Archie Shepp, Ornette Coleman, McCoy Tyner. Une triplette magique pour cette année de concerts. Ca avait commencé dès janvier au New Morning avec un bien joli concert d'Uncle Archie, entre free apaisé et blues ancestral, agrémenté de standards monkiens, et pimenté par la chanteuse Mina Agossi. En juin, ça se passait au Théâtre du Châtelet, pour ce qui restera le sommet de l'année : une petite heure et demie de splendeur ornettienne. "Beauty is a rare thing" clamait-il il y a quarante ans. En octobre, le dernier wagon du train coltrainien, après le décès d'Elvin Jones au printemps, illuminait la Cigale de sa fougue pianistique. Chaleureux comme peu savent l'être. 2004 plutôt marquée par les grands noms de la tradition afro-américaine donc, mais pas uniquement.
Il y a aussi eu les "habitués", ceux que je vois régulièrement. Cette année, une nouvelle fois Bojan Zulfikarpasic, en trio avec Rémi Vignolo et Ben Perowsky au Sunside en avril. J'ai beau le connaître par coeur ou presque, c'est toujours aussi réjouissant. Deux fois Akosh Szelevenyi également, à l'Olympic Café avec son Unit en janvier, sur le Batofar en trio en mai. Une énergie qui transcende tout. A la fois ancestral et terriblement free.
Puisqu'on évoque la Hongrie avec Akosh, comment ne pas citer le sommet de Banlieues Bleues 2004 en mars : le concert du pianiste György Szabados à Bagnolet. Un musicien incroyable, disciple de Bartok et de Cecil Taylor, nom essentiel de la free music européenne, qui applique à la grande tradition classique l'esprit de l'improvisation totale. Des bribes de folklore paysan hongrois, de Bartok et de la grande musique russe du XXe siècle, dans un flot ininterrompu de plus d'une heure. De la pure magie. Côté Hongrie, il y a aussi des jeunes prometteurs comme le guitariste Csaba Palotaï et son Grupa Palotaï, vu au Centre culturel tchèque en avril. Une musique joyeuse, qui s'inscrit dans la descendance croisée des Lounge Lizards et de Masada par certains aspects.
Quelques références françaises m'ont aussi bien fait plaisir cette année, à commencer par Henri Texier et son Nord-Sud Quartet (Rabeson, Codjia et Seb Texier) pour les vingt ans du Duc des Lombards en mars. Du pur Texier, c'est à dire du très bon, engagé, musical, et rempli de tendre bonheur. Deux autres échappés de mon top 5 des disques 2004, Stéphane Belmondo au Sunside en juin et Aldo Romano toujours au Sunside en octobre ont permis de confirmer en live tout le bien que je pensais de leurs disques.
Enfin, pour conclure, côté jazz, les Five Elements de Steve Coleman à Pontoise dans le cadre du festival Jazz au fil de l'Oise en novembre font également partie de mes tous meilleurs souvenirs de l'année. Une musique complexe qui n'oublie jamais le groove, belle performance !
2004 ce furent également trois opéras, dans trois villes différentes. Le Château de Barbe Bleue de Bartok à la Cité de la musique en mai, dans une version concertante dirigée par Peter Eötvös, fut certainement le plus beau. Lulu de Berg à l'Opéra de Francfort en septembre et Don Giovanni à Prague en août, dans le théâtre-même où Mozart dirigea la première de son opéra en 1787, étaient cependant très bons également. Tout comme d'ailleurs, pour poursuivre dans le classique, le récital de Mikhaïl Rudy sur des compositions de Chopin et de Schumann à la Cité de la musique en mai. Ou encore, mais je l'ai déjà évoqué, le concert de la Sinfonia Varsovia consacré aux compositeurs diffamés par le IIIe Reich en octobre (Meyerbeer, Mendelssohn, Mahler - splendide interprétation du Chant de la terre), toujours à la Cité de la musique.
Pour rester dans la salle de la Villette encore un instant, je n'oublie pas que le meilleur concert côté sono mondiale cette année fut celui de Lenine en avril. Le chanteur-guitariste nordestin a proposé un nouveau répertoire que j'ai hâte de pouvoir retrouver sur disque pour prolonger le plaisir. Côté musiques du monde, le plateau présenté à l'Olympia pour la fête de la musique, avec notamment Rokia Traoré et Tinariwen était également un excellent moment. La chanteuse afro-péruvienne Susana Baca et le groupe klezmer polonais Kroke, vus tous les deux à Francfort cet été, complètent ce joli tableau souvenir.
Enfin, pour ce qui est des concerts vus depuis fin novembre, tout est dit - ou presque - sur mon blog, pas la peine d'y revenir donc. Ne reste plus qu'à espérer que la nouvelle année qui s'annonce soit aussi riche en bonnes vibrations et en fortes émotions musicales.
Bonne année 2005 à tous !
jeudi 30 décembre 2004
dimanche 26 décembre 2004
Le IIIe Reich et la musique @ Cité de la Musique
La Cité de la musique organise jusqu'au 9 janvier une exposition sur l'utilisation de la musique sous le IIIe Reich. Complément d'un cycle de concerts qui se sont tenus en octobre et novembre (j'ai d'ailleurs assisté à l'un d'entre eux consacré à trois compositeurs diffamés pour leurs origines juives : Mendelssohn, Meyerbeer et Mahler), l'exposition propose un parcours plus explicatif que spectaculaire, allant de la remise en cause des avant-gardes de la République de Weimar à la musique du camp de Theresienstadt, en passant par la glorification du passé allemand, la récupération de genres populaires à des fins de propagande et enfin la compromission plus ou moins grande de compositeurs et chefs d'orchestre avec le régime national-socialiste.
La première partie de l'exposition s'ouvre sur quatre toiles qui évoquent de manière évidente la problématique d'ensemble de l'exposition. D'un côté deux toiles dans un style officiel qui glorifient la blondeur, le réalisme, les paysages germaniques, autant d'éléments sensés exalter les traditions et les valeurs allemandes. De l'autre, deux toiles abstraites (l'une de Thomas Ring, l'autre de Wassily Kandinsky), qui documentent les rapports entre musique et art pictural dans les avant-gardes du début du XXe siècle. Un modèle d'"entartete Kunst" (art dégénéré) comme le qualifieront les nazis. L'affiche reproduite ci-dessus est d'ailleurs celle de l'exposition de 1938 consacrée à la musique dégénérée et organisée à Düsseldorf un an après la première exposition consacrée, elle, à la peinture. Par cette introduction, l'exposition fixe le cadre général bien connu des rapports entre pouvoir national-socialiste et art en général. Rien de bien étonnant... et pas de quoi rendre intéressante l'exposition.
La force de cette exposition est de ne justement pas se contenter de cette vision juste, mais un peu simpliste des choses. Il est plus intéressant de se pencher sur la manière dont les théoriciens de l'antisémitisme ont revisité le passé allemand, tentant d'en séparer le bon grain aryen de l'ivraie juive, et ce dès Haendel. Plus intéressant également de se pencher sur les petites compromissions d'un certain nombre de musiciens et de chefs sans présenter pour autant un jugement définitif et manichéen : les parcours monolitiques sont rares, les uns sont d'abord de fervants nazis, avant de rompre très vite avec l'idéologie du régime, d'autres, tout en étant des artistes officiels, glissent une critique du régime dans leur oeuvre, etc. A époque trouble, parcours troubles.
