Ma dernière saison à tarif jeune Salle Pleyel commence sous la direction d'un chef de vingt-deux ans ! Lionel Bringuier, né en 1986, dirige avec allant le Philharmonique de Radio France dans un programme qui fait, il est vrai, la part belle aux pièces joyeuses et bien cadencées. L'introductif Alborada del Gracioso de Ravel est traité de manière très imagée. On sent les saveurs d'une Espagne fantasmée, reconstituée à partir de matériaux populaires emblématiques, prendre vie. Le jeune chef a des gestes expressifs qui font jaillir la musique de l'orchestre avec fougue et entrain.
La pièce centrale du programme est la création française du Concerto pour violon de Magnus Lindberg, compositeur contemporain finlandais dont j'avais déjà pu entendre la pièce Corrente dans le cadre du festival de l'Ircam il y a deux ans. Le violoniste albanais Tedi Papavrami - par ailleurs traducteur d'Ismaïl Kadaré en français - rejoint l'orchestre réduit à un format classique : les cordes et six vents (deux cors, deux hautbois, deux bassons). De quoi illustrer cette réflexion du regretté Mauricio Kagel : "La modernité est sans doute un concept qui devrait être constamment remis en question. Peut-être se rendrait-on compte que pré et post-modernité sont totalement interchangeables." Le concerto de Lindberg s'ouvre sur un bruissement de monde naissant à travers le violon de Papavrami. L'orchestre le rejoint vite pour un dialogue fait d'échos et de courses poursuites qui agitent le premier mouvement. Le soliste mène le discours, impose le rythme, et l'orchestre - dans sa masse ou par groupes traités en solistes - lui répond, amplifie son discours, et lui sert d'écrin pour en accentuer le lyrisme, un élément très présent tout au long de l'œuvre. Malgré sa taille réduite et sa constitution classique, l'orchestre sonne de manière ample, notamment grâce à l'enchevêtrement de voix distinctes - par groupe d'instruments - dialoguant entre elles autant qu'avec le soliste. Le deuxième mouvement poursuit sans interruption l'élan du premier. On est loin d'une structure classique vif-lent-vif. Le climat est peut-être plus inquiétant, plus sombre, avec des montées en tension du soliste et de l'orchestre qui s'alimentent respectivement. La cadence qui conclut le deuxième mouvement s'achève avec le soutien d'une contrebasse qui donne une couleur originale et dramatique avant le court troisième mouvement au cours duquel la joie de l'orchestre semble vouloir submerger le soliste qui lutte pour maintenir sa voix singulière au-dessus de la masse. Le concerto s'achève sur un dernier sursaut du soliste, dans une fin abrupte, où l'orchestre semble rendre les armes. Loin d'une démarche avant-gardiste, Lindberg a créé un concerto empli de lyrisme, avec une dimension dramatique qui donne au soliste un aspect presque récitatif. Et c'est plutôt plaisant.
Après l'entracte, Lionel Bringuier renoue avec l'expressivité corporelle du début de concert pour une interprétation du Petrouchka de Stravinski qui en accentue l'allégresse insouciante. Il faut dire que cette pièce a été écrite par le compositeur russe comme une récréation au cours du processus créatif du Sacre. Les airs populaires qui émaillent l'œuvre font ainsi le même effet que n'importe quelle scie de variété : ils restent dans la tête contre la volonté même de l'auditeur. Impossible de se débarrasser des trilles joyeuses qui illustrent le drame de Petrouchka. Et pourtant, au-delà de l'immédiateté des mélodies, il y a des traitements rythmiques et harmoniques propres à Stravinski d'une richesse toujours aussi impressionnante.
A lire ailleurs : ConcertoNet.
dimanche 21 septembre 2008
lundi 15 septembre 2008
Mathilde Monnier - Les signes extérieurs @ Grande Halle de la Villette, samedi 13 septembre 2008
La salle Boris Vian de la Grande Halle accueillait samedi la création de la nouvelle chorégraphie de Mathilde Monnier sur une musique de Louis Sclavis, toujours dans le cadre de Jazz à la Villette. A vrai dire, je suis passé complètement à côté du spectacle.
