Je ne sais exactement combien de fois j'ai vu Steve Coleman sur scène. Sans doute autour d'une vingtaine depuis le début de ce siècle. C'était pour sûr la treizième fois depuis 2007, date à laquelle j'ai commencé à noter tous les concerts auxquels j'assistais. Et je me souviens d'au moins cinq concerts antérieurs. Ce qui est également certain, c'est qu'il n'y avait jamais eu un aussi long laps de temps entre deux concerts, puisque le dernier auquel j'ai assisté remonte déjà à 2017. C'était donc avec une certaine excitation que je m'avançais vers le New Morning - autre valeure sure - mercredi.
Au fil des années Steve Coleman nous avait habitués à un répertoire en perpétuelle évolution, changeant les formats instrumentaux, renouvelant sans cesse ses sidemen pour donner la chance à de jeunes pousses prometteuses (la liste est très longue des figures aujourd'hui importantes du jazz new yorkais qui ont percé à ses côtés). A tel point qu'on sentait parfois le public un peu dubitatif face à des prestations qui s'éloignaient du souvenir brulant de ses performances des 90s. Pourtant, il y avait toujours un son et une approche (poly)rythmique propre à l'altiste qu'on ne pouvait confondre avec un autre. J'étais donc du côté de ceux qui continuaient à suivre avec intérêt son parcours en ne ratant que très rarement ses apparitions sur les scènes parisiennes.
Pour ces retrouvailles, la petite surprise est donc un format instrumental resserré et somme toute classique : sax alto, trompette (Jonathan Finlayson), basse électrique (Rich Brown) et batterie (Sean Rickman). Pas non plus de nouvelle tête, mais au contraire des fidèles d'entre les fidèles : Sean Rickman a commencé à accompagner Coleman en 1996 et Jonathan Finlayson en 2001. Et si Rich Brown est plus récent, il n'a rien d'une jeune pousse, et fut au contraire toujours dans le second cercle de la galaxie colemanienne, jouant dans les mêmes groupes que certains sidemen emblématiques du Chicagoan comme Andy Milne ou... Sean Rickman justement. Quant au répertoire proposé, il résonne du souvenir de ses disques des 90s, plein de thèmes connus même s'il n'est pas toujours évident de s'en rappeler le titre exact. Exception faite de l'incontournable Little Girl, I'll Miss You de Bunky Green, devenu un standard du répertoire colemanien (il apparaissait dès le deuxième album de Coleman en leader, On The Edge Of Tomorrow, JMT, 1986) et l'une des plus belles mélodies de l'histoire du jazz à mes oreilles.
Back to basics, donc, pour ce concert. Et, même si l'on n'a rien contre la découverte, ça fait un bien fou de pouvoir voir Coleman et ses associés déployer une telle approche en live. Il faut dire que la qualité des solos, la science rythmique poussée à son paroxysme, cet alliage de groove continu et de variations relançant constamment l'attention, et enfin le son des instruments si parfaitement maîtrisé placent les Five Elements toujours tout en haut de l'affiche. Je n'étais visiblement pas le seul à prendre du plaisir tellement les réactions du public ont été bouillantes d'un bout à l'autre du concert. Rarement vu un public aussi spontanément enthousiaste, dans un New Morning bondé pour l'occasion (concert sold out). De quoi définitivement donner l'envie de ne pas rater son prochain passage par Paris. Twenty times and counting !