L'exposition se penche également sur les musiciens et chefs clairement "dégénérés" pour les nazis, qui n'ont eu d'autres "choix" que l'exil ou les camps de concentration. L'influence de ces conditions extraordinaires sur leur musique est sobrement présentée, des oeuvres américaines de Schönberg (dont un poignant Un survivant de Varsovie écrit en 1947 qui s'achève sur la prière Sch'ma Jisroel, et qui fait face à une reproduction d'un des plus célèbres poèmes de Paul Celan - la Fugue de mort - qui traduit l'écroulement de la civilisation édifiée sur l'humanisme) à la vie musicale du camp "modèle" de Theresienstadt (aujourd'hui Terezin en République Tchèque) où Viktor Ullmann composa Der Kaiser von Atlantis. De même, Kurt Weill, Erwin Schulhoff et bien sûr Ernst Krenek, qui introduirent le jazz (musique coupable à la fois de judéo-bolchévisme et de négritude aux oreilles des nazis) dans la musique classique, sont également abondamment évoqués.
La partie consacrée à la relecture du passé musical allemand est très intéressante. Felix Mendelssohn-Bartholdy, de part son origine juive (il était le petit-fils de Moses Mendelssohn, le grand penseur de l'Aufklärung juif), fut une des "victimes" préférées des théoriciens de l'antisémitisme musical malgré sa conversion au christianisme. Sa statue à Leipzig fut détruite, la rue qui portait son nom fut rebaptisée du nom d'Anton Bruckner (la grande figure romantique allemande avec Wagner pour les nazis), et enfin un grand concours fut organisé pour re-composer son Songe d'une nuit d'été dans une version aryenne. Ce fut finalement Carl Orff (celui des insupportables Carmina Burana) qui eut cet "honneur". Une telle démarche fut jugée avec une pour le moins grande ironie par Richard Strauss, pourtant à la tête de la très officielle Chambre musicale du Reich (avant d'être poussé à la démission pour sa collaboration avec Stefan Zweig pour le livret de La femme silencieuse).
Le concert du mois d'octobre que j'évoquais plus haut, mettait en lumière trois compositeurs jugés comme la source de la dégénérescence juive au sein de la musique romantique allemande au XIXe siècle. Ainsi Blessinger, grand théoricien antisémite, voyait dans Mendelssohn le modèle du "Juif assimilé", dans Meyerbeer celui du "Juif affairiste sans scrupules" et dans Mahler "le type fanatique du rabbin d'Europe de l'Est" (Mahler est né dans les territoires de l'actuelle République Tchèque). Hitler appréciait pourtant l'oeuvre de Mahler et encore plus ses talents de chef depuis qu'il l'avait vu diriger Tristan und Isolde de Wagner à l'Opéra de Vienne en 1906. On retrouve dans l'expo les passages de la propagande officielle destinés à dénigrer ces musiciens.
La partie la plus poignante de l'exposition est sans nul doute celle consacrée à la vie musicale du camp de Theresienstadt, peut-être encore plus pour moi qui ai visité ce camp lors de mon premier séjour en République Tchèque en 1997. Les nazis avaient voulu faire de ce camp (en fait l'anti-chambre d'Auschwitz) un "modèle" de la vie qu'ils réservaient aux Juifs, notamment à des fins de propagande pour tromper la Croix Rouge. De nombreux artistes (Robert Desnos y mourut) et hommes politiques (Léon Blum y fut prisonnier) y séjournèrent, avant de poursuivre leur route mortelle vers Auschwitz. Le camp est ainsi aujourd'hui encore connu pour sa riche vie musicale. Hans Krasa, Gideon Klein, Pavel Haas ou encore Viktor Ullmann en furent les prisonniers et y composèrent quelques unes de leurs oeuvres.
Les organisateurs de l'exposition ont eu la bonne idée de faire le silence dans les salles (un comble pour le musée de la musique !), préférant donner aux visiteurs la possibilité d'écouter quelques oeuvres des musiciens cités à l'aide d'un casque individuel. L'exposition se distingue également par la qualité des toiles et dessins présentés (venant de nombreux musées allemands), ne se résumant ainsi pas à une exposition de documents plus attendus dans un musée consacré à la musique (partitions, photos de représentations...). L'interaction entre les arts, chère aux artistes du Bauhaus et aux autres avant-gardes de l'Allemagne de Weimar, présentée ici est finalement le plus bel hommage qui pouvait être rendu à leur destin tragique.
Le IIIe Reich et la musique, Cité de la musique, jusqu'au 9 janvier 2005.
La première partie de l'exposition s'ouvre sur quatre toiles qui évoquent de manière évidente la problématique d'ensemble de l'exposition. D'un côté deux toiles dans un style officiel qui glorifient la blondeur, le réalisme, les paysages germaniques, autant d'éléments sensés exalter les traditions et les valeurs allemandes. De l'autre, deux toiles abstraites (l'une de Thomas Ring, l'autre de Wassily Kandinsky), qui documentent les rapports entre musique et art pictural dans les avant-gardes du début du XXe siècle. Un modèle d'"entartete Kunst" (art dégénéré) comme le qualifieront les nazis. L'affiche reproduite ci-dessus est d'ailleurs celle de l'exposition de 1938 consacrée à la musique dégénérée et organisée à Düsseldorf un an après la première exposition consacrée, elle, à la peinture. Par cette introduction, l'exposition fixe le cadre général bien connu des rapports entre pouvoir national-socialiste et art en général. Rien de bien étonnant... et pas de quoi rendre intéressante l'exposition.
La force de cette exposition est de ne justement pas se contenter de cette vision juste, mais un peu simpliste des choses. Il est plus intéressant de se pencher sur la manière dont les théoriciens de l'antisémitisme ont revisité le passé allemand, tentant d'en séparer le bon grain aryen de l'ivraie juive, et ce dès Haendel. Plus intéressant également de se pencher sur les petites compromissions d'un certain nombre de musiciens et de chefs sans présenter pour autant un jugement définitif et manichéen : les parcours monolitiques sont rares, les uns sont d'abord de fervants nazis, avant de rompre très vite avec l'idéologie du régime, d'autres, tout en étant des artistes officiels, glissent une critique du régime dans leur oeuvre, etc. A époque trouble, parcours troubles.
L'exposition se penche également sur les musiciens et chefs clairement "dégénérés" pour les nazis, qui n'ont eu d'autres "choix" que l'exil ou les camps de concentration. L'influence de ces conditions extraordinaires sur leur musique est sobrement présentée, des oeuvres américaines de Schönberg (dont un poignant Un survivant de Varsovie écrit en 1947 qui s'achève sur la prière Sch'ma Jisroel, et qui fait face à une reproduction d'un des plus célèbres poèmes de Paul Celan - la Fugue de mort - qui traduit l'écroulement de la civilisation édifiée sur l'humanisme) à la vie musicale du camp "modèle" de Theresienstadt (aujourd'hui Terezin en République Tchèque) où Viktor Ullmann composa Der Kaiser von Atlantis. De même, Kurt Weill, Erwin Schulhoff et bien sûr Ernst Krenek, qui introduirent le jazz (musique coupable à la fois de judéo-bolchévisme et de négritude aux oreilles des nazis) dans la musique classique, sont également abondamment évoqués.
La partie consacrée à la relecture du passé musical allemand est très intéressante. Felix Mendelssohn-Bartholdy, de part son origine juive (il était le petit-fils de Moses Mendelssohn, le grand penseur de l'Aufklärung juif), fut une des "victimes" préférées des théoriciens de l'antisémitisme musical malgré sa conversion au christianisme. Sa statue à Leipzig fut détruite, la rue qui portait son nom fut rebaptisée du nom d'Anton Bruckner (la grande figure romantique allemande avec Wagner pour les nazis), et enfin un grand concours fut organisé pour re-composer son Songe d'une nuit d'été dans une version aryenne. Ce fut finalement Carl Orff (celui des insupportables Carmina Burana) qui eut cet "honneur". Une telle démarche fut jugée avec une pour le moins grande ironie par Richard Strauss, pourtant à la tête de la très officielle Chambre musicale du Reich (avant d'être poussé à la démission pour sa collaboration avec Stefan Zweig pour le livret de La femme silencieuse).