Trois musiciens (Sclavis à la clarinette basse et au sax soprano, Matthieu Metzger aux saxophones et Gilles Coronado à la guitare) et trois danseurs (Monnier, Loïc Touzé et I Fang Lin) entrent en scène ensemble et se positionnent chacun derrière un pupitre sur lequel est disposé une partition. Les musiciens jouent pendant que les danseurs miment des signes, quelque part entre les gestes d'un chef d'orchestre, le langage des signes et des grimaces pures et simples. La musique est hachée, l'expression des danseurs limitée. L'une et l'autre correspondent de manière bien trop explicite. On agite les doigts sur les rythmes rapides, on se tord la bouche pour les sons stridents. Les danseurs restent à leur place se contentant de bouger visage et bras. Par moment, ils s'en vont en coulisses et reviennent à des places différentes. C'est long et peu varié.
La pièce avançant, les danseurs deviennent plus mobiles, montent sur des tables ou se baladent sur scène, et pourtant ce n'est pas beaucoup plus concluant. Les interactions entre danseurs sont minimes. Chacun semble dans son coin, à attendre son tour sur le devant de la scène. Je me rends compte qu'il n'en reste en fait quasiment rien après coup. On n'y a vu ni sens, ni esthétique, ni plaisir. Ni même leurs contraires. Était-ce encore en phase de travail ou alors n'ai-je absolument rien compris ?
A lire ailleurs : Jazz à Paris.
Trois musiciens (Sclavis à la clarinette basse et au sax soprano, Matthieu Metzger aux saxophones et Gilles Coronado à la guitare) et trois danseurs (Monnier, Loïc Touzé et I Fang Lin) entrent en scène ensemble et se positionnent chacun derrière un pupitre sur lequel est disposé une partition. Les musiciens jouent pendant que les danseurs miment des signes, quelque part entre les gestes d'un chef d'orchestre, le langage des signes et des grimaces pures et simples. La musique est hachée, l'expression des danseurs limitée. L'une et l'autre correspondent de manière bien trop explicite. On agite les doigts sur les rythmes rapides, on se tord la bouche pour les sons stridents. Les danseurs restent à leur place se contentant de bouger visage et bras. Par moment, ils s'en vont en coulisses et reviennent à des places différentes. C'est long et peu varié.
La pièce avançant, les danseurs deviennent plus mobiles, montent sur des tables ou se baladent sur scène, et pourtant ce n'est pas beaucoup plus concluant. Les interactions entre danseurs sont minimes. Chacun semble dans son coin, à attendre son tour sur le devant de la scène. Je me rends compte qu'il n'en reste en fait quasiment rien après coup. On n'y a vu ni sens, ni esthétique, ni plaisir. Ni même leurs contraires. Était-ce encore en phase de travail ou alors n'ai-je absolument rien compris ?
A lire ailleurs : Jazz à Paris.
The Ex & Getatchew Mekuria @ Cabaret Sauvage, vendredi 12 septembre 2008
Le festival Jazz à la Villette est parfaitement minuté. Le concert de Tortoise s'achève à 21h55, laissant juste le temps de rejoindre le Cabaret Sauvage pour celui de The Ex.
Les Hollandais revenaient accompagnés du saxophoniste éthiopien Getatchew Mekuria, deux ans après leur passage par Bobigny dans le cadre de Banlieues Bleues. Pas de révolution - on colle au répertoire, c'est du rock - mais une belle énergie et une joie de jouer intacte, toujours aussi communicative. Le plaisir qu'il y a à, dans un même élan, servir les mélodies traditionnelles éthiopiennes et les bousculer à coup de guitares nerveuses est évident.
