En introduction du concert, Fabien Barontini, le directeur du festival Sons d'hiver, s'excuse presque de l'audace qu'il a eu de réunir deux groupes aux esthétiques en apparence aussi distinctes sur la scène de la MAC. Pour rassurer les spectateurs les plus inquiets, il précise que malgré leur nom, il est déjà sorti vivant de plusieurs concerts de Massacre, et que pour les oreilles les plus sensibles, des bouchons seront disponibles à l'entracte. Pas sûr que ces quelques précisions n'aient pas eu l'exact effet inverse sur la partie du public qui ne connaissait pas le trio free rock avant le concert. Pourtant, il n'y a pas particulièrement besoin d'être schizophrène pour apprécier dans un même élan les subtilités du groupe d'Ambrose Asinmukire et la puissance sidérante des sieurs Fred Frith, Bill Laswell et Charles Hayward.
Le programme annonçait le quintet d'Ambrose Asinmukire accompagné de deux invités. Mais c'est bien un véritable septet, et non une formule à 5+2, qui s'est produit sur scène. L'intégration de l'univers pourtant assez singulier de Theo Bleckmann à la musique du trompettiste semble ainsi couler de source. Le concert commence par une litanie de noms, énoncés à travers un vocoder par Theo Bleckmann, et renvoyer en boucle à l'aide d'un sampler. On reconnaît dans la liste les noms d'Amadou Diallo et de Michael Brown, ce qui laisse penser que cette longue énumération rappelle le sort des victimes des violences policières aux Etats-Unis. Theo Bleckmann n'est alors accompagné que par un puissant solo de trompette du leader et quelques ponctuations éparses de Sam Harris au piano. Ambrose Akinmusire connecte sa musique au contexte politique et social contemporain, reprenant le flambeau d'une longue tradition dans la culture afro-américaine. Sa musique semble d'ailleurs irriguée de plusieurs sources se fondant dans un vocabulaire commun, clairement rattaché à la tradition jazz. A la batterie, Justin Brown déploie des boucles rythmiques fortement influencées par le hip hop, mais également héritières des métriques complexes d'un Steve Coleman (aux côtés de qui Ambrose Akinmusire a débuté il y a une quinzaine d'années). Les soufflants, Walter Smith III au sax ténor et le leader à la trompette, font preuve d'un énorme feeling, déployant sans le moindre effet démonstratif de puissants solos, alliant finesse mélodique et sens narratif affirmé. Charles Altura, l'autre invité, à la guitare, se fond dans le discours collectif, créant une dynamique harmonique captivante. Et, s'il n'intervient pas sur tous les morceaux, Theo Bleckmann ajoute une dimension un peu surnaturelle avec sa voix évanescente, son traitement électronique en direct, et sa justesse mélodique qui dialogue parfaitement avec le lyrisme discret du trompettiste. Si je l'avais déjà apprécié comme sideman de-ci, de-là, je n'avais jamais pris la peine d'écouter l’œuvre d'Ambrose Akinmusire en tant que leader. Il faudra à l'avenir réparer cet oubli.
Après l'entracte, place donc aux décibels ! Et pourtant, il ne faudrait pas résumer la musique de Massacre au volume sonore. Certes, la basse de Bill Laswell, avec ses effets dub envoûtants, crée un halo surpuissant qui plonge l'auditeur dans une sorte d'état second, en prise directe avec son rythme cardiaque. Certes, Charles Hayward a une approche quasi militaire de la batterie, martelant sans interruption ses fûts avec fureur. Certes Fred Frith est capable d'attaques rock particulièrement aiguisées à la guitare. Mais à trois, ils sont aussi attachés à développer un discours mélodique, irriguant ainsi le long continuum rythmique de phrases changeantes qui maintiennent en alerte l'attention de l'auditeur. Fred Frith, sans surprise, est notamment attaché à déployer un discours qui cherche à donner sens, en l'organisant, au chaos apparent. S'il joue de l'archet, du chiffon ou de bouts de bois pour martyriser sa guitare, les sons produits font toujours sens, bien loin d'une démarche qui se satisferait du bruit pour le bruit. On ne voit alors pas le temps passé durant l'heure et demie que dure la performance, emporté par un son puissant, mais aussi par des subtilités mélodiques qui démontrent qu'il n'y avait effectivement aucun hiatus à programmer le même soir Ambrose Akinmusire et Massacre.
A lire ailleurs : Franck Bergerot, sur la première partie uniquement.
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Si je n'ai pas eu le temps de les chroniquer, j'ai assisté à quelques autres concerts de Sons d'hiver cette année. Notamment la remarquable prestation du quartet d'Anthony Braxton au Kremlin-Bicêtre en ouverture (avec Mary Halvorson, Taylor Ho Bynum et James Fei) qu'on peut réécouter sur le site de France Musique. Ou le concert du quartet voyageur de Louis Sclavis au Musée du Quai Branly (avec Gilles Coronado, Benjamin Moussay et Keyvan Chemirani) qu'on peut revoir sur le site d'Arte.
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