La deuxième fois que le nom de Sylvain Rifflet est apparu sur ce blog, c'était pour saluer le premier opus de Rockingchair, le quintet qu'il co-menait avec Airelle Besson, à l'occasion d'un article sur mes disques préférés de l'année 2007. J'ai vu ce groupe à deux reprises sur scène à l'époque (mais non chroniqué - ou alors article perdu à l'occasion d'un des changements de peau de ce blog) et écoute toujours régulièrement leurs deux albums. Il réussissait pour moi, comme je le notais à l'époque, le parfait cross-over entre le jazz et une certaine approche pop, marquant quelque part la synthèse emblématique d'une scène parisienne documentée par le label Chief Inspector au cours des années 2000 (en héritage / dépassement de l'AlasNoAxis de Jim Black).
La seule fois où le nom de Bettina Kee est apparu sur ce blog précédemment, c'était à l'occasion d'un concert privé de son trio Mop en 2006, pour lequel j'avais été invité par... l'équipe de Chief Inspector. Trio piano, contrebasse, batterie dans la tradition free, avec une dette évidente envers Paul Bley... qui s'était transformé quelques années plus tard en Electric Mop pour une version aux mélodies pop assumées. Là aussi, tout l'art du cross-over typique du label.
Je ne crois pas que Vincent Taeger ait enregistré pour Chief Inspector (où en tout cas, pas sur l'un des disques que je possède), mais la seule fois où je l'ai mentionné précédemment, c'était pour un concert aux côtés de Laurent Bardainne en 2008... un autre pilier du label ! Sur disque, je l'ai surtout entendu au sein du Sacre du Tympan de Fred Pallem, autre adepte d'une approche cross-over, apparu au même moment sur le devant de la scène "jazz mais pas que".
Retrouver ces trois musiciens ensemble sur la scène du New Morning faisait donc tout à fait sens, leurs parcours et préoccupations esthétiques ayant bien des points communs. Ils jouaient principalement pour l'occasion la musique de leur récent disque, We Want Stars (Magriff, 2024). On y retrouve le goût sûr de Sylvain Rifflet pour les tourneries rythmiques obsédantes et le "beau son" du sax ou de la clarinette. Une caractéristique commune de toute sa discographie en leader pourrait en effet être cet alliage entre une approche mélodique raffinée, toujours soutenue par une attention sans faille à la qualité du son qui s'échappe de son instrument (en fan revendiqué de Stan "The Sound" Getz), et des rythmiques répétitives, qu'elles soient issues de préoccupations très contemporaines (électro) ou un peu moins (Moondog), voire beaucoup moins (le bourdon de la musique des troubadours). On retrouve tous ces éléments dans ce concert : Sylvain Rifflet dit son émotion de faire son premier "New" comme leader, citant son disque de chevet signé Stan Getz et enregistré en ce lieu ; il utilise parfois un harmonium qu'il active à l'aide d'une pédale tout en soufflant dans son sax ou sa clarinette pour renforcer la dimension hypnotique de la musique ; il reprend "Bird's Lament", le tube absolu du viking aveugle des rues new-yorkaises.
En Bettina Kee, avec ses nappes de synthés et sa bass station, et avec le drumming plein de groove de Vincent Taeger, Rifflet à trouver les compagnons idéaux pour servir son ambition de parler autant aux jambes qu'aux oreilles de ses auditeurs. L'ambiance est allée crescendo tout au long de la soirée, avec un public nombreux, dodelinant du chef ou criant son bonheur de manière de plus en plus marquée au fur et à mesure. Sur la fin du concert, le trio s'est transformé en quartet le temps d'un morceau avec le renfort de Yoann Loustalot au bugle. Très chouette soirée pour bien commencer l'année !
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