loin de toute formule. Si la présence d'Halvorson, au niveau de l'intensité sonore, apparaît parfois en retrait, ses interventions font surgir au détour d'une envolée solitaire de Ribot des contrepoints étonnants qui font tout l'intérêt du groupe. Elle se glisse ainsi dans les petits interstices dont elle dispose pour distiller des dissonances jamais brutales, toujours suggérées. Comme une sauce aigre-douce. Après les avoir vus se succéder sur la scène de la Kunsthaus de Saalfelden cet été, il y avait donc un vrai plaisir à les voir partager la même scène pour deux sets pleins de subtiles décalages au milieu d'une musique dense, parfois swinguante, parfois tirant vers le groove. Toujours chantante. Le public ne s'est pas trompé en faisant revenir les musiciens à deux reprises. Permettant au passage à Ribot de témoigner du plaisir qu'il avait à jouer dans cette salle, la première qui l'avait accueilli à Paris pensait-il se souvenir.
A lire ailleurs : Thierry Quénum sur leurs concerts à Tampere (Finlande) et à Strasbourg, et Ludovic Florin sur celui de Paris.
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