Les rythmes éthiopiens sont devenus à la mode ces derniers temps, repris et intégrés par une ribambelle de groupes occidentaux issus du jazz ou du rock, mais The Ex a l'avantage sur beaucoup d'autres de ne pas pour autant chercher à sacrifier son identité propre. On reconnaît un son de groupe façonné au fil des années, au gré des rencontres avec des musiciens venant d'autres horizons. La présence d'une section de soufflants (clarinette, sax alto et trombone) permet de fluidifier les échanges entre la cellule guitares-basse-batterie de The Ex et le ténor de Getatchew Mekuria, parfois en servant d'écho, parfois en apportant des contrepoints au discours du saxophoniste. Les modes de jeu - en opposition, en soutien, en dialogue - alternent donc au fil du concert, ce qui maintient l'attention et l'engagement des spectateurs constants. Grand plaisir.
Pour prolonger, ou découvrir, le disque "Moa Anbessa" né de la collaboration de The Ex avec Getatchew Mekuria est un must.
Les Hollandais revenaient accompagnés du saxophoniste éthiopien Getatchew Mekuria, deux ans après leur passage par Bobigny dans le cadre de Banlieues Bleues. Pas de révolution - on colle au répertoire, c'est du rock - mais une belle énergie et une joie de jouer intacte, toujours aussi communicative. Le plaisir qu'il y a à, dans un même élan, servir les mélodies traditionnelles éthiopiennes et les bousculer à coup de guitares nerveuses est évident.
Les rythmes éthiopiens sont devenus à la mode ces derniers temps, repris et intégrés par une ribambelle de groupes occidentaux issus du jazz ou du rock, mais The Ex a l'avantage sur beaucoup d'autres de ne pas pour autant chercher à sacrifier son identité propre. On reconnaît un son de groupe façonné au fil des années, au gré des rencontres avec des musiciens venant d'autres horizons. La présence d'une section de soufflants (clarinette, sax alto et trombone) permet de fluidifier les échanges entre la cellule guitares-basse-batterie de The Ex et le ténor de Getatchew Mekuria, parfois en servant d'écho, parfois en apportant des contrepoints au discours du saxophoniste. Les modes de jeu - en opposition, en soutien, en dialogue - alternent donc au fil du concert, ce qui maintient l'attention et l'engagement des spectateurs constants. Grand plaisir.
Pour prolonger, ou découvrir, le disque "Moa Anbessa" né de la collaboration de The Ex avec Getatchew Mekuria est un must.
samedi 13 septembre 2008
Tortoise avec Rob Mazurek et Kevin Drumm @ Cité de la Musique, vendredi 12 septembre 2008
Le festival Jazz à la Villette continue avec un programme toujours en périphérie du jazz. Tortoise, groupe phare de la scène post-rock de Chicago, investissait ainsi hier soir la Cité de la Musique avec deux invités originaires eux aussi de la Windy City : Rob Mazurek (trompette) et Kevin Drumm (machines).
Le post-rock est une musique que je devrais aimer. Seulement, je n'y arrive pas. Cela fait plusieurs années que j'essaie régulièrement de m'y intéresser, en retentant encore et encore l'expérience. La scène chicagoane, notamment, avec ses connexions avec les héritiers de l'AACM, me semble une bonne porte d'entrée. Jeff Parker, guitariste de Tortoise, se retrouve ainsi régulièrement dans des projets plus jazz auxquels j'adhère totalement. Cette année, par exemple, les excellents disques de Matana Roberts ("The Chicago Project") et Ingebrigt Haker Flaten ("The Year of the Boar") font appel à ses services. Pour conjurer, une nouvelle fois, le sort j'ai donc tenté l'expérience live avec Tortoise, avec d'autant plus de bonne volonté que la présence de Rob Mazurek, dont l'Exploding Star Orchestra rassemble avec une certaine classe musiciens de jazz et de post-rock, promettait de bousculer un peu les aspects qui me plaisent le moins chez le groupe de Chicago.