Le concert du mois d'octobre que j'évoquais plus haut, mettait en lumière trois compositeurs jugés comme la source de la dégénérescence juive au sein de la musique romantique allemande au XIXe siècle. Ainsi Blessinger, grand théoricien antisémite, voyait dans Mendelssohn le modèle du "Juif assimilé", dans Meyerbeer celui du "Juif affairiste sans scrupules" et dans Mahler "le type fanatique du rabbin d'Europe de l'Est" (Mahler est né dans les territoires de l'actuelle République Tchèque). Hitler appréciait pourtant l'oeuvre de Mahler et encore plus ses talents de chef depuis qu'il l'avait vu diriger Tristan und Isolde de Wagner à l'Opéra de Vienne en 1906. On retrouve dans l'expo les passages de la propagande officielle destinés à dénigrer ces musiciens.
La partie la plus poignante de l'exposition est sans nul doute celle consacrée à la vie musicale du camp de Theresienstadt, peut-être encore plus pour moi qui ai visité ce camp lors de mon premier séjour en République Tchèque en 1997. Les nazis avaient voulu faire de ce camp (en fait l'anti-chambre d'Auschwitz) un "modèle" de la vie qu'ils réservaient aux Juifs, notamment à des fins de propagande pour tromper la Croix Rouge. De nombreux artistes (Robert Desnos y mourut) et hommes politiques (Léon Blum y fut prisonnier) y séjournèrent, avant de poursuivre leur route mortelle vers Auschwitz. Le camp est ainsi aujourd'hui encore connu pour sa riche vie musicale. Hans Krasa, Gideon Klein, Pavel Haas ou encore Viktor Ullmann en furent les prisonniers et y composèrent quelques unes de leurs oeuvres.
Les organisateurs de l'exposition ont eu la bonne idée de faire le silence dans les salles (un comble pour le musée de la musique !), préférant donner aux visiteurs la possibilité d'écouter quelques oeuvres des musiciens cités à l'aide d'un casque individuel. L'exposition se distingue également par la qualité des toiles et dessins présentés (venant de nombreux musées allemands), ne se résumant ainsi pas à une exposition de documents plus attendus dans un musée consacré à la musique (partitions, photos de représentations...). L'interaction entre les arts, chère aux artistes du Bauhaus et aux autres avant-gardes de l'Allemagne de Weimar, présentée ici est finalement le plus bel hommage qui pouvait être rendu à leur destin tragique.
Le IIIe Reich et la musique, Cité de la musique, jusqu'au 9 janvier 2005.
vendredi 24 décembre 2004
Top 2004 - N°1 - John Zorn : Electric Masada
Juillet 2003. Dans le cadre du festival Jazz à Vienne, John Zorn présente un nouveau groupe sur un répertoire qui a largement contribué à élargir son auditoire ces dix dernières années. On sait qu'avec Zorn, il faut s'attendre à tout. Certains de ses disques sont ce que nous qualifierons poliment de très avant-gardistes (ou, si on est un peu moins poli, de particulièrement inécoutables). D'autres, en revanche, documentent la plus belle musique écrite ou improvisée de ces trente dernières années, que ce soit dans le domaine du free jazz, de la musique contemporaine, du rock, de la musique juive, de la musique de film ou de bien d'autres genres encore. Pape de la Downtown Scene qui a révolutionné le son de la Grosse Pomme ces vingt dernières années, mêlant et démêlant constamment tous les genres, des plus populaires aux plus savants, flirtant souvent avec les limites de l'audible pour mieux stimuler, et sublimer, les oreilles, Zorn effraie et fascine.
Pour ce concert de Vienne, peu de renseignements sur ce qui allait donc être proposé à nos oreilles ouvertes sur l'inattendu. On connaît certes assez bien son groupe Masada, quartet superlatif (avec Dave Douglas, le meilleur trompettiste du monde, Greg Cohen, le meilleur contrebassiste du monde et Joey Baron... le meilleur batteur du monde, et ce n'est même pas exagéré - en tout cas pour Douglas et Baron !) qui a pour ambition de "mettre en musique la Torah" (rien que ça), de prolonger Ornette Coleman (excusez du peu) et enfin d'inventer la "Jewish music beyond klezmer" (la modéstie n'est pas le point fort de Zorn), mais l'Electric Masada ne compte aucun des musiciens de la version acoustique du groupe. A la place on trouve Marc Ribot à la guitare (plutôt bon signe), Jamie Saft aux claviers, Cyro Baptista aux percussions, Trevor Dunn à la basse et Kenny Wollesen à la batterie. Le tout dirigé d'une main de fer par Zorn à grands jets d'alto rageurs. Ca commence par un grand brouet de jazz-rock furieusement électrique avant que peu à peu, ça ou là, on retrouve les mélodies au parfum oriental du songbook de Masada. Le résultat est des plus surprenants (il faut imaginer un groupe à mi-chemin de Naked City et MMW, ou Ornette Coleman menant le groupe électrique de Miles Davis période Jack Johnson, jouer de la musique juive), mais aussi des plus réjouissants. Aujourd'hui encore je considère ce concert comme le plus extraordinaire auquel j'ai eu la chance d'assister. Seul petit bémol, il était jusqu'alors impossible de retrouver sur disque l'énergie furieuse du groupe. Tzadik (le label de Zorn) y a remédié cet été.
Septembre 2003. John Zorn fête ses 50 ans par un mois de programmation au Tonic, le club d'avant-garde du Lower East Side new-yorkais. A raison de deux concerts par soir, Zorn propose un vaste kaléïdoscope de trente années d'activité musicale sans concession. Tzadik publie depuis le début de l'année des témoignages de ce mois de concerts. Le quatrième volume (sur les neufs déjà parus) est consacré à l'Electric Masada. On peut donc désormais écouter chez soi le premier set du concert du samedi 27 septembre. En plus des musiciens présents à Vienne, le groupe s'est adjoint les services d'un deuxième batteur, Joey Baron en personne, et d'Ikue Mori aux machines électroniques pour insufler une dose de musique bruitiste dans les rouages bien huilés du songbook de Masada. Ce changement de périmètre s'entend dès les premières secondes du disque puisque l'intro du premier morceau ("Tekufah") est un enchaînement de bruits en tous genres pendant trois bonnes minutes, avant que la mélodie ne fasse son apparition. Zorn nous prend directement à la gorge, pour ne pas nous lâcher pendant plus de 70 minutes.
Difficile de résumer musicalement le disque en quelques mots, tellement il est riche et varié. Pour tout dire, ça pète dans tous les sens, ça danse, ça groove, puis ça explose, ça hurle. C'est bruitiste, free, hard, destructuré, puis délicieusement mélodique. C'est new-yorkais, c'est à dire jamaïcain, espagnol, israélien, est-européen, brésilien, jazz, rock, funk, contemporain et ancestral. Zorn cite tout, fait des clins d'oeil à tout, tout en jouant une musique qui lui est propre. On entend Duke Ellington revisité par Sun Ra ("Yatzar"), Bob Marley qui aurait troqué la marijuana pour l'extasy ("Hadasha"), Sly Stone à la tête des Clash ("Idalah-Abal"), de la musique de cartoon sado-maso (au beau mileu de "Lilin", morceau à première vue le plus proche du Masada traditionnel) et même un final ("Kisofim") d'une musicalité à pleurer avec un Marc Ribot en état de grâce. On pourrait d'ailleurs en dire tout autant de chacun des musiciens qui animent ce projet. Zorn brille de mille feux, réunissant sur un même disque ses expériences les plus extrêmes et son amour des mélodies lancinantes. Le trio percussif (Kenny Wollesen et Joey Baron aux batteries et Cyro Baptista aux percussions les plus improbables) confectionne un magma en ébullition permanente. Trevor Dunn assure un groove funky, bien secondé par Jamie Saft avec ses claviers entre Sun Ra et MMW. Ikue Mori sait être décisive en perturbant juste ce qu'il faut les musiciens. Et enfin, encore une fois, Marc Ribot est royal de bout en bout, dans tous les genres. Jazzman déglingué, dandy punk, amoureux des mélodies hispanisantes, il apporte une touche personnelle qui renforce, s'il en était besoin, le propos du groupe.
