Grand moment hier soir au Sunside pour le concert de ce trio américano-franco-suisse inédit. S'ils avaient tous déjà joué ensemble deux par deux dans différents groupes, cette réunion à trois était une première. Sans longue préparation à l'avance ni même véritable répétition, Tony Malaby n'étant à Paris que pour deux jours, ces trois experts ès son nous ont offert une leçon d'improvisation créative comme on en entend rarement.
Bien sûr, un trio sax-guitare-batterie avec Marc Ducret fait penser à Big Satan. Pourtant, si nous sommes dans des univers voisins, il n'y a pas identité d'approche ni de son de la part de ces deux trios. L'écriture est une donnée centrale de Big Satan, alors qu'hier les musiciens proposaient leurs recherches en direct. On les sentait constamment à l'affut du moment où ça allait décoller. Et quand c'était le cas, ça l'était vraiment et ils ne lâchaient alors plus leur inspiration autant collective qu'individuelle. Les moments de relâche furent donc rares. En deux sets composés de longues coulées incandescentes, alternant les phases de tension et de répit, le trio semblait sculpter son œuvre sous nos yeux. Humair, puissant sans jamais être violent. Ducret, percussif et heurté avec toujours une sorte d'énergie retenue. Malaby, extatique et véhément avec ce qu'il faut de mélodies enfantines. Ils semblaient tous se situer dans le registre d'une force contrôlée, ne cédant pas aux facilités du jeu totalement explosé.
Ce qui ne trompait pas c'était l'attitude physique des musiciens, qu'ils jouent où qu'ils laissent leurs camarades s'exprimer. Les yeux de Tony Malaby ont bien failli sortir plus d'une fois de leurs orbites. Daniel Humair, les yeux constamment mi-clos, avait des allures de gros chat ronronnant de plaisir en faisant gronder ses toms. Quant à Marc Ducret, son corps élastique se faisait constamment l'écho des soubresauts de sa guitare.
L'étendue de la palette sonore de Malaby au ténor a encore fait des merveilles, de puissantes poussées aux confins des textures d'un baryton à d'aiguisées saillies proches des sonorités d'un soprano. Il a un engagement de tous les instants, qu'il cherche à exploser le mur du son autorisé par un saxophone ou qu'il brise ses excursions free par des cellules mélodiques toutes simples. Même quand il se recule pour laisser Ducret et Humair dialoguer, il semble entièrement pris dans la musique - et participer à l'élaboration de celle-ci.
La complémentarité rythmique entre les deux Européens est elle aussi un élément à noter. On savait Ducret fin rythmicien, il l'a démontré dans une ampleur hors du commun hier soir. Difficile, au final, d'imaginer musique improvisée plus riche, plus belle et plus maîtrisée que celle qu'on a eu la chance d'entendre avec ce trio.
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