Après deux morceaux seuls en scène, les cinq membres de Tortoise sont rejoints par leurs deux invités. Et là, la magie opère... pendant deux morceaux. L'utilisation des machines par Kevin Drumm apporte un plus perturbant, avec des beats très agressifs et anguleux, qui m'évoque un peu les premiers disques de Supersilent. Rob Mazurek mêle lui aussi les effets à son souffle puissant et entraîne Tortoise sur son terrain de jeu, plus expérimental. Seulement, la suite du concert remet Tortoise au centre du jeu. Kevin Drumm abandonne peu à peu, jusqu'à ne pas revenir pour les trois rappels. Le sentiment, sans doute, de n'avoir pas trouvé sa place dans le dispositif proposé par les chicagoans. Rob Mazurek persévère jusqu'au bout du concert, mais se fait plus discret, n'intervenant qu'à intervalles irréguliers.
Il y a en fait deux éléments qui me dérangent plus particulièrement dans la musique de Tortoise : les mélopées pop planantes des claviers vraiment trop mièvres et le drumming trop rigide et monochrome des deux batteurs (souvent sur le même rythme simultanément). Post-rock, mais encore trop rock à mon goût en quelques sortes. Il y a néanmoins quelques belles choses à se mettre sous la dent dans cette musique, comme lors des rappels, plus consistants, avec notamment un passage aux vibras et autres xylos très reichien. Mais dans l'ensemble, la déception de ne décidément pas réussir à entrer dans cet univers musical prend le dessus. Dommage, mais j'aurai au moins tenté le coup.
A lire ailleurs : Bladsurb.
Le post-rock est une musique que je devrais aimer. Seulement, je n'y arrive pas. Cela fait plusieurs années que j'essaie régulièrement de m'y intéresser, en retentant encore et encore l'expérience. La scène chicagoane, notamment, avec ses connexions avec les héritiers de l'AACM, me semble une bonne porte d'entrée. Jeff Parker, guitariste de Tortoise, se retrouve ainsi régulièrement dans des projets plus jazz auxquels j'adhère totalement. Cette année, par exemple, les excellents disques de Matana Roberts ("The Chicago Project") et Ingebrigt Haker Flaten ("The Year of the Boar") font appel à ses services. Pour conjurer, une nouvelle fois, le sort j'ai donc tenté l'expérience live avec Tortoise, avec d'autant plus de bonne volonté que la présence de Rob Mazurek, dont l'Exploding Star Orchestra rassemble avec une certaine classe musiciens de jazz et de post-rock, promettait de bousculer un peu les aspects qui me plaisent le moins chez le groupe de Chicago.
Après deux morceaux seuls en scène, les cinq membres de Tortoise sont rejoints par leurs deux invités. Et là, la magie opère... pendant deux morceaux. L'utilisation des machines par Kevin Drumm apporte un plus perturbant, avec des beats très agressifs et anguleux, qui m'évoque un peu les premiers disques de Supersilent. Rob Mazurek mêle lui aussi les effets à son souffle puissant et entraîne Tortoise sur son terrain de jeu, plus expérimental. Seulement, la suite du concert remet Tortoise au centre du jeu. Kevin Drumm abandonne peu à peu, jusqu'à ne pas revenir pour les trois rappels. Le sentiment, sans doute, de n'avoir pas trouvé sa place dans le dispositif proposé par les chicagoans. Rob Mazurek persévère jusqu'au bout du concert, mais se fait plus discret, n'intervenant qu'à intervalles irréguliers.
Il y a en fait deux éléments qui me dérangent plus particulièrement dans la musique de Tortoise : les mélopées pop planantes des claviers vraiment trop mièvres et le drumming trop rigide et monochrome des deux batteurs (souvent sur le même rythme simultanément). Post-rock, mais encore trop rock à mon goût en quelques sortes. Il y a néanmoins quelques belles choses à se mettre sous la dent dans cette musique, comme lors des rappels, plus consistants, avec notamment un passage aux vibras et autres xylos très reichien. Mais dans l'ensemble, la déception de ne décidément pas réussir à entrer dans cet univers musical prend le dessus. Dommage, mais j'aurai au moins tenté le coup.