Un véritable feu d'artifice pour fakir en mal de sensations fortes. N'hésitez plus, troquez votre planche à clous pour cette galette électrique. Vos fesses m'en diront des nouvelles !
Electric Masada : John Zorn's 50th Birthday Celebration Volume 4, Tzadik, 2004
Pour ce concert de Vienne, peu de renseignements sur ce qui allait donc être proposé à nos oreilles ouvertes sur l'inattendu. On connaît certes assez bien son groupe Masada, quartet superlatif (avec Dave Douglas, le meilleur trompettiste du monde, Greg Cohen, le meilleur contrebassiste du monde et Joey Baron... le meilleur batteur du monde, et ce n'est même pas exagéré - en tout cas pour Douglas et Baron !) qui a pour ambition de "mettre en musique la Torah" (rien que ça), de prolonger Ornette Coleman (excusez du peu) et enfin d'inventer la "Jewish music beyond klezmer" (la modéstie n'est pas le point fort de Zorn), mais l'Electric Masada ne compte aucun des musiciens de la version acoustique du groupe. A la place on trouve Marc Ribot à la guitare (plutôt bon signe), Jamie Saft aux claviers, Cyro Baptista aux percussions, Trevor Dunn à la basse et Kenny Wollesen à la batterie. Le tout dirigé d'une main de fer par Zorn à grands jets d'alto rageurs. Ca commence par un grand brouet de jazz-rock furieusement électrique avant que peu à peu, ça ou là, on retrouve les mélodies au parfum oriental du songbook de Masada. Le résultat est des plus surprenants (il faut imaginer un groupe à mi-chemin de Naked City et MMW, ou Ornette Coleman menant le groupe électrique de Miles Davis période Jack Johnson, jouer de la musique juive), mais aussi des plus réjouissants. Aujourd'hui encore je considère ce concert comme le plus extraordinaire auquel j'ai eu la chance d'assister. Seul petit bémol, il était jusqu'alors impossible de retrouver sur disque l'énergie furieuse du groupe. Tzadik (le label de Zorn) y a remédié cet été.
Septembre 2003. John Zorn fête ses 50 ans par un mois de programmation au Tonic, le club d'avant-garde du Lower East Side new-yorkais. A raison de deux concerts par soir, Zorn propose un vaste kaléïdoscope de trente années d'activité musicale sans concession. Tzadik publie depuis le début de l'année des témoignages de ce mois de concerts. Le quatrième volume (sur les neufs déjà parus) est consacré à l'Electric Masada. On peut donc désormais écouter chez soi le premier set du concert du samedi 27 septembre. En plus des musiciens présents à Vienne, le groupe s'est adjoint les services d'un deuxième batteur, Joey Baron en personne, et d'Ikue Mori aux machines électroniques pour insufler une dose de musique bruitiste dans les rouages bien huilés du songbook de Masada. Ce changement de périmètre s'entend dès les premières secondes du disque puisque l'intro du premier morceau ("Tekufah") est un enchaînement de bruits en tous genres pendant trois bonnes minutes, avant que la mélodie ne fasse son apparition. Zorn nous prend directement à la gorge, pour ne pas nous lâcher pendant plus de 70 minutes.
Difficile de résumer musicalement le disque en quelques mots, tellement il est riche et varié. Pour tout dire, ça pète dans tous les sens, ça danse, ça groove, puis ça explose, ça hurle. C'est bruitiste, free, hard, destructuré, puis délicieusement mélodique. C'est new-yorkais, c'est à dire jamaïcain, espagnol, israélien, est-européen, brésilien, jazz, rock, funk, contemporain et ancestral. Zorn cite tout, fait des clins d'oeil à tout, tout en jouant une musique qui lui est propre. On entend Duke Ellington revisité par Sun Ra ("Yatzar"), Bob Marley qui aurait troqué la marijuana pour l'extasy ("Hadasha"), Sly Stone à la tête des Clash ("Idalah-Abal"), de la musique de cartoon sado-maso (au beau mileu de "Lilin", morceau à première vue le plus proche du Masada traditionnel) et même un final ("Kisofim") d'une musicalité à pleurer avec un Marc Ribot en état de grâce. On pourrait d'ailleurs en dire tout autant de chacun des musiciens qui animent ce projet. Zorn brille de mille feux, réunissant sur un même disque ses expériences les plus extrêmes et son amour des mélodies lancinantes. Le trio percussif (Kenny Wollesen et Joey Baron aux batteries et Cyro Baptista aux percussions les plus improbables) confectionne un magma en ébullition permanente. Trevor Dunn assure un groove funky, bien secondé par Jamie Saft avec ses claviers entre Sun Ra et MMW. Ikue Mori sait être décisive en perturbant juste ce qu'il faut les musiciens. Et enfin, encore une fois, Marc Ribot est royal de bout en bout, dans tous les genres. Jazzman déglingué, dandy punk, amoureux des mélodies hispanisantes, il apporte une touche personnelle qui renforce, s'il en était besoin, le propos du groupe.
Un véritable feu d'artifice pour fakir en mal de sensations fortes. N'hésitez plus, troquez votre planche à clous pour cette galette électrique. Vos fesses m'en diront des nouvelles !
Electric Masada : John Zorn's 50th Birthday Celebration Volume 4, Tzadik, 2004
jeudi 23 décembre 2004
Top 2004 - N°2 - Aldo Romano : Threesome
Après Texier, Romano. On reste en famille. Dans ce disque, le batteur italien investit le cadre tant de fois visité du trio piano-contrebasse-batterie avec Rémi Vignolo et Danilo Rea. On a beau avoir déjà entendu des disques innombrables dans cette formule, dont certains très bons, celui-ci retient particulièrement l'attention. Il possède en effet quelque chose que la plupart des autres n'ont pas. Déjà, il n'est pas signé du pianiste, mais du batteur. C'est assez rare pour être souligné. On pourrait alors s'attendre à un disque insistant sur les rythmes, mais ce sont les mélodies d'une beauté à couper le souffle qui emportent immédiatement l'adhésion. Rien de bien surprenant pour qui connaît le talent d'Aldo Romano dans ce domaine, mais le charme opère de manière peut-être encore plus intense qu'à l'accoutumée.
On retrouve avec plaisir le tendre lyrisme à l'italienne du batteur tout en découvrant un pianiste qui possède dans ses doigts toute l'histoire du jazz moderne. Le morceau qui ouvre le disque, "Abruzzi", met bien en lumière d'entrée de jeu la riche palette stylistique de Danilo Rea, allant d'un art consommé de la ballade à un déferlement de notes taylorien, oscillant constamment entre douceur et énergie. Le morceau suivant, "Ghost Spell", fait immanquablement penser à un autre grand nom du piano contemporain : Bojan Zulfikarpasic. On jurerait que l'esprit du Bosniaque joue à travers les doigts de l'Italien. Evoquer Bojan Z nous conduit nécessairement à parler du troisième membre du trio, le contrebassiste Rémi Vignolo. Même si le piano s'attribue, par nécessité quasi "technique", le premier rôle dans ce disque, Vignolo n'est pas en reste, confirmant ce que j'ai déjà eu la chance d'observer de nombreuses fois sur scène (dont cette année aux côtés de Bojan Z, André Ceccarelli ou encore Aldo Romano), à savoir qu'il a une capacité inouie à choisir la note juste, à tirer un son délicieusement boisé et rond de son instrument, proposant véritablement un discours particulier, pas uniquement au service du soliste, même s'il sait évidemment faire.
