mercredi 14 mai 2025

Lucian Ban & Mat Maneri @ 19 Paul Fort, lundi 12 mai 2025

Voici un musicien que j'adore, mais que je n'avais encore jamais eu l'occasion de voir en concert. Le pianiste roumain, mais new-yorkais depuis le tournant du millénaire, Lucian Ban faisait une rare escale à Paris lundi soir, au sous-sol du 19 de la rue Paul Fort, où Hélène Aziza poursuit son oeuvre de mécène au service des arts plastiques comme de la musique, classique ou jazz, dans leur versant le plus ouvert. J'avais découvert ce pianiste sur disque il y a une quinzaine d'années à l'occasion de la parution de son Enesco Re-Imagined (Sunnyside, 2010). J'avais été intrigué par le propos : des oeuvres de Georges Enesco revisitées par un groupe comprenant notamment Ralph Alessi, Tony Malaby, John Hébert ou Gerald Cleaver... bref des noms qui reviennent très souvent dans ma discothèque. Depuis, j'ai creusé un riche sillon qui s'enrichit quasiment d'un nouveau disque par an, sous divers formats orchestraux : en solo, en duo, en trio, en quartet, en quintet, ou dans un format encore plus large pour un second disque autour de l'oeuvre du compositeur franco-roumain, Oedipe Redux (Sunnyside, 2023), adaptant cette fois-ci l'opéra d'Enesco autour du mythe d'Oedipe. Ledit disque était cosigné par Mat Maneri. Ce n'était pas la première collaboration entre les deux musiciens, loin de là. L'altiste était déjà présent sur le premier disque hommage à Enesco, et a ensuite enregistré à de nombreuses reprises avec Lucian Ban, et notamment deux disques en duo parus chez ECM, Transylvanian Concert (2013) et Transylvanian Dance (2024), ainsi que deux disques en trio, Sounding Tears avec Evan Parker (Clean Feed, 2017) et Transylvanian Folk Songs avec John Surman (Sunnyside, 2020). La Transylvanie revient souvent dans les titres, et elle irrigue également la musique du pianiste, de manière plus ou moins explicite selon les répertoires. Les deux plus récents disques cités ont ainsi une source commune qui y fait référence : les enregistrements (sur rouleaux de cire) et transcriptions réalisés par Béla Bartók de chants populaires de la région au début du XXe siècle. C'est ce programme - libres improvisations autour desdites transcriptions - que Lucian Ban et Mat Maneri nous présentent ce soir-là.


Le concert commence par une exploration particulièrement abstraite d'une chanson traditionnelle. Le piano de Lucian Ban se fait obsédant, avec un martèlement répété des touches graves qui crée comme un halo fantomatique autour de la mélodie plaintive déployée par le violon alto de Mat Maneri. Dans quelques courtes envolées rythmiques, le pianiste semble transformer son instrument en cymbalum, avant de reprendre ses martèlements hypnotiques. Au fur et à mesure du concert, on entre plus facilement dans la musique, et on en perçoit mieux les jeux autour des airs et rythmes du folklore transylvain - région roumaine où se mêle une forte présence magyare (c'était encore l'empire des Habsbourg à l'époque où Bartók commençait son travail musicologique). Après les deux premiers morceaux, Lucian Ban prend le temps d'expliquer leur démarche, et l'illustre en jouant sur son téléphone une des fameuses chansons enregistrées par le compositeur hongrois (d'une durée limitée à 40 secondes, par la technologie de l'époque). Ils ont eu accès à certains volumes des transcriptions (chaque morceau tenant sur une page de partition) conservés par la bibliothèque de Columbia University (Bartók ayant rassemblé ses transcriptions en plusieurs volumes à la fin de sa vie, après avoir émigré à New York en 1940). Il explique aussi qu'ils ne cherchent pas à reproduire tel quel le matériel originel, mais à l'interpréter à l'aide de leur expérience de jazzmen, et pour Maneri, en résonnance avec des techniques issues d'autres aires géographiques (Afrique de l'Ouest, du Nord ou Corée). Il y a une évidente corrélation avec le blues, source inépuisable du jazz, dans leur traitement de ce matériel populaire. Et, d'un particularisme local, on atteint bien vite l'universel par cette vision sublimée, tour à tour abstraite ou richement réharmonisée.  

