Hier soir avait lieu un concert tout bonnement historique au Triptyque : The Last Poets, derniers poètes mais premiers rappeurs, se présentaient sur la scène du club de la rue Montmartre pour un show exceptionnel. Pour bien situer l'impact du groupe sur la musique afro-américaine, il faut rappeler qu'il a été formé à New York en 1968 et qu'il a été le grand précurseur des scènes rap, slam et spoken words, déclamant des poèmes très engagés sur un accompagnement musical minimaliste fait de percussions afros.
Pour la soirée d'hier, ils étaient précédés par deux slameurs français : Saury Foulah suivi de Linx-K. Les temps d'attente entre les sets étant assurés par le MC chicagoan Allonymous accompagné par un DJ qui avait un goût certain (Coltrane, The Art Ensemble of Chicago, Pharoah Sanders, Miles Davis période électrique...). Mais, si ces "premières parties" proposèrent quelques bons moments, ce n'était rien en comparaison de la performance du trio new-yorkais. Composé aujourd'hui du percussionniste Babatunde et des récitants Abiodun Oyewole et Umar Bin Hassan, le groupe n'a rien perdu de sa verve d'origine. Le concert a commencé par une incantation de Babatunde à Ellegua, cette divinité afro-américaine qu'on retrouve dans la santéria cubaine, le vaudou haïtien ou le candomblé brésilien (toutes ces religions syncrétiques puisant leur origine dans le panthéon yoruba des actuels Bénin et Nigéria) qui ouvre les portes et les chemins. Le pianiste cubain Omar Sosa commence lui aussi ses concerts et ses disques de cette manière. Après cette ouverture, Babatunde a été rejoint par les deux récitants, dont le style au micro oscille entre celui des prêcheurs des églises de Harlem, des blues shouters, et des leaders politiques charismatiques de la communauté afro-américaine. Abiodun Oyewole a un style plus "chanté" qui introduit un groove plein de soul dans son phrasé alors que Umar Bin Hassan est plus déclamatoire, plus proche de la poésie. La complémentarité des deux est en tout cas fabuleuse, captivant complètement l'auditoire par sa puissance déclamatoire, jouant constamment des tensions entre rudesse des textes et souplesse des voix. Le groupe a récité aussi bien des textes récents, dont "Terrorist" censuré par les médias américains, que quelques uns de leurs "tubes" du début des années 1970, dont les incontournables "Niggers are scared of revolution" et "This is madness" dans des versions un peu actualisées. Le groupe fut rejoint sur la fin par un saxophoniste soprano qui évoquait la filiation qui existe depuis plus de trente ans entre The Last Poets et les grandes figures du jazz à qui ils rendèrent d'ailleurs un hommage vibrant il y a quelques années dans un de leurs poèmes intitulé "Birds World". Seul petit regret, Mike Ladd, un des rappeurs contemporains majeurs et présent dans la salle, n'a fait que leur serrer la main. Une rencontre au micro aurait eu de la gueule. Mais, ne boudons pas notre plaisir, ce n'est pas tous les jours qu'on peut assister à un concert de telles légendes, et leur performance fut véritablement remarquable.
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