Pour cette deuxième soirée, je ne me contente pas du concert de 21h30 dans l’amphithéâtre en plein air, mais prends également une place pour celui de 18h30 dans un des auditoriums de la fondation. Petite surprise, celui-ci est bien rempli pour assister à un duo de percussions ! Est-ce le nom de Joey Baron qui suffit à déplacer les foules ? Pour l’occasion le génial batteur dialogue avec Robyn Schulkowsky, issue de la musique contemporaine. Qui dit duo de percussionnistes ne dit cependant pas nécessairement pyrotechnie démonstrative. Les deux musiciens entament ainsi leur dialogue dans la retenue, à mains nues sur les toms (batterie, bongos, et quelques petits gongs pour lui, timpani, congas, cymbales, divers gongs pour elle). On sait, pour l’avoir vu plusieurs fois à l’œuvre dans cet exercice au sein de concerts de Masada, combien Joey Baron est enthousiasmant dans ce registre, vrai mélodiste des peaux, capable de toutes les nuances. Sa compagne d’un soir est dans le même état d’esprit, et le concert commence ainsi sous les meilleures auspices. Par la suite, ils élargiront leur registre d’interventions, balais, baguettes, mailloches pour Baron, essentiellement mailloches pour Schulkowsky, privilégiant continuellement l’écoute de l’autre et la retenue. Robyn Schulkowsky dédicace ainsi l’une de leurs interventions à Rosa Parks, exemple de résistance tranquille (le morceau s’intitule « Quiet resistance »). Il ne s’agit pas ici de revendiquer avec fureur sa colère, mais de faire l’éloge d’une force mentale capable de se dresser sereinement face à l’injustice. La musique qui sous-tend l’hommage est à l’avenant, simple, pure, douce mais très loin du « prêt à écouter » des beats globalisés. Sur la fin, Joey Baron développe brièvement un langage plus ostensiblement jazz, Robyn Schulkowsky se prête au jeu, ravie d’explorer des modes qu’elle ne fréquente pas habituellement. Et tous les deux arborent continuellement un grand sourire tout au long de leur performance qui en dit long sur leur plaisir à partager cette petite heure sur scène.
A 21h30, dans l’amphithéâtre des jardins de la fondation, on retrouve aussi deux percussionnistes. Tomas Fujiwara est accompagné par Gerald Cleaver au sein de son Triple Double, sextet associant deux trios à l’instrumentation similaire : trompette/cornet, guitare, batterie. Ralph Alessi et Taylor Ho Bynum se partagent les cuivres et Mary Halvorson et Brandon Seabrook les cordes. C’est la deuxième fois que je vois le groupe sur scène après Wels en 2017, et mon enthousiasme n’a en rien décru depuis lors, bien au contraire. Cette musique est extraordinaire de bout en bout : grande lisibilité des morceaux (peut-être aidée par deux ans d’écoute répétée du disque du groupe) dont les mélodies simples semblent avancer toutes seules, musicalité extrême de chaque intervention, en solo, en duo, en trio ou à tutti, véritable travail d’arrangement pour maintenir constamment l’attention au plus haut grâce à des combinaisons instrumentales différentes, et large place laissée à l’improvisation pour étirer au maximum le plaisir - mais jamais au détriment de la cohérence d’ensemble. Il y aurait de nombreux passages à mettre en lumière, mais l’un de ceux qui résument le mieux la démarche est sans doute le morceau du rappel : alors que les deux batteurs maintiennent un rythme obsédant, les quatre autres se relaient pour assurer le discours. Celui-ci semble ainsi rebondir de droite à gauche de la scène : d’abord Brandon Seabrook, puis Taylor Ho Bynum, puis Ralph Alessi, et enfin Mary Halvorson, et on repart sur Seabrook. Au premier tour, les solos sont développés dans la durée, puis se raccourcissent au fur et à mesure, tour après tour, jusqu’à ce que l’ensemble se fonde dans une reprise du thème à tutti après quatre ou cinq tours de solos. Beau travail sur l’espace et le temps dans la construction du discours. Il faudrait également évoquer les nombreux duos, contrastés quand les deux guitaristes se répondent, complémentaires quand les deux batteurs allient leur puissance de frappe, inventifs quand Bynum et Fujiwara nous rappellent qu’ils ont pris l’habitude d’un tel dialogue depuis près de deux décennies. Qualité de l’écriture, engagement total de chaque interprète, vrai travail d’arrangement, rapport parfait entre forme et liberté, composition et improvisation, il est fort probable que ce Triple Double soit l’un des plus beaux groupes de la décennie écoulée. Mais avec Bynum, Halvorson et Fujiwara, c’est presque une habitude.
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