Le son de l'alto de Mat Maneri ne plait pas à tout le monde (d'après l'écoute furtive de quelques réflexions de spectateurs après-coup), mais je trouve qu'il fonctionne à la perfection avec ce répertoire. Il conserve quelque chose de plaintif, qui entre en résonnance forte avec le matériel populaire traité - on sait la musique magyare avoir recours à la gamme pentatonique comme certaines musiques asiatiques, d'où peut-être cet aspect. Et il permet ainsi une expression bien différente d'une relecture "classique" plus habituelle. La complicité et l'intimité au long cours entre les deux musiciens créent un environnement particulièrement propice à leur exploration bien loin d'être uni-dimensionnelle. Chaque chanson se voit approcher d'une manière différente de la précédente. Certaines ont un leitmotiv bien identifiable, sur lequel on pourrait presque danser. D'autres voient au contraire leurs contours se flouter par l'improvisation de traverse que se permettent les interprètes. Ce qui fait que la musique se renouvelle constamment, et nous tient en alerte tout du long. Si ce concert était une première opportunité de voir Lucian Ban sur scène, c'était aussi l'occasion de retrouvailles avec Mat Maneri, plus de vingt ans après la première fois, en trio improvisé avec Assif Tsahar et Jim Black au Studio de l'Ermitage (en 2003 si ma mémoire est bonne). J'espère ne pas devoir attendre vingt ans pour avoir une nouvelle chance, tant ce concert s'est immédiatement hissé au niveau de ceux qui laisseront un grand souvenir, pour longtemps.

dimanche 27 avril 2025

Arnaud Dolmen Quartet / James Brandon Lewis Trio @ Radio France, samedi 26 avril 2025

Si son nom ne m'était pas inconnu - entendu ici ou là comme sideman - ce concert était la première véritable occasion qu'il m'était donné de me pencher sur la musique d'Arnaud Dolmen. Le batteur guadeloupéen était pour l'occasion à la tête d'un quartet au format des plus classiques : Francesco Geminiani au sax ténor, Leonardo Montana au piano et Samuel F'hima à la contrebasse l'accompagnaient. Le concert commence par un morceau au rythme enlevé, où le leader complète sa batterie d'un tambour ka qu'il active comme la grosse caisse à l'aide d'une pédale. Cela démultiplie les possibilités rythmiques et ancre d'entrée de jeu le jazz du quartet dans les rythmes traditionnels de l'île caraïbe. Pour la suite du concert, Arnaud Dolmen n'utilisera plus que la batterie, mais on retrouvera à plusieurs reprises une influence qui puise au-delà des canons du jazz, dans les inflexions créoles propre à son île natale. S'il y a bien une ballade au cours de leur set, le rythme des morceaux, tous signés du leader, est le plus souvent soutenu. Peu de solos des instruments solistes habituels (saxophone, piano), c'est la paire rythmique qui mène le plus souvent la danse. On entend une musique écrite depuis la batterie, le quartet semblant là pour prolonger les idées rythmiques propulsées par le compositeur depuis ses fûts. Les passages a tutti démontre une grande cohésion de groupe, qui déroule ainsi avec fluidité des compositions où l'aspect rythmique est au moins aussi important que l'avancée mélodique des thèmes. Entre les morceaux, Arnaud Dolmen explique rapidement le contexte de leur écriture, visiblement heureux de partager sa musique devant un public nombreux. On n'a pas le temps de s'ennuyer pendant l'heure - diffusée en direct sur France Musique - que dure leur set. C'est une musique qui donne le sourire, qui rayonne autant que son compositeur.