L'émotion est également au rendez-vous quand on lit le titre de certains morceaux : "Blues for Nougaro" (qu'Aldo Romano a souvent accompagné), "Manda" (du nom du personnage joué par Serge Reggiani dans Casque d'or) ou encore "Paradise for Mickey"(en hommage à Michel Graillier).
Avec tout ça on en oublierait presque de souligner le jeu d'Aldo Romano-batteur. Et pourtant, la ponctuation rythmique qu'il apporte - un leader se mettant à un tel point au service de ses sidemen est chose rare - sonne toujours parfaitement juste et appropriée, ne tirant jamais la couverture à lui. N'ayant, il est vrai, plus grand chose à prouver, il peut se permettre le luxe de nous faire découvrir dans tout son talent son jeune compatriote pianiste. Ne reste plus alors qu'à savourer encore et encore les fines mélodies qui s'enchaînent inlassablement sur la chaine hi-fi et dans la mémoire.
Aldo Romano : Threesome, Universal Music, 2004
On retrouve avec plaisir le tendre lyrisme à l'italienne du batteur tout en découvrant un pianiste qui possède dans ses doigts toute l'histoire du jazz moderne. Le morceau qui ouvre le disque, "Abruzzi", met bien en lumière d'entrée de jeu la riche palette stylistique de Danilo Rea, allant d'un art consommé de la ballade à un déferlement de notes taylorien, oscillant constamment entre douceur et énergie. Le morceau suivant, "Ghost Spell", fait immanquablement penser à un autre grand nom du piano contemporain : Bojan Zulfikarpasic. On jurerait que l'esprit du Bosniaque joue à travers les doigts de l'Italien. Evoquer Bojan Z nous conduit nécessairement à parler du troisième membre du trio, le contrebassiste Rémi Vignolo. Même si le piano s'attribue, par nécessité quasi "technique", le premier rôle dans ce disque, Vignolo n'est pas en reste, confirmant ce que j'ai déjà eu la chance d'observer de nombreuses fois sur scène (dont cette année aux côtés de Bojan Z, André Ceccarelli ou encore Aldo Romano), à savoir qu'il a une capacité inouie à choisir la note juste, à tirer un son délicieusement boisé et rond de son instrument, proposant véritablement un discours particulier, pas uniquement au service du soliste, même s'il sait évidemment faire.
L'émotion est également au rendez-vous quand on lit le titre de certains morceaux : "Blues for Nougaro" (qu'Aldo Romano a souvent accompagné), "Manda" (du nom du personnage joué par Serge Reggiani dans Casque d'or) ou encore "Paradise for Mickey"(en hommage à Michel Graillier).
Avec tout ça on en oublierait presque de souligner le jeu d'Aldo Romano-batteur. Et pourtant, la ponctuation rythmique qu'il apporte - un leader se mettant à un tel point au service de ses sidemen est chose rare - sonne toujours parfaitement juste et appropriée, ne tirant jamais la couverture à lui. N'ayant, il est vrai, plus grand chose à prouver, il peut se permettre le luxe de nous faire découvrir dans tout son talent son jeune compatriote pianiste. Ne reste plus alors qu'à savourer encore et encore les fines mélodies qui s'enchaînent inlassablement sur la chaine hi-fi et dans la mémoire.
Aldo Romano : Threesome, Universal Music, 2004
mercredi 22 décembre 2004
Top 2004 - N°3 - Henri Texier Strada Sextet : (V)ivre
Un disque qui démarre en fanfare... avec un morceau ("Old Delhi") inspiré par les fanfares entendues autour du Fort Rouge à New Delhi. Tout (ou presque) est dit sur ce disque par son ouverture : puissance des cuivres, goût du voyage, énergie des compositions, limpidité des mélodies, rage des solos, climat de révolte doux-amer... Autant d'éléments essentiels à la réussite de ce disque. L'influence du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden ou de certains disques de Mingus n'est pas loin.
Après plus de dix ans à la tête du plus beau groupe de jazz du monde - son Azur Quartet (avec Bojan Z, Glenn Ferris et Tony Rabeson) devenu Quintet par l'adjonction de Sébastien Texier - Henri Texier propose ici la première trace discographique de son nouveau vivier de jeunes talents du jazz hexagonal (et un peu au-delà), le Strada Sextet, avec lequel il tourne depuis environ deux ans. Outre les Texier père et fils, on retrouve François Corneloup qui avait déjà fait équipe avec le contrebassiste le temps d'un splendide Mad Nomad(s) (Label Bleu, 1995) au saxes baryton et soprano, Guéorgui Kornazov au trombone, Manu Codjia à la guitare et Christophe Marguet à la batterie. Chacun apporte une contribution décisive à la musique du groupe, que ce soit dans des solos souvent déchirants de lyrisme, ou dans l'élaboration d'un son d'ensemble d'une riche densité.
François Corneloup développe comme à son habitude un son ample et puissant. La vélocité de Sébastien Texier est encore une fois décisive, et sa complémentarité avec Corneloup permet de développer de belles polyphonies mélodiques. Guéorgui Kornazov remplit avec brio la délicate tâche de "succéder" à Glenn Ferris, en plaçant quelques solos délicieusement vrombissants. Manu Codjia confirme, s'il en était encore besoin, qu'il est "le" guitariste de la jeune génération du jazz en France, aussi à l'aise en tant qu'accompagnateur qu'en soliste passionné. Quant à la paire rythmique, que dire quand elle a pour nom Henri Texier et Christophe Marguet ? Le batteur varie avec bonheur les rythmes tout au long de l'album, martial ici, tendre là, et Texier fait chanter sa contrebasse comme il sait si bien le faire.
Le Texier mélodiste n'est pas en reste sur ce disque. Il a à nouveau composé des morceaux que l'on a envie de chanter à tue-tête ("Old Delhi", "Blues for L. Peltier", "Black March Revolt") ou de fredonner doucement pour en souligner la belle mélodie ("Lady Bertrand", "Dance Revolt", "Decent Revolt"). Les morceaux signés Texier sont entrecoupés par cinq courtes pièces d'environ deux minutes chacune, proposées par chacun des membres du Sextet pour servir de prétexte à l'improvisation un peu plus free. Comme toujours chez Texier, la construction du disque, l'agencement des titres et des climats, sont très pensés, afin que l'oeuvre prenne sens au-delà de chacune des compositions. Le climat qui se dégage ici, malgré quelques passages très festifs, est plutôt mélancolique. De plus, les titres de plusieurs morceaux reprennent le terme "Revolt" comme un leitmotiv. Texier propose en fait un disque assez blues dans l'esprit, mais nourri de rencontres humaines et musicales d'un peu partout sur la planète. Une belle synthèse de jazz, de blues et de musiques du monde en quelque sorte.
