jeudi 15 juin 2006

Bit20 Ensemble @ Radio France, vendredi 9 juin 2006

Du 1er au 17 juin, l'IRCAM organise son désormais traditionnel festival Agora. J'ai assisté pour l'occasion au concert du Bit20 Ensemble norvégien, dirigé par Pierre-André Valade, sur le thème "Du côté du miroir". Etaient présentées des oeuvres de Philippe Hurel, Asbjorn Schaathun et Philippe Leroux. Les Trois études mécaniques de Philippe Hurel se distinguent par un caractère rythmique très prononcé, quasi obsessionnel, cherchant en cela à reproduire un son mécanique. Le son obtenu par l'ensemble de dix-huit musiciens n'est pas sans évoquer par moment les recherches rythmiques de Steve Coleman ou d'Aka Moon, notamment dans la troisième étude. Le Double portrait d'Asbjorn Schaathun présente lui une sorte de dialogue entre un violon solo et de l'informatique musicale en temps réel, soutenu et amplifié par un ensemble de 24 musiciens. Là aussi on retrouve une forme cyclique, mais moins axée sur la répétition rythmique que sur le retour de phrases au détour de variations. On entre dans une sorte de tourbillon lent, qui n'est pas sans évoquer, d'après le compositeur, le cycle de la vie, ou en tout cas celui d'une journée. Après l'entracte, ce sont deux compositions de Philippe Leroux qui se sont succédées. D'abord Voi(rex), puis Apocalypsis, une sorte de variation sur la précédente. Ces deux oeuvres se distinguent par l'utilisation de la voix, avec une soprano chantant des poèmes de Lin Delpierre dans la première, et quatre chanteurs (deux soprano, une mezzo-soprano et un baryton) dans la deuxième. La première oeuvre propose un format resserré autour de la chanteuse, juste accompagnée par un sextuor augmenté d'un dispositif électronique. La seconde est plus fournie du point de vue instrumental. La musique semble souligner, autant par ce qu'elle dit que par ses ellipses, l'écriture, dans son sens comme dans sa calligraphie. D'ailleurs les chanteurs tracent parfois dans l'air avec la main des lettres, comme pour accentuer l'interpénétration du texte et de la musique dans toutes leurs dimensions. Intéressante confrontation avec des univers peu familiers.

Claudia Solal & Benjamin Moussay / Elise Caron, Jean-Rémy Guédon & Ensemble Archimusic @ L'Européen, jeudi 8 juin 2006

Dans le cadre d'un festival organisé par "Le Chant du Monde" autour du chant, se produisaient jeudi deux formidables chanteuses, qui se promènent hors des sentiers battus, ni tout à fait jazz, ni tout à fait étrangères à cet univers. En première partie, Claudia Solal, fille du grand Martial, était en duo avec le pianiste Benjamin Moussay, qui jouait autant du piano que des claviers électriques et des machines électroniques. Benjamin Moussay apparaît ici dans un rôle d'accompagnateur, pour mettre en valeur la voix de Claudia. Il ne développe que peu de longues phrases, préférant jouer sur les atmosphères et l'installation d'ambiances à partir de différents bruits (pincement des cordes du piano, éléments électroniques, courtes phrases répétitives au piano). Sur cet élément en perpétuelle évolution rythmique, Claudia Solal chante essentiellement dans la langue de Shakespeare, à qui elle emprunte d'ailleurs un extrait de Richard III magnifiquement mis en musique par le duo. Des poèmes d'Emily Dickinson servent également de prétexte à Claudia pour transmettre ses émotions intérieures à l'aide de sa voix d'une grande pureté, y compris dans les passages qui peuvent sembler les moins contrôlés, où la parole se fait moins articulée. Claudia joue en effet autant sur le sens que sur le son des mots, ce qui devrait, il est vrai, être le lot de toute chanteuse digne de ce nom, mais qui n'est en fait pas si fréquent. Et si son langage est jazz, comme en témoigne une incursion en terres monkiennes par exemple, il s'apparente peut-être plus à l'utilisation de la voix qu'on peut trouver en musique contemporaine. Ce qui me plait d'ailleurs beaucoup plus, moi qui ne suis pas un fan de jazz vocal mainstream.

