samedi 18 novembre 2017

Music Unlimited 31, 2e jour @ Wels, samedi 11 novembre 2017

La deuxième journée du festival est placée sous le signe de la découverte. De nombreux musiciens que je ne connais pas y sont en effet programmés et, pour ceux que je connais, ils apparaissent dans des situations inédites à mes oreilles.

Avant le programme du soir à l'Alter Schlachthof, le festival propose deux concerts en solo dans d'autres endroits de la ville en début d'après-midi. Cela commence avec Jessica Pavone au Minoritenkloster. L'altiste, compagne de route de longue date de Mary Halvorson à travers, notamment, leur duo avant-folk, propose des sortes d'histoires sans paroles. A l'aide de quelques effets (loops...), elle crée un environnement propice à la rêverie, où son alto musarde de ci, de là. Les ambiances ressemblent justement à ce que produisait le duo avec la guitariste. L'économie de moyens est ici mise au service d'un discours en apparence simple, mais qui délivre une sorte de beauté un peu acide, vénéneuse, porté par le registre proche de la voix humaine de l'alto. On se laisse emporter pendant une petite heure, entre berceuses mutantes et ballades sur des chemins escarpés.

Le concert suivant est l'oeuvre d'un enfant du pays et se déroule dans un théâtre de poche situé dans l'ancien grenier de la ville. Manfred Engelmayr a en effet grandi à Wels. Sous le pseudonyme de Raumschiff Engelmayr (vaisseau spatial), il organise tout un univers musical ludique centré autour d'une guitare électrique qu'il dispose à l'horizontale sur un trépied. A l'aide d'une bardée de pédales d'effets et de divers objets métalliques pour préparer la guitare, il construit les bases rythmiques de ses chansons (en allemand, en anglais ou sans parole). Il utilise aussi différents ustensiles qu'il branche sur le secteur (un parapluie, une raquette de tennis) afin d'agrémenter ses histoires de sons inattendus. On atteint vite des effets technoïdes, renforcés par la mise en scène et lumières, produits à l'aide de trois fois rien, mais qui ont un indéniable effet hypnotique. Le côté DIY de la prestation n'est pas pour rien dans sa réussite.

La programmation du soir commence avec les Suisses du Trio Heinz Herbert, soit Dominic Landolt à la guitare, Ramon Landolt au piano et synthé et Mario Hänni à la batterie. Pas de Heinz Herbert, donc. Ils développent eux aussi une musique marquée par l'influence des musiques électroniques et la recherche d'une certaine forme de transe. On est quelque part dans une descendance croisée d'E.S.T. et de The Necks, avec le même genre de crescendos savamment construits que chez les Suédois et un similaire minimalisme hypnotique que chez les Australiens. Les trois Suisses y ajoutent des dérapages contrôlés où des plages de chaos sonique viennent s'intercaler, héritage d'une certaine forme de free jazz, dans leurs constructions rythmiques. Cela permet au trio d'éviter les écueils d'un certain formatage - ces tentatives de power trio avec piano s'inspirant des rythmes électro étant devenu assez courantes ces dernières années. Leur registre reste néanmoins assez restreint d'un bout à l'autre du concert, et l'énergie qu'ils mettent dans leur prestation ne suffit pas tout à fait à éviter le risque de la répétition.

Changement d'ambiance - plus intimiste - avec le concert suivant : un solo de pedal steel guitar par Susan Alcorn. Avant le concert j'avais un peu peur du caractère trop limité de l'instrument. Quelle erreur ! Ce fut en effet l'un des plus beaux moments du festival, et en tout cas le sommet de la journée de samedi. Entendue jusque là uniquement au sein de l'octet de Mary Halvorson - donc dans un format relativement pourvu - cela a été une vraie découverte pour moi. Issue de la musique country - contexte principal d'utilisation de cet instrument - Susan Alcorn a bien élargi son univers au cours des années, côtoyant notamment des musiciens issus de la musique contemporaine ou des musiques improvisées. Son concert mêle ainsi des improvisations, des compositions d'Astor Piazzolla, dont une poignante version de Adios Nonino, ses propres compositions (dont un bel hommage à Mercedes Sosa) et un gospel pour conclure. Elle introduit l'un des morceaux, particulièrement réussi, en expliquant qu'elle a découvert à la radio, en allant à un concert de country il y a vingt ans, Et exspecto resurrectionem mortuorum d'Olivier Messiaen. Subjuguée par la beauté de cette musique, elle a arrêté sa voiture sur le côté de la route pour écouter la fin de l'oeuvre et s'est mise en tête de l'adapter pour pedal steel guitar. Après s'être procurée la partition, elle a abandonné l'idée en découvrant que cette oeuvre était écrite pour plus de trente instruments. Elle a repris son ambition initiale il y a quelques années avec l'idée d'aller aussi loin qu'elle pouvait dans cette transposition, quitte a écrire autre chose pour la suite du morceau. C'est ainsi qu'elle explique que son Et exspecto resurrectionem pedal steel guitar inclut... les trois premières notes de l'oeuvre de Messiaen, avant de bifurquer vers quelque chose d'autre. La sonorité de cet instrument a quelque chose d'envoutant, délicat et chaud, entre le son d'une guitare électrique classique et celui d'un fender rhodes. Ce qui en fait finalement un instrument soliste totalement convaincant. En tout cas entre les mains de Susan Alcorn.

