Le trop rare Andrew Hill était sur la scène du New Morning samedi soir, à la tête du quintet avec lequel il a enregistré son récent Time Lines paru chez Blue Note. Retour au label de ses débuts dans les années 60, après une récente résurrection en deux somptueux disques chez Palmetto. Cela fait quelques temps déjà que j'espère un concert parisien du pianiste à lunettes. Lors de son précédent passage en France, il avait soigneusement évité la capitale. Heureusement, la force de frappe de Blue Note aidant, il était bien là ce week-end.
Andrew Hill c'est d'abord un phrasé très original. Comme une sorte de prolongement de Monk par certains aspects - le goût de la surprise, du carillonnement claudiquant, de la mélodie désarticulée - mais complètement lui-même pourtant, grâce à un tendre lyrisme qui insuffle un caractère très chantant à son jeu, notamment quand il s'aventure sur le terrain de la ballade. Andrew Hill c'est également une grande retenue dans le comportement. Économe en gestes et en parole, il n'hésite pas à se taire pendant de longs moments pour laisser ses sidemen s'exprimer avec tout le temps qui leur est nécessaire. Et, à ce petit jeu-là, le plus impressionnant - parce que le plus inattendu sans doute - a été pour moi John Hébert à la contrebasse. De grands talents de soliste, comme il l'a prouvé au cours de la formidable introduction du troisième morceau du premier set, mais aussi un art de la pulsation élastique remarquable, qui lui permet de tenir un discours en accord parfait avec le jeu tout en brisures du pianiste. Il semble parfois similaire à ses petites balles de caoutchouc bondissantes, dont il est difficile de prévoir le rebond et la direction, mais qui toujours captivent par leur vivacité.
L'autre grand bonhomme du concert, pour moi, a été Greg Tardy. Mais là, je m'y attendais plus. Je l'aime surtout à la clarinette, dont il n'a que peu joué en définitive. Mais ses quelques incursions sur l'instrument apportent un élément décisif à la sonorité de ce groupe, entre deux âges, sur la ligne de crête entre la pulsation régulière et les formes plus abstraites dessinées par tous les membres du quintet (Hill, Hébert et Tardy en tête quand même). Car, ce qu'il y a de vraiment captivant dans ce groupe, c'est que la section rythmique participe autant que les soufflants ou le piano à la mouvance émouvante de cette musique tout en flux et reflux imprévisibles, venant se briser sur de multiples petits rochers imaginaires. Ainsi Eric McPherson à la batterie - certainement le plus actif des musiciens samedi - déploie un constant tapis percussif, à la fois soyeux et complexe, qui n'est ni dans le pur accompagnement régulier, ni dans la performance individuelle indépendante du reste du groupe. Il donne l'impression d'être un sol mouvant, sur lequel les autres musiciens aiment à faire danser leurs instruments, sachant que certains gestes seront involontaires compte-tenu du revêtement aléatoire. Le quintet était complété par Charles Tolliver à la trompette, seul musicien à être de la même génération que le leader. Si son discours est moins surprenant que les quatre autres, son attaque franche et légèrement acidulée est un élément indispensable à la sonorité d'ensemble du groupe.
Le plus beau moment de la soirée a été pour moi l'interprétation de Malachi, thème dédié à la mémoire du contrebassiste de l'Art Ensemble of Chicago (Malachi Favors), lors du deuxième set. Une ballade pleine de tendresse mélancolique, dont la mélodie a un effet apaisant propice au recueillement. Ce qui restera également, c'est ce jeu proche d'un carillon d'Andrew Hill au piano à de nombreuses reprises. Comme une multitude de clochettes qu'il agiterait gaîment. Et qui provoquerait, chez lui comme chez les spectateurs, un sourire radieux synonyme de bonheur simple mais profond.
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