En fan revendiqué de la culture weimarienne, je connais quasiment par cœur toutes les chansons de Kurt Weill écrites pour L'Opéra de quat'sous. Cela fait plusieurs années que je guette une représentation parisienne capable de rencontrer mes fortes attentes : une version allemande, qui sache maintenir l'entre-deux (opéra et songs, théâtre et comédie musicale) caractéristique de l'œuvre. L'annonce, dans le programme du TdV reçu en juin, de la venue du Berliner Ensemble - la troupe fondée par Brecht - à Paris était l'occasion tant attendue. Et comme pour ajouter à l'excitation, la mise en scène a été confiée à Robert Wilson. Je ne fus pas déçu. Cette version du Dreigroschenoper est une merveille. Près de trois heures de pure magie.
Le jeu des acteurs, tout d'abord, est époustouflant. Il faudrait quasiment tous les citer, mais on retiendra notamment le couple Peachum (Veit Schubert et Traute Hoess) qui fonctionne comme Auguste (elle) et clown blanc (lui), Tiger Brown (Axel Werner), chef de la police à l'allure nosferatienne et pourtant bien peu téméraire, Polly Peachum (Christina Dreschler) en poupée innocente digne de Broadway et bien sûr Macheath (Stefan Kurt) dont l'élégance androgyne rappelle autant Marlene Dietrich qu'il évoque la figure de Mephisto. Les choix de mise en scène - hommage appuyé à l'expressionnisme allemand et à l'esthétique du cabaret et des films muets des années vingt - sont ainsi servis avec une précision diabolique. Comme toujours chez Bob Wilson, le décor s'apparente à une œuvre picturale en tant que tel, minimaliste et géométrique. Les jeux d'éclairage mettent en avant l'expression des personnages, entre jeu d'acteur (geste précis, mimiques de mimes) et maquillage inquiétant (teint blafard, visage bleu, traits surlignés). L'ensemble fonctionne à merveille avec la distanciation propre à Brecht. Le livret de l'opéra insiste de lui-même sur le caractère théâtrale du spectacle, jusque dans sa résolution heureuse, ce qui colle parfaitement à l'esthétique de Bob Wilson.
La musique a l'avantage de ne pas être "classicisée". Elle est interprétée par un petit ensemble de huit musiciens où résonnent notamment clarinette, saxophone, bandonéon, harmonium et piano. On reste proche de l'univers des cabarets propre à la musique de Kurt Weill. La joie d'entendre sur scène des chansons devenues autant de tubes - et de standards de jazz - est immense : die Moritat von Mackie Messer, der Anstatt-dass-Song, der Kanonensong, die Seeräuber-Jenny, die Zuhälterballade, der Salomon-Song, usw. Les surtitres édulcorent parfois un peu le propos mordant de Brecht mais ils ont l'avantage de permettre d'identifier la source de la ballade dans laquelle Macheath demande le pardon : "Frères humains qui après nous vivez, n'ayez les coeurs contre nous endurcis, car si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plutôt de vous merci". Une traduction littérale de la Ballade des pendus, enchaînée avec la Ballade de merci, de Villon.
La morale de l'histoire est, elle, typique d'une époque révolue - d'avant les catastrophes totalitaires : Donnez-nous à bouffer avant de nous faire la morale (Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral...), ne punissez pas trop le crime, il s'éteindra de lui même pour peu que vous prêtiez attention aux opprimés. Un temps où la révolte humaniste semblait pouvoir s'affranchir de la question des moyens. Il y a ainsi parfois un côté un peu glaçant à entendre les réactions enthousiastes d'une partie du public à ces slogans moralisateurs sous prétexte qu'ils rencontreraient un certain écho avec notre période de crise économique. Comme si, tout à coup, la distanciation brechtienne - traitée avec force effet comique dans cette œuvre du début de sa carrière - s'effaçait face à la nostalgie d'une époque idéologique plus facile, car plus schématique et stable. Mais, au-delà des questions soulevées par la réception du message de la pièce aujourd'hui, il reste un plaisir immense à la sortie. Et le sentiment d'avoir assisté au meilleur de ce que peu donner le théâtre. Des airs et des images plein la tête.
