Premier concert de l'année 2014, dans un lieu familier, mais pour y découvrir des musiciens encore inédits à la scène en ce qui me concerne. Je notais dans mon précédent billet l'heureuse ouverture d'ECM aux musiciens de l'Est de l'Europe et, si je n'y citais pas Elina Duni, c'est que son premier disque pour le label allemand, Matanë Malit, était sorti en 2012. Séduit par ledit disque, je l'ai été tout autant par ce concert.
Elina Duni chante des mélodies albanaises et kosovares, accompagnée par un helvétique trio piano - contrebasse - batterie formé par Colin Vallon, Patrice Moret et Norbert Pfammatter. Ayant quitté l'Albanie avec ses parents alors qu'elle n'avait que dix ans, et vivant à Genève depuis, Elina Duni retourne vers ses racines balkaniques à l'aide de ses chansons, tout en maintenant une appréciable distance par rapport aux formes traditionnelles qui rend toute leur fraîcheur à ces mélodies. Elle arrive ainsi à conserver l'expressivité d'une chanson de mariage kosovare tout en évitant l’exubérance trop appuyée qui colle parfois aux relectures actualisées du répertoire balkanique. Servie par un impeccable trio qui ne cherche pas à se faire passer pour des musiciens du cru - on est loin des ornementations imitatives - ni à tirer les mélodies vers un folklore déraciné - la musique sert aussi à mettre en valeur les sonorités de la langue albanaise - Elina Duni habite avec subtilité et élégance des chansons d'amour, d'exil (nombreuses), de fêtes ou de lutte (une chanson des partisans anti-fascistes des années 30 transmise par son grand-père).
La chanteuse prend le temps, entre chaque morceau, d'en expliquer l'origine géographique - chanson des montagnes, des régions côtières, du Kosovo ou du Sud de l'Albanie - la forme originelle et le thème, et en traduit parfois les paroles. Elle raconte aussi par bribes l'histoire de sa famille - et donc de son pays - comme ce fameux grand-père maternel engagé à 12 ans dans les rangs des partisans, puis bâtisseur enthousiaste du nouveau régime au sortir de la guerre, avant de devenir écrivain dissident face au socialisme trop réel. Le thème de l'exil revient souvent, là aussi reflet d'une réalité partagée entre celle d'un pays de rudes montagnes trouvant leur échappatoire dans la mer ionienne et celle de sa propre histoire familiale.
La musique est parcourue d'éléments qu'on identifie, furtivement, comme des rythmiques issues de la musique turque, des traitements polyphoniques propres aux montagnes bulgares, des prouesses asymétriques présentes en Serbie, et pourtant cela ne ressemble pas à l'habituel traitement du folklore balkanique. Parce qu'Elina Duni a une justesse de ton et une précision rythmique qui donnent de la noblesse à ces mélodies anciennes, parce que les musiciens qui l'accompagnent sont attachés à y insuffler des développements propres au jazz européen contemporain, mais surtout parce que les sonorités de la langue albanaise ont un caractère envoûtant, subtil mélange de douceur et de rudesse, de mer et de montagnes, d'appel du large et d'enracinement profond.
Elina Duni réussit ainsi à proposer une musique qui lui est propre, débarrassée de tous les clichés du genre, qui aiguise fortement un goût du voyage pourtant déjà particulièrement développé. Il va falloir inscrire l'Albanie sur la liste des destinations à venir...
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