Un disque qui démarre en fanfare... avec un morceau ("Old Delhi") inspiré par les fanfares entendues autour du Fort Rouge à New Delhi. Tout (ou presque) est dit sur ce disque par son ouverture : puissance des cuivres, goût du voyage, énergie des compositions, limpidité des mélodies, rage des solos, climat de révolte doux-amer... Autant d'éléments essentiels à la réussite de ce disque. L'influence du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden ou de certains disques de Mingus n'est pas loin.
Après plus de dix ans à la tête du plus beau groupe de jazz du monde - son Azur Quartet (avec Bojan Z, Glenn Ferris et Tony Rabeson) devenu Quintet par l'adjonction de Sébastien Texier - Henri Texier propose ici la première trace discographique de son nouveau vivier de jeunes talents du jazz hexagonal (et un peu au-delà), le Strada Sextet, avec lequel il tourne depuis environ deux ans. Outre les Texier père et fils, on retrouve François Corneloup qui avait déjà fait équipe avec le contrebassiste le temps d'un splendide Mad Nomad(s) (Label Bleu, 1995) au saxes baryton et soprano, Guéorgui Kornazov au trombone, Manu Codjia à la guitare et Christophe Marguet à la batterie. Chacun apporte une contribution décisive à la musique du groupe, que ce soit dans des solos souvent déchirants de lyrisme, ou dans l'élaboration d'un son d'ensemble d'une riche densité.
François Corneloup développe comme à son habitude un son ample et puissant. La vélocité de Sébastien Texier est encore une fois décisive, et sa complémentarité avec Corneloup permet de développer de belles polyphonies mélodiques. Guéorgui Kornazov remplit avec brio la délicate tâche de "succéder" à Glenn Ferris, en plaçant quelques solos délicieusement vrombissants. Manu Codjia confirme, s'il en était encore besoin, qu'il est "le" guitariste de la jeune génération du jazz en France, aussi à l'aise en tant qu'accompagnateur qu'en soliste passionné. Quant à la paire rythmique, que dire quand elle a pour nom Henri Texier et Christophe Marguet ? Le batteur varie avec bonheur les rythmes tout au long de l'album, martial ici, tendre là, et Texier fait chanter sa contrebasse comme il sait si bien le faire.
Le Texier mélodiste n'est pas en reste sur ce disque. Il a à nouveau composé des morceaux que l'on a envie de chanter à tue-tête ("Old Delhi", "Blues for L. Peltier", "Black March Revolt") ou de fredonner doucement pour en souligner la belle mélodie ("Lady Bertrand", "Dance Revolt", "Decent Revolt"). Les morceaux signés Texier sont entrecoupés par cinq courtes pièces d'environ deux minutes chacune, proposées par chacun des membres du Sextet pour servir de prétexte à l'improvisation un peu plus free. Comme toujours chez Texier, la construction du disque, l'agencement des titres et des climats, sont très pensés, afin que l'oeuvre prenne sens au-delà de chacune des compositions. Le climat qui se dégage ici, malgré quelques passages très festifs, est plutôt mélancolique. De plus, les titres de plusieurs morceaux reprennent le terme "Revolt" comme un leitmotiv. Texier propose en fait un disque assez blues dans l'esprit, mais nourri de rencontres humaines et musicales d'un peu partout sur la planète. Une belle synthèse de jazz, de blues et de musiques du monde en quelque sorte.
Henri Texier Strada Sextet : (V)ivre, Label Bleu, 2004
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