Henri Texier Strada Sextet : (V)ivre, Label Bleu, 2004
Après plus de dix ans à la tête du plus beau groupe de jazz du monde - son Azur Quartet (avec Bojan Z, Glenn Ferris et Tony Rabeson) devenu Quintet par l'adjonction de Sébastien Texier - Henri Texier propose ici la première trace discographique de son nouveau vivier de jeunes talents du jazz hexagonal (et un peu au-delà), le Strada Sextet, avec lequel il tourne depuis environ deux ans. Outre les Texier père et fils, on retrouve François Corneloup qui avait déjà fait équipe avec le contrebassiste le temps d'un splendide Mad Nomad(s) (Label Bleu, 1995) au saxes baryton et soprano, Guéorgui Kornazov au trombone, Manu Codjia à la guitare et Christophe Marguet à la batterie. Chacun apporte une contribution décisive à la musique du groupe, que ce soit dans des solos souvent déchirants de lyrisme, ou dans l'élaboration d'un son d'ensemble d'une riche densité.
François Corneloup développe comme à son habitude un son ample et puissant. La vélocité de Sébastien Texier est encore une fois décisive, et sa complémentarité avec Corneloup permet de développer de belles polyphonies mélodiques. Guéorgui Kornazov remplit avec brio la délicate tâche de "succéder" à Glenn Ferris, en plaçant quelques solos délicieusement vrombissants. Manu Codjia confirme, s'il en était encore besoin, qu'il est "le" guitariste de la jeune génération du jazz en France, aussi à l'aise en tant qu'accompagnateur qu'en soliste passionné. Quant à la paire rythmique, que dire quand elle a pour nom Henri Texier et Christophe Marguet ? Le batteur varie avec bonheur les rythmes tout au long de l'album, martial ici, tendre là, et Texier fait chanter sa contrebasse comme il sait si bien le faire.
Le Texier mélodiste n'est pas en reste sur ce disque. Il a à nouveau composé des morceaux que l'on a envie de chanter à tue-tête ("Old Delhi", "Blues for L. Peltier", "Black March Revolt") ou de fredonner doucement pour en souligner la belle mélodie ("Lady Bertrand", "Dance Revolt", "Decent Revolt"). Les morceaux signés Texier sont entrecoupés par cinq courtes pièces d'environ deux minutes chacune, proposées par chacun des membres du Sextet pour servir de prétexte à l'improvisation un peu plus free. Comme toujours chez Texier, la construction du disque, l'agencement des titres et des climats, sont très pensés, afin que l'oeuvre prenne sens au-delà de chacune des compositions. Le climat qui se dégage ici, malgré quelques passages très festifs, est plutôt mélancolique. De plus, les titres de plusieurs morceaux reprennent le terme "Revolt" comme un leitmotiv. Texier propose en fait un disque assez blues dans l'esprit, mais nourri de rencontres humaines et musicales d'un peu partout sur la planète. Une belle synthèse de jazz, de blues et de musiques du monde en quelque sorte.
Henri Texier Strada Sextet : (V)ivre, Label Bleu, 2004
mardi 21 décembre 2004
Top 2004 - N°4 - Stéphane Belmondo : Wonderland
Le trompettiste Stéphane Belmondo est déjà un nom bien connu des amateurs de jazz. Pourtant ce disque est tout simplement le premier qu'il publie sous son propre nom, ou plus exactement sous son seul prénom. Après de nombreux albums co-signés avec son frère Lionel, saxophoniste, sous le vocable "Belmondo", Stéphane se lance donc à la tête d'un quartet magnifique d'équilibre composé de Paul Imm à la contrebasse, Laurent Robin à la batterie et surtout Eric Legnini impeccable de bout en bout au piano.
Comme son titre le suggère, la thématique du disque est exclusivement composée de morceaux de Stevie Wonder. Pari audacieux, tant il serait facile de se laisser enfermer dans les "codes" soul ou R'n'B pour coller au caractère afro-américain de la musique du pensionnaire de la Motown. Mais Stéphane Belmondo réussit là une relecture en tout point exemplaire de l'oeuvre du soulman : il réussit à mettre en lumière à la fois le talent de compositeur de Stevie Wonder et son propre talent d'arrangeur et d'interprète. La musique de Stevie Wonder est beaucoup plus riche et référencée qu'il n'apparaît à la première écoute tellement ses mélodies limpides semblent "faciles" à l'auditeur. Mais cette facilité n'est pas due à une quelconque simplicité, plutôt à une grande connaissance de la musique, aussi bien afro-américaine (échos des suites exotiques de Duke Ellington, notamment sur l'étonnant "The secret life of plants") que classique européenne. La relecture offerte ici par Stéphane Belmondo rend amplement justice au Stevie Wonder compositeur. Le choix de morceaux peu connus du soulman permet d'ailleurs d'éviter l'écueil d'un ravalement "jazzy" des tubes de l'Américain.
Le jeu de Stéphane Belmondo à la trompette et au bugle (voir au coquillage, à la manière de Steve Turre) est d'une merveilleuse précision, se posant délicatement sur les rythmes inspirés du bop de la paire rythmique et le swing jamais démenti d'Eric Legnini au piano. De plus, quand Stéphane est là, Lionel n'est jamais loin. Outre les morceaux en quartet, le disque propose donc également cinq morceaux avec des arrangements de cuivres signés Lionel enregistrés en re-recording, qui accentuent encore la finesse des mélodies. Enfin, pour ne rien gacher, le design de la pochette (format digipack) est un modèle du genre. Un bien bel objet, sonore et visuel.
Stéphane Belmondo : Wonderland, B-Flat Recordings, 2004
Comme son titre le suggère, la thématique du disque est exclusivement composée de morceaux de Stevie Wonder. Pari audacieux, tant il serait facile de se laisser enfermer dans les "codes" soul ou R'n'B pour coller au caractère afro-américain de la musique du pensionnaire de la Motown. Mais Stéphane Belmondo réussit là une relecture en tout point exemplaire de l'oeuvre du soulman : il réussit à mettre en lumière à la fois le talent de compositeur de Stevie Wonder et son propre talent d'arrangeur et d'interprète. La musique de Stevie Wonder est beaucoup plus riche et référencée qu'il n'apparaît à la première écoute tellement ses mélodies limpides semblent "faciles" à l'auditeur. Mais cette facilité n'est pas due à une quelconque simplicité, plutôt à une grande connaissance de la musique, aussi bien afro-américaine (échos des suites exotiques de Duke Ellington, notamment sur l'étonnant "The secret life of plants") que classique européenne. La relecture offerte ici par Stéphane Belmondo rend amplement justice au Stevie Wonder compositeur. Le choix de morceaux peu connus du soulman permet d'ailleurs d'éviter l'écueil d'un ravalement "jazzy" des tubes de l'Américain.
Le jeu de Stéphane Belmondo à la trompette et au bugle (voir au coquillage, à la manière de Steve Turre) est d'une merveilleuse précision, se posant délicatement sur les rythmes inspirés du bop de la paire rythmique et le swing jamais démenti d'Eric Legnini au piano. De plus, quand Stéphane est là, Lionel n'est jamais loin. Outre les morceaux en quartet, le disque propose donc également cinq morceaux avec des arrangements de cuivres signés Lionel enregistrés en re-recording, qui accentuent encore la finesse des mélodies. Enfin, pour ne rien gacher, le design de la pochette (format digipack) est un modèle du genre. Un bien bel objet, sonore et visuel.
