Drôle de concert hier soir dans l'amphithéâtre de la Cité de la Musique. Dans le cadre du domaine privé consacré à Alain Bashung, deux guitaristes américains invités par le chanteur français se sont succédés, en solo, sur la scène de la petite salle de la Cité. Tout d'abord M. Ward, chanteur-guitariste-harmoniciste tendance folk, suivi d'Arto Lindsay, chanteur-guitariste tendance bossa bruitiste. Deux visages radicalement opposés de l'Amérique contemporaine. L'un qui sent les grands espaces, l'Amérique rurale, les petites villes perdues dans l'immensité ; l'autre qui incarne depuis près de 30 ans l'underground musical new-yorkais, ouvert sur le monde (en l'occurence le Brésil), et amateur de dissonances. L'un qui m'a ennuyé, l'autre qui m'a passionné.
La performance de M. Ward a confirmé que, décidément, folk, country, rock et genres assimilés m'ennuient profondément. Dès le troisième morceau, j'en avais marre. J'avais l'impression qu'il ne se passait rien dans cette musique. En plus, la voix de M. Ward n'est pas très agréable, un peu nasillarde et pas toujours très juste. Même sa reprise du Let's Dance de Bowie n'a pas réussi à éveiller plus de deux secondes mon attention.
Heureusement, ce qui a suivi a été radicalement - c'est le moins que l'on puisse dire - différent. Dès ses premières "notes" (ou plutôt dès ses premiers bruits), Arto Lindsay a surpris tout l'auditoire. Il ne joue pas de la guitare, il la tape, la triture dans tous les sens, la pousse à bout, à grand renfort d'amplification électrique. On était plus proche de la no wave de DNA que de ses récentes aventures en terres brésiliennes. Mais, dès qu'il a commencé à chanter, de sa voix douce et aigue, un retour vers la langueur bossa a eu lieu. Pendant tout le concert il a ainsi joué sur les contrastes entre la douceur de sa voix, toute en délicatesse lusophone, et son "jeu" de guitare pour le moins bruitiste. Comme un condensé de ses aventures soniques depuis 30 ans.
Il faut dire qu'Arto Lindsay est un personnage musical paradoxal comme seul New York en engendre. Grandi au Brésil, ce dandy américain a toujours eu un pied au Nord et l'autre au Sud du continent américain. Producteur de Caetano Veloso, Marisa Monte, Vinicius Cantuaria ou encore Carlinhos Brown, il a aussi été à la pointe du bruitisme no wave avec DNA ou aux côtés de John Zorn (dans Locus Solus par exemple). Depuis une petite décénie maintenant, il explore avec quelques fidèles la bossa et la samba à travers les prismes bruitistes et électroniques. Sur disque, ça donne quelque chose de très délicat, les éléments perturbateurs étant distillés avec parcimonie. Sur scène hier, en solo il est vrai, c'était beaucoup plus radical - mais avec beaucoup d'humour. Comme cette reprise du standard brésilien Beija-me, en conclusion du concert, avec un accompagnement minimaliste à la guitare. Belle ligne mélodique vocale parasitée par un rythme guitaristique déglingué. Un excellent résumé de la démarche d'Arto Lindsay qui confronte constamment musique et bruit, un "moyen efficace de lutte contre le conservatisme" comme titrait Véronique Mortaigne dans Le Monde il y a quelques années à propos du guitariste new-yorkais.
Si j'évoque Véronique Mortaigne, ce n'est pas tout à fait un hasard. C'est en effet suite à un autre de ses articles, que je me suis intéressé à Bashung (l'auteur de la programmation de la Cité de la Musique cette semaine). Avant de lire cet article, Bashung n'était pour moi qu'un chanteur de variétés de plus, dont je ne connaissais que quelques tubes passés à la radio. Mais, dans son article, au sujet du disque L'imprudence (Barclay, 2002), Véronique Mortaigne soulignait la présence de Marc Ribot, Arto Lindsay, Steve Nieve ou encore Mino Cinelu parmi les musiciens qui entouraient le chanteur. Premier intérêt : que pouvaient bien faire Ribot et Lindsay chez Bashung ? L'article étant également très élogieux sur le reste, comparant le disque aux meilleurs Gainsbourg et Ferré (mes deux chanteurs français préférés), je me suis décidé à l'acheter. Et, effectivement, ce disque est un petit bijou. Pourtant je n'écoute pas beaucoup de chanson française d'habitude, mais là c'est superbe. La chanson française qui s'inspire de la Downtown Scene, ça ne se voit pas tous les jours. Et quand, en plus, Bashung a la bonne idée d'inviter Arto Lindsay pour un concert aussi étonnant que superbe, ne boudons pas notre plaisir.
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