C'est parti pour six semaines de concerts en Seine-Saint-Denis. La vingt-troisième édition du festival Banlieues Bleues s'ouvrait hier soir à l'Espace Lumière d'Epinay-sur-Seine par une soirée afrobeat avec la présence de Seun Kuti à la tête de l'orchestre paternel Egypt 80. Le plus jeune fils du Black President a proposé un show bouillant, entre réminiscences de papa Fela et vision propre de l'afrobeat.
La descendance (nombreuse) de Fela a déjà fait parlé d'elle musicalement avec son fils aîné Femi Kuti qui a emmené l'afrobeat sur les chemins de la fusion avec les rythmes afro-américains contemporains. Seun Kuti, tout juste 23 ans, se situe lui plus nettement dans la tradition forgée par son père. De l'afrobeat pur et dur comme il se joue à Lagos. Et la première impression, visuelle, accentue ce sentiment de proximité, voire de réincarnation. Même corps élégant, à la fois filiforme et athlétique. Même façon de danser et de se déplacer sur scène. Même engagement et autoritarisme à la tête de l'orchestre (18 musiciens). A première vue, seul le visage diffère un peu. Plus rond, plus jeune chez Seun Kuti. Pour accentuer cette identification à la figure paternelle, Seun a repris le groupe fondé par son père dans les années 80 (après le mythique Africa 70 des années 70) et joue lui aussi du sax alto. Toutefois, son timbre de voix est un peu différent. Et surtout, il ne se contente pas de reprendre les tubes paternels. Si on a bien eu droit à Colonial Mentality, Kalakuta Show et Shuffering and Shmiling, l'essentiel des morceaux joués étaient signés Seun Kuti.
Le groupe, composé de cadres de la grande époque et de jeunes recrues, n'a rien perdu de sa superbe. Capable de redonner des leçons de groove à n'importe qui, James Brown inclus, il fait preuve d'une puissance de frappe, cuivrée et percussive, indépassable. Trois saxophones, deux trompettes, deux guitares, une basse, une batterie, trois choristes, un clavier et quatre percussionnistes partageaient la scène avec Seun Kuti, perpétuant le modèle musical inventé par Fela : des morceaux qui s'installent progressivement, prenant le soin de mettre en place le groove dans sa durée avant d'engager le discours instrumental et verbal des solistes. Entre jazz, funk et rythmes yoruba traditionnels, la machine musicale sert toujours des propos engagés, alors que la situation n'a malheureusement que peu évolué au Nigeria en 30 ans. Le général Obasanjo à la tête de la junte militaire nigériane fustigé par l'autocrate libertaire de la République de Kalakuta est devenu le président Obasanjo à la tête de la "démocratie" nigériane fustigé par son fils. Les paroles de Shuffering and Shmiling, qui s'en prennent aux curés et aux imams, sont toujours d'actualité dans un pays plus que jamais coupé en deux par la religion. Et la corruption, thème récurrent des morceaux de Seun, était elle aussi un thème de prédilection de Fela.
Le groupe a été rejoint sur la fin du concert par Tony Allen, batteur mythique d'Africa 70, et qui est sans doute pour autant que Fela dans la genèse de l'afrobeat. Et, sans faire injure au batteur régulier d'Egypt 80, la différence s'est tout de suite entendue. Tony Allen ne se contente pas de "tenir" le rythme. Il le dynamise, l'éclate, le redouble et fait entendre son style si reconnaissable, sans jamais cesser de maintenir le groove nécessaire à l'avancement du morceau. C'était un peu dommage, pour le coup, qu'il n'ait joué que sur deux morceaux.
En tout cas, ça me faisait plaisir d'entendre sur scène, dans une salle bien pleine (et grande), cette déflagration afrobeat qui a rythmé mon adolescence. Avant d'être jazz-addict, je n'avais en effet d'oreilles que pour Fela (et Bob Marley, soyons juste). Trop jeune pour avoir pu voir le Black President en concert, la venue de son plus digne héritier en ouverture de l'édition 2006 de Banlieues Bleues était l'occasion de savourer une madeleine des plus funky qui soient.
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