A lire ailleurs : Bladsurb.
mardi 9 septembre 2008
James Chance & Les Contorsions / Free Form Funky Freqs @ Cabaret Sauvage, samedi 6 septembre 2008
Et si on sous-traitait cette chronique ?
Quelques mots supplémentaires tout de même. C'était la deuxième fois que je voyais James Chance sur scène. Pas de grand changement. En un an, comme en trente sans doute. Mais quel plaisir de pouvoir entendre live, encore et encore, l'obsédante scie disco-punk de "Contort Yourself" ! Le son sonne toujours, grâce à une bonne dose de rythmique funk et de guitares déviantes, comme figé dans la courte période du New York no wave, et pourtant ça ne paraît pas daté ou démodé. Et puis, quelle classe de s'auto-citer sur une reprise de James Brown ! "As James White said..."
Concernant les Free Form Funky Freqs, pas grand chose non plus à ajouter au commentaire lapidaire d'Aymeric. Je n'avais jamais vu Vernon Reid sur scène par crainte du guitar hero autiste. J'éviterai de le revoir à l'avenir, pour la même raison. On joue vite, on joue fort, mais pour dire quoi ? Je préfère Jamaaladeen Tacuma et Calvin Weston en soutien de Derek Bailey ou de Marc Ribot.
Quelques mots supplémentaires tout de même. C'était la deuxième fois que je voyais James Chance sur scène. Pas de grand changement. En un an, comme en trente sans doute. Mais quel plaisir de pouvoir entendre live, encore et encore, l'obsédante scie disco-punk de "Contort Yourself" ! Le son sonne toujours, grâce à une bonne dose de rythmique funk et de guitares déviantes, comme figé dans la courte période du New York no wave, et pourtant ça ne paraît pas daté ou démodé. Et puis, quelle classe de s'auto-citer sur une reprise de James Brown ! "As James White said..."
Concernant les Free Form Funky Freqs, pas grand chose non plus à ajouter au commentaire lapidaire d'Aymeric. Je n'avais jamais vu Vernon Reid sur scène par crainte du guitar hero autiste. J'éviterai de le revoir à l'avenir, pour la même raison. On joue vite, on joue fort, mais pour dire quoi ? Je préfère Jamaaladeen Tacuma et Calvin Weston en soutien de Derek Bailey ou de Marc Ribot.
dimanche 7 septembre 2008
Josef Nadj - Paysage après l'orage @ Grande Halle de la Villette, samedi 6 septembre 2008
Belle présence de la danse dans la programmation de Jazz à la Villette cette année. Après Anne Teresa De Keersmaeker, et avant Mathilde Monnier la semaine prochaine, c'était autour de Josef Nadj d'occuper la scène de la Grande Halle, cette fois-ci dans la salle Boris Vian. Sa pièce "Paysage après l'orage" s'inspire de souvenirs de sa Voïvodine natale mis en musique par Akosh Szelevényi et Gildas Etevenard.
Les deux musiciens entrent seuls en scène et s'acharnent sur une cage métallique qu'ils percutent et frottent pour en sortir des sons martiaux et inquiétants. Au son de cette étrange incantation chamanique naît un animal mystérieux, comme sorti de la terre, affublé d'un bec rouge. C'est Nadj qui semble en lutte perpétuelle avec son propre corps, mal apprivoisé. Ce corps, traversé de forces contraires, entre tentatives de maîtrise et soumission aux éléments surnaturels, est au coeur du spectacle. La musique, en s'abreuvant aussi bien de sonorités traditionnelles magyares que de la véhémence du free jazz, entre en résonance avec cette lutte très physique. Empruntant au langage corporel animal aussi bien qu'au vocabulaire des arts martiaux, ou mettant en avant sa musculature soumise à rude épreuve, Nadj évoque ces ciels bas, encore anthracites, qui pèsent sur la grande plaine pannonienne. Pas d'arbre à l'horizon, juste des herbes folles à perte de vue, brûlées par la chaleur de l'été, et soudainement figées par un climat changeant. Le retour à la vie, difficile, s'apparente à un combat contre la nature. Il y a une certaine violence, parfois rentrée, dans la peinture de ce paysage.
