Une porte au coin de 2nd Street et d'Avenue C. En face, une station-service. Ecrit en petit, au dessus de la poignée : The Stone. Seule indication pour identifier qu'il y a derrière cette porte un lieu dédié aux musiques créatives, perdu dans cette "Alphabet City" du Lower East Side (les avenues y sont identifiées par des lettres A, B, C, D et non par des chiffres comme dans le reste de Manhattan). Pas de réservation possible, il suffit juste d'arriver à l'heure dite (les portes n'ouvrent pas avant). Quelques personnes font la queue en bon ordre au coin de la rue. A 20h, on tend un billet de 10 dollars au portier, puis on s'installe tranquillement sur l'une des - environ - 70 places assises que propose l'endroit. Pas de bière - ou quoi que ce soit d'autre - à vendre. On vient ici pour écouter de la musique, et c'est déjà beaucoup. La programmation de cet espace ouvert en 2005 par John Zorn est confiée chaque mois (ou par quinzaine comme en ce mois) à une personne différente. Du 16 au 30 juin, c'est Steven Joerg qui s'y colle. Ce dernier est le producteur du label AUM Fidelity qui documente largement la scène free new-yorkaise rassemblée autour du Vision Festival (qui s'est tenu quelques jours auparavant dans la grosse pomme) : David S. Ware, William Parker, Joe Morris, Cooper-Moore, etc.
Pour inaugurer la série (à raison de deux concerts par soir, l'un à 20h, l'autre à 22h), le duo formé par Matthew Shipp (piano) et Darius Jones (saxophone alto) s'installe au centre de la pièce. Par quelques phrases au déroulement classique, l'altiste commence par insister sur son ancrage dans la tradition du jazz. Progressivement, il laisse pourtant apparaître un discours plus exploratoire fait de déviations, bifurcations, accélérations, changements soudains de direction, hésitations, ralentissement vers un rythme lancinant, insistance répétitive sur une simple note, puis retour - sans redite - à des développements plus classiques. Ce va et vient permanent entre réceptacle d'une riche tradition et volonté d'affirmer sa singularité fait écho au jeu tout en flux et reflux si caractéristique du pianiste. Très percussif, comme à son habitude, Matthew Shipp peint un univers cubiste, aux rythmes anguleux et aux harmonies instables qui créent des conditions favorables à l'expressivité de son jeune partenaire. Souvent dans le registre de la puissance, le pianiste sait aussi, à l'occasion, ralentir le rythme pour étirer le paysage dans une approche quasi romantique, avant de repartir de plus belle dans les cascades rythmiques dont il a le secret. Le rythme est l'élément essentiel du dialogue entre les deux musiciens. Il est leur point de contact, leur terrain d'échanges, quand mélodies et harmonies sont développées dans des approches moins coordonnées.
Les morceaux s'enchaînent sans applaudissement pour les interrompre au cours de l'heure que dure le set. On est emporté par le flux constant - non sans silence, mais qui semble créer un continuum au-delà des sons émis par le saxophone et la piano. Au final, on a assisté à un set vif, très rythmique, parcouru d'échos de la tradition du jazz (free ou non), qui lance parfaitement ces quelques jours passés à parcourir les clubs new-yorkais.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire