Il y a un mystère Mephista. Comment une musique aussi bruitiste peut-elle être aussi poétique ? Il y a quelque chose qui me touche profondément dans cette attention minutieuse portée par le trio à la musicalité du moindre bruit. Les pincements, frottements, caresses de Sylvie Courvoisier sur les cordes du piano semblent toujours le fruit d'une écoute profonde des sons du monde. Ses incursions sur l'ivoire semblent résonner de toute une mémoire classique qui se marie à merveille avec les flux et reflux constants dont la musique du trio est innervée. Le contraste entre l'attitude quasi statique d'Ikue Mori derrière son laptop et les sons huileux qui en sortent, venant s'immiscer, comme des virus sonores, dans le jeu du trio, a quelque chose de fascinant quand la vision vient compléter l'écoute. Susie Ibarra, au centre, a le visage d'un bouddha au féminin. Elle trône derrière sa batterie, sure de sa force, et donc économe de celle-ci. Le concert du trio donné au Triton mercredi dernier a été un très grand moment. On peine à retranscrire en mots la magie qui se dégage de leur musique. D'autres l'ont fort bien fait ceci-dit.
La beauté de Mephista réside en fait dans une sorte d'équilibre fragile, spontané, qu'un rien pourrait briser mais qui semble pourtant le fruit d'une telle écoute réciproque qu'il semble indestructible : le moindre bruissement a un sens, pareil à la simple beauté du vent balayant les feuilles d'automne ; le lyrisme tonitruant de l'orage répond à la légèreté claudiquante d'une fine pluie clairsemée ; la mémoire de l'ancien irrigue les combinaisons sonores inédites. A la fois naturaliste et industrielle, la musique de Mephista semble combiner les sons de l'organique et la mémoire des hommes, l'innée et l'acquis, le murement réfléchi et la spontanéité de l'improvisé. Une double nature, éternelle et moderne, dont le poète faisait la caractéristique de l'art. Mephista, trois peintres de la vie moderne.
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