The Necks @ La Dynamo, Pantin, jeudi 20 mars 2014
Cela fait longtemps que leur nom apparaît régulièrement dans la presse anglo-saxonne dédiée aux musiques aventureuses (The Wire, Signal to Noise...). J'allais donc avec une certaine curiosité à ce rare concert parisien du trio australien, formé en 1987, sans n'avoir jamais rien entendu de leur part. La forme ne surprend pas - deux morceaux d'une heure chacun - quand on sait que tous leurs disques et concerts sont construits de la même façon, autour de motifs répétitifs déployés sur une longue durée. Mais de la théorie à la pratique, on découvre que si cela fait vingt-cinq ans qu'ils n'ont pas changé de formule, les deux simples exemples proposés ce soir-là ont eu sur moi un effet diamétralement opposé. En effet, à la pause, après le premier morceau j'ai hésité à quitter la salle. Après le second, je me suis finalement félicité de leur avoir laissé une deuxième chance. Le premier set m'est ainsi apparu particulièrement soporifique, avec des phrases naïves de Chris Abrahams au piano répétées à l'envi, sans jamais que n'en émerge la moindre petite aspérité qui accrocherait l'attention. Tony Buck à la batterie n'intervenait que de manière très parcimonieuse, coloriste minimaliste, ajoutant quelques virgules de-ci de-là au discours du pianiste, et évitant surtout toute dynamique rythmique qui aurait pu donner un peu d'allant au morceau. Lloyd Swanton, enfin, promenait sa contrebasse d'une manière qui semblait si peu articulée avec les interventions de ses acolytes, que cela finissait de saper tous les repères auxquels on aurait pu s'accrocher pour tenter de suivre avec intérêt la prestation du trio. A l'inverse, le second set réussissait, par l'effet d'un groove inéluctable construit patiemment, à transformer des éléments semblables à ceux de la première partie en tournerie rythmique entêtante. Ce qui leur faisait défaut au début avait en fait pour nom densité. Plus présents les uns aux autres, avec un son plus fourni (archet vrombissant de Lloyd Swanton, foisonnement rythmique de Tony Buck), ils justifiaient enfin les louanges lues auparavant et qui m'avaient conduit dans la salle ce soir-là. Toujours minimaliste, loin de tout effet accrocheur, le lent crescendo rythmique qui émergeait de leurs phrases entêtées avait un indéniable pouvoir hypnotique qui transformait les somnolences du premier set en un délicieux abandon de soi à la musique. Envoûtant.
Surnatural Orchestra - Profondo Rosso @ Maison de la Musique, Nanterre, dimanche 23 mars 2014
Le festival déborde du 9-3 pour faire une halte à deux pas de chez moi en ce dimanche après-midi. Au programme, ciné-concert avec Profondo Rosso (Les frissons de l'angoisse en v.f.) de Dario Argento remis en musique par le Surnat'. Chef d’œuvre du giallo, sorte de blaxploitation à l'italienne mêlant enquêtes policières et épouvante, il est profondément rouge par le sang versé à l'écran comme par son époque marquée par la violence politique. Cela transparaît clairement dans cette version "commentée" où, au-delà de la musique proposée, les principaux dialogues laissés à entendre et les interventions extra-filmiques du comédien Hanno Baumfelder ont un contenu fortement politique. Ce dernier, avec une habileté comique remarquable, fait passer, l'air de rien, tout le contexte idéologique de l'époque - celle de l'assassinat de Pasolini la même année, 1975, que la sortie de ce film - par ses interventions. Les tensions du scénario et de l'époque portent l'orchestre à incandescence à bien des moments, avec des airs de fanfare free, entre le Liberation Music Orchestra de Charlie Haden et Carla Bley et les maîtres italiens de la musique de film, Ennio Morricone en tête (mais revue par une génération biberonnée à sa relecture par John Zorn). L'enquête policière avance ainsi au rythme effréné d'une partition particulièrement dynamique qui ne cherche pas à appuyer ce qu'il y a à l'image, mais bien à proposer un autre niveau de lecture au film. Et c'est franchement réussi.
Tomeka Reid Quartet / Charles Tolliver's Music Inc. @ Salle Pablo Neruda, Bobigny, vendredi 4 avril 2014
La première partie de ce concert devait accueillir l'Ice Crystal Quartet de Nicole Mitchell, auteur d'un magnifique disque qui figurait dans mon top 10 de l'année dernière. Malheureusement, la flutiste chicagoane a dû annuler sa venue au festival pour des raisons personnelles. Le programme n'a toutefois pas été complètement chamboulé puisque les trois musiciens qui devaient l'entourer sont venus, accompagnés par une autre musicienne originaire de la Windy City, habituée du répertoire de la flutiste, la violoncelliste Tomeka Reid. Sur un répertoire composé par les quatre membres du quartet, débuté par deux compositions de la grande absente de la soirée, ce groupe inédit a proposé une performance éblouissante, pleine de vie, de couleurs, de dynamisme. Il faut dire que, si sous cette forme, leur association est à ma connaissance inédite, les quatre membres de ce quartet éphémère se sont déjà côtoyés, par exemple au sein du nonet Living by Lanterns vu l'année dernière au Quai Branly. Jason Adasiewicz (vibraphone), Joshua Abrams (contrebasse) et Tomas Fujiwara (batterie) sont ainsi des maîtres dans leur manière de donner beaucoup de relief à des compositions chatoyantes, sur lesquelles chacun peut briller, par quelques intenses solos mais surtout par une dynamique orchestrale d'ensemble admirable pour une petite formation. Jason Adasiewicz m'impressionne particulièrement, arrivant à me faire oublier mes habituelles réticences face au vibraphone. Avec lui, l'instrument devient un terrain de jeu aux sonorités enchanteresses, aussi bien dans des passages rythmiques extrêmement denses que dans des développements oniriques qui se marient à merveilles aux délicats accents blues du violoncelle de Tomeka Reid. Tomas Fujiwara, habituel complice de Taylor Ho Bynum ou Mary Halvorson, s'immisce parfaitement dans cette réunion de chicagoans, promenant son habituelle et subtile classe rythmique au cours de compositions variées, mais toutes marquées par un sens appuyé de la narration dynamique. On ressort de leur performance plein d'allégresse, un peu moins déçu du forfait de Nicole Mitchell.
La seconde partie de la soirée voyait Charles Tolliver, trompettiste aperçu lors du dernier concert parisien d'Andrew Hill, à la tête d'une version rajeunie de son groupe Music Inc., formé à la fin des années 60. Le répertoire de ce groupe mêle un jazz issu du hard bop et des développements modaux de l'époque à une approche rythmique plus directement héritée de la soul et du funk. Charles Tolliver déploie ainsi de puissantes phrases pour démarrer tous les morceaux de la soirée avant de laisser beaucoup de place à ses sidemen. Le pianiste Theo Hill évoque McCoy Tyner dans ses enchaînements d'accords dynamiques quand le guitariste Bruce Edwards promène son goût pour le rhythm'n'blues au cours de longs développements soutenus par la paire rythmique formée de Gene Jackson (dms) et Devin Starks (cb). Tous les morceaux se ressemblent un peu, avec des interventions du trompettiste en ouverture et en clôture, et un jeu puissant sans interruption de ses acolytes. Cela manque de respiration. On a l'impression de courir un sprint sur la durée d'un semi-marathon, ce qui finit par être épuisant. Si, sur le papier, l'esthétique proposée pouvait paraître alléchante, son exécution stéréoïdée gâche le plaisir. On préfère alors rester sur le souvenir de la première partie, l'un des plus beaux concerts de ce début d'année 2014.
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