Stéphane Belmondo : Wonderland, B-Flat Recordings, 2004
lundi 20 décembre 2004
Top 2004 - N°5 - The Fred Hersch Trio +2
Il arrive que l'on découvre des musiciens un peu par hasard et que la sensation qu'ils procurent nous fasse regretter de ne pas les avoir rencontrés plus tôt. C'est ce qui s'est produit avec le pianiste Fred Hersch en ce qui me concerne. J'ignorais jusqu'à son existence jusqu'à cet été - alors qu'il a pourtant déjà publié une vingtaine de disques en tant que leader. C'est en fouillant dans les bacs d'un disquaire francfortois que je suis tombé sur un disque Palmetto (excellent label indépendant US) à la belle pochette, mais surtout avec un casting de sidemen impressionnant qui m'a décidé à acheter le disque alors que je ne connaissais pas son auteur. Déjà, la section rythmique est certainement ce qu'on fait de mieux actuellement à New York : Drew Gress à la contrebasse et Nasheet Waits à la batterie. Ils sont les pierres angulaires du trio de Fred Hersch. Mais pour ce disque, le trio s'est vu ajouter deux soufflants, et pas n'importe lesquels : le trompettiste Ralph Alessi et le saxophoniste ténor Tony Malaby. Alessi est bien connu des fans de Steve Coleman dont il fut quelques temps le sideman. Il est aussi l'auteur du premier concert que j'ai eu l'occasion de voir cette année, en janvier dernier. Malaby, lui, est sans doute ma plus belle découverte de l'année 2003, entendu un soir au Sunside alors que je ne l'avais jamais entendu auparavant. Sa capacité incroyable à jouer constamment sur le fil du rasoir entre free et mélodie et le son de son sax quelque part au croisement de la suavité de Stan Getz, de l'énergie de Sonny Rollins et du goût pour l'inattendu d'Ornette Coleman, en font certainement l'un des musiciens américains les plus intéressants du moment sur l'instrument.
Mais, plus belle des surprises, le disque ne se résume pas à ses sidemen de grand luxe. Le leader est un musicien tout aussi essentiel, adepte de l'élégance mélodique, au toucher délicat, jouant parfaitement sur les nuances et les timbres pour varier les impressions, définissant au final un lyrisme pudique, sans esbrouffe aucune. Pas le genre de musicien virtuose à fatiguer par sa technique parfaite, plutôt du genre à mettre son talent instrumental au service de sa sensibilité. Et si Hersch brille en tant que pianiste, il est aussi un remarquable "metteur en son" de ses sidemen. La complémentarité des deux cuivres fait merveille d'un bout à l'autre, soulignant avec délicatesse la fine écriture du leader qui signe neuf des dix thèmes du disque, le dixième étant une reprise de "And I love her" des Beatles. La très grande classe.
The Fred Hersch Trio +2, Palmetto Records, 2004
Mais, plus belle des surprises, le disque ne se résume pas à ses sidemen de grand luxe. Le leader est un musicien tout aussi essentiel, adepte de l'élégance mélodique, au toucher délicat, jouant parfaitement sur les nuances et les timbres pour varier les impressions, définissant au final un lyrisme pudique, sans esbrouffe aucune. Pas le genre de musicien virtuose à fatiguer par sa technique parfaite, plutôt du genre à mettre son talent instrumental au service de sa sensibilité. Et si Hersch brille en tant que pianiste, il est aussi un remarquable "metteur en son" de ses sidemen. La complémentarité des deux cuivres fait merveille d'un bout à l'autre, soulignant avec délicatesse la fine écriture du leader qui signe neuf des dix thèmes du disque, le dixième étant une reprise de "And I love her" des Beatles. La très grande classe.
The Fred Hersch Trio +2, Palmetto Records, 2004
lundi 6 décembre 2004
Dr Knock / Collectif Slang / Quinte & Sens @ New Morning, dimanche 5 décembre 2004
Hier soir au New Morning, le label Chief Inspector organisait une soirée gratuite pour présenter certains des groupes qu'il produit. Au programme, Dr Knock, le Collectif Slang et Quinte & Sens.
Premiers à monter sur scène, les six membres de Dr Knock, groupe emmené par le contrebassiste Jean-Philippe Morel. Le son de l'ensemble est furieusement électrique, dans le prolongement du Miles des années 70, avec un côté un peu plus punk et libertaire peut-être. Les soufflants, Olivier Py au sax et Xavier Bornens à la trompette, sont volontairement en retrait, le jeu se concentrant sur la magma rythmique concocté par Philippe Gleizes à la batterie, Matthieu Jérôme au Rhodes et Manu Codjia à la guitare. Ces trois-là ont véritablement fait décoler le groupe par leurs solos enflammés, enroulant et déroulant leur son autour de l'impeccable pulsation rythmique du contrebassiste. Dr Knock porte bien son nom, car avec son jazz-rock tendance free-hard, il laisse l'auditeur facilement knock-out, ce qui n'est toutefois pas déplaisant quand cela est fait avec une telle énergie communicative.
Après Dr Knock, ce fut au tour du Collectif Slang, emmené par Médéric Collignon et son magnifique t-shirt "Yuck Fou", de proposer quelques uns des ses délires électro-improvisés. Si le premier morceau a eu un peu de mal à produire quelque chose de pleinement convaincant - les musiciens semblaient encore au stade des règlages - les deux suivants furent en revanche des petites merveilles de groove habilement perturbé par les effets de Collignon au cornet, à la voix et au clavier trafiqué. La section rythmique composée de David Aknin à la batterie, Alexandre Hiele à la contrebasse et Maxime Delpierre à la guitare, était règlée comme du papier à musique funky qui permettait aux deux soufflants - Collignon et Laurent Geniez au sax et à la flûte - de s'amuser avec quelques effets électriques perturbant le "joli son" de leurs instruments. Le Collectif Slang ("argot" en anglais) ne joue d'ailleurs ni joli, ni poli, mais "joue" véritablement, au sens plein du terme.
La soirée s'est achevée sur une prestation de Quinte & Sens, quintet emmené par les soufflants de Dr Knock, Olivier Py et Xavier Bornens, cette fois-ci beaucoup plus mis en valeur pour eux-mêmes et non au service du son global du groupe. Des trois groupes présentés hier, Quinte & Sens est sans doute le moins expérimental, mais pas le moins intéressant. La musique, influencée semble-t-il par certains groupes d'Henri Texier (Sonjal Septet, Strada Sextet) ou de Dave Douglas (Tiny Bell Trio, Masada), avec un côté très funky grâce notamment au guitariste Claude Whipple et à la section rythmique François Fuchs (cb) - Aidje Tafial (dms), a mis le feu au public resté jusqu'au bout. A cheval sur les expériences libertaires post-coltraniennes (très bon Olivier Py au soprano), les rythmes funk et les mélodies est-européennes, la musique de ce groupe a tout pour enlever l'adhésion du plus grand nombre. Leur disque Karibu en était déjà la preuve, mais c'est encore plus vrai sur scène.
Au final, une soirée vraiment réjouissante, qui donnait un bon aperçu du travail de production de Chief Inspector, loin des repères commerciaux formatés. Un label à suivre et à soutenir.
A écouter :
Dr Knock, Chief Inspector, 2003
Collectif Slang : Slanguistic, Chief Inspector, 2003
Quinte & Sens : Karibu, Chief Inspector, 2003
Premiers à monter sur scène, les six membres de Dr Knock, groupe emmené par le contrebassiste Jean-Philippe Morel. Le son de l'ensemble est furieusement électrique, dans le prolongement du Miles des années 70, avec un côté un peu plus punk et libertaire peut-être. Les soufflants, Olivier Py au sax et Xavier Bornens à la trompette, sont volontairement en retrait, le jeu se concentrant sur la magma rythmique concocté par Philippe Gleizes à la batterie, Matthieu Jérôme au Rhodes et Manu Codjia à la guitare. Ces trois-là ont véritablement fait décoler le groupe par leurs solos enflammés, enroulant et déroulant leur son autour de l'impeccable pulsation rythmique du contrebassiste. Dr Knock porte bien son nom, car avec son jazz-rock tendance free-hard, il laisse l'auditeur facilement knock-out, ce qui n'est toutefois pas déplaisant quand cela est fait avec une telle énergie communicative.
