Cela fait déjà un certain temps que je les suis, que j'achète tous leurs disques, que je les vois régulièrement (plusieurs fois par an) en concert, chacun de leur côté ou ensemble, et pourtant ce n'était hier que la première fois que je les voyais dans le cadre dépouillé du duo. Amitié exemplaire qui se déploie musicalement depuis une quinzaine d'années, depuis l'aventure Trash Corporation, la collaboration entre Bojan Zulfikarpasic et Julien Lourau a connu de multiples rebondissements, chez l'un, chez l'autre, ou chez un tiers (Texier en tête), acoustique ou électrique, strictement jazz ou mâtinée de rythmes des Balkans ou d'Amérique latine. Le concert d'hier soir à l'Espace Landowski de Boulogne-Billancourt (belle salle au passage) a donc été l'occasion d'apprécier dans ce qu'il a de plus simple, de plus direct, et de plus évident, le dialogue au long cours entre le pianiste bosniaque et le saxophoniste français.
J'ai beau être conquis d'avance, m'attendre à ce que je vais entendre, à chaque fois c'est la même chose : je ne peux résister à ce bonheur qui monte de manière irrésistible en moi dès que Bojan effleure les touches de son piano. Que ce soit sur des morceaux inconnus ou au contraire sur ceux que je connais par cœur, la surprise est toujours au rendez-vous, le plaisir de jouer également, et mélodie, rythme et harmonie sont "tout simplement" comme j'ai toujours rêvé de les entendre. Si j'ai une passion pour Bojan, elle se transmet facilement à Julien Lourau. Encore plus sur ce répertoire élaboré en commun au fil des années, entre jazz, musiques traditionnelles d'Europe de l'Est, et éléments méditerranéens. Ce n'était en effet pas le plus mince des plaisirs que de les entendre explorer divers aspects de leurs carrières : des morceaux récents tirés de Transpacifik de Bojan (le délicat Bulgarska) ou de The Rise de Julien Lourau (le latin Ginger Bread), mais aussi des morceaux plus anciens, de la période où ils formaient un quartet merveilleux avec Marc Buronfosse et François Merville (Un demi-porc et deux caisses de bière ou le traditionnel bosniaque Grana od bora repris en rappel). On croisait également des morceaux inédits, que ce soit celui qui a ouvert le concert, présenté comme "une improvisation sans nom particulier" ou une variation libre autour du célèbre traditionnel tzigane Ederlezi. Un morceau qui a au passage permis à Bojan d'égratigner le "professionnel du spectacle" Goran Bregovic qui a repris ce morceau (pour la B.O. du Temps des Gitans de Kusturica) en le signant de son nom ! Le point commun de tous ces morceaux, c'est qu'ils sont de formidables prétextes à improvisations, variations ou digressions. Bojan, particulièrement en forme hier soir, donnait le sentiment de boxer avec son piano, et avec son Fender Rhodes dont il jouait à certains moments simultanément, le plaisir physique répondant de manière explicite à celui de la musique. Mais, évidemment, de la boxe à la Mohamed Ali et à son jeu de jambes dansant. Arpèges balkaniques, de Bojan au piano et de Lourau au soprano ; jeu rythmique, de Bojan sur les cordes et le cadre du piano et de Lourau sur les touches de son ténor ; avalanche furieuse et précise, de Bojan dans les aigus et de Lourau dans les graves ; une belle complémentarité, à bien des égards télépathique. Bref, c'était bien ! Très bien !
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