Vendredi, à Saint-Ouen, Noël Akchoté ouvrait en solo l'édition 2009 du festival Banlieues Bleues. Armé d'une unique guitare électrique, il joue des tubes pop d'une manière assez straight. Il reste proche de la mélodie, sans effet déstructurant ni passage bruitiste. Je ne reconnais pas grand chose. Toxic de Britney et So Lucky de Kylie. Quelque chose qui pourrait être Banana Split de Lio. Pour le reste, je suis en terrain bien trop étranger. Je ne rentre pas dans le concert. Peut-être la fatigue traditionnelle du vendredi soir. La musique me semble trop monochrome. Là où son disque So Lucky, exclusivement consacré à des chansons de Kylie Minogue, emportait l'adhésion par la variété des sonorités de guitares utilisées - et par l'extrême qualité de la prise de son - ce concert n'ajoute pas grande chose de plus à la démarche. C'est même plutôt le contraire. Des versions plus dépouillées, à la guitare sèche, proches du blues désossé qui irrigue le disque, m'auraient vraisemblablement plus plu.
La deuxième partie du concert est l'occasion de retrouver sur scène le pianiste Jason Moran, vu il y a quelques six ans au New Morning avec son trio composé de Tarus Mateen à la basse et Nasheet Waits à la batterie. Les trois mêmes sont là, entourés d'une section de cuivres (sax alto, ténor, tuba, trombone et trompette), pour un projet autour du concert au Town Hall de Thelonious Monk en 1959. Il s'agit au départ d'une commande d'un festival américain pour les cinquante ans du concert, et du disque qui en a été tiré. Riche année, si l'on songe qu'elle fut aussi celle de - entre autres - Kind of Blue, Mingus Ah Um, Giant Steps, Change of the Century ou The Shape of Jazz to Come. Le projet inclut une dimension multimédia avec la projection de vidéos et de photos en arrière scène. Celles-ci représentent pêle-mêle le concert de 1959, l'appartement de Jason Moran à New York ou encore les champs de coton où furent esclaves les grands-parents de Monk. Le traitement musical de l'hommage est très réussi. Les thèmes de Monk issus du concert reviennent comme des leitmotivs, épicés de solos particulièrement fougueux de la part du pianiste et du batteur, et entrecoupés de propres compositions de Moran. Les cuivres ajoutent des contrepoints intéressants aux solistes et sont habilement plus souvent traités comme un ensemble que comme une juxtaposition d'individus. D'un exercice de commande, Jason Moran a tiré un projet musical qui tient la route sur la durée du concert. En épilogue, les cuivres et les trois autres passés aux percussions se retrouvent dans le hall d'entrée de l'Espace 1789 pour achever façon marching band endiablé la prestation.
Dimanche après-midi, le concert présenté à La Dynamo s'organise autour de thèmes similaires : guitare et mémoire. La première partie met aux prises, dans un dialogue inédit, les guitares de Marc Ducret et de Hasse Poulsen. Le Français exilé à Copenhague et le Danois résidant à Paris ont des univers a priori assez distincts et pourtant leur mariage fonctionne à merveille. C'est même une très belle surprise. Autour d'inflexions blues, folk ou de jazz traditionnel, leur discours commun s'articule d'abord au cours d'une longue improvisation aux phrases se répondant les unes aux autres. Chacun alimente la discussion avec ses propres idiomes, mais tout en laissant le champ libre à l'autre. Ainsi, Hasse Poulsen réduit la part des frottements et ustensiles annexes qui alimentent habituellement son jeu, et Marc Ducret joue à l'économie, loin des savantes constructions qui irriguent bien souvent ses compositions. On sent que la rencontre a été préparée, pensée en amont, et qu'il ne s'agit pas juste là de venir improviser sur le vif. Du coup, le discours est bien plus riche et musical que ce qu'il laissait penser sur le papier. Chacun joue de deux guitares, ce qui enrichit le spectre sonore et propose des combinaisons diverses et inédites. Je me fais alors la réflexion que c'est sans doute le premier duo de guitaristes auquel j'assiste. La seconde partie du concert est l'occasion pour les deux musiciens de reprendre d'anciennes compositions respectives, dans des versions très dépouillées, comme des berceuses folk, pour celles du Danois, et qui transpirent le rhythm'n'blues pour celles du Français. Grand moment.
Du côté de la mémoire, c'est vers Eric Dolphy que le quintet rassemblé par le trompettiste Russ Johnson se tourne. J'ai découvert ce dernier sur le disque du quartet de Michael Bates paru l'an dernier chez Greenleaf. Une sonorité dans la continuité de Dave Douglas. Pour l'occasion, il a réuni une sorte de all-star qui n'est d'ailleurs pas sans accointance avec son glorieux aîné : Brad Jones à la contrebasse, George Schuller à la batterie, Roy Nathanson au sax alto (ex-Lounge Lizards entre multiples états de fait) et la formidable Myra Melford au piano - l'une de mes musiciennes favorites. Comme pour Moran, il s'agit ici d'une commande d'un festival américain. En l'occurrence recréer Out to Lunch, culte et ultime album de Dolphy, paru en 1964 chez Blue Note. Le quintet s'exécute brillamment, exposant les thèmes avant de s'autoriser des développements personnels au cours de longs solos. Myra Melford emporte évidemment mon adhésion, par sa subtile alliance de blues et de free - elle ne vient pas de Chicago pour rien - mais tous démontrent leurs talents. Ce sont effectivement d'excellents musiciens. On a quand même un peu le sentiment qu'ils s'exécutent parce qu'on leur a demandé de jouer cela, sans que ce soit nécessairement leur ambition première. C'est très bien fait, mais ils ont tellement de choses à dire en propre, comme solistes mais aussi en tant que compositeurs, que le talent apparaît quelque peu sous-exploité. Après avoir joué les cinq pièces qui composent Out to Lunch, ils décident donc d'enchaîner - toujours dans l'esprit d'un hommage à Dolphy - en interprétant deux mouvements de compositions du père du batteur, Gunther Schuller, qui écrivit, dans une optique Third Stream, pour Dolphy. L'un des morceaux, jamais gravé sur disque (et peut-être même jamais joué d'après George Schuller), a des allures d'inédit. L'aspect moins référencé des morceaux semble les autoriser à plus d'inventivité. Ils concluent alors sur une version échevelée de So Long Eric de Mingus, bien plus explosive et explosée que les relectures du projet initial.
A lire ailleurs : Thierry Quénum, de Jazz Mag, partage mon avis sur le concert de dimanche, et propose en plus quelques échos sur la soirée de samedi où je n'étais pas (et confirme ce que j'ai entendu sur le ratage total du nouvel ONJ).
lundi 9 mars 2009
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