Retour à la Dynamo, deux jours après le concert d'Elina Duni, pour y retrouver avec bonheur le nouveau quintet emmené par Didier Levallet. J'avais eu l'occasion de voir le groupe une première fois en septembre dernier, à l'occasion d'un concert en plein air donné dans le cadre du festival Jazz in Rueil, et me faisais une joie de pouvoir l'apprécier à nouveau dans un cadre propice à une écoute attentive - proximité de la scène et acoustique dédiée à ce type de musique.
Après dix ans passés à la tête de la scène nationale de Montbéliard, Didier Levallet revient donc arpenter les scènes de France avec un nouveau groupe qui associe un complice de longue date - le batteur François Laizeau - et trois voix qui ont émergé cette dernière décennie - Céline Bonacina aux saxophones baryton et alto, Airelle Besson à la trompette et Sylvaine Hélary aux flûtes. L'alliance des timbres entre baryton, trompette et flûte traversière n'est a priori pas évidente, mais la science harmonique de Didier Levallet fait de véritables merveilles à partir de ces "voix croisées" (titre du disque du groupe, qui fait partie de mon top ten 2013). Les compositions - pour la plupart écrites pour cette assemblée précise - allient avec délice un sens du groove subtil et toujours chantant (assuré avec vigueur par la contrebasse du leader) et des développements mélodiques qui doivent autant à la tradition française qu'aux formes du jazz contemporain. La présence de trois instruments à vent aux tonalités très différentes donne une grande largeur aux thèmes, qui se déploient aussi bien horizontalement (solos vifs et précis de chacune des trois interprètes) que verticalement (beau travail harmonique dans les passages a tutti).
Les titres de la plupart des morceaux ont des résonances littéraires, à commencer par Le dur désir de durer, emprunté à Paul Eluard, et il n'y a donc rien d'étonnant d'y retrouver une volonté narrative affirmée. Il y a un début, un développement, une conclusion - le quintet nous raconte des histoires, et s'attache à maîtriser la forme du discours. Pas d’esbroufe inutile, l'écoute de l'autre et la recherche d'une sonorité singulière, propre à cet ensemble, sont au cœur de la démarche des musiciens. Et, si l'on peut mettre en avant, tour à tour, tel(le) ou tel(le) soliste, il ne faut pas y voir une remise en cause de l'impression première de forte cohérence et de complémentarité qui animent l'orchestre. Malgré tout, il y a aussi un vrai plaisir à retrouver deux musiciennes que l'on a déjà pu apprécier à de nombreuses reprises dans d'autres contextes, et qui brillent particulièrement par leurs solos sur ce beau matériau mélodique : la sonorité très pure d'Airelle Besson et la légèreté aérienne de Sylvaine Hélary donnent une dimension d'espace infini qui compte beaucoup dans la joie que ne manque de procurer cette musique.
Fort de ce bel orchestre, Didier Levallet s'autorise également à revisiter certains thèmes plus anciens, écrits pour d'autres contextes, tel ce Blue Berlin Tango, déambulation curieuse dans une ville encore coupée en deux, ou l'hymne final O.A.C. en hommage à trois figures tutélaires de la free music (Ornette Coleman, Albert Ayler et Charles Tyler). De quoi tout simplement souhaiter une longue vie à cette association d'idées et de personnalités, riche de bien des possibles.
Le deuxième set voyait Céline Bonacina revenir sur scène accompagnée du pianiste anglais Gwilym Simcock et du contrebassiste Michel Benita - là aussi pour une association assez récente. Si je connaissais déjà assez bien Airelle Besson et Sylvaine Hélary, ma rencontre avec la saxophoniste s'est faite à l'occasion de ces "voix croisées", et j'étais donc curieux de pouvoir l'écouter sur un autre répertoire. Le trio a joué deux compositions de chacun de ses membres, tout d'abord deux de Céline Bonacina, puis deux de Michel Benita et enfin deux de Gwilym Simcock. Alternant baryton et soprano, la saxophoniste parcourt des mélodies entraînantes, instillant quelques surprises sonores de ci de là, mais toujours dans un esprit narratif assumé. L'absence d'instrument percussif autorise une grande fluidité dans le passage de relais rythmique entre les trois instrumentistes qui fait tout l'intérêt de cette association. On pourra toutefois regretter l'ordre de passage des groupes, car la force mélodique des thèmes de Didier Levallet, bien incrustés dans la mémoire, fait du coup un peu écran à l'attention pour cette deuxième partie. Heureusement le dernier morceau, écrit par le pianiste pour accompagner deux danseurs, redonne des fourmis dans les jambes par son groove entêtant et permet de finir la soirée un large sourire en travers du visage.
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