L'association avec Akosh S. n'est pas nouvelle pour Nadj, mais elle prend tout son sens dans cette évocation poétique de racines communes, où le vocabulaire de chacun inspire l'autre. Les couleurs trouvées par Akosh sur la clarinette métal ou les saxophones répondent aux climats changeants du paysage et de la danse. L'utilisation d'objets scéniques et vidéo apporte quelques touches d'humour d'une poésie naïve, presque enfantine. Échos des souvenirs d'un paysage laissé là-bas, du côté de l'enfance.
Les deux musiciens entrent seuls en scène et s'acharnent sur une cage métallique qu'ils percutent et frottent pour en sortir des sons martiaux et inquiétants. Au son de cette étrange incantation chamanique naît un animal mystérieux, comme sorti de la terre, affublé d'un bec rouge. C'est Nadj qui semble en lutte perpétuelle avec son propre corps, mal apprivoisé. Ce corps, traversé de forces contraires, entre tentatives de maîtrise et soumission aux éléments surnaturels, est au coeur du spectacle. La musique, en s'abreuvant aussi bien de sonorités traditionnelles magyares que de la véhémence du free jazz, entre en résonance avec cette lutte très physique. Empruntant au langage corporel animal aussi bien qu'au vocabulaire des arts martiaux, ou mettant en avant sa musculature soumise à rude épreuve, Nadj évoque ces ciels bas, encore anthracites, qui pèsent sur la grande plaine pannonienne. Pas d'arbre à l'horizon, juste des herbes folles à perte de vue, brûlées par la chaleur de l'été, et soudainement figées par un climat changeant. Le retour à la vie, difficile, s'apparente à un combat contre la nature. Il y a une certaine violence, parfois rentrée, dans la peinture de ce paysage.
L'association avec Akosh S. n'est pas nouvelle pour Nadj, mais elle prend tout son sens dans cette évocation poétique de racines communes, où le vocabulaire de chacun inspire l'autre. Les couleurs trouvées par Akosh sur la clarinette métal ou les saxophones répondent aux climats changeants du paysage et de la danse. L'utilisation d'objets scéniques et vidéo apporte quelques touches d'humour d'une poésie naïve, presque enfantine. Échos des souvenirs d'un paysage laissé là-bas, du côté de l'enfance.
jeudi 4 septembre 2008
Anne Teresa De Keersmaeker / Salva Sanchis @ Grande Halle de la Villette, mercredi 3 septembre 2008
Nouvelle saison, nouveau blog, mais vieilles habitudes. Après deux mois vierges de toute représentation, je retrouve les plaisirs de la scène grâce à Jazz à la Villette. Et comme un joli symbole circulaire, ma saison 2008-2009 s'ouvre, comme elle se conclura, sur la présence de la compagnie Rosas d'Anne Teresa De Keersmaeker à Paris.
Hier soir, trois œuvres aux confluents du jazz, de l'Inde et de la danse se faisaient écho sur la grande scène de la salle Charlie Parker de la Grande Halle. Tout d'abord, Salva Sanchis a proposé une improvisation sur une musique d'Archie Shepp accompagné de deux musiciens indiens : Paban Das Baul au chant (tradition bengalie), percussions et dotara (une sorte de luth), et Mimlu Sen aux percussions. Après une longue introduction minimaliste aux clochettes et chapelets de ferraille, où le danseur semble chercher ses marques, Shepp, au seul soprano, entame un discours un peu plus dense. L'ensemble reste quand même dominé par une certaine économie, de gestes et de notes, faite de bribes successives d'éléments disparates réunis par un même vocabulaire. Comme des phrases, dénuées de connexions logiques, lancées à l'aveugle, mais tout de même fruit d'un style bien défini. Lorsque Paban Das Baul se met à chanter, vers la moitié du morceau, une unification par le blues - a very kind of blue - de la musique s'opère. Salva Sanchis accélère alors ses mouvements, densifie son propos et laisse entrevoir un rapport au jazz plus libéré qui fera sens un peu plus tard dans la soirée.
