Un nouveau groupe à suivre ! Vendredi soir, à l'Espace 1789 de Saint-Ouen, j'ai eu le grand plaisir de découvrir le Newtopia Project du saxophoniste marseillais Raphaël Imbert dans le cadre du festival Banlieues Bleues. J'avais déjà évoqué ce musicien il y a quelques mois suite à la parution d'un "Rebond" de sa plume dans Libé, mais je n'avais encore jamais eu l'occasion d'entendre sa musique. J'y allais plutôt confient en raison du couronnement du groupe au dernier concours de La Défense, mais en fait la musique proposée à dépasser mes attentes. C'était en tous points somptueux.
Le groupe est à l'origine un quartet sudiste composé, outre du leader au sax alto, de Stéphan Caracci au vibraphone, de Simon Tailleu à la contrebasse et de Cédrick Bec à la batterie. Sur cette cellule centrale sont venus se greffer deux formidables musiciens : le tout jeune pianiste israélien Yaron Herman et le saxophoniste et flûtiste sud-africain Zim Ngqawana, qui lui m'était déjà connu (sur disque). Le concert a commencé par de légers murmures de Zim Ngqawana à travers une petite flûte traditionnelle, avant que Cédrick Bec ne fixe progressivement un rythme lent et majestueux, tout en retenu, qui n'était pas sans évoquer un paisible rythme cardiaque. Sur ce tapis soyeux, Zim Ngqawana a développé un discours tendre à la flûte traversière, qui m'évoquait l'aube naissante sur une grande étendue plane. Peut-être la savane sud-africaine, au moment où les animaux se réveillent alors que le soleil pointe ses premiers rayons. Douceur captivante qui fait se retenir le souffle des spectateurs émerveillés par tant de beauté simple et dépouillée. Progressivement, les autres musiciens entrent dans la danse. Le pianiste plaque quelques accords délicats, comme une évocation de la rosée matinale dans laquelle se reflète la lumière de l'aube. Le vibraphone et la contrebasse deviennent les poumons de ce corps en éveil dont la batterie tient le rythme cardiaque. Enfin, Raphaël Imbert introduit au sax alto une légère dose d'acidité pour entrainer le groupe vers une très progressive montée en tension qui débouche sur un deuxième mouvement puissant, où la tranquillité laisse la place à un lyrisme exacerbé qui puise dans le free joyeux de Pharoah Sanders ou Gato Barbieri. D'ailleurs, à plusieurs moments au cours du concert, Raphaël Imbert m'évoquera le saxophoniste argentin dans une version alto. Ce premier morceau, signé Zim Ngqawana, proposera encore quelques variations marquées par l'alternance de passages largo et allegro, selon une progression naturelle et prenant son temps.
Après cette sublime entrée en matière, le groupe a proposé une Suite élégiaque en quatre parties composée par Raphaël Imbert en souvenir d'êtres chers trop tôt disparus. Là aussi, la forme des variations alternées emprunte à la construction classique, avec un jeu sur les timbres, sur les ambiances, sur l'alternance des solos, duos, trios, etc., qui paraît d'un grand naturel. A la fin du parcours on s'aperçoit que chaque musicien a pu profiter d'un passage en solo pour briller, et pourtant rien ne semble prévu à l'avance. Il n'y a aucun systématisme apparent dans cette musique. Juste une grande spiritualité et la volonté de faire dire quelque chose à la musique (ce qui explique le point de vue de Raphaël Imbert dans le "Rebond" évoqué plus haut). La révélation la plus marquante du concert fut incontestablement Yaron Herman au piano. Sans dévaluer en rien les autres musiciens, parfaits en tous points, le pianiste apporte un plus indéniable avec un jeu d'une subtilité dans les nuances à en faire fantasmer plus d'un. Quand on sait qu'il n'a commencé le piano qu'à 16 ans (et qu'il en a aujourd'hui 24 !), on se demande si ce que l'on entend est bien réel. Dans son jeu comme dans son attitude, on retrouve des éléments présents chez Keith Jarrett, à commencer par ce véritable corps-à-corps très physique qu'il livre avec le piano, et sa position ni assise ni debout qu'il prend lorsque la musique s'emballe. De plus, il est aussi à l'aise dans les passages tout en retenus, au climat "debussyen", que dans les envolées romantiques ou lorsque le piano se fait percussif à la mode free. Si la musique de Newtopia évoque irrésistiblement le grand air, l'ouverture à tous les vents (de la brise la plus délicate aux grandes bourrasque face à l'océan), Yaron Herman emmène le groupe vers le grand large qui fait toute la différence entre un bon concert et un moment inoubliable. L'une des plus belles révélations de ces dernières années, en ce qui me concerne.
La deuxième partie du concert était moins directement jazz puisqu'assurée par Hugh Masekela. Le trompettiste et chanteur sud-africain, dont la musique aura longtemps servie de bande son à la lutte contre le régime d'apartheid, était à la tête d'un groupe de sept musiciens tous originaires d'Afrique australe (deux claviers, un sax ténor, une guitare, une basse, une batterie et des percussions). L'ambiance était à la fête et à la danse avec une musique puisant aussi bien dans les rythmes populaires du pays zoulou que dans la culture afro-américaine (jazz, soul, funk) ou dans celle de l'Ouest de l'Afrique (highlife, afrobeat). Quelques refrains connus ornaient la soirée, comme le formidable Stimela, en hommage aux mineurs sud-africains, ou son "tube" Bring back Nelson Mandela. Le groupe a invité quelques autres artistes à venir le rejoindre sur scène : une chanteuse dont je n'ai pas compris le nom, dans une très belle tenue traditionnelle, ou le saxophoniste britannique Soweto Kinch venu souffler sur l'hommage à Mandela. Mais surtout Yaron Herman, encore lui, qui aura joué trois morceaux avec le groupe, à commencer par une superbe version d'Ose Shalom, un chant populaire juif, juste interprété par le pianiste, le trompettiste et Ngenekhaya Mahlangu au saxophone ténor. C'était à la fois étonnant et émouvant d'entendre cette mélodie au milieu des rythmes africains. Et la nouvelle preuve, si besoin était, qu'on tient là un formidable musicien qu'il faudra suivre dans les années à venir.
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