La présence d'Elise Caron en deuxième partie était tout à fait justifiée, elle qui a ouvert en quelques sortes le chemin musical sur lequel s'aventure aujourd'hui Claudia Solal. Pour l'occasion, Elise était accompagné par le groupe Archimusic du saxophoniste Jean-Rémy Guédon pour le projet "Sade Songs" - la mise en musique de textes du Divin Marquis. Le projet peut paraître assez étrange au premier abord : la réputation du Marquis, son écriture en prose, la densité de son oeuvre ne le prédisposent pas à se voir mis en boîte de la sorte, serait-ce en une belle boîte à musique. Pourtant, ça fonctionne très bien : par le choix des textes - essentiellement philosophiques, avec juste une courte incursion dans les Supplices ; par la musique composée par Jean-Rémy Guédon - un quartet jazz et un quatuor à vents se mêlent et s'entremêlent ; et bien évidemment par la qualité de la diction d'Elise Caron qui arrive à communiquer le sens des textes, tout en les chantant réellement, et non en les récitant. Bien entendu, une première écoute live, sans pré-écoute du disque, n'est peut-être pas idéale pour appréhender toute la richesse du texte et de la musique. On en perd nécessairement une partie signifiante. Mais cela permet aussi de mieux "comprendre" comment l'ensemble monté par Jean-Rémy Guédon fonctionne, pour mieux se plonger par la suite dans le texte à travers l'objet disque. Outre le leader au saxophone, on retrouve Nicolas Genest à la trompette, Yves Rousseau à la contrebasse et Thomas Grimmonprez à la batterie. Le quartet jazz était augmenté de quatre vents venus du classique : hautbois, clarinette, basson et clarinette basse, qui permettaient des variations d'atmosphère bienvenues et surtout parfaitement articulées. La rage des cuivres jazz répondait ainsi à merveille à la douceur du langage boisé des vents, comme un parfait prolongement du texte du Marquis de Sade. Un projet ambitieux vraiment bien mené.

lundi 5 juin 2006

Joëlle Léandre & François Houle @ Les 7 Lézards, samedi 3 juin 2006

J'avais au départ prévu d'aller au concert d'Itaru Oki à la Maison de la Culture du Japon, mais le superbe match de Paul-Henri Mathieu contre Rafael Nadal en a décidé autrement. J'ai donc dû me réorienter vers un concert à l'horaire plus adéquat (22h) et ai donc atterri aux 7 Lézards pour un duo entre le clarinettiste canadien et la toujours réjouissante contrebassiste française. Je ne sais pas ce qu'a donné le concert nippon, mais je ne regrette pas ce changement de programme. En l'espace d'1h30, les deux musiciens nous ont donné une leçon de musique et de musicalité, au service d'une grande liberté d'esprit, bien loin des clichés du free. François Houle avait deux clarinettes, dont l'une bouchée. Il les démontait parfois pour ne jouer qu'avec la moitié haute ou la moitié basse, voir sans le pavillon ou sans le bec. Pourtant, il ne faudrait pas voir là le fruit d'une démarche excessivement bruitiste. Le jeu de mécano autour de ses clarinettes permettait surtout de varier les sonorités, parfois proches de celles d'une flûte de roseau orientale, à d'autres moments tirant plus vers les cuivres bouchés. Joëlle Léandre, quant à elle, n'était pas non plus dans l'aspect le plus destructuré de son jeu. Elle inventait des phrases, à l'archet ou en pizzicatti, qui cherchaient un contraste permanent avec le jeu du clarinettiste. Des graves profondément émotionnels quand François Houle se faisait espiègle, un ludisme pointilliste quand le Canadien jouait sur le souffle long et les modulations de celui-ci offertes par ses instruments, d'amples et belles mélodies quand son complice d'un soir se faisait rythmicien, et inversement. Les deux musiciens nous ont aussi chacun gratifié d'un solo au cours du concert, où ils construisaient point après point leur discours, cherchant leur inspiration au-delà des schémas pré-établis. Deux rappels, dont l'un typique de Joëlle Léandre avec force chant lyrico-ludique allant jusqu'à faire rire gaiment François Houle, ont conclu cette belle soirée. Pas la première fois que je voyais Joëlle Léandre, mais sans doute l'une des plus belles prestations de sa part à laquelle j'ai assisté.

NHOG / Attracteurs Etranges @ Théâtre de l'Ogresse, vendredi 2 juin 2006

L'association Sophie aime, fondée autour des musiciens du Bruit du [sign], organisait du 1er au 4 juin un mini-festival destiné à présenter quelques groupes "coup de coeur" du collectif. J'y suis allé le vendredi soir pour les concerts de NHOG et des Attracteurs Etranges, deux trios aux esthétiques assez éloignées, mais à la belle musicalité. En première partie, NHOG proposait un ensemble clarinettes / guitare / contrebasse avec, respectivement, Nicolas Naudet, Stéphane Hoareau et Théo Girard. Une musique qui n'était pas à proprement parlée jazz, même si pas totalement éloignée d'une certaine esthétique européenne abreuvée de musiques traditionnelles recrées librement. L'absence d'élément percussif dans le trio donne à entendre une musique basée sur le susurrement et la mise en avant de la mélodie, souvent aux couleurs méditerranéennes. On se laisse facilement bercer par la douceur du voyage proposé par trois musiciens conscients des alliages de timbres chaleureux que proposent leurs instruments. Ils ont un site sur lequel on peut écouter quelques morceaux.

La seconde partie était l'oeuvre d'un groupe que j'avais envie d'entendre depuis quelques mois. Composé de Sylvain Cathala (Print) au sax ténor, Sarah Murcia (Magic Malik, Caroline) à la contrebasse et Christophe Lavergne (Thôt) à la batterie, il propose une musique plus nerveuse que leurs prédécesseurs, bien ancrée dans l'esthétique m-baso-haskienne. La particularité du groupe, au sein de cette tendance essentielle du jazz contemporain, tient sans doute à l'attachement de la section rythmique à l'élément chantant. Sylvain Cathala laisse ainsi souvent ses deux acolytes dialogués seuls, dans des passages bien loin de se contenter d'une démonstration de maîtrise rythmique. Le drumming coloriste de Christophe Lavergne seconde parfaitement les lignes de basse souples et chantantes de Sarah Murcia, particulièrement dans son élément dans ce groupe à la dimension réduite. Ce à quoi on ne fait pas forcément attention quand elle accompagne Magic Malik ou, plus récemment, Steve Coleman, prend ici une toute autre dimension, qui nous rappelle que son univers ne se limite pas au langage jazz et qu'elle collabore souvent avec des artistes plus attachés au format chanson. Quand il empoigne son saxophone, Sylvain Cathala introduit une dose d'énergie qui semble avancer inéluctablement, comme pour donner une nouvelle dimension, à travers plus de profondeur, à la musique du groupe. Dans de longues plages brûlantes, il laisse entrevoir l'influence de Steve Coleman, mais adaptée à un contexte rythmique différent. Un groupe à aller voir et/ou revoir.

Alexandra Grimal Trio @ La Fontaine, vendredi 26 mai 2006

Un mois après l'avoir vue en quartet acoustique, je suis retourné à la Fontaine pour une prestation de la jeune saxophoniste en trio plus électrique. Elle était pour l'occasion accompagnée par Antonin Rayon au clavinet et à l'orgue Hammond et Emmanuel Scarpa à la batterie. Le premier est un partenaire régulier de Marc Ducret et le second un batteur issu de l'esthétique du Hask, comme en témoignent les deux concerts de Thôt Twin, auquel il participe, déjà vus. Changement assez radical d'optique musicale pour Alexandra Grimal, ce qui est pour le moins plaisant. D'après le programmateur, c'était la première fois qu'ils jouaient ensemble (le concert était initialement prévu avec Jozef Dumoulin et Dré Pallemaerts, visiblement indisponibles). Et pourtant, pas grand chose ne le laissait penser. Si on sentait bien les regards chercheurs et l'écoute attentive du jeu des deux autres chez chacun des musiciens, le résultat était lui très concluant. Comme lors du concert précédent, Alexandra ne jouait que du soprano, parfois de manière très mélodique, profondément lyrique, à d'autres moments par très légères touches sonores ponctuant le magma électrique de ses compagnons. Une approche minimaliste que j'appréciais d'autant mieux que j'étais assis à quelques centimètres de la saxophoniste. C'était par ailleurs la première fois que je voyais Antonin Rayon, et lui aussi a mis du sien dans la réussite du concert. Il arrive à développer sur les claviers un langage qui n'est ni trop marqué par les 70s, ni par les développements les plus habituels de l'électro-jazz de ces dernières années. Ce qu'il y avait ainsi de vraiment intéressant, au-delà de la qualité intrinsèque des musiciens, c'était l'originalité de la musique, peu référencée, sortant des chemins esthétiques tout tracés. Et la confirmation qu'on tient, avec Alexandra Grimal, une musicienne dont on reparlera souvent.