Tombé par hasard sur le programme du Saint-Mandé Classic-Jazz Festival (21-24 novembre) il y a quelques jours, je me suis laissé tenter par une affiche alliant découverte et valeurs sûres. Le concert avait lieu hier au Cresco, un nouveau lieu, ouvert en 2019, plus petit qu'un théâtre de banlieue classique, mais plus comfortable qu'une salle parisienne historique. La soirée commençait par un quintet issu du conservatoire local, soit deux professeurs (piano, batterie) et trois élèves (trompette, guitare, contrebasse). Ils ont joué deux compositions, la première de Pat Metheny, la seconde de Jon Cohwerd (le pianiste du Brian Blade's Fellowship). Un choix en soi intéressant, plus audacieux que d'aller puiser dans le répertoire des standards, et ils s'en sont tout à fait bien tirés.
J'ai découvert Lea Maria Fries en juillet dernier, comme invitée du trio de Macha Gharibian lors d'un concert au Parc Floral (non chroniqué). Elle intervenait alors plus comme support que comme voix soliste, mais j'ai poussé la curiosité jusqu'à aller écouter quelques morceaux disponibles sur Bandcamp, en quartet, comme en duo, et j'ai été assez séduit par son approche hybride, ni tout à fait jazz, ni tout à fait autre chose. La chanteuse mêle l'électrique (la basse de Julien Herné) et l'acoustique (le piano de Gauthier Toux), les harmonies jazz et le phrasé rock, la douceur mélodique et la puissance rythmique (Antoine Paganotti à la batterie) à travers ses chansons, pour la plupart en anglais, à part une dans sa langue natale, le suisse-allemand. Par certaines aspects, sa musique s'apparente à une version actualisée du trip-hop des 90s, genre hybride par excellence, avec néanmoins un ancrage plus explicite dans un langage jazz. Le répertoire proposé hier soir puisait visiblement dans celui d'un disque à paraître l'année prochaine, qui devrait pouvoir séduire au-delà des cercles confidentiels du jazz contemporain. Sa présence scènique est assez captivante, et renforce le pouvoir de séduction de ses chansons. Une bien belle découverte.
Le nom d'Emile Parisien est assez central sur la scène jazz hexagonale, et pourtant je crois bien que ça faisait vingt ans que je ne l'avais pas vu sur scène (un concert d'un quartet mené par Rémi Vignolo au Duc des Lombards en 2003 ou 2004 si mes souvenirs sont bons). Quant à Roberto Negro, cela faisait tout juste dix ans. Je les ai donc plus suivis sur support discographique qu'en concert ces dernières années. Leur récent disque commun, Les Métanuits (ACT Music, 2023), est une vraie réussite, et c'est donc avec un fort intérêt que je venais les écouter sur ce répertoire, libre réinterprétation du premier quatuor à cordes de György Ligeti, Métamorphoses nocturnes (1953-54). On reconnaît d'emblée le thème minimaliste où pointe l'inspiration du folklore hongrois, plus exacerbé encore par le son du saxophone soprano que dans la version originale. A partir de là, les influences à la fois modernistes et traditionnelles du jeune Ligeti d'avant l'exil viennois, se retrouvent avalées, malaxées puis complètement assimilées dans des traits caractéristiques au langage de Parisien et Negro. Le saxophoniste a en effet développé un phrasé sinueux très caractéristique, à la puissance mélodique entraînante, presque dansant par moment, définitivement envoûtant, qui fait merveille sur ce répertoire. Son compagnon pianiste exploite l'ensemble du champ des possibles offert par son instrument : clusters puissants, rythmique minimaliste obsédante, grattage de cordes bruitiste, préparation cotonneuse ou simples exposition naïve de la mélodie. C'est constamment renouvelé, tout en gardant de-ci de-là des repères issus de la partition originale qui permettent de s'y retrouver. En introduction du concert, Roberto Negro avait indiqué qu'en raison des improvisations qu'ils ajoutaient à la partition, le spectacle durerait 4h30... il n'en fût rien, mais l'heure qu'a quand même duré leur set (contre une vingtaine de minutes pour la pièce de Ligeti) est passée à toute vitesse.
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