En début d'année, à l'occasion du concert des Pensées Rotatives de Théo Girard, je rappelais le rôle matriciel joué par le Bruit du [sign] dans certaines de mes fidélités musicales. Une nouvelle preuve en était donnée hier soir avec le concert de Jeanne Added à la Philharmonie sur le répertoire de Joni Mitchell. Elle a beau être devenue une sorte de pop star ces dernières années, Jeanne Added reste d'une certaine manière, pour moi, liée à jamais à ce groupe dans lequel je l'ai découverte, entendu de nombreuses fois en concert dans les années 2000, et encore plus, depuis, sur les deux disques qu'il a enregistré au cours de son existence. La dernière fois que j'avais vu Jeanne Added sur scène remonte à plus de dix ans. Il s'agissait d'un concert en solo, dans le cadre de Jazz à la Villette 2012, dans lequel on sentait poindre l'envie d'aller voir vers des territoires plus pop comme je le notais alors. Ses disques sous son nom, de Be Sensational (Naïve, 2015) à By Your Side (Naïve, 2022), lui ont ainsi permis depuis de considérablement élargir son public - une juste récompense pour l'une des voix les plus exceptionnelles de la scène française, tous genres confondus.
Ce concert de la Philharmonie marquait toutefois comme une sorte de "retour aux sources", puisque les musiciens qu'elle avait choisis pour l'accompagner étaient ceux d'un compagnonnage de longue date, comme elle le notait mezzo voce vers la fin du concert, qui remonte à ces années 2000, plus jazz, même s'il ne faut surtout pas entendre ce mot dans son aspect patrimonial ici. Il y avait tout d'abord Vincent Lê Quang (sax soprano) et Bruno Ruder (piano) avec qui elle formait le trio Yes Is A Pleasant Country. Puis, bien entendu, Vincent Courtois (violoncelle) dont elle avait marqué le quartet à la même époque que je la découvrais avec le Bruit du [sign], à tel point que je ne suis plus très sûr aujourd'hui dans laquelle des deux formations je l'ai entendue en premier pour être honnête. Sarah Murcia (contrebasse) également, avec laquelle elle partage un goût pour les crossovers musicaux pleinement démontré hier soir. Et enfin, joyau sertissant cette couronne de musiciens l'entourant hier, Marc Ducret (guitare). Que des noms porteurs d'une promesse d'excellence, mais qui ont pourtant réussi à excéder toutes nos attentes.
De manière assez exemplaire, la disposition de la scène de la Philharmonie était en mode "musique de chambre" (avec le public à 360°) et non "musique amplifiée" (avec la scène repoussée en fond). L'absence de batterie ou d'instrument électrique (Marc Ducret avait abandonné ses multiples pédales d'effet pour l'occasion) permettait ainsi une approche centrée sur la voix de Jeanne Added, juste soulignée ce qu'il faut par la qualité des arrangements de Vincent Lê Quang. N'intervenant par ailleurs qu'au soprano, ce dernier rappelait la collaboration au long cours entre Wayne Shorter et la chanteuse canadienne. Car, si Jeanne Added a jusqu'ici eu un parcours la menant du jazz vers la pop (pour le dire vite, et de manière nécessairement caricaturale), Joni Mitchell a elle suivi un parcours inverse, de la folk vers une musique invitant de plus en plus le jazz - ou en tout cas de grands jazzmen - au cours de sa carrière. Rien d'étonnant à ce qu'elles se rencontrent, virtuellement, à l'occasion de ce concert.
Je suis loin de connaître toute la discographie de Joni Mitchell, mais j'ai quand même eu le plaisir de reconnaître quelques morceaux : Free Man in Paris et Down To You, extraits de Court and Spark (Asylum, 1974), The Hissing Of Summer Lawns de l'album du même nom (Aylum, 1975) ou les tubesques Circle Game et Both Sides Now en conclusion du concert. Mais, même sans être capable de mettre un titre sur chacun des morceaux, on reconnaît partout la qualité de l'écriture de la grande canadienne, et son approche crossover particulièrement sublimée par les arrangements et l'instrumentation d'un soir. Si tous les musiciens restent constamment sur scène, les formats orchestraux varient d'une chanson à l'autre. On notera particulièrement un morceau en trio, au format Yes Is A Pleasant Country (Added, Lê Quang, Ruder), suivi par un autre avec au contraire seules les cordes (Murcia, Courtois, Ducret) pour soutenir la voix de Jeanne. Ou, lors des rappels, un formidable duo Ducret/Added conclu par la chanteuse d'un émouvant car spontané "j'ai chanté A Case Of You en duo avec Marc Ducret !" Par cette simple remarque, on percevait tout le plaisir que Jeanne Added prenait, encore émerveillée d'avoir réussi à réunir un tel line up magique pour interpréter le répertoire d'une de ses idoles. Cette spontanéité n'était pas pour rien, loin de là, dans le plaisir qu'on prennait également comme spectateur, au-delà du répertoire, des arrangements, des musiciens et de la voix de Jeanne Added !