Deux musiciens que je suis depuis longtemps se partageaient hier soir la scène de la Salle André Malraux de Bondy dans le cadre de Banlieues Bleues. Julien Lourau et Omar Sosa font en effet partie de ces quelques musiciens (avec Bojan Z, Akosh S, Steve Coleman) qui, lorsque j'étais au lycée (95-98), ont largement participé à ma "conversion" au jazz, en montrant que cette musique pouvait aussi s'écrire au présent, au pluriel et en live. Depuis j'ai toujours une tendresse particulière quand je les revois - ce que j'essaie de faire assez régulièrement.
Pour l'occasion, Julien Lourau proposait un nouveau projet, avec le groupe cubain RumbAbierta. En compagnie d'Eric Löhrer à la guitare, partenaire de longue date du saxophoniste, et du chanteur-percussionniste chilien Sebastian Quezada qui intervenait déjà sur Fire, Julien Lourau s'entourait de quatre percussionnistes et un bassiste de la grande île caraïbe. Première (bonne) surprise : ce groupe joue de la vraie rumba traditionnelle et pas un ersatz "world music" à la sauce salsa. Sur un riche tapis rythmique, Lourau commence par quelques sinuosités au sax soprano. Les deux premiers morceaux ne me convainquent pas vraiment. La superposition des deux univers paraît un peu artificielle. Lourau change la donne en passant au ténor pour le troisième morceau. Je ne sais pas si cela est dû à la sonorité plus chaude du ténor, mais une véritable interaction entre les musiciens semble se mettre en place, notamment rythmiquement. Lourau semble ainsi beaucoup plus à l'écoute des percussionnistes, réagissant à leurs propositions, et ne se contentant plus de "plaquer" son discours par dessus. Le quatrième morceau voit s'éclipser Lourau et Löhrer pour laisser les musiciens latino-américains interpréter une rumba traditionnelle du plus bel effet. On entend les échos mystiques de la santeria, le culte syncrétique afro-cubain, dans les riches effets percussifs des différents tambours. La fin du concert, avec un Lourau toujours au ténor, finit d'emporter l'adhésion par son alchimie qui se situe - heureusement - bien loin des clichés du jazz en version latine. Si le projet demandera certainement à être un peu mûri, il propose déjà quelques vraies réussites.
La deuxième partie était l'œuvre d'Omar Sosa en trio avec le bassiste mozambicain Childo Tomas et son compatriote percussionniste Anga Diaz. Le pianiste cubain a fourni l'une des plus belles prestations qu'il m'ait été donné de voir de sa part sur scène, avec sans doute ma première rencontre live avec lui, en 1999 à l'Elysée-Montmartre. S'il se présentait avec la même formule qu'en juillet dernier au Parc Floral, la musique proposée était assez différente. On sent tout d'abord une plus grande cohérence au sein du trio, ce qui donne des morceaux beaucoup moins éclatés, resserrés sur le jeu de Sosa au piano. Le discours s'attache plus à la mélodie et a moins recours à des formules-types, notamment rythmiquement. Sosa s'éloigne toujours un peu plus des systématismes du latin jazz, et introduit des effets électroniques en assez grand nombre, même si leur présence reste discrète. Il utilise ainsi des samplers, ou encore par moments une machine qui dédouble les notes qu'il joue au piano, pour donner un son entre un rhodes et un clavecin. On retrouve néanmoins les principales caractéristiques du discours de Sosa, à savoir un étonnant mélange de piano-tambour très afro-cubain, de jeu mélodique puisant dans la tradition européenne (romantique notamment) et d'éléments de jazz très ouverts, qui lui servent à "déconstruire" le beau jeu à la latine. Ses partenaires sont désormais comme deux jambes sur lesquelles il s'appuierait à parts égales. Childo Tomas, à la basse électrique chantante et au chant très spirituel, est l'élément liquide du trio. Anga Diaz, entre batterie sur sa droite et percussions afro-cubaines sur sa gauche, est l'élément tellurique du groupe, proposant un roulement grondant permanent. Omar Sosa est lui le feu qui tour à tour réchauffe tendrement et brûle violemment tout sur son passage. Jusqu'à présent Omar Sosa avait comme deux axes de développement bien séparés : d'un côté les climats intimistes du solo ou des duos piano/percussions ; de l'autre des grandes formations baroques et un peu barrées. Avec cette formule du trio, il se situe dans un entre-deux qui lui va à ravir, qui lui permet de proposer toute l'étendue de sa palette stylistique. Une grande réussite.
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