A lire ailleurs : Les Trois Coups, Bladsurb, Akynou.
dimanche 20 septembre 2009
dimanche 13 septembre 2009
Jacky Terrasson / Hank Jones @ Cité de la Musique, vendredi 11 septembre 2009
Hank Jones était à l'affiche deux soirs de suite du festival Jazz à la Villette. Vendredi, à la Cité de la Musique, en solo. Samedi, accompagné par les musiciens maliens de Cheick Tidiane Seck, dans la Grande Halle.
Vendredi, la première partie est assurée par Jacky Terrasson, lui aussi seul face au piano. Je ne connais en fait que d'assez loin ce pianiste franco-américain pourtant bien établi. Je ne l'avais jamais vu sur scène auparavant, et ne possède que quelques disques sur lesquels il intervient en sideman (le beau Fascinoma de Jon Hassel par exemple). Le répertoire mêle standards et compositions. Le style est imprégné de bop (Bud Powell en ligne de mire) et des styles-racines du piano jazz (stride, ragtime) passés au prisme moderniste, un peu à la manière jarrettienne. Les phrases de Terrasson sont très ornementées, la tentation du lyrisme n'est jamais loin, sans pour autant tomber dans un romantisme outragé. La visite de thèmes archiconnus (Caravan) permet d'apprécier le sens de l'espace développé par des harmonies empruntant à la musique française du début du XXe siècle. Le tout s'intègre parfaitement et crée un univers très maîtrisé, où le pianiste peut s'adonner avec plaisir au jeu de la déconstruction-reconstruction des mélodies pour en faire briller les coins les moins visités.
Hank Jones joue lui aussi avec le répertoire. Ses quelques compositions voisinent avec celles de son frère Thad et des thèmes de Monk, Ellington, Rodgers & Hart, Body & Soul, Stella by Starlight... Be-bop et musiques racines (blues, gospel, stride) au programme également. Mais sans ornementation. Là où Terrasson joue avec son héritage transatlantique, Hank Jones donne à entendre un art brut, comme une plongée dans l'histoire de l'Amérique noire. Quand Terrasson étire les morceaux pour développer ses improvisations sur la longueur, Hank Jones joue l'économie. Il expose le thème, en extrait la sève bleutée, s'amuse à la triturée rythmiquement, et enchaîne sur une réexposition conclusive. A 91 ans, il garde un caractère facétieux dont il amuse le public entre les morceaux ou au cours des innombrables rappels. S'il a besoin d'un peu d'aide pour monter les marches qui l'amènent sur scène, il semble faire preuve d'une jeunesse éternelle dans son amour du jeu, dans tous les sens du terme. Ainsi, la musique jaillit, spontanée, dans une fraîcheur maintenue intacte. Du grand art.
Vendredi, la première partie est assurée par Jacky Terrasson, lui aussi seul face au piano. Je ne connais en fait que d'assez loin ce pianiste franco-américain pourtant bien établi. Je ne l'avais jamais vu sur scène auparavant, et ne possède que quelques disques sur lesquels il intervient en sideman (le beau Fascinoma de Jon Hassel par exemple). Le répertoire mêle standards et compositions. Le style est imprégné de bop (Bud Powell en ligne de mire) et des styles-racines du piano jazz (stride, ragtime) passés au prisme moderniste, un peu à la manière jarrettienne. Les phrases de Terrasson sont très ornementées, la tentation du lyrisme n'est jamais loin, sans pour autant tomber dans un romantisme outragé. La visite de thèmes archiconnus (Caravan) permet d'apprécier le sens de l'espace développé par des harmonies empruntant à la musique française du début du XXe siècle. Le tout s'intègre parfaitement et crée un univers très maîtrisé, où le pianiste peut s'adonner avec plaisir au jeu de la déconstruction-reconstruction des mélodies pour en faire briller les coins les moins visités.