Vu à deux reprises comme sideman l'année dernière - aux côtés de Marc Ribot à Sons d'hiver puis avec Dave Douglas déjà à la Maison de la Radio - la deuxième partie du concert était la première occasion pour moi de voir James Brandon Lewis sur scène en tant que leader. Depuis une dizaine d'année, il est devenu l'un des noms qui comptent sur la scène jazz US. A la fois héritier des sax heroes des grandes heures du jazz (Rollins, Coltrane, Ayler...) et enfant de son temps, nourri de funk et de hip hop, sa musique semble constamment osciller entre deux pôles. Avec son quartet composé d'Aruan Ortiz, Brad Jones et Chad Taylor, il déploie une musique volontiers post-coltranienne, où le son chaud et puissant de son ténor atteint une dimension spirituelle (on ne naît pas fils de pasteur sans conséquence) qui évoque le quartet classique du Trane. En parallèle de ce groupe (un cinquième album sort ce mois-ci sur Intakt, comme les quatre précédents), James Brandon Lewis propose aussi une musique qui résonne de son amour pour les rythmes binaires, funk, rock ou hip hop. Cela avait commencé avec Days of Freeman (Okeh, 2015) en trio avec la basse électrique funkyssime de Jamaaladeen Tacuma et la batterie de Rudy Royston. Sur ce disque, les beats de HPrizm (d'Antipop Consortium) et le rap de Supernatural connectaient le souffle du leader aux rythmes de son enfance : le titre du disque était ainsi une référence à la rue - Freeman street - où il avait grandi à Buffalo, NY à l'époque phare du hip-hop, fin 80s / début 90s. Dans cette même veine plus électrique, il y a aussi eu An UnRuly Manifesto (Relative Pitch, 2019) avec notamment la regrettée Jaime Branch à la trompette, Luke Stewart (d'Irreversible Entanglements) à la basse et Anthony Pirog à la guitare. Ce dernier est membre du power trio post-punk The Messthetics... qui a à son tour sorti un disque avec James Brandon Lewis l'année dernière (Impulse, 2024). Le plus récent disque du saxophoniste, Apple Cores (Anti, 2025) continue dans ce sillon. On y retrouve un trio électrique avec Josh Werner à la basse et Chad Taylor à la batterie. C'est ce répertoire qu'il vient présenter sur la scène de la Maison de la Radio, à la différence près que c'est Gerald Cleaver qu'on retrouve derrière les fûts.


Le son de la basse électrique définit en grande partie l'esthétique du groupe. La musique sonnerait sans doute très différemment avec une contrebasse. Sans être aussi explicitement funk que dans le disque Days of Freeman évoqué plus haut, la basse crée un continuum électrique autour duquel sax et batterie semble se greffer pour densifier le propos. Puissant, sans être tonitruant, le son du ténor de James Brandon Lewis envoûte autant qu'il emporte avec lui. Il déploie des phrases sinueuses qui alternent évidence mélodique et répétitions obsédantes. Ses compositions conservent ainsi un entre-deux à l'équilibre instable, entre chansons instrumentales et tourneries rythmiques dynamisées par la science percussive impeccable de Gerald Cleaver, un batteur entendu aux côtés d'un nombre incalculable des mes héros musicaux. Le saxophoniste explique brièvement que la musique de ce répertoire est un hommage à Don Cherry, mais il s'agit d'une musique complètement originale et non une relecture de titres du cornettiste globe-trotter. Généreux, le trio va au-delà de l'heure normalement allouée par Radio France pour ces sets devant être diffusés à l'antenne (le 10 mai à 19h sur France Musique pour cette deuxième partie, il y aura donc des coupes). Sur la fin, James Brandon Lewis prend un solo fiévreux où il cite thèmes de standards et chansons célèbres (en commençant par "La belle vie" de Sacha Distel, clin d'oeil au lieu du concert ?) qui fait sourire le public dès que celui-ci reconnaît une mélodie. Avant de repartir vers le son si caractéristique de son power trio : souffle chaud, fluidité électrique, fièvre rythmique. 

dimanche 6 avril 2025

Barbara Hannigan & Orchestre Philharmonique de Radio France - La Voix Humaine @ Cité de la Musique, jeudi 3 avril 2025

