Dans le cadre du festival Jazz à la Villette, William Parker donnait hier soir à entendre son projet autour de la musique du fameux soulman au Cabaret Sauvage. Son groupe avait des intérêts multiples : la présence, (presque) toujours enthousiasmante, de LA paire rythmique William Parker / Hamid Drake, celle de la chanteuse soul Leena Conquest qu'on a déjà pu apprécier avec le contrebassiste sur le bel album Raining on the Moon (Thirsty Ear, 2002), l'évènement de la venue d'Amiri Baraka ou encore celle, moins médiatique mais tout aussi importante pour moi, du pianiste Dave Burrell. Je ne savais à vrai dire pas trop ce qu'il était devenu depuis ses enregistrements, notamment avec Shepp, des années 60-70, et c'était une excellente surprise de pouvoir entendre son jeu à mi-chemin du free et des musiques racines de l'expression afro-américaine en concert. A côté de ces éminentes figures, le groupe était complété par Lewis Barnes à la trompette et Darryl Foster aux saxophones ténor et soprano.
Le nom du projet est assez explicite : en revisitant quelques chansons de Curtis Mayfield, et en les agrémentant de développements inédits, William Parker et son groupe cherchent à en extraire la substantifique moelle, politique et poétique. La présence d'Amiri Baraka, qui intercale ses textes dans les chansons du soulman, relie cette ambition à une tradition littéraire qui marie pamphlet et poésie. Son réquisitoire puissant contre les exactions des conservateurs au cours de l'histoire américaine, soutenu pendant une bonne dizaine de minutes par une rythmique entêtante, trouvait ainsi plus sa force dans la beauté de la langue, dans son rythme, que dans le fond en lui-même, sur lequel on pourrait discuter et nuancer pendant des heures. Mais c'est là la force du pamphlet sur l'argumentation laborieuse. Amiri Baraka est assez étonnant à voir en chair et en os d'ailleurs. D'allure chétive, voûté et plus tout jeune, il semble se redresser à l'aide de sa voix assurée, avec toujours une sorte de sourire ironique en coin. Ses mots claquent avec une violence non dissimulée et une puissance déclamatoire qui contraste avec son apparence physique.
J'aime particulièrement l'association de William Parker et Hamid Drake quand ils regardent vers leurs racines. Ces héros de la free music en tirent toujours un magnifique prétexte où se conjuguent élans libertaires et attachement au groove. Ils ont hier soir fait, à plusieurs reprises, étalement de leur talent en la matière. Un passage, notamment, trouvait quasiment des accents de beats de house music. Mais, du côté des instrumentistes, c'est surtout le jeu de Dave Burrell - et particulièrement son très beau solo en début de concert - qui a retenu mon attention. Élément sans doute le plus free du groupe hier soir, il développait des successions d'accords blues et soul qui s'enchaînaient dans un fracas percussif très expressif, à l'instar de ce qu'il faisait sur l'indépassable Blasé de Shepp à la fin des années 60.
Le répertoire choisi pour l'occasion reprenait des chansons parmi les plus connues de Curtis Mayfield : Pusherman, Move On Up, People Get Ready, Give Me Your Love... Pas vraiment de surprise de ce côté là. L'originalité tenait plus à l'interprétation, dont la partie la plus fidèle à l'originale était confiée aux cuivres, avec parfois Leena Conquest en support vocal - mais qui souvent suggérait plus qu'elle ne chantait réellement les paroles. C'était d'ailleurs assez amusant d'écouter le contraste entre la voix chaude et grave de la chanteuse et celle particulièrement aigüe qui a fait la réputation de Mayfield. Comme un inversement des rôles autour d'une confusion des genres. L'interpénétration des paroles de Curtis Mayfield et des textes d'Amiri Baraka permettait finalement de sortir du simple hommage en rendant véritablement présent le message, si ce n'est l'âme, du soulman. Belle réussite.
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