Hank Jones joue lui aussi avec le répertoire. Ses quelques compositions voisinent avec celles de son frère Thad et des thèmes de Monk, Ellington, Rodgers & Hart, Body & Soul, Stella by Starlight... Be-bop et musiques racines (blues, gospel, stride) au programme également. Mais sans ornementation. Là où Terrasson joue avec son héritage transatlantique, Hank Jones donne à entendre un art brut, comme une plongée dans l'histoire de l'Amérique noire. Quand Terrasson étire les morceaux pour développer ses improvisations sur la longueur, Hank Jones joue l'économie. Il expose le thème, en extrait la sève bleutée, s'amuse à la triturée rythmiquement, et enchaîne sur une réexposition conclusive. A 91 ans, il garde un caractère facétieux dont il amuse le public entre les morceaux ou au cours des innombrables rappels. S'il a besoin d'un peu d'aide pour monter les marches qui l'amènent sur scène, il semble faire preuve d'une jeunesse éternelle dans son amour du jeu, dans tous les sens du terme. Ainsi, la musique jaillit, spontanée, dans une fraîcheur maintenue intacte. Du grand art.
dimanche 6 septembre 2009
John Zorn - Shir Hashirim @ Grande Halle de la Villette, samedi 5 septembre 2009
Poursuivant sa démarche d'exploration de l'identité juive entamée en 1992 avec Kristallnacht, et prolongée avec les diverses déclinaisons de Masada, John Zorn a composé une pièce autour du Cantique des Cantiques (Shir Hashirim en hébreux). La première a eu lieu à New York début 2008. L'oeuvre avait alors été confiée à un chœur de cinq femmes, avec lequel il avait déjà enregistré sa pièce Frammenti del Sappho (sur le disque Mysterium), et à deux récitants emblématiques de la Big Apple, Lou Reed et Laurie Anderson. Par un hasard du calendrier, le couple new-yorkais était la veille à Pleyel - où Zorn fit d'ailleurs une apparition d'après ce qu'en dit Franck Bergerot. Il n'y eut néanmoins pas d'échange de bons procédés samedi, où le texte était confié à deux récitants français, les acteurs Clotilde Hesme et Mathieu Amalric.
La soirée a commencé par une sorte de prologue instrumental d'une trentaine de minutes. Le temps pour un quintet formé de Marc Ribot (g), Kenny Wollesen (vib), Carol Emanuel (harpe), Greg Cohen (cb) et Cyro Baptista (perc) de déployer tout en douceur de soyeuses mélodies aux teintes hispanisantes. La musique évoque fortement celle présente sur le quatorzième volume des Filmworks. L'instrumentation est la même, à la harpe près. Le parti pris tout acoustique - avec Ribot à la guitare classique - et les influences à chercher du côté de l'exotica et des musiques traditionnelles du pourtour méditerranéen évoquent tour à tour l'Alhambra de Grenade, les jardins de Babylone, ou une vision mythique de la Jérusalem antique. Une introduction qui semble destiner à nous rendre réceptif au message de l'amour divin qui va suivre. Kenny Wollesen et Carol Emanuel se distinguent particulièrement. La harpe est souvent mise en avant, comme si Zorn était heureux de retrouver une de ses complices des 80s (elle joue sur quelques uns des plus indispensables témoignages discographiques du saxophoniste de cette décénie : The Big Gundown, Cobra, Godard, Spillane). Quant à Wollesen, il est léger et virevoltant comme rarement.
Le Cantique des Cantiques, par son caractère ouvertement sensuel, a toujours eu une place un peu à part dans la Bible, hébraïque comme chrétienne. Poème d'amour entre un homme et une femme, certains y voient une allégorie de l'amour que Yahvé porte à Israël quand d'autres préfèreraient le passer sous silence en raison de son texte trop explicite. Au-delà des interprétations religieuses, il a cependant toujours fasciné les artistes. Je me souviens ainsi d'une belle exposition sur son illustration par Frantisek Kupka au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme il y a quelques années. Le poème a inspiré à John Zorn une œuvre ambitieuse pour un chœur de cinq femmes (Lisa Bielawa, Martha Cluver, Abby Fischer, Kathryn Mulvihill et Kirsten Sollek). La forme sonne comme une rencontre du madrigal Renaissance et du minimalisme américain, proche de certaines pièces de Steve Reich. On reconnait également des éléments issus des techniques polyphoniques d'Afrique centrale, quand chaque chanteuse se voit par exemple confier une seule note répétée selon des agencements rythmiques et harmoniques différents, qui donnent alors à la musique toute sa force expressive. Le résultat est vraiment fascinant, souvent prenant, créant comme un halo surnaturel autour du texte biblique. Après des débuts un peu hésitant, Clotilde Hesme trouve sa place et semble prendre toute la mesure des mots qu'elle prononce. Mathieu Amalric est moins audible, moins clair dans sa diction (surtout du fonds de la salle), même si à quelques moments l'accord entre paroles et musique semble lui aussi l'emporter. On imagine que les répétitions furent assez minimes, et que le résultat aurait pu être encore meilleur avec un peu plus de travail commun et avec des comédiens plus habitués au théâtre qu'au cinéma, mais la seule partie du chœur suffisait à mon bonheur ce soir. Et le plaisir de pouvoir entendre une partie du travail de Zorn encore rarement présentée sur les scènes européennes.
