Très beaux concerts hier soir à l'Espace 93 Victor Hugo de Clichy-sous-Bois. Tout d'abord, une découverte avec la flûtiste chicagoane Nicole Mitchell, issue de l'AACM. Elle se produisait en trio avec deux musiciens que j'ai notamment eu l'occasion de voir cette année dans le cadre de Sons d'hiver : Harrison Bankhead à la contrebasse et Hamid Drake à la batterie. Les flûtistes ne sont pas si nombreux dans le milieu du jazz, alors forcément on pense tout d'abord à Eric Dolphy ou Roland Kirk. Pourtant, la musique proposée m'a plutôt évoqué le duo Don Cherry-Ed Blackwell qu'on peut entendre sur le magnifique Mu (BYG, 1969) du trompettiste. Il est vrai qu'Hamid Drake se situe volontiers dans la descendance de Blackwell, et que le discours parfois un peu "ethnique" de Nicole Mitchell à la flûte ne pouvait que faire échos aux escapades planétaires de Don Cherry. Le style de Nicole Mitchell oscille en fait entre deux tendances : l'exploration des sonorités extra-occidentales donc, mais aussi la tradition afro-américaine entre jazz, blues et soul. On est bien dans l'esthétique de l'AACM.
Le trio nous a proposé trois longs morceaux, plus un plus court en rappel, qui montraient bien l'étendu du discours de la flûtiste. Tout d'abord puisant dans le blues sur le premier, Prophets, composé par Harrison Bankhead. La flûtiste et le contrebassiste s'accompagnaient de la voix, y compris pour Nicole Mitchell en soufflant simultanément dans ses flûtes, à la manière de Roland Kirk (ou de Magic Malik). Le deuxième morceau était plus "ethnique", cherchant son inspiration du côté des musiques africaines, et s'intitulait d'ailleurs Africa rising. Beaucoup de douceur s'échappait de ce morceau, quand le premier était plus spirituel. Le troisième voyait Hamid Drake troquer sa batterie pour un bendir et Harrison Bankhead sa contrebasse pour un violoncelle. La présence de ce dernier modifiait quelque peu le son de l'ensemble, comme jetant un pont entre traditions européenne et africaine, là aussi avec beaucoup de tendresse dans l'expression. Le rappel fut lui plus enlevé rythmiquement, tranchant singulièrement avec toute la douceur déployée auparavant. C'est aussi pour ce genre de découverte surprenante qu'on aime le festival Banlieues Bleues.
La deuxième partie était elle très attendue. Martial Solal et Dave Douglas y donnaient en effet leur unique concert en duo, suite à la sortie récente de leur disque Rue de Seine (Cam Jazz, 2006). C'était la première fois que je voyais chacun des deux musiciens en plus, autant dire que j'espérais beaucoup de ce concert. Je ne fus pas déçu. La musique jouée par le duo était en tout point magnifique. D'un Solar (de Miles) inaugural à un All the things you are (d'Oscar Hammerstein et Jerome Kern) en rappel, en passant par les compositions alternées de Solal et Douglas tout au long du concert, il y avait à peu près tout ce qui fait le jazz dans leur musique : de l'humour avant tout, mais aussi de l'émotion, comme sur le magnifique Blues to Steve Lacy composé par Douglas, de la technique époustouflante sans jamais être démonstrative (ah ! voir les mains de Solal !...), de la complicité mais aussi des petits "couacs" qui montraient la spontanéité de la démarche... Le son de trompette de Douglas est celui que je préfère sur l'instrument, et pouvoir l'entendre ici de manière si pure, si nette, seulement accompagné d'un piano, était un vrai bonheur. Quant à Martial Solal, on a le sentiment que le poids des âges (il est né en 1927) n'a pas de prise sur lui. Il est toujours aussi vif dans ses idées et dans son jeu, espiègle et joyeux, surtout dans le cadre aussi immédiatement expressif du duo. Le maître-mot de ce concert était le plaisir. Et il fut vraiment au rendez-vous. Bien là, dans ses joies simples provoquées par l'évidence d'une musique à la complexité dissimulée sous l'émotion. Une prestation qui laissera des traces.
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