Après Dr Knock, ce fut au tour du Collectif Slang, emmené par Médéric Collignon et son magnifique t-shirt "Yuck Fou", de proposer quelques uns des ses délires électro-improvisés. Si le premier morceau a eu un peu de mal à produire quelque chose de pleinement convaincant - les musiciens semblaient encore au stade des règlages - les deux suivants furent en revanche des petites merveilles de groove habilement perturbé par les effets de Collignon au cornet, à la voix et au clavier trafiqué. La section rythmique composée de David Aknin à la batterie, Alexandre Hiele à la contrebasse et Maxime Delpierre à la guitare, était règlée comme du papier à musique funky qui permettait aux deux soufflants - Collignon et Laurent Geniez au sax et à la flûte - de s'amuser avec quelques effets électriques perturbant le "joli son" de leurs instruments. Le Collectif Slang ("argot" en anglais) ne joue d'ailleurs ni joli, ni poli, mais "joue" véritablement, au sens plein du terme.
La soirée s'est achevée sur une prestation de Quinte & Sens, quintet emmené par les soufflants de Dr Knock, Olivier Py et Xavier Bornens, cette fois-ci beaucoup plus mis en valeur pour eux-mêmes et non au service du son global du groupe. Des trois groupes présentés hier, Quinte & Sens est sans doute le moins expérimental, mais pas le moins intéressant. La musique, influencée semble-t-il par certains groupes d'Henri Texier (Sonjal Septet, Strada Sextet) ou de Dave Douglas (Tiny Bell Trio, Masada), avec un côté très funky grâce notamment au guitariste Claude Whipple et à la section rythmique François Fuchs (cb) - Aidje Tafial (dms), a mis le feu au public resté jusqu'au bout. A cheval sur les expériences libertaires post-coltraniennes (très bon Olivier Py au soprano), les rythmes funk et les mélodies est-européennes, la musique de ce groupe a tout pour enlever l'adhésion du plus grand nombre. Leur disque Karibu en était déjà la preuve, mais c'est encore plus vrai sur scène.
Au final, une soirée vraiment réjouissante, qui donnait un bon aperçu du travail de production de Chief Inspector, loin des repères commerciaux formatés. Un label à suivre et à soutenir.
A écouter :
Dr Knock, Chief Inspector, 2003
Collectif Slang : Slanguistic, Chief Inspector, 2003
Quinte & Sens : Karibu, Chief Inspector, 2003
vendredi 3 décembre 2004
Omar Sosa @ New Morning, jeudi 2 décembre 2004
Le pianiste cubain Omar Sosa était en concert hier soir en compagnie de son nouveau groupe au New Morning. C'est déjà la quatrième fois que je vois Sosa sur scène depuis 1999, mais pas mal de changements sont intervenus depuis la dernière fois. Son dernier disque en date, Mulatos, en donnait déjà un aperçu : rythme ralenti, attachement plus grand à la mélodie, sens de l'espace et de la respiration mieux maîtrisé... On est désormais assez loin du millefeuille baroque d'origine, accumulation de rythmes et de strates, piano très percussif, esthétique de l'excès... Le changement a un nom : Steve Argüelles, batteur et producteur anglais, maître ès traitements électroniques, un des éléments de la nébuleuse du Hask, partenaire du pianiste Benoît Delbecq dans Ambitronix, l'un des groupes les plus intéressants - car loin des clichés du genre - dans la sphère électro-jazz.
Hier soir, donc, Steve Argüelles tenait la batterie et le sampler. On retrouvait également le saxophoniste Luis Depestre, le bassiste Childo Tomas, le percussionniste Miguel Anga Diaz et le joueur de oud Dhafer Youssef. Malgré la présence d'un Anglais et d'un Tunisien dans le groupe, la musique de Sosa reste très cubaine, mais les deux musiciens en question apportent une ouverture vers plus de légèreté et de subtilité qui a fait quelques merveilles hier, notamment à l'occasion du premier set. Ce fut en effet le plus réussi, délicieusement expérimental, alternant avec bonheur phrases toute en retenue et improvisations collectives tirant vers le free. Luis Depestre au sax alto a été une belle révélation, et les incantations vocales de Dhafer Youssef, poussant l'art du muezzin à son extrême limite, s'incorporaient parfaitement dans le son de l'ensemble. Le rôle de Steve Argüelles dans ce premier set fut sans doute déterminant.
Le deuxième set fut malheureusement beaucoup moins passionnant, se perdant dans un latin jazz beaucoup trop attendu - et entendu. Autant Luis Depestre avait été excellent à l'alto au premier set, autant sa prestation au ténor dans le deuxième set manquait singulièrement de consistance pour arracher la moindre émotion. Sosa lui-même oubliait l'émotion de son phrasé si mélodique pour ne plus être qu'un coloriste percussif. Mais le public semblait suivre, alors...
Heureusement, les deux rappels furent de toute beauté. Tout d'abord, un morceau au long développement mélodique, s'autorisant des expérimentations sonores dignes de celles du premier set - le saxophoniste étant d'ailleurs revenu à l'alto - puis un simple duo piano-percussions entre Sosa et Anga Diaz, qui permirent au concert de s'achever sur une note positive.
Reste à souhaiter que la nouvelle direction empruntée par Sosa soit fertile, car elle permet vraiment de révéler un grand pianiste, ouvert sur le monde par sa grande sensibilité esthétique. Jusqu'à présent ses meilleurs prestations étaient celles en solo ou en duo avec un percussionniste. Avec Steve Argüelles, il a trouvé un producteur qui lui permet de tirer un véritable profit d'un son de groupe.
Hier soir, donc, Steve Argüelles tenait la batterie et le sampler. On retrouvait également le saxophoniste Luis Depestre, le bassiste Childo Tomas, le percussionniste Miguel Anga Diaz et le joueur de oud Dhafer Youssef. Malgré la présence d'un Anglais et d'un Tunisien dans le groupe, la musique de Sosa reste très cubaine, mais les deux musiciens en question apportent une ouverture vers plus de légèreté et de subtilité qui a fait quelques merveilles hier, notamment à l'occasion du premier set. Ce fut en effet le plus réussi, délicieusement expérimental, alternant avec bonheur phrases toute en retenue et improvisations collectives tirant vers le free. Luis Depestre au sax alto a été une belle révélation, et les incantations vocales de Dhafer Youssef, poussant l'art du muezzin à son extrême limite, s'incorporaient parfaitement dans le son de l'ensemble. Le rôle de Steve Argüelles dans ce premier set fut sans doute déterminant.
Le deuxième set fut malheureusement beaucoup moins passionnant, se perdant dans un latin jazz beaucoup trop attendu - et entendu. Autant Luis Depestre avait été excellent à l'alto au premier set, autant sa prestation au ténor dans le deuxième set manquait singulièrement de consistance pour arracher la moindre émotion. Sosa lui-même oubliait l'émotion de son phrasé si mélodique pour ne plus être qu'un coloriste percussif. Mais le public semblait suivre, alors...
Heureusement, les deux rappels furent de toute beauté. Tout d'abord, un morceau au long développement mélodique, s'autorisant des expérimentations sonores dignes de celles du premier set - le saxophoniste étant d'ailleurs revenu à l'alto - puis un simple duo piano-percussions entre Sosa et Anga Diaz, qui permirent au concert de s'achever sur une note positive.
Reste à souhaiter que la nouvelle direction empruntée par Sosa soit fertile, car elle permet vraiment de révéler un grand pianiste, ouvert sur le monde par sa grande sensibilité esthétique. Jusqu'à présent ses meilleurs prestations étaient celles en solo ou en duo avec un percussionniste. Avec Steve Argüelles, il a trouvé un producteur qui lui permet de tirer un véritable profit d'un son de groupe.
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