J'attendais avec une certaine curiosité le groupe suivant, Seaven Teares. Originaire de Brooklyn, leur nom - en ancien anglais - fait référence à un recueil de compositions de John Dowland. Et l'ambition du groupe est ainsi de mêler une pop contemporaine à des techniques vocales issues des musiques anciennes, baroques, renaissance, voire antérieures. Menée par les voix de Charlie Looker, également à la guitare, et Amirtha Kidambi, également à l'harmonium et au synthé, la musique de Seaven Teares est un étrange assemblage où une technique issue des chants liturgiques pré-renaissance semble entrer en collision avec une écriture mélodique plus proche des standards pop actuels. L'instrumentation originale du groupe est complétée par Robbie Lee qui alterne entre guitare électrique et orgue portatif (amusant instrument qui ressemble à un orgue miniature actionné à l'aide d'un soufflet comme un accordéon ou un harmonium) et Russell Greenberg qui alterne entre batterie, vibraphone et autres percussions dont un énorme tambour médiéval. A l'exception d'un morceau de Dowland, ils présentent leurs propres chansons. Mais cela a du mal à fonctionner. On a constamment un sentiment de décalage, et le caractère très théâtral du chanteur principal est un obstacle trop grand à mes oreilles pour entrer dans cette musique. Les applaudissements tout juste polis du public semblent me confirmer qu'il n'y a pas que moi qui reste dubitatif face à cette drôle de proposition (personne ne prendra la peine de faire semblant de leur demander un rappel d'ailleurs). Intéressant a priori sur le papier, la musique de Seaven Teares a débouché sur une grande déception. On sera tout de même curieux d'entendre la chanteuse, Amirtha Kidambi, dans un autre contexte puisqu'elle fera partie du prochain groupe de Mary Halvorson, Code girl (disque à paraitre chez Firehouse 12 début 2018).

On retrouve justement la guitariste, et curatrice du festival, pour le concert suivant : un duo avec John Dieterich, guitariste du groupe de rock californien Deerhoof (que j'avoue ne pas connaître). Mary Halvorson a développé récemment des échanges fructueux en duo avec d'autres guitaristes. On a ainsi pu l'entendre avec grands plaisir et intérêt aux côtés de Marc Ribot, Elliott Sharp ou Noël Akchoté. Cette fois-ci, elle partage la scène - pour la première fois indique-t-elle - avec quelqu'un dont le background musical est un peu différent. Pourtant la musique proposée n'a pas vraiment de rapport avec le langage rock, on est en terrain assez familier, celui des musiques improvisées et des instant compositions basées sur une attentive écoute mutuelle. Les deux guitaristes emmêlent leurs discours au cours de longues séquences qui se structurent pas à pas, au fur et à mesure que les morceaux se développent. Ils se répondent, se surprennent ou se prolongent. Il n'y a pas de thème ou de mélodie identifiable, tout semble surgir dans l'instant, on est ainsi plus proche de la conversation par instrument interposé que dans la présentation d'un discours préparé en amont. C'est vif et inédit, et captivant.

La soirée s'achève avec le trio autrichien Radian, figure locale du post-rock depuis une vingtaine d'années. Martin Siewert à la guitare et aux effets électroniques, John Norman à la basse et Martin Brandlmayr à la batterie déploient une musique énergique, qui alterne plages planantes et montées en tension paroxystiques. Cela fait penser à une version vitaminée du krautrock des 70s, ayant aussi laisser trainer quelques oreilles du côté de la no wave ou d'un power trio comme Massacre, et ayant incorporé les tourneries rythmiques des musiques électroniques. C'est efficace, et assez prenant en live, dans une salle de petite dimension. Et cela conclut de belle manière une journée pour le moins éloignée des codes du jazz.

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