Autre solo ensuite, mais sur une musique enregistrée cette fois-ci. Sur une chorégraphie de Sanchis, Anne Teresa De Keersmaker laisse parler sa grâce au son du "Raag Khamaj" interprété par le maître de la flûte bansuri, Hariprasad Chaurasia. Sur une fine raie de lumière parallèle au bord de la scène, qui la parcourt de gauche à droite, la chorégraphe flamande unit son propre vocabulaire à celui légèrement moins économe de Sanchis et à quelques légers clins d'œil à la tradition indienne. Vêtue d'une simple robe blanche, baignée d'une lumière qui impose son jeu de couleurs minimaliste, précise et directe dans ses gestes, la danseuse dégage l'air de rien une forte dose d'érotisme. Ponctuée de déséquilibres vite contrôlés et de quelques déhanchements suggestifs, la danse d'Anne Teresa De Keersmaeker est finalement sûre d'une force qu'on qualifierait volontiers de tranquille si l'expression n'était autant usée.
L'attraction principale de la soirée en était aussi sa conclusion : la reprise de la chorégraphie pour quatre danseurs d'Anne Teresa De Keersmaeker et Salva Sanchis sur "A Love Supreme" de Coltrane. La rencontre de Trane et d'A.T.D.K. était attendue, porteuse d'angoisse aussi face au choc possible de deux montagnes inconciliables, mais finalement superbe. La force de la flamande, pour servir cette musique, c'est justement de se concentrer, comme à son habitude, sur la musique, sans chercher à s'en servir comme prétexte à la diffusion d'un message forcément réducteur. Symphonie en quatre mouvements pour quartet de jazz, la danse s'offre alors comme la transposition par quatre corps interposés des émotions et de la beauté de la musique. Il y a nécessairement - c'est une marque de fabrique Rosas - une correspondance entre chacun des danseurs et un instrument : Moya Michael s'empare des rondeurs de la contrebasse de Jimmy Garrison, Salva Sanchis déploie son énergie sur les harmonies percussives du piano de McCoy Tyner, Igor Shyshko sert le feu rythmique de la batterie volcanique d'Elvin Jones, et enfin la merveilleuse Cynthia Loemij s'élève portée par l'amour suprême du prophète du ténor. Pourtant, cette identification n'est pas systématique, il y a des nombreux décalages, déphasages et recompositions dans les passages de groupe ou en duo, comme si un vent d'énergie au bord de la rupture s'insinuait dans un vocabulaire chorégraphique patiemment construit depuis plus de vingt-cinq ans. Les solos qui ouvrent chaque mouvement sont d'intenses moments de danse (mention spéciale à Moya Michael et Igor Shyshko), mais c'est le final, sur le "Psalm" récité par le ténor de Coltrane, qui reste le plus frappant. Irriguée de références iconographiques chrétiennes (crucifixion, descente de croix, pietà, mise au tombeau, résurrection et finalement "Ascension"), la chorégraphie est alors illuminée par la beauté suprême de Cynthia Loemij, une danseuse définitivement hors normes. C'est d'ailleurs sur un de ses solos que tout se termine. Dans le dénuement et l'apaisement serein des grands mystiques.
A lire ailleurs : Un Soir Ou Un Autre.
