Le projet mené par Laurent Bardainne avait suscité quelques vifs débats l'année dernière lors de sa présentation dans le cadre du festival Banlieues Bleues. J'y allais donc un peu méfiant et conditionné. Le début du concert m'a donc plutôt agréablement surpris. Bardainne débute seul en piste, lente montée au saxophone, qui ne cherche pas à singer le style d'Ayler. Ca commence comme ses solos au sein de Limousine pour finir dans la fureur de son duo avec Philippe Gleizes, qui le rejoint d'ailleurs sur scène. L'arrivée de Vincent Taeger en deuxième batteur accentue la puissance qui se dégage alors de la musique. Nicolas Villebrun à la guitare et Arnaud Roulin aux claviers rejoignent à leur tour le groupe pour l'emmener vers un mur du son au rythme toujours aussi lourd, mais ralenti. On retrouve un son de groupe assez typique de ces musiciens qui fréquentent tous différents groupes issus de la galaxie Chief Inspector : jazz free, rock progressif, space pop, un cross-over moderne qui marche plutôt bien. Je me serais bien contenter de ça pour ma part.
L'arrivée du chanteur soul Dean Bowman ne me convainc pas. Belle voix certes, bon showman, mais un certain décalage se fera sentir tout au long du concert, comme si le groupe avait alors deux têtes qui ne s'entendaient pas. Les deux premiers morceaux (Music is the healing force of the universe et Truth is marching in) sont les meilleurs, sans doute en raison de la faible participation du chanteur. L'hommage - issu d'une commande - est original par le répertoire choisi : essentiellement tiré des disques rhythm'n'blues d'Ayler (New Grass et Music is the healing...), pourtant souvent décriés par les fans. Refrain habituel du dévoiement face aux forces contre-révolutionnaires que sont, au choix, le commerce, la religion ou la femme. Le traitement free-pop laisse malheureusement peu à peu la place à une relecture moins originale, accentuée par la nécessité de laisser de l'espace à un chœur composé d'élèves d'un collège de Saint-Ouen. Initiative due aux habituelles actions musicales de Banlieues Bleues, qu'on a connu plus heureuses.
Si la première partie est allée decrescendo du point de vue de l'intérêt, la seconde a connu le processus inverse. J'avais déjà pu voir Spiritual Unity il y a trois ans dans le cadre - encore - de Banlieues Bleues. Le constat n'a pas beaucoup changé. Le résultat est assez inégal. Ribot propose des passages enthousiasmants, variant avec délices les sonorités de sa guitare, mais le groupe manque parfois de cohésion et Roy Campbell à la trompette ne semble pas y mettre beaucoup de bonne volonté. Henry Grimes, dont la réapparition dans les années 2000 après trente années loin des scènes a donné l'idée à Ribot de monter ce groupe, est rentré progressivement dans le vif du sujet. Après un départ un peu laborieux, il a proposé d'intéressants développements à l'archet comme en pizz'. Chad Taylor, issu de la scène post-rock de Chicago, ne m'a pas vraiment marqué, ni en bien ni en mal... J'aime beaucoup Ribot sur le répertoire de Ayler, mais je le préfère en fait en solo (écoutez ces disques Don't Blame Me et Saints) ou avec Shrek (formidable version de Change has come sur Yo! I killed your God).
Avis partagé - je n'étais pas le seul - après cette soirée peut-être bien problématique dès son intitulé. Comment rendre un hommage à l'une des figures les plus marquantes du free jazz sans aller contre la nature même de sa musique ? En allant puiser dans les à-côtés de son répertoire pour Bardainne, en faisant entendre ses propres conceptions musicales pour Ribot. Deux réponses acceptables, mais qui, pour la deuxième, marcherait sans doute mieux avec un entourage différent (sans entourage ?).
A lire ailleurs: Bladsurb y était aussi, mais je ne l'ai pas croisé. Voir aussi sur Jazz à Paris (et la suite).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire