Sur la scène, les claviers forment un cercle. A l'Est, un Fazioli. Aux autres points cardinaux, divers synthétiseurs, surmontés pour certains de quelques iPads accrochés à des pieds en métal. L'arsenal à la disposition du pianiste caméléon n'est-il pas sur-dimensionné pour une échappée solitaire ? On connaît la réticence d'Hancock à se produire seul face au grand piano. En cinquante ans, sa discographie ne compte qu'une unique trace d'un solo tout acoustique (The Piano, Sony Japan 1978). Avant qu'il n'entre en scène, beaucoup de questions hantent mon esprit. Je sais par avance qu'il faudra savoir saisir les moments de magie et ne pas se laisser prendre au piège de la dispersion.
Après quelques saluts appuyés au public, Herbie Hancock s'assoit face au Fazioli. Il plaque quelques accords puissants, graves, hésitants entre solennité et dissonances. Peu à peu une assise rythmique se met en place. Des réminiscences de Ravel semblent enrichir le discours. Enfin émerge la mélodie entêtante de Footprints, un des titres phares de Wayne Shorter, au répertoire du second quintet de Miles (Miles Smiles, Columbia 1966). Hancock étire le temps, entame un voyage au long cours à travers la composition d'un de ses plus proches compagnons d'aventure. Beau clin d’œil pour entamer le concert avant d'enchaîner ses "tubes". Ce sera la seule pièce tout acoustique du concert.
Pour le deuxième morceau, Hancock reste néanmoins au piano. La mélodie sucrée de Sonrisa, qui évoque les arrangements d'une musique de film, lui sert de fil rouge tandis qu'il lance des samples à l'aide d'un des iPads à sa disposition. D'abord quelques légers arpèges de harpe et éléments percussifs qui m'évoquent les sonorités de Björk (tendance Vespertine) et qui se marient bien avec le côté quasi pop de la composition. La fin du morceau, avec des samples symphoniques beaucoup plus envahissants, est plus éprouvante. On atteint assez vite la dose limite de calories, et de sucrée la mélodie devient écœurante.
Hancock annonce ensuite Maiden Voyage. Ovation. Pourtant, cette si belle mélodie se retrouve comme vidée progressivement de sa sève. Tout d'abord par une approche plus que minimaliste, au rythme ultra-dilaté, au piano, puis par un passage aux claviers électriques et au vocoder qui entraîne le tout vers la musique d'ambiance, au risque de l'ennui. Sans doute conscient de l'effet produit, Hancock reprend le micro à la fin du morceau et propose quelque chose de plus rythmique. Le public approuve cette sage décision. Suit un morceau aux sonorités vaguement disco (le seul morceau que je n'identifie pas). Mais, seul sur la grande scène de Pleyel et avec un public confortablement assis dans les beaux fauteuils rouges mis à sa disposition, ça ne prend pas vraiment.
De retour au Fazioli, Hancock sort sa botte secrète pour - enfin - sortir le public de son écoute polie. Dès les premiers accords de Cantaloup Island - piano et boîtes à rythme iPadiennes - on sent un frisson de plaisir parcourir la salle. Les machines n'apportent, comme d'habitude, rien, mais la joie mise par le pianiste dans son jeu rehausse enfin de couleurs chatoyantes un concert qui en manquait sérieusement passé le premier morceau. Malheureusement, il est déjà 21h45 et le chicagoan quitte la scène. Après quelques minutes de silence, les scratches si caractéristiques de Rock it résonnent dans l'obscurité de Pleyel. Armé d'un synthé à bretelles, Hancock revient sur scène sous les vivas au milieu du fatras électro-funk de son tube interplanétaire de 1983. Pour finir son "best of" personnel, il enchaîne sur le rythme de basse obsédant de Chameleon. Toujours mis en boîte. Comme si ce concert était surtout, pour Herbie, le moyen d'illustrer qu'il avait besoin des autres pour s'épanouir pleinement. Et que leurs fantômes reconstitués par la technologie ne pouvaient guère faire illusion bien longtemps.
A lire ailleurs : Le Digitalophone.
jeudi 1 novembre 2012
Inscription à :
Articles (Atom)