Hier soir, trois œuvres aux confluents du jazz, de l'Inde et de la danse se faisaient écho sur la grande scène de la salle Charlie Parker de la Grande Halle. Tout d'abord, Salva Sanchis a proposé une improvisation sur une musique d'Archie Shepp accompagné de deux musiciens indiens : Paban Das Baul au chant (tradition bengalie), percussions et dotara (une sorte de luth), et Mimlu Sen aux percussions. Après une longue introduction minimaliste aux clochettes et chapelets de ferraille, où le danseur semble chercher ses marques, Shepp, au seul soprano, entame un discours un peu plus dense. L'ensemble reste quand même dominé par une certaine économie, de gestes et de notes, faite de bribes successives d'éléments disparates réunis par un même vocabulaire. Comme des phrases, dénuées de connexions logiques, lancées à l'aveugle, mais tout de même fruit d'un style bien défini. Lorsque Paban Das Baul se met à chanter, vers la moitié du morceau, une unification par le blues - a very kind of blue - de la musique s'opère. Salva Sanchis accélère alors ses mouvements, densifie son propos et laisse entrevoir un rapport au jazz plus libéré qui fera sens un peu plus tard dans la soirée.
Autre solo ensuite, mais sur une musique enregistrée cette fois-ci. Sur une chorégraphie de Sanchis, Anne Teresa De Keersmaker laisse parler sa grâce au son du "Raag Khamaj" interprété par le maître de la flûte bansuri, Hariprasad Chaurasia. Sur une fine raie de lumière parallèle au bord de la scène, qui la parcourt de gauche à droite, la chorégraphe flamande unit son propre vocabulaire à celui légèrement moins économe de Sanchis et à quelques légers clins d'œil à la tradition indienne. Vêtue d'une simple robe blanche, baignée d'une lumière qui impose son jeu de couleurs minimaliste, précise et directe dans ses gestes, la danseuse dégage l'air de rien une forte dose d'érotisme. Ponctuée de déséquilibres vite contrôlés et de quelques déhanchements suggestifs, la danse d'Anne Teresa De Keersmaeker est finalement sûre d'une force qu'on qualifierait volontiers de tranquille si l'expression n'était autant usée.
L'attraction principale de la soirée en était aussi sa conclusion : la reprise de la chorégraphie pour quatre danseurs d'Anne Teresa De Keersmaeker et Salva Sanchis sur "A Love Supreme" de Coltrane. La rencontre de Trane et d'A.T.D.K. était attendue, porteuse d'angoisse aussi face au choc possible de deux montagnes inconciliables, mais finalement superbe. La force de la flamande, pour servir cette musique, c'est justement de se concentrer, comme à son habitude, sur la musique, sans chercher à s'en servir comme prétexte à la diffusion d'un message forcément réducteur. Symphonie en quatre mouvements pour quartet de jazz, la danse s'offre alors comme la transposition par quatre corps interposés des émotions et de la beauté de la musique. Il y a nécessairement - c'est une marque de fabrique Rosas - une correspondance entre chacun des danseurs et un instrument : Moya Michael s'empare des rondeurs de la contrebasse de Jimmy Garrison, Salva Sanchis déploie son énergie sur les harmonies percussives du piano de McCoy Tyner, Igor Shyshko sert le feu rythmique de la batterie volcanique d'Elvin Jones, et enfin la merveilleuse Cynthia Loemij s'élève portée par l'amour suprême du prophète du ténor. Pourtant, cette identification n'est pas systématique, il y a des nombreux décalages, déphasages et recompositions dans les passages de groupe ou en duo, comme si un vent d'énergie au bord de la rupture s'insinuait dans un vocabulaire chorégraphique patiemment construit depuis plus de vingt-cinq ans. Les solos qui ouvrent chaque mouvement sont d'intenses moments de danse (mention spéciale à Moya Michael et Igor Shyshko), mais c'est le final, sur le "Psalm" récité par le ténor de Coltrane, qui reste le plus frappant. Irriguée de références iconographiques chrétiennes (crucifixion, descente de croix, pietà, mise au tombeau, résurrection et finalement "Ascension"), la chorégraphie est alors illuminée par la beauté suprême de Cynthia Loemij, une danseuse définitivement hors normes. C'est d'ailleurs sur un de ses solos que tout se termine. Dans le dénuement et l'apaisement serein des grands mystiques.
A lire ailleurs : Un Soir Ou Un Autre.
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