Le jeune pianiste allemand se présentait seul sur la scène du Théâtre des Abbesses samedi après-midi. J'avais déjà eu l'occasion de l'entendre en duo avec Heinz Sauer lors d'un concert marquant de 2006 ainsi qu'en trio avec son groupe [em] en 2007. Pour cette troisième rencontre en autant d'années, Michael Wollny a proposé une plongée évocatrice dans ses territoires intérieurs.
Il commence le concert par une longue improvisation, qu'il intitule sobrement "Théâtre des Abbesses". La musique se déploie à partir de motifs répétés qui lui donnent une dimension liquide. Les notes serrées, égrenées avec vitesse, forment comme un tapis mouvant à partir duquel le pianiste étire ses improvisations. Le climat dégagé est sombre, un brin mélancolique, un rien inquiétant. Les territoires explorés évoquent les toiles de Caspar David Friedrich. Wollny revendique l'héritage romantique allemand. Il dédie d'ailleurs le rappel à l'une de ses références, Franz Schubert. L'ajout progressif de bruitages et samples par un ingénieur du son en coulisse accentue la dimension introspective. On parcourt ainsi un monde accidenté, où d'étranges échos se répondent au-delà de l'action humaine sur les touches du piano. Les frottements sur les cordes amplifient de grondements les notes obsessionnellement répétées. L'impression de s'aventurer dans un monde englouti - d'où pourrait surgir une cathédrale - relie alors Michael Wollny à toute une tradition pianistique qui trouve ses sources bien au-delà du jazz.
C'est dans ce contexte que trouve tout naturellement sa place une relecture dépouillée d'un thème de Björk, Joga. Originellement hurlée contre les forces de la nature par la chanteuse islandaise, la mélodie se retrouve désossée, ballotée par des vents inamicaux, pour ne ressurgir rassemblée dans une économie toute minimaliste qu'à la fin du morceau.
Les titres des disques publiés jusqu'ici par Wollny résument parfaitement l'idée véhiculée par sa musique : Melancholia et Certain Beauty s'intitulaient ses collaborations avec Heinz Sauer ; Hexentanz (danse de sorcières) son recueil solitaire. Sensible sans être sentimentale, elle a surtout le mérite d'explorer des terres encore relativement vierges du jazz contemporain.
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