A lire ailleurs : Bladsurb, Belette. Et un petit débat chez Jazz à Paris.
La soirée a commencé par une sorte de prologue instrumental d'une trentaine de minutes. Le temps pour un quintet formé de Marc Ribot (g), Kenny Wollesen (vib), Carol Emanuel (harpe), Greg Cohen (cb) et Cyro Baptista (perc) de déployer tout en douceur de soyeuses mélodies aux teintes hispanisantes. La musique évoque fortement celle présente sur le quatorzième volume des Filmworks. L'instrumentation est la même, à la harpe près. Le parti pris tout acoustique - avec Ribot à la guitare classique - et les influences à chercher du côté de l'exotica et des musiques traditionnelles du pourtour méditerranéen évoquent tour à tour l'Alhambra de Grenade, les jardins de Babylone, ou une vision mythique de la Jérusalem antique. Une introduction qui semble destiner à nous rendre réceptif au message de l'amour divin qui va suivre. Kenny Wollesen et Carol Emanuel se distinguent particulièrement. La harpe est souvent mise en avant, comme si Zorn était heureux de retrouver une de ses complices des 80s (elle joue sur quelques uns des plus indispensables témoignages discographiques du saxophoniste de cette décénie : The Big Gundown, Cobra, Godard, Spillane). Quant à Wollesen, il est léger et virevoltant comme rarement.
Le Cantique des Cantiques, par son caractère ouvertement sensuel, a toujours eu une place un peu à part dans la Bible, hébraïque comme chrétienne. Poème d'amour entre un homme et une femme, certains y voient une allégorie de l'amour que Yahvé porte à Israël quand d'autres préfèreraient le passer sous silence en raison de son texte trop explicite. Au-delà des interprétations religieuses, il a cependant toujours fasciné les artistes. Je me souviens ainsi d'une belle exposition sur son illustration par Frantisek Kupka au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme il y a quelques années. Le poème a inspiré à John Zorn une œuvre ambitieuse pour un chœur de cinq femmes (Lisa Bielawa, Martha Cluver, Abby Fischer, Kathryn Mulvihill et Kirsten Sollek). La forme sonne comme une rencontre du madrigal Renaissance et du minimalisme américain, proche de certaines pièces de Steve Reich. On reconnait également des éléments issus des techniques polyphoniques d'Afrique centrale, quand chaque chanteuse se voit par exemple confier une seule note répétée selon des agencements rythmiques et harmoniques différents, qui donnent alors à la musique toute sa force expressive. Le résultat est vraiment fascinant, souvent prenant, créant comme un halo surnaturel autour du texte biblique. Après des débuts un peu hésitant, Clotilde Hesme trouve sa place et semble prendre toute la mesure des mots qu'elle prononce. Mathieu Amalric est moins audible, moins clair dans sa diction (surtout du fonds de la salle), même si à quelques moments l'accord entre paroles et musique semble lui aussi l'emporter. On imagine que les répétitions furent assez minimes, et que le résultat aurait pu être encore meilleur avec un peu plus de travail commun et avec des comédiens plus habitués au théâtre qu'au cinéma, mais la seule partie du chœur suffisait à mon bonheur ce soir. Et le plaisir de pouvoir entendre une partie du travail de Zorn encore rarement présentée sur les scènes européennes.
A lire ailleurs : Bladsurb, Belette. Et un petit débat chez Jazz à Paris.
vendredi 4 septembre 2009
Bunky Green / Ornette Coleman @ Grande Halle de la Villette, mercredi 2 septembre 2009
Le festival Jazz à la Villette donne, comme à chaque rentrée, le coup d'envoi de la nouvelle saison scénique parisienne. Et cette année, l'affiche est belle avec le retour d'Ornette Coleman et son quartet à deux basses.