Une standing ovation immédiate et spontanée de la quasi totalité du public dès que la dernière note a retenti. Des cris d'enthousiasme qui évoquent plus l'ambiance d'un concert de rock que le cadre habituellement feutré des concerts classiques. La réaction du public est à la hauteur de la "performance" de Barbara Hannigan qui vient de chanter, interpréter et diriger l'orchestre en même temps. Performance, il y a effectivement, mais surtout parce que "l'exploit" ne se fait pas au détriment de la qualité artistique de l'oeuvre servie, bien au contraire. 

La soprano canadienne porte le texte de Cocteau et la musique de Poulenc a elle (quasi) seule. Il y a bien sûr l'Orchestre Philharmonique de Radio France qui l'accompagne, impeccablement, sur scène, mais elle incarne tellement chaque recoin de la partition et du texte qu'on a vite d'yeux et d'oreilles que pour elle. Des oreilles, évidemment, pour l'entendre chanter ce long monologue d'une femme trompée qui passe par toutes les émotions au téléphone alors que son amant (inaudible) est sans doute au bout du fil (à moins qu'elle ne soit vraiment seule dans son chagrin). On n'entend pas non plus les standardistes qu'elle interpelle ou prend à témoin lors des nombreuses coupures (si la composition de Poulenc date de 1959, la pièce de Cocteau a, elle, été écrite en 1930). "Elle" est donc seule pour évoquer son amour déçu, ses tentatives de suicide, le soutien de son amie Marthe, sa douleur et son mince espoir. La musique de Poulenc, entre acidité, explosions de violence, silences en suspension et pointes post-romantiques, souligne parfaitement les changements d’humeur du personnage.


Les oreilles ne sont néanmoins pas seules sollicitées. Grâce à un dispositif vidéo qui capte en direct les gestes de la soprano, les yeux sont aussi mobilisés. Alors qu'elle tourne la plupart du temps le dos au public, direction d'orchestre oblige, Barbara Hannigan ne se contente pas seulement de chanter et diriger, mais elle "interprète" pleinement son personnage, comme à l'opéra. Trois caméras, dispersées au sein de l’orchestre, lui font face, l'une droit devant, les autres légèrement sur chaque côté. Un grand écran surplombe l'orchestre, et outre les sur-titres, projette une version particulièrement spectracle, en noir et blanc, de la cantatrice. Pas un plan fixe, mais des surexpositions des trois angles permis par les caméras, du flou, des gros plans sur ses mains ou ses yeux... c'est un moyen supplémentaire de faire "passer" le texte de Cocteau. Barbara Hannigan avait interprété l'oeuvre dans sa version opéra à Garnier il y a quelque années (dans une mise en scène de Warlikowski), et le passage à la direction d'orchestre ne lui fait donc pas oublier la nécessité de l'interprétation. 

Un spectacle en tout point fascinant... qui fait que la première partie - l'interprétation des Métamorphoses de Richard Strauss - n'a semblé qu'une aimable introduction à la puissance de ce qui allait suivre. 

dimanche 23 février 2025

Sylvie Courvoisier Trio / Tyshawn Sorey Trio @ Théâtre Antoine Vitez, Ivry-sur-Seine, jeudi 13 février 2025

Double plateau de trio piano, contrebasse, batterie pour ce quatrième et dernier concert de l'édition 2025 du festival Sons d'hiver auquel j'ai assisté. Format historique de l'histoire du jazz, mais promesses d'approches inédites à la lecture des noms des musiciens rassemblés. Pour commencer, Sylvie Courvoisier était accompagnée par Drew Gress et Kenny Wollesen, soit trois personnalités que j'écoute sur scène comme sur disque depuis le tournant du millénaire. Trois musiciens dont j'apprécie l'univers, à commencer par celui de la leader, toujours plein de surprises, attachée à créer une musique laissant la place au bruit et au silence, comme je le notais dans un portrait que je lui avais consacré il y a maintenant bien longtemps.


