Deuxième (et dernier) concert dans le cadre du festival Agora de l'Ircam pour moi cette année, après celui du Bit20 Ensemble à la Maison de la Radio la semaine précédente. Cette fois-ci trois œuvres étaient présentées dans la salle de concert du Centre Pompidou samedi soir. L'Ensemble Intecontemporain, fondé tout comme l'Ircam par Boulez dans les années 70, était dirigé par le chef norvégien Christian Eggen. Avant que le concert ne débute réellement, un speaker annonce que les musiciens vont jouer, en hommage à György Ligeti, sa deuxième bagatelle pour quintette à vents - et demande de ne pas l'applaudir en signe de recueillement à la fin. Très belle exécution de ladite œuvre, pleine d'émotion et pourtant toute en retenue.
Après cette introduction-hommage, Christian Eggen rejoint ses musiciens pour l'interprétation de Corrente du compositeur finlandais Magnus Lindberg. Comme son nom l'indique, celui-ci est membre de la communauté suédophone de Finlande et le programme nous indique d'ailleurs que cette œuvre, en date de 1992, est une commande de l'Association suédoise de la littérature en Finlande. Cette précision ne renseigne ceci-dit pas vraiment sur la musique jouée qui ne sonne pas particulièrement "nordique". La musique est très dynamique, marquée par un ostinato rythmique qui se ballade parmi les différents instruments de l'ensemble. C'est plutôt agréable à entendre et assez facile d'accès, même si peu marquant après coup. Une musique de l'instant plus que du souvenir.
La deuxième œuvre est due au compositeur français Franck Bedrossian. Il s'agit même de la création mondiale de Division, troisième volet d'un cycle d'œuvres "interrogeant le rapport du monde instrumental aux sons électroniques" d'après le programme. On est immédiatement jeté dans le grand bain avec une ouverture violente, au son électronique volontairement désagréable. Pendant toute la durée de la pièce, cet espèce d'illbient contemporain sera le point d'ancrage du discours de l'ensemble. Si c'est le dispositif électronique qui répond aux gestes des musiciens, on a parfois l'impression que ce sont en fait ces derniers qui cherchent à prolonger ou rebondir sur les bruits inquiétants émis par les machines. L'ensemble comprend trois solistes, qui interviennent sur des instruments au timbre grave : clarinette basse, trombone ténor-basse et contrebasse. Leur discours sur la texture du son, proche en cela d'un certain free jazz, renforce le caractère pesant de la musique. En l'écoutant j'imaginais une sorte de film catastrophe où roderait un lézard géant (type Godzilla), toujours invisible, au sein d'une mégalopole sombre, sous une pluie battante, l'orage grondant au loin, par une nuit de nouvelle lune où les mécanismes électriques trop bien huilés des humains connaîtraient quelques ratés. Tous les bruits évoqués par ces images - du sifflement menaçant de la bête au tonnerre lointain mais insistant - semblaient présents dans la musique. Si cette description vous paraît peu encourageante, détrompez-vous, j'ai vraiment apprécié l'œuvre que j'ai trouvée, pour le coup, particulièrement évocatrice !
Après l'entracte - où je m'aperçois que je suis assis juste deux rangs derrière Boulez - est donnée à entendre Öl de l'allemand Enno Poppe, une œuvre créée en 2004 à Darmstadt. Comme son titre l'indique ("huile"), la musique est visqueuse, faite de longues coulées mélodiques qui glissent les unes sur les autres. On a ainsi l'étrange impression que l'œuvre se termine cinq, dix, vingt fois, mais à chaque fois elle repart comme si à nouveau un peu de liquide mélodique sortait d'une improbable bouteille. Cette œuvre fait elle aussi partie d'un cycle, qui explore des textures (les deux premières pièces s'appelaient Holz et Knochen, "bois" et "os" en allemand). Je la trouve plus difficile d'accès que les deux premières, car peu de choses semblent se passer pendant les 35 minutes que durent quand même le morceau. Tout comme Bedrossian, Poppe est un jeune compositeur (ils ont tous les deux autour de 35 ans), et c'est intéressant d'entendre leurs recherches afin de prendre un peu le pouls de la jeune génération de compositeurs des deux côtés du Rhin. Le langage de Bedrossian m'était plus familier, car sans doute plus proche d'une certaine forme de bruitisme qu'on peut retrouver dans la free music ou l'illbient électronique (à la DJ Spooky moins le groove).
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