En première partie, Bunky Green, jeune pousse de tout juste soixante-dix printemps, emmène un quartet européen composé d'Eric Legnini (p), Matthias Allamane (cb) et Franck Agulhon (dms). Le répertoire est celui du disque produit par Steve Coleman et paru sur Label Bleu en 2006, Another Place. Green sonne très chicagoan dans ses inflexions. Comme une sorte d'équivalent de Von Freeman à l'alto. On perçoit l'héritage parkérien, mais agrémenté de dérapages acidulés qui zèbrent un discours baigné de blues, assez typique de la Windy City. Est-ce dû à la taille de la salle ou à une attitude un peu trop respectueuse de ses accompagnateurs, je trouve malheureusement que l'ensemble à dû mal à prendre. La comparaison avec le disque sus-cité n'est pas à l'avantage du concert. Là où Jason Moran et Nasheet Waits semblaient pousser le vétéran à retrouver la fougue de ses disques des 60s, et où un discours de groupe émergeait, le trio d'Eric Legnini reste dans un registre assez convenu qui, s'il ne plombe en rien la musique de Bunky Green, se contente de lui offrir des repères bien identifiables. Pour ne rien arranger, j'ai beaucoup de mal avec la sonorisation de la salle (c'est une habitude, et chaque année j'espère que les affiches les plus attrayantes du festival seront programmées à la Cité plutôt qu'à la Grande Halle - c'est raté pour cette édition). La distance, le découplage de la vision et de l'ouïe - on regarde vers le bas alors que l'on entend la musique descendre du plafond - et la trop grande taille d'un espace destiné à une toute autre activité à l'origine n'aident pas à rentrer comme il le faudrait dans le concert. Au final, je me réjouissais de pouvoir entendre Bunky Green sur scène, mais je suis ressorti un peu déçu de la prestation du groupe.
Le concert du quartet d'Ornette Coleman démarre sur les chapeaux de roue. Un bref orage sonore, où éclairs abrupts et tonnerre chaotique s'entremêlent, met nos oreilles en appétit. La suite est toute aussi surprenante, dans le contre-pied fait à cet incipit tranchant. C'est la troisième fois que je vois Ornette et son quartet à deux basses (la première avec Greg Cohen et Tony Falanga aux contrebasses, la deuxième avec Falanga doublé par la basse électrique d'Al McDowell comme cette année). Et pourtant, il me semble que le discours est très différent. Les lignes mélodiques sont des plus lisibles, le rythme le plus souvent régulier, et la couleur d'ensemble nourrie de blues et de rhythm'n'blues. Bien sûr, il y a des passages où tout semble se dérégler (discours parallèles, rythmes décalés), mais ils s'achèvent toujours par un retour en place assez surprenant vue la composition du groupe. Denardo Coleman, à la batterie, est le plus étonnant dans ce contexte, lui que l'on a connu constamment "à côté". Il groove plus d'une fois au cours de la soirée. Avec l'appui électrique de McDowell, on retrouve des effluves de Prime Time, l'ensemble de funk harmolodique d'Ornette. Le concert ressemble en fait à un best of à travers les compositions les plus emblématiques du sax texan. Pas étonnant, donc, d'avoir le sentiment de survoler les différentes périodes ayant marqué une carrière longue de plus de cinq décennies désormais. L'angle choisi - la mise en avant du compositeur, presque du songwriter, sur les improvisateurs - accentue la fraîcheur et la tendresse quasi enfantine des mélodies. Le discours d'Ornette à l'alto reste délicieux de précision et de tranchant, comme s'il ciselait à l'infini un matériau simple pour en faire émerger la plus fine des sculptures. Par sa simplicité apparente, ses surprises jaillissantes de-ci de-là, cette musique rend tout simplement heureux. Le public nombreux (2000 personnes) le fait savoir. Après une longue ovation, Ornette, tout étonné, profite d'un bain de foule, avec force serrages de mains et signatures d'autographes, digne d'un politicien en campagne pour le poste suprême. Un spectateur à côté de moi glisse à son voisin : "C'est Madonna !".