Surprise, il y a dès le début du concert, mais pas celle à laquelle on pouvait s'attendre. En effet, ils entament le premier morceau par une pompe rythmique tout ce qu'il y a de plus classique, qui les relie directement à toute une histoire du piano jazz, héritée du stride et du swing, là où on ne les attendait certainement pas. Bien sûr, le concert ne se résumera pas à ce clin d'oeil appuyé à la tradition, mais à plusieurs reprises, des passages plus straight viendront s'immiscer entre les échappées libres des trois complices. Sylvie Courvoisier alterne les modes, joue des techniques étendues, change soudainement de direction au cours des morceaux qui ont, ainsi, un déroulé tout sauf linéaire. Kenny Wollesen intervient principalement sur un registre medium, plus percussionniste que batteur "tenant" le rythme, et enchante dans les passages à mains nues sur les peaux qui apportent une profondeur mélodique, moins évidente aux balais ou aux baguettes. Drew Gress alterne archet et pizzicati à la contrebasse, s'autorisant quelques solos buissonniers, tout en étant prêt à créer du liant quand il le faut entre les approches ouvertes de ses partenaires. Ludique, presque espiègle par moment, leur approche trouve sa cohérence dans une attention à la poésie des sons qui est la marque de fabrique de la pianiste suisse. Si les directions empruntées semblent disparates au début, on entend une forme émergée peu à peu, qui embrasse aussi bien l'histoire du trio piano jazz que les développements plus récents des musiques improvisées, pour aboutir à une signature sonore très personnelle, reconnaissable comme telle. La marque des plus grands, ce que Sylvie Courvoisier est incontestablement.


Même format instrumental pour la seconde partie, avec également des musiciens connus pour leur goût des explorations sonores, mais résultat en tout point opposé pourtant. Tyshawn Sorey a mis sur pied un trio avec le pianiste Aaron Diehl depuis quelques années, qui revisite à sa manière les standards (et un peu plus). En quatre excellents disques (dont un triple en quartet avec Greg Osby en sus), la contrebasse a changé plusieurs fois de mains. Pour le dernier en date, comme pour ce concert, c'est Harish Raghavan qui en a hérité. Là où Sylvie Courvoisier changeait constamment de direction, le trio de Tyshawn Sorey prend le temps de développer une forme déterminée sur la longueur. En cinquante minutes, sans interruption, ils n'enchainent ainsi que deux morceaux. Tout d'abord, une composition inédite du batteur, encore sans titre, qu'ils prévoient d'enregistrer prochainement. Puis une relecture au long cours de A Chair In The Sky, morceau cosigné par Charles Mingus et Joni Mitchell, qui apparaissait sur le disque hommage au premier cité de la chanteuse canadienne. S'ils prennent de temps de déployer les morceaux sur le temps long, et si le déroulé en est beaucoup plus linéaire qu'en première partie, il ne faut toutefois pas en conclure à une monotonie. En effet, ils jouent avec l'intensité, les vitesses, la réharmonisation constante, ce qui tient en alerte l'auditeur, jamais sûr de ce qui va suivre. Aaron Diehl, au piano, a une capacité incroyable à nous emporter avec lui par la capacité à faire "chanter" son piano en jouant habilement de l'art du crescendo. Le batteur-leader, qu'on a connu tour à tour surpuissant à ses débuts aux côtés de Steve Coleman, puis instant composer hérité des formes les plus abstraites du free jazz, nous revient en adepte des belles mélodies, qu'il sait juste surligner par un jeu économe quand nécessaire, et dynamiser subtilement à d'autres occasions. Pour le rappel, ils reprennent même une chanson "pop" du groupe Vividry, Your Good Lies, tendance électro-soul, à la mélodie entêtante qu'ils subliment par leur inventivité rythmique et harmonique. Si la forme était très éloignée de celle de Sylvie Courvoisier, les deux sets avait une chose en partage : l'excellence ! Et, quelques jours après le trio de Kris Davis, une nouvelle preuve que le format piano, contrebasse, batterie a encore de beaux jours devant lui. 

