Mes fidèles lecteurs vont commencer à le savoir : 2005 est l'année du Brésil en France. Pour l'occasion, la Cité de la musique organise jusqu'à la fin juin une exposition sur la MPB (Musique Populaire Brésilienne), terme générique et consacré pour désigner une multitulde de genres musicaux aux racines entremêlées.
L'exposition, suivant un ordre chronologique, commence justement par explorer les racines des musiques brésiliennes : amérindiennes, africaines et européennes. Malgré les inégalités sociales et raciales encore criantes aujourd'hui, le Brésil est sans doute le pays du Nouveau Monde ayant le plus pratiqué le métissage, à tel point que son identité culturelle est totalement basée sur ce concept. La mise en exergue du manifeste anthropophage d'Oswald de Andrade (1928) au début de l'exposition le rappelle opportunément. Le Brésil n'est lui-même qu'en dévorant les cultures des autres, en croisant les influences, et en n'établissant pas de barrière entre le populaire et l'intellectuel avant-gardiste. Aucun autre pays au monde n'a développé une culture populaire aussi riche, exigeante et diverse au XXe siècle à mon sens, mis à part peut-être les Etats-Unis. Rien d'étonnant à ce que la MPB reviennent aussi souvent sur ce blog jazzy donc.
Après l'introduction qui propose quelques morceaux-sources représentants les diverses influences (africaines, européennes et indiennes) d'avant le métissage, l'exposition entre dans le vif du sujet en se penchant sur trois styles typiquement brésiliens : le choro, la samba et le baiao. Le premier est le plus "européen" des trois, interprétation toute lustinanienne des polkas et mazurkas à la mode au XIXe siècle. C'est l'occasion d'écouter Pixinguinha, le flûtiste virtuose du genre, qui a fait du choro une sorte de "jazz brésilien" au XXe siècle.
La samba carioca, quant à elle, est le genre le plus africain, né dans les quartiers noirs de Rio où vivaient les descendants d'esclaves bahianais arrivés au début du XXe siècle. Intimement liée à la tradition du carnaval, la samba s'est peu à peu imposée à toutes les strates sociales et raciales de la société brésilienne pour devenir la musique brésilienne par excellence. L'exposition propose là aussi quelques extraits musicaux qui permettent de se faire une idée du genre à ses débuts dans les années 20-30.
La baiao (avec tilde sur le deuxième "a" normalement) est le genre roi du Nordeste, la grande région pauvre du Brésil, loin des centres de pouvoir que sont Rio et Sao Paulo. Il a été popularisé par les immenses Luiz Gonzaga (et son hymne Asa Branca) et Jackson do Pandeiro (il faut écouter l'hommage de Lenine, Jack Soul Brasileiro). Les musiques nordestines puisent aussi bien leurs racines dans les rites syncrétiques des danses des esclaves que dans la tradition des repentistas héritée des troubadours européens.
Après cette présentation des trois styles sources de la MPB, l'exposition se penche sur les moyens de sa diffusion : radio, carnaval et télévision. Ou comment des musiques régionales faites d'influences très diverses ont pu au cours du siècle former petit à petit le socle d'une culture tropicale commune.
La troisième partie de l'exposition se penche sur les rapports entre musique et politique dans la seconde moitié du XXe siècle. C'est d'abord l'époque de la bossa-nova, de la démocratie et des idées modernistes (construction de Brasilia) qui se présente à nous pour illustrer les années 50 et le début des années 60. L'influence du jazz américain, lié à l'espoir d'un développement accéléré et d'une société enfin démocratique, permet l'émergence d'une musique moins concernée par la vie politique et sociale du pays, plus hédoniste et plus poétique. C'est la grande époque de Joao Gilberto, Antonio Carlos Jobim ou encore Vinicius de Moraes.
L'avènement de la dictature en 1964 va entraîner un changement dans la culture brésilienne. Le mouvement tropicaliste qui voit alors le jour revendique sa filiation avec le manifeste anthropophage d'Oswald de Andrade et défie les militaires au pouvoir. Emprunts à la culture pop mondiale (rock, funk), aux traditions musicales régionales les plus connotées politiquement (musique des esclaves), mais aussi à la musique contemporaine d'avant-garde, valent aux leaders de ce mouvement, Caetano Veloso et Gilberto Gil, de devoir choisir l'exil après avoir connu la prison. A cette époque la censure doit donner son avis sur toute nouvelle chanson avant qu'elle ne soit éventuellement autorisée. C'est dans ce contexte que Chico Buarque joue avec les mots à double sens pour faire passer le message malgré les autorités. Il devient peu à peu le premier opposant au régime au Brésil et participe activement au mouvement démocratique qui met fin à la dictature à partir de 1984.
L'exposition s'achève sur l'exploration de la galaxie contemporaine de la MPB. On peut ainsi y voir des photos et des clips de quelques uns des principaux musiciens de la scène brésilienne actuelle : Seu Jorge, Naçao Zumbi, Mestre Ambrosio, Marisa Monte, Marcelo D2...
Au final cette exposition dresse un panorama assez complet de la MPB, de ses origines à aujourd'hui, même si je l'ai trouvé un peu courte : 20 extraits musicaux en tout et pour tout, c'est peu pour illustrer une histoire aussi riche. L'exposition sur le IIIe Reich et la musique m'avait semblé plus fournie de ce point de vue. Disons qu'il s'agit plus d'une occasion pour donner au visiteur l'envie d'aller fouiner dans les coins et recoins de la MPB par lui-même par la suite. A ce titre, le catalogue de l'exposition est un excellent complément avec des textes mêlant analyse et passion qui permettent d'en apprendre un peu plus sur la MPB.
Musique Populaire Brésilienne, Cité de la musique, jusqu'au 25 juin 2005.
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