A lire ailleurs : Bladsurb, Thierry Quénum, Philippe Carles, Un soir ou un autre.
En première partie, Bunky Green, jeune pousse de tout juste soixante-dix printemps, emmène un quartet européen composé d'Eric Legnini (p), Matthias Allamane (cb) et Franck Agulhon (dms). Le répertoire est celui du disque produit par Steve Coleman et paru sur Label Bleu en 2006, Another Place. Green sonne très chicagoan dans ses inflexions. Comme une sorte d'équivalent de Von Freeman à l'alto. On perçoit l'héritage parkérien, mais agrémenté de dérapages acidulés qui zèbrent un discours baigné de blues, assez typique de la Windy City. Est-ce dû à la taille de la salle ou à une attitude un peu trop respectueuse de ses accompagnateurs, je trouve malheureusement que l'ensemble à dû mal à prendre. La comparaison avec le disque sus-cité n'est pas à l'avantage du concert. Là où Jason Moran et Nasheet Waits semblaient pousser le vétéran à retrouver la fougue de ses disques des 60s, et où un discours de groupe émergeait, le trio d'Eric Legnini reste dans un registre assez convenu qui, s'il ne plombe en rien la musique de Bunky Green, se contente de lui offrir des repères bien identifiables. Pour ne rien arranger, j'ai beaucoup de mal avec la sonorisation de la salle (c'est une habitude, et chaque année j'espère que les affiches les plus attrayantes du festival seront programmées à la Cité plutôt qu'à la Grande Halle - c'est raté pour cette édition). La distance, le découplage de la vision et de l'ouïe - on regarde vers le bas alors que l'on entend la musique descendre du plafond - et la trop grande taille d'un espace destiné à une toute autre activité à l'origine n'aident pas à rentrer comme il le faudrait dans le concert. Au final, je me réjouissais de pouvoir entendre Bunky Green sur scène, mais je suis ressorti un peu déçu de la prestation du groupe.
Le concert du quartet d'Ornette Coleman démarre sur les chapeaux de roue. Un bref orage sonore, où éclairs abrupts et tonnerre chaotique s'entremêlent, met nos oreilles en appétit. La suite est toute aussi surprenante, dans le contre-pied fait à cet incipit tranchant. C'est la troisième fois que je vois Ornette et son quartet à deux basses (la première avec Greg Cohen et Tony Falanga aux contrebasses, la deuxième avec Falanga doublé par la basse électrique d'Al McDowell comme cette année). Et pourtant, il me semble que le discours est très différent. Les lignes mélodiques sont des plus lisibles, le rythme le plus souvent régulier, et la couleur d'ensemble nourrie de blues et de rhythm'n'blues. Bien sûr, il y a des passages où tout semble se dérégler (discours parallèles, rythmes décalés), mais ils s'achèvent toujours par un retour en place assez surprenant vue la composition du groupe. Denardo Coleman, à la batterie, est le plus étonnant dans ce contexte, lui que l'on a connu constamment "à côté". Il groove plus d'une fois au cours de la soirée. Avec l'appui électrique de McDowell, on retrouve des effluves de Prime Time, l'ensemble de funk harmolodique d'Ornette. Le concert ressemble en fait à un best of à travers les compositions les plus emblématiques du sax texan. Pas étonnant, donc, d'avoir le sentiment de survoler les différentes périodes ayant marqué une carrière longue de plus de cinq décennies désormais. L'angle choisi - la mise en avant du compositeur, presque du songwriter, sur les improvisateurs - accentue la fraîcheur et la tendresse quasi enfantine des mélodies. Le discours d'Ornette à l'alto reste délicieux de précision et de tranchant, comme s'il ciselait à l'infini un matériau simple pour en faire émerger la plus fine des sculptures. Par sa simplicité apparente, ses surprises jaillissantes de-ci de-là, cette musique rend tout simplement heureux. Le public nombreux (2000 personnes) le fait savoir. Après une longue ovation, Ornette, tout étonné, profite d'un bain de foule, avec force serrages de mains et signatures d'autographes, digne d'un politicien en campagne pour le poste suprême. Un spectateur à côté de moi glisse à son voisin : "C'est Madonna !".
A lire ailleurs : Bladsurb, Thierry Quénum, Philippe Carles, Un soir ou un autre.
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