dimanche 9 février 2025

Fur / Bonbon Flamme @ La Dynamo, vendredi 7 février 2025

Vendredi soir, la Dynamo accueillait une soirée co-organisée par le Tricollectif et BMC Records. Deux groupes issus du collectif orléanais dont les récents disques ont été publiés par le label budapestois se succédaient ainsi dans la salle de Banlieues Bleues, à Pantin. Tout d'abord, le trio Fur, composé d'Hélène Duret à la clarinette et à la clarinette basse, Benjamin Sauzereau à la guitare et Maxime Rouayroux à la batterie. Puis Bonbon Flamme, quartet européen qui rassemble autour de Valentin Ceccaldi (violoncelle) et Etienne Ziemniak (batterie), le guitariste portugais Luis Lopes (dont j'aime beaucoup le Humanization 4tet, dont le 5e album, Saarbrücken, vient de sortir chez Clean Feed), et le claviériste néerlandais Fulco Ottervanger. 


Le premier set a commencé par des morceaux à l'atmosphère assez statique, avec peu de variations, jouant plus sur les nuances timbrales que sur l'articulation d'un véritable discours mélodique. Les vibrations du souffle d'Hélène Duret dans la clarinette basse entraient en résonnance avec les zébrures retenues de la guitare de Benjamin Sauzereau, tandis que Maxime Rouyaroux déployait une approche de percussionniste plutôt que de pur batteur. Après deux morceaux destinés à installer ce climat tempéré, le discours s'est peu à peu densifié, Hélène Duret passant à la clarinette pour déployer un chant plus immédiatement mélodique, alors que guitare et batterie accentuaient les angles rythmiques. Il y a dans cette musique comme des échos de ce que pouvait proposer le Rockingchair de Sylvain Rifflet, à l'instrumentation certes plus fournie (en quintet), mais que l'alliance des sonorités de la clarinette, de la guitare électrique et de la batterie évoque de-ci de-là. De lointains échos d'AlasNoAxis, le groupe de Jim Black, aussi, dans un entre-deux pas forcément bien précis, entre jazz, pop et post-rock, qui repose plus sur l'installation de climats subtilement changeants que sur des contrastes trop appuyés. Le concert s'achève néanmoins sur une belle mise en tension au rythme frénétique, comme une annonce de l'orage qui allait suivre avec le deuxième set.


Bonbon Flamme ne fait en effet pas dans la délicatesse. Ils dressent vite un mur du son extrêment dense où le violoncelle vrombit, les riffs de guitare s'entrechoquent avec les accords de synthé déglingués, et la batterie entraîne le tout à toute vitesse. Bruitiste, free et rock tout à la fois, la musique nous prend à la gorge. Mais elle n'oublie cependant pas d'être dansante à l'occasion, avec un rythme de cumbia concassé sous l'assaut de la guitare de Luis Lopes ou un ragtime de Scott Joplin attaqué façon punk. Ce concert était l'occasion de célébrer la sortie de leur deuxième disque, Calaveras y Boom Boom Chupitos (BMC Records, 2025), dont le titre fait écho à un folklore mexicain revisité façon kitsch, têtes de mort et shot d'alcool fort. La pochette du disque, qui était distribué gratuitement au public, ainsi que celui de Fur, à l'entracte, laisse apparaître un énorme citron vert muni d'un mèche de grenade en train de se consummer : cela résume bien la musique de Bonbon Flamme, un kitsch exotique ravalé par des musiciens qui savent faire du bruit, mais qui le font avec le sérieux nécessaire à créer une oeuvre vraiment cohérente, au-delà des ingrédients divers qu'ils intègrent à leur recette. Ils savent aussi varier les climats, jouer sur les différents niveaux de tension au cours du concert, afin de maintenir notre sens de l'ouïe en alerte constante. Il y a toujours une surprise à découvrir, un élément hors cadre qui permet d'aller au-delà du kitsch de façade. C'est du coup très convaincant.