Suite des aventures séquano-dionysiennes samedi soir avec le New Lousadzak de Claude Tchamitchian suivi de Bojan Zulfikarpasic en trio à l'Espace Paul Eluard de Stains.
La première partie proposait la quatrième incarnation du groupe fondé par le contrebassiste Claude Tchamitchian en 1994. Après Lousadzak ("lumière" en arménien) à l'origine, après Grand Lousadzak en 1998, après Acoustic Lousadzak en 2001, voici donc New Lousadzak, et comme pour les précédents, le festival Banlieues Bleues accueillait cette nouvelle formation et ce nouveau répertoire. Sur scène, ils sont huit, disposés en arc de cercle, avec de gauche à droite : Médéric Collignon au cornet et au chant, Daunik Lazro au sax alto, Lionel Garcin au sax ténor, Daniel Malavergne au tuba, Rémi Charmasson à la guitare, Raymond Boni à la guitare également, Claude Tchamitchian à la contrebasse et Ramon Lopez à la batterie et aux percussions (cajon, tablas, xylophone...). Le groupe a proposé deux longues suites sans titre, juste inspirées par des réflexions entendues ça ou là. La première reflétait ainsi une pensée d'Albert Einstein : "je ne sais pas avec quelles armes se fera la troisième guerre mondiale, mais ce dont je suis sûr, c'est que la quatrième se livrera à coups de massue". La seconde suite, quant à elle, partait d'une réflexion de la chanteuse malienne Rokia Traoré, qui disait que dans sa langue natale le verbe "avoir" n'existait pas et que le terme le plus proche signifiait "être avec". On l'aura compris, le propos de départ est volontiers humaniste, et le répertoire proposé répond d'ailleurs au titre de "Human Songs". La musique jouée colle parfaitement avec ce propos. Elle est lyrique, révoltée, engagée, enracinée, déracinée, voyageuse, populaire, puissante, violente, libre, ludique et généreuse.
Le concert a commencé par un grondement terrible des huit instrumentistes, emmenés par une paire rythmique Tchamitchian-Lopez magnifique de sensibilité exacerbée. Il y énormément de bonnes choses dans ce groupe, de Lazro à Collignon en passant par le moins connu Lionel Garcin, mais s'il fallait ne retenir qu'une seule chose (ce qui serait parfaitement absurde), c'est sans doute la performance du leader et du batteur, leur complémentarité et leur engagement, qui s'imposerait. Ces deux musiciens qu'on a l'habitude de voir dans de très nombreux groupes du jazz aventureux hexagonal comme sidemen de luxe se trouvaient enfin mis en avant dans ce projet. Et de quelle manière ! La contrebasse de Tchamitchian semble en contact direct avec les entrailles de la terre quand il la frappe violemment avec les doigts, avant de devenir légère et chantante quand il la caresse de l'archet. La batterie de Ramon Lopez résonne de mille musiques populaires, de l'Inde à l'Espagne en passant par les Caraïbes ou le free américain, pour se faire elle aussi tour à tour martiale ou susurrante.
Emmenée par cette terrible rythmique, le groupe a donné un aperçu de ce que les musiques improvisées européennes peuvent avoir de meilleur. Les solos suraigus et les coups de bec du sax alto de Daunik Lazro (un habitué des Instants Chavirés) donnaient une dimension extrémiste, proche parfois du jeu de John Zorn en contexte d'impro totale, qui contrebalançait le ludisme délicat de Médéric Collignon, dont la performance vocale hallucinante provoquait les rires des quelques enfants présents dans la salle (et les sourires des grands enfants, n'en doutons pas). Mais, au-delà de sa technique vocale peu banale, Collignon est avant tout un extraordinaire joueur de cornet, amenant une douceur mélodique qui contrastait merveilleusement avec l'engagement free des autres musiciens. J'ai bien aimé également la présence, discrète, de l'électricité apportée par les deux guitares, dont un très beau solo aux résonances un peu africaines de Rémi Charmasson à l'entame de la deuxième suite.
Ce New Lousadzak s'inscrit un peu dans la continuité du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden et Carla Bley, dans l'esprit c'est certain, et dans la lettre par moment, avec l'espièglerie de Médéric Collignon en lieu et place du lyrisme enfiévré de Gato Barbieri.
La deuxième partie était plus attendue, étant donné que j'ai déjà dû voir Bojan Zulfikarpasic entre dix et quinze fois en concert. Mais je ne m'en lasse pas. Pour l'occasion, il était accompagné par Rémi Vignolo à la contrebasse et Ari Hoenig à la batterie. Comme à la Cigale l'an dernier, Bojan s'entourait de trois claviers : un grand piano devant, un rhodes au son vintage et crade sur sa droite, et un clavier électrique avec des tas de boutons d'effet sur sa gauche. Ce concert était aussi le premier documentant ses nouvelles compositions qu'on devrait bientôt pouvoir retrouver sur son nouvel opus, Xenophonia, à sortir courant avril chez Label Bleu. On y retrouve la "patte" Bojan, avec des arpèges méditerranéens jouées à deux cents à l'heure, mais aussi quelques ballades au clavier romantique. Il y a cependant quelques nouveautés, qu'on percevait de plus en plus ces dernières années dans ses concerts et qui s'affirment désormais pleinement, avec une utilisation plus systématique des claviers électriques et un recours décomplexé aux idiomes de la musique noire américaine, blues et funk en tête. Ari Hoenig était en grande forme. C'est lui qui dynamisait le trio, surprenant et amusant ses deux comparses d'un soir, avec une avalanche de rythmes peu orthodoxes, parfois joués avec une dizaine de baguettes dans les mains. Pas la peine d'épiloguer, c'est toujours un vrai plaisir d'entendre Bojan en live, et ce fut évidemment une nouvelle fois le cas samedi soir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire