dimanche 12 mars 2006

Speeq / La Campagnie des Musiques à Ouïr @ Espace Paul Eluard, Stains, samedi 11 mars 2006

Un vent de douce folie soufflait hier soir sur la scène de l'Espace Paul Eluard de Stains. La soirée a débuté avec une création du guitariste danois Hasse Poulsen, déjà entendu au sein du Napoli's Walls de Louis Sclavis. Sous le nom de "Speeq", elle regroupait quatre figures des musiques improvisées nord-européennes : outre Poulsen, on retrouvait la chanteuse norvégienne Sidsel Endresen, pionnière de la bouillonnante scène néo-jazz made in Norway (Trygve Seim, Arve Henriksen, Nils Petter Molvaer, Bugge Wesseltoft...), le bassite néerlandais Luc Ex, ex-The Ex et membre de 4Walls, et le batteur britannique Mark Sanders. Le concert a commencé par des sons gutturaux et onomatopéiques de Sidsel Endresen, pendant que les trois autres musiciens entamaient une lente progression bruitiste pour déboucher sur une explosion proche des guitares saturées du rock. Après cette entrée en matière surprenante, la surprise continuait avec un decrescendo très mélodique, presque folk, d'Hasse Poulsen à la guitare. Le concert a ainsi été une suite ininterrompue de montées en tension puissantes et de douces mélodies crépusculaires, très méditatives, avec une Sidsel Endresen qui parfois chantait de manière articulée, parfois se contentait de borborygmes et d'onomatopées. La guitare basse de Luc Ex donnait, par son vrombissement continu, une dimension hypnotique à la musique proposée. A le voir se déhancher et se tordre dans tous les sens pendant qu'il jouait, on ne pouvait s'empêcher de penser à la dimension très chorégraphique du projet. Il ne manquait que quelques danseurs pour incarner pleinement les multiples changements directionnels aiguillés par la batterie agile de Mark Sanders. En dynamiseur des énergies, le batteur britannique semblait servir de colonne invertébrale, au milieu des zébrures zigzaguantes de ses collègues d'un soir, à la musique jouée. A l'instar de Sidsel Endresen, il semblait lui aussi constamment passer du discours intelligible au bruitisme feutré de multiples petites percussions. Ses petits obstacles sonores se retrouvaient dans le jeu d'Hasse Poulsen qui disposait quelques objets métalliques sur sa guitare - comme pour un piano préparé - de manière à en altérer le son. Que pensait donc le public, resté silencieux tout au long de la pièce jouée, de cette création ? Au bout d'une heure de musique décalée et vraiment originale, la réponse fut sans nuance : des applaudissements particulièrement nourris. Le concert a été filmé (par Arte me semble-t-il). Peut-être pourrons-nous le (re)voir d'ici quelques temps au cours d'un programme nocturne improbable.

La deuxième partie promettait elle aussi d'être marquée du signe de la surprise. La Campagnie des Musiques à Ouïr devait en effet confronter son univers déjanté aux textes, non moins fantaisistes, de Brigitte Fontaine. Malheureusement la chanteuse était souffrante et n'a pas pu assurer ce concert. Dommage. J'avais déjà loupé leur première apparition francilienne en juin dernier dans le cadre du festival "La voix est libre", et j'attendais avec une certaine impatience cette session de rattrapage. J'espère qu'une belle sera prévue.

Faute de Brigitte Fontaine, les trois campagnons ont assuré le spectacle seuls. Et c'était la grande forme ! Christophe Monniot (sax alto et sopranino, claviers), Fred Gastard (sax basse, claviers) et Denis Charolles (batterie, percussions, trombone, clairon, guitare et arrosoir) ont mis le feu au public pourtant confortablement assis dans de beaux fauteuils rouges. Après une morceau introductif typiquement "campagnard", ils ont enchainé sur une très belle et délicate relecture de Comme à la radio, magnifique chanson de Brigitte Fontaine enregistrée avec l'Art Ensemble of Chicago en 1970. La mélodie tendrement naïve se faisait entêtante sous les coups du trombone bouché de Denis Charolles et le toujours tourbillonnant Christophe Monniot à l'alto. Ils ont alors poursuivi par un autre morceau de Brigitte Fontaine, le plus récent God's Nightmare, avec Denis Charolles qui chantait un peu en prime. Formidable début de concert qui ne rendait que plus dommageable l'absence de la chanteuse. C'est alors qu'est apparu sur scène un chanteur prénommé Vincent qui a interprété Le Nougat... en japonais (enfin, il m'a semblé). Délirant, certes, mais bien loin de s'y résumer, parce qu'avec la Campagnie, l'humour fait toujours très bon ménage avec une grande musicalité. Pour le prouver, Christophe Monniot a alors enchainé sur le thème de Chorinho pra ele d'Hermeto Pascoal au sopranino. On quittait les rivages fontainesques pour retrouver les territoires plus habituels des concerts de la Campagnie : un grand ragoût à base de musiques populaires (valse, paso-doble, tango, variété...) servi avec une bonne dose de jazz libertaire. La reprise du Que je t'aime de Johnny Hallyday fut un morceau de franche rigolade jubilatoire. Fred Gastard jouait le thème sur trois notes sur ses claviers, Denis Charolles susurrait l'air au trombone bouché du fond de la scène, pendant que Christophe Monniot chantait à travers un micro à effets, de la manière la plus douce possible. A la pyrotechnie de la machine Hallyday, la Campagnie opposait une version minimaliste du tube, comme un contre-pied de nez amusé chanté avec, bien entendu, tout le sérieux qui sied à de grands professionnels. Le public - sans doute conquis d'avance, tellement le public de la Campagnie est une petite, voire un peu plus, troupe de fidèles - n'a pas voulu relâcher les musiciens, qui sont donc revenus pour un nombre hors norme de rappels, conclus par une standing ovation ma fois bien méritée.

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